Par LUIS-FELIPE MIGUEL*
La structure juridique et politique, depuis le coup d'État de 2016, a été renversée pour annuler toutes les concessions aux groupes dominés, se dépouillant de son caractère de classe.
"Les institutions fonctionnent". Depuis le début du coup d'État de 2016, c'est le mantra des secteurs conservateurs. Un président élu au suffrage universel a été renversé, le pacte inscrit dans la Constitution de 1988 a été démantelé par une décision unilatérale, des ensembles de droits qui précédaient souvent la charte constitutionnelle elle-même ont été balayés, mais les institutions fonctionnaient. Les secteurs du pouvoir judiciaire et du ministère public ont conspiré pour criminaliser un côté du spectre politique, retirant même illégalement de la course le favori pour les élections de 2018, entachant ainsi la légitimité de l'élection, mais les institutions fonctionnaient. Généraux définissant l'interprétation de la Constitution, persécutions maccarthystes dans la fonction publique et dans les écoles et universités, recrudescence des violences policières, sélectivité ouverte de l'appareil répressif d'État : les institutions fonctionnent.
L'approbation du Suprême, même s'il s'agit d'une Cour suprême "lâche", comme l'a dit un jour Lula, lorsqu'elle n'est pas ouvertement impliquée dans la destruction de l'ordre constitutionnel et démocratique sur lequel elle doit veiller, cédant parfois aux menaces à peine déguisées des commandants militaires, équivalait au fonctionnement des institutions. Apparemment, la compréhension simplificatrice et simpliste, exprimée encore aujourd'hui par un chroniqueur conservateur, était largement répandue : la démocratie équivaut à accepter que "le dernier mot dans les litiges est celui de la STF".
Dans le domaine démocratique, nous nous sommes demandé : les institutions fonctionnent, mais pour qui ? Il était clair que, depuis le coup d'État de 2016, la structure juridique et politique avait été subvertie pour annuler toutes les composantes qui signalaient des concessions aux groupes dominés, se dépouillant de leur caractère de classe. Le Brésil semble présenter une illustration particulièrement dynamique de la perception de Poulantzas selon laquelle l'État est la condensation matérielle d'un certain rapport de forces. Avec le changement accéléré de corrélation, dans lequel les secteurs populaires ont perdu l'initiative et aussi la résistance, l'État brésilien a rapidement commencé à fonctionner dans une autre clé, même s'il a maintenu la même Constitution.
Bien sûr, ce n'était pas si simple. Le coup d'État a signalé que la force supplantait les règles existantes. Comme la coalition putschiste était loin d'être homogène, déjà dans le gouvernement Temer, des conflits ont surgi qui suivaient la logique du "qui a le plus grand club", impliquant généralement le courant messianique du lavajatismo, d'une part, et d'autre part le courant traditionnel des élites politiques qui ont atteint le centre du pouvoir avec l'usurpateur. Les deux, soit dit en passant, avec leurs propres bancs dans la STF. Un épisode emblématique a été le bras de fer impliquant l'injonction du ministre Marco Aurélio Mello, en décembre 2016, de destituer Renan Calheiros de la présidence du Sénat. Le Sénat a refusé de se conformer à la décision et la Cour suprême a reculé. Des institutions fonctionnelles, même au sens minimaliste et juridique présenté ci-dessus ?
Avec l'arrivée de Jair Bolsonaro à la présidence de la République, il était naturel que la situation empire. Destiné à être une figure secondaire de la retraite brésilienne, dogue emmené au chenil quand cela devenait inutile, il piétine ses alliés occasionnels et prend son agenda extrémiste et déconnecté, son agressivité délibérée et permanente, sa vision étroite et son incompétence administrative pour le Planalto. Bien tolérée tout en délivrant, grâce à Paulo Guedes, ce que voulait la classe dirigeante, elle est devenue un frein depuis que la pandémie a rendu impératif d'avoir un gouvernement moins irresponsable et moins incompétent. Même Guedes, un fondamentaliste du marché incapable de tourner la roue lorsque les circonstances appellent un tel changement, devient moins attrayant.
Les mécontents ne sont toutefois pas encore en mesure d'établir un mouvement fort pour le retrait de l'ancien capitaine de ses fonctions. L'incertitude pèse sur la position du député, le général Hamilton Mourão (si le chemin est l'obstacle et non l'impeachment du ticket, pour lequel il y a aussi beaucoup de raisons). Il y a aussi une incertitude sur la position de la haute direction de l'Armée, de plus en plus appelée à arbitrer les différends politiques, ce qui, soit dit en passant, est un autre signe fort de la décadence des institutions. Surtout, la peur de perdre ce qu'ils ont obtenu avec le coup d'État pèse lourd : la condamnation du champ populaire à l'inutilité politique.
Ainsi, une situation marquée par des accrochages répétés, aux frontières de la légalité ou au-delà, entre les groupes qui contrôlent différents secteurs de l'État et qui mesurent les forces s'en trouve aggravée. Cela est devenu particulièrement visible à l'époque, avec l'instrumentalisation de la police fédérale, soit par Bolsonaro, soit par le STF, ou avec l'usage téméraire du chantage du président de la République sur son propre procureur général, dans le but de se protéger et de aux enfants d'accusations criminelles. Le vide de la légalité permet au bolsonarisme d'évoluer vers le devenir d'une milice armée, en même temps que deviennent ostensibles les signes d'une interruption violente de ce qui reste de l'ordre institué en 1988.
L'institutionnalité qui a été brisée pour soustraire le champ populaire au jeu s'avère aujourd'hui incapable de réguler les conflits entre groupes dominants. En se mettant entièrement et sans fard au service de la domination de classe, l'État brésilien a perdu sa relative autonomie. Mais, dans le même processus, la société brésilienne plongea dans une sorte d'anomie relative. Une partie des règles qui devaient organiser la vie sociale ne prévaut plus : les règles qui définiraient l'accession et l'exercice du pouvoir dans la société. Il y a un chacun pour soi qui glisse dangereusement dans l'usage de la violence, raison ultime du pouvoir. Pour échapper au pire, il faut que l'ombre de plus en plus palpable du fascisme et les dizaines de milliers de cadavres accumulés par la gestion criminelle de la crise sanitaire enseignent de toute urgence à notre élite politique les leçons qu'elle a eu du mal à désapprendre ces dernières années.
* Luis Felipe Miguel est professeur de sciences politiques à l'UnB.