Par LÉONARD BOFF*
Covid-19 nous fait redécouvrir l'esprit dans le cosmos, dans les êtres humains et en Dieu
Nous vivons à une époque particulièrement anémique de l'esprit. L'absence de politiques gouvernementales de la part du président actuel pour attaquer le Covid-19 montre plus qu'un manque d'empathie et de solidarité avec les plus de cent quinze mille morts. Cela montre – ce qui est plus grave – le manque d'entrain. Il semble que le président vit encore au stade pré-humain, primate. Il ne se soucie pas ou n'aime pas la vie, la vie de son peuple.
De plus, la culture du capital basée sur la consommation a noyé l'esprit dans une matérialité opaque. Et sans esprit nous perdons ce qu'il y a de meilleur en nous : communication libre, coopération solidaire, compassion amoureuse, amour sensible et sensibilité cordiale de l'autre côté de toutes choses, d'où des messages de beauté, de grandeur, d'admiration, de respect, de vénération et de transcendance.
Il y a l'une des fêtes les plus importantes de la tradition chrétienne, la Pentecôte, au cours de laquelle les chrétiens célèbrent l'irruption de l'Esprit sur les disciples effrayés de Jésus. Il les a transformés en messagers courageux de son message libérateur, jusqu'à aujourd'hui. Dans ce moment tragique de noyade de l'esprit, qui équivaut au meurtre de la vie, laissé par un virus, que l'actuel président négationniste considère comme une simple grippe, il convient de réfléchir sur l'esprit en minuscule et sur l'Esprit en majuscules.
L'esprit : d'abord dans l'univers puis en nous
Nous sommes uniquement porteurs d'une grande énergie. C'est l'esprit en nous. L'esprit, du point de vue de la nouvelle cosmologie (la science qui étudie l'émergence de l'univers, son expansion et son évolution, où il se dirige, quelle est sa signification et notre place dans ce processus), est aussi ancestral que le cosmos. L'esprit est cette capacité qu'ont les êtres, même les plus originaux, comme les hadrons, les quarks top, les protons et les atomes, de se mettre en relation, d'échanger des informations et de créer des réseaux d'interrétroconnexions, responsables de l'unité complexe de l'ensemble. Cela fait partie de l'esprit de créer des unités toujours plus hautes et plus élégantes.
L'esprit est premier dans le monde ; ce n'est qu'ensuite qu'il est en nous. Entre l'esprit d'un arbre et nous, la différence n'est pas de principe. Tous deux sont porteurs d'esprit. La différence réside dans la manière dont elle est réalisée. En nous, êtres humains, l'esprit apparaît comme conscience de soi et liberté. Dans l'arbre pour sa vitalité et ses relations avec le sol, avec les rayons du soleil, les énergies de la Terre et du cosmos ; elle sent, raconte, se nourrit et nourrit la nature elle-même en séquestrant le CO2 et en nous donnant l'oxygène sans lequel nous ne pouvons pas vivre.
L'esprit humain est ce moment de conscience où l'on se sent partie d'un plus grand tout, capture la totalité et l'unité et réalise qu'un fil relie et reconnecte toutes choses, ce qui en fait un cosmos, pas un chaos. . Par rapport au Tout, l'esprit en nous fait de nous un projet infini, une ouverture totale à l'autre, au monde et à Dieu.
Ainsi, la vie, la conscience et l'esprit appartiennent à l'image générale des choses, à l'univers, plus concrètement : à notre galaxie, la Voie lactée, le système solaire et la planète Terre, l'endroit où nous vivons. Pour qu'ils aient surgi, il a fallu un calibrage très raffiné de tous les éléments, en particulier des soi-disant constantes de la nature (la vitesse de la lumière, les quatre énergies fondamentales, la charge des électrons, le rayonnement atomique, la courbure de l'espace-temps, entre autres autres). . Si ce n'était pas le cas, nous ne serions pas ici pour écrire à ce sujet.
Je me réfère uniquement aux données du livre de l'astrophysicien et mathématicien Stephen Hawking intitulé Une brève histoire du temps (2005) : « Si la charge électrique de l'électron avait été légèrement différente, cela aurait perturbé l'équilibre des forces électromagnétiques et gravitationnelles dans les étoiles et soit elles auraient été incapables de brûler de l'hydrogène et de l'hélium, soit elles n'auraient pas explosé. D'une manière ou d'une autre, la vie ne pourrait pas exister » (p. 120). La vie appartient donc au cadre général des choses et la vie est possédée par l'esprit.
Le principe andropique faible et fort
Pour donner une certaine compréhension à cette combinaison raffinée de facteurs, l'expression «principe andropique» (qui a à voir avec l'homme) a été inventée. Il cherche à répondre à cette question que nous nous posons naturellement : pourquoi les choses sont-elles ainsi ? La réponse ne peut être que : si c'était différent, nous ne serions pas là. En répondant ainsi, ne tomberions-nous pas dans le fameux anthropocentrisme qui dit : les choses n'ont de sens que lorsqu'elles sont ordonnées à l'être humain, fait centre de tout, roi et reine de l'univers ?
Il y a ce risque. C'est pourquoi les cosmologistes distinguent le principe andropique fort et faible. Le fort dit : les conditions initiales et les constantes cosmologiques étaient organisées de telle manière qu'à un moment donné de l'évolution, la vie et l'intelligence devaient nécessairement surgir. Cette compréhension favoriserait la centralité de l'être humain. Le principe andropique faible est plus prudent et déclare : les préconditions initiales et cosmologiques ont été articulées de telle manière que la vie et l'intelligence puissent surgir. Cette formulation laisse ouverte la voie de l'évolution qui est également régie par le principe d'indétermination de Heisenberg et par la autopoïèse par les biologistes chiliens Maturana et Varela.
Mais en regardant en arrière sur des milliards d'années, nous voyons que cela s'est réellement produit : il y a 3,8 milliards d'années, la vie est apparue et il y a environ quatre millions d'années, l'intelligence. Ce n'est pas une défense de "dessein intelligent" ou de la main de la Providence divine. Seulement que l'univers n'est pas absurde. Il est chargé exprès. Il y a une flèche de temps pointant vers l'avant. Comme l'a déclaré l'astrophysicien et cosmologiste Feeman Dyson : "il semble que l'univers, d'une manière ou d'une autre, savait qu'un jour nous arriverions" et a tout préparé pour que nous puissions être accueillis et tracer notre chemin d'ascension dans le processus évolutif. Fait intéressant, lorsque dans le processus d'évolution des fleurs sont apparues (avant cela, tout était vert), à ce moment-là, notre ancêtre est apparu. Il semble que l'univers et Dieu lui aient préparé un berceau de fleurs pour souligner la haute qualité de cet être qui commençait son voyage à travers les siècles pour nous rejoindre.
L'univers et l'esprit conscients et porteurs
Le grand mathématicien et physicien quantique Amit Goswami, qui vient souvent au Brésil, soutient la thèse selon laquelle l'univers est conscient de lui-même (l'univers conscient de soi, Dossier 2002). Il connaît dans l'être humain une émergence singulière par laquelle l'univers lui-même, à travers nous, se voit, contemple sa grandeur majestueuse et atteint un certain point culminant.
Il convient également de considérer que le cosmos est en genèse, il n'est pas prêt, il est encore en train de se construire et en expansion continue. Chaque être montre une propension innée à éclater, grandir et rayonner. L'être humain aussi. Apparu sur le plateau quand 99,96% de tout était prêt. Il est une expression de la poussée cosmique vers des formes d'existence plus complexes et plus élevées.
Certains suggèrent l'idée : mais tout cela ne serait-il pas un pur hasard ? Le hasard ne peut être exclu, comme l'a montré Jacques Monod dans son livre Hasard et nécessité, qui lui a valu le prix Nobel de biologie. Mais ça n'explique pas tout. Les biochimistes ont prouvé que pour que les acides aminés et les deux mille enzymes sous-jacents à la vie puissent se rapprocher, former une chaîne ordonnée et former une cellule vivante, il faudrait des billions et des billions d'années. Donc plus longtemps que l'univers et la Terre n'en ont réellement, soit 13,7 milliards d'années. Recourir au hasard, c'est honorer l'ignorance. Mieux vaut dire qu'on ne sait pas.
Pour le dire plus précisément : recourir au hasard ne fait que montrer notre incapacité à comprendre des ordres supérieurs et extrêmement complexes tels que la conscience, l'intelligence, l'affection et l'amour. En ce sens, peut-être la vision de l'univers de Pierre Teilhard de Chardin, selon laquelle il se complexifie de plus en plus et permet ainsi l'émergence de la conscience et la perception d'un point Oméga d'évolution vers lequel nous cheminons, est peut-être plus adéquate pour exprimer la dynamique même de l'univers. Ne vaudrait-il pas mieux être révérencieux et respectueux en silence devant le mystère de l'existence et le sens de l'univers ?
Après ces réflexions, nous sommes déjà qualifiés pour aborder la dimension théologique de l'esprit en tant qu'Esprit Créateur.
L'esprit créateur et la cosmogenèse
Comme il ne pouvait en être autrement, Dieu est aussi inclus dans la dimension de l'esprit. Et par excellence. Il est présent sur la première page de la Bible lorsque la création du ciel et de la terre est racontée. On dit qu'environ touwabohu, c'est-à-dire sur le chaos, plutôt, sur les eaux primitives "un souffle a soufflé ruah (un vent, une énergie) impétueux » (Gn 1,2). De ce chaos, il a pris tous les ordres : les êtres inanimés, les animés et l'être humain. A celui-ci, arraché de la poussière comme tous les autres, Dieu « souffla dans ses narines le ruah de vie, l'esprit, et il devint un être vivant » (Gn 2,7). C'est au chapitre 37 d'Ezéchiel que la force vitale de l'esprit éclate d'une manière insurmontablement plastique. Lorsque cela arrive, les os desséchés prennent chair et deviennent vie.
Les plus hautes expressions de l'être humain sont également attribuées à la présence de l'esprit en lui, comme la sagesse et la force (Is 11,2), la richesse des idées (Jn 32,28), le sens artistique (Ex 28,3), le désir ardent de voir Dieu et le sentiment de culpabilité et la pénitence qui en découle (Ex 35,21 ; Jer 51,1 ; Esd 1,1 ; Es 26,9 ; Ps 34,19 ; Ez 11,19 ; 18,31) .
Dieu "a" l'esprit
Cette force créatrice et vivifiante est éminemment possédée par Dieu. Les Écritures parlent souvent de l'esprit de Dieu (Rouah Elohim). Il est donné à Samson d'avoir une force prodigieuse (Jg 14,6 ; 19,15), aux prophètes d'avoir le courage de dénoncer au nom des pauvres de la Terre les injustices qu'ils subissent, d'affronter le roi, le puissant et annonce-leur le jugement de Dieu.
Surtout dans le judaïsme intertestamentaire, l'effusion de l'esprit sur toute créature était attendue à la fin des temps (Jl 2,28-32 ; Ac 2, 17-21). Le Messie sera "fort d'esprit" et viendra doté de tous les dons de l'esprit (Is 11,1ss).
C'est dans ce contexte du judaïsme tardif qu'apparaît la tendance à personnifier l'esprit. Elle reste une qualité de la nature, de l'homme et de Dieu. Mais son action dans l'histoire est si dense qu'elle commence à gagner en autonomie. Ainsi est-il dit, par exemple, que "l'esprit exhorte, s'afflige, crie, se réjouit, console, se repose sur quelqu'un, purifie, sanctifie et remplit l'univers". Il n'est jamais pensé comme une créature, mais comme quelque chose du monde de Dieu qui, lorsqu'il se manifeste dans la vie et l'histoire, transforme tout.
L'esprit est Dieu, Dieu est Esprit
La compréhension a commencé à changer lorsqu'une expression décisive a été inventée : « esprit de sainteté » ou « esprit saint ». Cette formulation est quelque peu ambiguë, puisqu'on peut dire esprit saint pour éviter de dire le nom de Dieu (ce que les juifs encore aujourd'hui, par respect, évitent) comme on pourrait dire Dieu lui-même. Pour la mentalité hébraïque, « saint » est le nom par excellence de Dieu, ce qui équivaut à dire dans l'entendement grec : Dieu comme transcendant, distinct de chaque être de la création.
En résumé, on peut dire : par le mot esprit (ruah) appliqué à Dieu (Dieu « a » de l'esprit, Dieu envoie son esprit, l'esprit de Dieu) les Juifs ont exprimé l'expérience suivante : Dieu n'est lié à rien ; il éclate où il veut ; confond les plans humains; il montre une force à laquelle personne ne peut résister ; elle révèle une sagesse qui rend insensées toutes nos connaissances. Ainsi, Dieu s'est montré aux dirigeants politiques, aux prophètes, aux sages, au peuple, surtout en temps de crise nationale (Jz 6,33 ; 11, 29 ; 1 Sam 11,6).
Tout comme il est donné au roi pour qu'il gouverne avec sagesse et prudence, en l'occurrence le roi David (1 Sam 16,13), (espérons qu'il le donnera au président anti-esprit qui nous (dé)gouverne) elle sera aussi donnée au serviteur souffrant, dépourvue de toute pompe et grandiloquence (Is 42,1). En Is 61,1 il est explicitement dit : "l'esprit de Yahvé est sur moi parce que Yahvé m'a oint... pour annoncer la libération des captifs et une bonne nouvelle pour les pauvres", texte que Jésus s'appliquera dans sa première apparition dans la synagogue de Nazareth (Lc 4, 17-21). Enfin, l'esprit de Dieu ne signale pas seulement son action novatrice dans le monde, mais indique l'être même de Dieu. L'esprit est Dieu. Et Dieu est Esprit. Comme Dieu est saint, l'Esprit sera le Saint-Esprit.
Le Saint-Esprit imprègne tout, englobe tout, au-delà de toute limitation. « Où irai-je pour être loin de ton Esprit ? Où fuirai-je pour être loin de ta face ? Si je monte au ciel, tu y es, si je me mets dans l'abîme, tu y es aussi » (Sl 139,7) Même le mal n'est pas hors de sa portée. Tout ce qui a à voir avec la mutation, la perturbation, la vie et la nouveauté a à voir avec l'esprit. Le Saint-Esprit est tellement uni à l'histoire qu'il se transforme de profane en histoire sainte et sacrée.
L'esprit dans un monde sans esprit et dégradant
Aujourd'hui, nous ressentons l'urgence de l'irruption de l'Esprit Saint comme au premier matin de la création. La Charte de la Terre, face à la crise écologique mondiale, aux énergies négatives qui peuvent nous entraîner vers l'abîme, déclare : « Comme jamais auparavant dans l'histoire, le destin commun nous appelle à chercher un nouveau départ. Cela nécessite un changement d'esprit et de cœur. Cela nécessite un nouveau sens de l'interdépendance mondiale et de la responsabilité universelle… Nous avons encore beaucoup à apprendre de la recherche conjointe de la vérité et de la sagesse (ultimes).
Le pape François dit aussi dans son encyclique Prendre soin de notre maison commune: « Nous n'avons jamais maltraité et blessé la Maison Commune comme nous l'avons fait au cours des deux derniers siècles (n. 53). Si « nous ne changeons pas notre mode de vie insoutenable – poursuit-il – nous ne pouvons que conduire à des catastrophes » (n.161).
C'est à l'Esprit d'éclairer nos esprits et de transformer nos cœurs. Si nous faisons cette conversion, nous n'échapperons guère aux menaces qui pèsent sur le système-vie et le système-Terre. C'est à l'Esprit de transformer le chaos destructeur en chaos créateur, comme il a opéré au premier moment du Big Bang. Il peut transformer une tragédie comme celle actuelle du Covid-19 en une crise déchirante qui nous permet de faire un saut qualitatif vers un nouvel ordre, supérieur, plus humain, mais cordial, plus aimant et plus spirituel. L'univers, la Terre et chacun de nous sont des temples de l'Esprit. Il ne permettra pas qu'il soit démantelé et détruit. Cette demande est urgente pour la situation actuelle où la Terre dans son ensemble est attaquée par un virus mortel qui décime des milliers de vies.
Il est important de supplier l'Esprit : Viens, Esprit Créateur ! Renouveler la face de la Terre, réchauffer nos cœurs et ouvrir un horizon de sens et d'espoir pour notre réalité humaine déshumanisée et désormais mise en danger de milliers de victimes disparues de l'intrusion du Covid-19. La science, la technique et le vaccin sont fondamentaux. Mais avec eux seuls, il n'est pas garanti que nous éviterons de revenir à ce que c'était avant. Pour cela, nous avons besoin d'un autre esprit qui donne la centralité à ce qui compte : la vie, la coopération, l'interdépendance, la générosité et le soin de la nature et des autres. Si nous ne faisons pas ce changement de paradigme, nous pourrions être attaqués à nouveau et encore plus mortellement.
*Léonard Boff il est écologiste, l'un des rédacteurs de la Charte de la Terre et écrivain. Auteur, entre autres livres de Méditation sur la lumière : le chemin de la simplicité (Voix).