7 prisonniers

Dalton Paula, Couleur de peau, 2012
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Par JOSE GERALDO COUTO*

Commentaire sur le film réalisé par Alexandre Moratto

Y a-t-il une blessure plus douloureuse, une iniquité plus cruelle que l'esclavage ? Avec son réalisme brutal, un film comme 7 prisonniers, diffusée sur Netflix, montre que cette blessure n'a pas cicatrisé, qu'elle ne rappelle pas un passé lointain, mais qu'elle est toujours vivante et ouverte, infectant non seulement ceux qui en souffrent directement mais toute la société qui la tolère, voire l'encourage.

Deuxième long métrage de fiction d'Alexandre Moratto (réalisateur du grand Socrates, 2018), le film raconte le drame d'un groupe de garçons pauvres de l'intérieur qui se rendent à São Paulo à la recherche d'une vie meilleure et se retrouvent prisonniers du propriétaire d'une casse qui les oblige à travailler gratuitement et à vivre dans un dortoir fétide un peu comme un quartier d'esclaves.

Cela dit, cela peut donner l'idée d'une œuvre sensationnaliste et manichéenne, avec des méchants et des victimes bien définis et, de préférence, une catharsis édifiante à la fin. Mais ce n'est pas tout à fait la réalité construite par le film.

Il y a, d'emblée, deux personnages centraux : le jeune noir Mateus (le grand Christian Malheiros), qui quitte la petite ferme familiale pour travailler en métropole, et Luca (Rodrigo Santoro), le propriétaire de la casse où Mateus et ses compagnons vont travailler. L'acuité narrative du film consiste à opposer d'abord les deux et, petit à petit, à les rapprocher, presque comme si toute l'histoire était le processus de transformation de Mateus en Luca, ou d'opprimé en oppresseur. Mais ne nous précipitons pas.

Dès la première scène, tout est raconté du point de vue de Mateus, mais cela ne se fait pas ostensiblement, à travers une caméra à prédominance subjective ou en recourant à la béquille de la narration hors champ, si courante dans notre cinéma social-didactique. Il est simplement présent dans chaque scène, même si parfois à une certaine distance, voyant, entendant ou sentant tout ce qui se passe. Le film est en quelque sorte son « roman pédagogique », ou plutôt déformation.

Rétrospectivement, les premières images sont significatives. Avec un marteau, des clous et des planches, Mateus construit une clôture ou un mur sur la ferme familiale. La caméra est « de ce côté » de la clôture, et on voit le garçon et la ferme dans l'espace qui reste encore, et qui diminue tout au long de la scène. En un sens, c'est nous, les spectateurs, qui sommes piégés. Et Mateus est celui qui arrête. Cette inversion de perspective prendra tout son sens au cours du récit.

L'esclavage, semble nous dire le film, n'est pas le résultat de la perversité de quelques individus, mais de tout un système de déformations : sociales, politiques, économiques et, bien sûr, morales. Autrement dit, la perversité existe, mais elle se produit en série. L'activité lucrative de Luca repose sur l'aide d'une police corrompue, une surveillance indulgente et la complicité des commerçants et des clients. Plus que cela : il fait partie d'un réseau plus large d'exploitation de la main-d'œuvre esclave, dont l'un des dirigeants est un politicien amical qui se présente à la réélection, un père de famille soucieux du « pays qu'il laissera à ses enfants ».

Tout comme le politicien est un père dévoué, Luca est un fils exemplaire, qui a acheté une boulangerie pour que sa mère la dirige, ne souffrant plus de l'exploitation des autres. Le plus terrible, c'est que les monstres sont humains, trop humains.

C'est dans cette situation, dans laquelle la marge de manœuvre diminue comme le paysage vu dans les premières images de la clôture, que le jeune Mateus évolue. C'est le grand personnage moral, celui qui est confronté à tout moment à des dilemmes éthiques et qui, à la limite, en accomplissant les actions les plus sordides, se justifie en disant : « Si je ne le fais pas, quelqu'un d'autre le fera. fais-le". Le film présente subtilement ces moments, ces carrefours de conduite, sans emphase excessive, uniquement à travers la durée un peu plus longue d'un plan, ou une hésitation du regard de l'acteur.

C'est, en somme, un réalisme substantiel, sans didactisme et sans discours militant, qui se déplace 7 prisonniers. Son efficacité dramatique et politique réside dans son caractère maigre, dans sa dynamique implacable. C'est l'un des films les plus violents de ces derniers temps. Pas tant pour la violence physique, qui se résume à quelques coups de crosse et deux ou trois coups de poing, mais pour la brutalité psychologique, spirituelle et morale qu'il révèle.

Dans le temps : Alexandre Moratto, fils d'une mère brésilienne et d'un père américain, a étudié le cinéma aux USA et a été l'assistant de Ramin Bahrani, réalisateur de le tigre blanc. On dit que c'est Bahrani qui lui a conseillé de retourner au Brésil et de faire des films qui faisaient partie de la réalité sociale du pays. Socrates e 7 prisonniers (réalisé par Bahrani) sont les fruits de ce sage conseil.

*José Géraldo Couto est critique de cinéma. Auteur, entre autres livres, de Andre Breton (Brésilien).

Initialement publié le BLOG CINÉMA

Référence


7 prisonniers

Brésil, 2021, 94 minutes

Réalisation et scénario : Alexandre Moratto

Avec : Christian Malheiros, Rodrigo Santoro, Bruno Rocha, Vitor Julian, Lucas Oranmian, Cecília Homem de Mello, Dirce Thomaz.

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