Par RICARDO ABRAMOVAY*
Aux yeux des militaires, la forêt est un territoire vide
L'environnement sûr, propre, sain et durable vient d'être reconnu, par résolution du Le Droits de l'homme des Nations Unies, en tant que droit humain fondamental. C'est un soulagement de savoir que le Brésil fait partie des 43 pays qui ont approuvé la résolution. Mais, comme le rapporte Jamil Tchad, la diplomatie brésilienne a vu son initiative d'introduire dans le texte une clause qui "réaffirme la nécessité de respecter la souveraineté nationale de chaque État sur ses ressources naturelles" avortée. Le rejet de cette clause est une avancée décisive : l'environnement sûr, propre, sain et durable a cessé d'être, avec l'avancée de la crise climatique, un sujet d'intérêt strictement local ou national pour devenir un enjeu mondial.
Les émissions de gaz à effet de serre des centrales thermiques au charbon, par exemple, contribuent à la fonte des glaciers arctiques, à la canicule dans l'hémisphère nord et aux sécheresses qui frappent l'Amazonie. Aussi, quel que soit le respect qu'il convient d'accorder aux décisions nationales souveraines, il est impossible de ne pas tenir compte du fait que, de manière de plus en plus intense, elles affectent l'ensemble de la biosphère.
Mais il ne vient à l'esprit de personne que les impacts destructeurs des centrales thermiques au charbon pourraient entraîner la perte de souveraineté sur les territoires où ces dispositifs fonctionnent. C'est par des mécanismes économiques (attribution d'un prix au carbone et taxation des exportations de produits issus de technologies émettrices), par la coopération et les avancées scientifiques et technologiques, et par des législations nationales prohibitives, que l'utilisation du charbon va diminuer.
Si tel est le cas, comment expliquer alors la tentative brésilienne de soumettre le droit à un environnement sûr, propre, sain et durable à la souveraineté de chaque État sur ses ressources naturelles ? Cette souveraineté est-elle menacée ?
Aux yeux des segments militaires les plus influents au sein du gouvernement actuel, cette réponse est clairement affirmative. C'est une croyance qui déplace l'attaque actuelle et palpable contre les « ressources naturelles » (provenant d'organisations criminelles qui, avec un fort soutien local et fédéral, envahissent les territoires autochtones, promeuvent l'extraction illégale d'or, s'emparent des espaces publics et attaquent les peuples des forêts et leurs plus importantes défenseurs) à un ennemi extérieur imaginaire qui chercherait des alliés dans le pays pour compromettre notre souveraineté sur la forêt. Deux exemples récents illustrent cette posture dont l'influence, évidemment, va bien au-delà de sa circulation dans le corps militaire.
Le premier vient du général Hamilton Mourão, vice-président de la République. C'était le 25 août 2021, quinze jours après le lancement de 6e rapport d'évaluation (AR6) du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) et moins de cent jours avant le 26a Conférence sur le climat, à laquelle Mourão a ouvert un séminaire à l'Institut général Villas-Boas, au cours duquel seuls les négationnistes du climat ont été entendus et à laquelle aucun des différents scientifiques brésiliens ayant participé à la préparation du rapport du GIEC n'a été invité. Il est à noter que parmi les supposés spécialistes présents au séminaire, aucun n'a publié dans des revues internationales de qualité.
Dans cette ouverture, Mourão n'hésite pas à dire qu'« en ce 21e siècle, l'un des plus grands problèmes qui menacent la souveraineté est la durabilité. Ainsi, la question du développement de l'Amazonie, où plusieurs acteurs non étatiques limitent notre souveraineté, est quelque chose qui doit être assumé par la Nation dans son ensemble… sous peine d'en subir de graves conséquences. Et quand on parle de conséquences graves, on parle d'intervention ». De ce point de vue, la plus grande menace qui pèse sur l'Amazonie réside dans les « acteurs non étatiques » qui agissent pour la défense de la forêt sur pied et des populations qui subissent les agressions liées à l'avancée actuelle de la déforestation.
Le deuxième exemple est le conférence du général Luiz Eduardo Rocha Paiva, à l'Institut de Défense et de Sécurité. Ce qu'il a appelé le «vide démographique» de l'Amazonie a été présenté comme un risque pour la souveraineté brésilienne sur le territoire. La vulnérabilité du supposé fossé démographique a été aggravée, selon le général, par des « discours mondialistes et indigénistes », qui ont conduit des « gouvernements soumis » à délimiter des terres indigènes, qui compromettent la souveraineté nationale, notamment dans les zones frontalières, et à entériner la « Convention universelle ». Déclaration des droits des peuples autochtones ».
Ce ne sont là que deux exemples d'une vision de l'Amazonie et des peuples de la forêt qui, depuis janvier 2019, inspire les politiques du gouvernement fédéral brésilien pour la région. La diabolisation de la conquête démocratique représentée par la démarcation des territoires indigènes et quilombolas, l'accent mis sur l'idée de richesses naturelles convoitées par des intérêts étrangers et les déclarations explicites selon lesquelles le meilleur usage qui peut être fait du biome est représenté par son utilisation conventionnelle. Les formes d'exploitation (mines, exploitation forestière, élevage et soja) deviennent des vecteurs culturels des pratiques destructrices qui se sont intensifiées en Amazonie depuis le début de l'année 2019.
Dans cette optique, si l'Amazonie est un territoire vide dans lequel les peuples autochtones sont facilement manipulés par des puissances et des intérêts étrangers, leur occupation devient une prémisse à l'exercice de la souveraineté. Et le moyen le plus efficace et le plus rapide de promouvoir l'occupation est d'encourager les activités conventionnelles dans l'exploitation minière, l'exploitation forestière, l'élevage et l'agriculture céréalière. Dès lors, transformer les terres publiques non délimitées et les aires protégées en une base pour ce type d'économie devient un objectif stratégique qui implique la tentative permanente de légaliser ce qui jusqu'à présent est un crime et le soutien des différents acteurs qui cherchent à obtenir cette légalisation.
L'influence de ce récit sur les acteurs locaux de l'Amazonie est énorme, encore plus si l'on tient compte du fait que, pour la plupart d'entre eux, la forêt est, comme le montrent clairement les reportages de João Moreira Salles dans le magazine Piauí, un obstacle à la réalisation du rêve à la suite duquel ils ont migré vers la région et qui se matérialise essentiellement dans l'élevage bovin et l'agriculture céréalière.
L'une des tâches les plus importantes et les plus difficiles de la reconstruction démocratique, lorsque le fanatisme intégriste sera écarté du pouvoir, sera d'opposer ce récit hallucinant et destructeur à l'idée que les richesses de la forêt peuvent être à la base de la prospérité, tant qu'elles sont respectés, les droits de l'homme, la science, la culture matérielle et immatérielle des peuples de la forêt et la fierté brésilienne d'avoir un patrimoine qui aidera l'humanité à faire face à son plus grand défi mondial.
Ricardo Abramovay est professeur principal à l'Institut de l'énergie et de l'environnement de l'USP. Auteur, entre autres livres, de Amazon : vers une économie basée sur la connaissance de la nature (Éléphant/Troisième Voie).