L'architecture du béton

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Par ANSELME JAPPE*

Il vaut mieux embellir le monde que le défigurer au nom de la croissance et de l'économie

Le béton est de plus en plus mal vu. Au cours des seuls derniers mois, nous avons été témoins du bétonnage de l'accès à l'Acropole à Athènes, qui a déclenché une tempête de protestations indignées dans le monde entier, de l'effondrement d'une station de métro au Mexique et, peu de temps après, d'un immeuble de douze étages à Miami., accumulant plus d'une centaine de morts. Tous ces développements ont continué à mettre le béton à l'honneur.

Les 59 centrales à béton de la région parisienne, ainsi que les pollutions et nuisances qu'elles engendrent, ont fait l'objet d'une enquête détaillée réalisée par le journal Partie moyenne, qui a évalué les effets des cimenteries implantées en bord de Seine, ainsi que la construction du nouveau métro Grand Paris. Les nombreuses occupations foncières promues dans toute la France par les mouvements Les soulèvements de la terre [Les soulèvements de la terre] et ainsi que avait pour cibles principales les zones destinées au bétonnage. Des actes de sabotage non violents contre les cimenteries du groupe Lafarge Holcim ont eu lieu fin juin à Gennevilliers, en périphérie parisienne.

Apparemment, le béton est loin d'être aussi nocif que le pétrole, le plastique, les pesticides ou les hormones injectés dans la viande, sans parler de l'amiante ou de l'énergie nucléaire. Après tout, ce n'est que du sable, de l'eau, du calcaire et du gravier, auxquels on ajoute de l'acier pour produire du béton armé, son utilisation la plus fréquente. Le problème ne réside pas dans les propriétés du béton en tant que tel, mais dans le fait qu'il s'agit du matériau le plus utilisé sur terre. En raison des températures élevées requises pour sa fabrication, le béton contribue au réchauffement climatique, ainsi qu'à l'origine de maladies respiratoires.

L'extraction de sable détruit les écosystèmes du monde entier et affecte les populations locales. Le bétonnage massif des sols provoque des inondations et, dans les villes, crée des bulles de chaleur. Recycler ses déchets coûte cher, et les restes finissent souvent déversés dans la nature. Enfin, le béton incite les constructeurs peu scrupuleux à utiliser un mélange surchargé de sable, offrant des bâtiments qui s'effondrent facilement.

Depuis quelques décennies, le béton armé approche rapidement de la fin de sa carrière et commence à nécessiter une maintenance coûteuse, souvent évitée par les responsables, avec des conséquences souvent catastrophiques, comme l'effondrement du pont Morandi, à Gênes, en 2018.

Ce sont des problèmes techniques et matériels. Afin d'y remédier, des alternatives au béton sont souvent évoquées, comme la construction récente d'un ensemble résidentiel à base de pierre taillée en pierre en Suisse, l'utilisation de l'argile, le développement du « béton vert » qui, selon ses promoteurs, émet moins CO2 dans sa fabrication, etc. En effet, aucune réflexion sur l'avenir de l'habitat ne peut échapper à la question des « matériaux », si visiblement délaissée par des générations d'architectes et d'urbanistes « progressistes ». Pour autant, il serait tout aussi faux de réduire la question de l'habitat à ses seuls matériaux et de vouloir poursuivre l'architecture moderne, désormais avec des matériaux « écologiques », ce serait la énième manière de écoblanchiment.

En fait, il n'est pas possible de condamner le béton armé sans critiquer l'architecture dite moderne, c'est-à-dire celle des années 1930 environ, – et inversement. Poursuivre les formes architecturales de l'ère industrielle, en ne modifiant que son matériau, ne serait pas une rupture assez forte. Le béton a simplement permis un mode de construction dont les origines sont essentiellement sociales et culturelles.

Elle a été le facteur central de l'homogénéisation de l'habitat dans le monde entier : la fusion des styles de construction traditionnels, différents d'un endroit à l'autre, toujours adaptés au contexte et construits avec des matériaux locaux, a été remplacée par un matériau unique qui dévalorise l'ancien. savoir au profit d'une filière industrielle et d'une forme d'emploi fondée sur la stricte séparation entre la « tête » (l'architecte, l'ingénieur, qui applique ses règles ou ses caprices) et les « mains », réduites au rang d'exécuteurs disqualifiés .

Cette réduction du lieu où l'être humain s'établit dans le monde – sa maison – à une marchandise industrielle n'est pas seulement due au béton – d'autres matériaux ont joué un rôle tout aussi important, notamment les briques de maçonnerie. Mais cela ne serait guère arrivé sans béton armé. Cette dernière est la matérialisation parfaite de la logique de la valeur marchande et donc de l'argent : quantité pure sans qualité, gommant toute particularité au profit d'une substance toujours la même et aveugle aux différences des sujets qui la manient.

Pour mieux comprendre cela, revenons à deux auteurs français qui, à première vue, n'ont pas grand-chose en commun : Paul Valéry et Guy Debord. Le représentant suprême de la culture bourgeoise à son apogée et le révolutionnaire iconoclaste.

Em Eupalinos ou l'architecte,[I] dans une imitation des dialogues de Platon écrite en 1921, Paul Valéry s'exclame : « Dis-moi (puisque tu es si sensible aux effets de l'architecture), en te promenant dans cette ville, tu as observé que, parmi les édifices qui la composent, certains sont muets ; d'autres parlent; et d'autres enfin, plus rares, chantent ? Ce n'est pas leur destination, ni leur allure générale, qui les animent ainsi, ou les réduisent au silence. Cela tient au talent du bâtisseur, ou bien aux faveurs des Muses. (...) Les bâtiments qui ne parlent ni ne chantent ne méritent que le dédain ; ce sont des choses mortes, inférieures en rang aux tas de pierre jetés par les charrettes des entrepreneurs et qui amusent, du moins, l'œil averti, par l'ordre accidentel qu'elles acquièrent dans leur chute ».

Paul Valéry souligne ensuite le rôle central de l'architecte créateur, dont la manière de travailler est décrite ainsi : Eupalinos « n'a rien négligé. Il prescrivait de couper les planches dans le sens du fil du bois, afin que, interposées entre la maçonnerie et les poutres qui reposaient dessus, elles empêchent l'humidité de pénétrer dans les fibres, de les tremper et de les pourrir. Il a porté une attention égale à chaque point sensible du bâtiment. Il semble que ce soit son propre corps. Pendant les travaux de construction, il a rarement quitté le site. Il connaissait toutes ses pierres. (...) Mais toutes ces gourmandises, ordonnées à la durée de l'édifice, n'ont rien à voir avec celles réservées à l'élaboration d'émotions et de vibrations dans l'âme du futur contemplateur de son œuvre », qui, explique Valéry, « face à une masse subtilement soulagée de son poids, et si simple en apparence, le mortel ne se rendait pas compte qu'il était conduit à une sorte de bonheur, grâce à des courbures insensibles, des inflexions minuscules et puissantes, de subtiles combinaisons de formes régulières et irrégulières. qu'il avait introduits et cachés, les rendant aussi impérieux qu'indéfinissables.

Paul Valéry a décrit avec une remarquable finesse les qualités nécessaires pour devenir un bon architecte (et on imagine starchitectes, comme Jean Nouvel ou Frank Gehry, ne quittant jamais le terrain de travail et connaissant toutes les pierres comme s'il s'agissait de leur propre corps ?). On ne peut que s'interroger sur la manière dont Paul Valéry identifie cet art de bâtir exclusivement au « talent du bâtisseur, ou bien aux faveurs des Muses », s'alignant sur l'appréciation excessive du « génie solitaire », si typique de la bourgeoisie culte des arts., dont Paul Valéry fut l'un de ses prêtres.

Les architectures dont nous parlons ici sont, pour l'essentiel, des créations collectives, issues d'une tradition dont nous ne pourrons jamais élucider l'origine et qui n'ont pas « d'inventeur », mais sont généralement le produit de plusieurs générations, voire de siècles ou plus. Ses qualités matérielles et spirituelles, bien décrites par Paul Valéry, dépassent les plus hautes qualités que le plus doué des individus, pris isolément, puisse avoir. L'architecture des Cinque Terre en Italie, les villages troglodytes de Cappadoce, les anciens greniers au Maghreb et l'architecture cycladique ne sont pas des produits de la faveur des Muses, mais de l'inconscient collectif qui a également créé des langues, des cuisines et des systèmes de classification. .

Ces architectures ne répondent pas seulement à des critères utilitaires et ne servent pas qu'à « avoir un toit ». Dans l'histoire, seul le capitalisme a été assez pauvre pour proclamer « l'abri » comme finalité souveraine, et souvent unique, de l'art de bâtir. Dans toutes les autres civilisations, beaucoup plus de ressources et d'énergies étaient utilisées dans la partie qui dépassait le but utilitaire. Appeler cette partie « ornement » ou « représentations symboliques » de l'ordre social et de l'ordre cosmique serait trop réducteur. On retrouve aussi ici un aspect ludique, une appropriation festive du monde, la préparation d'une scène pour une vie sociale sous l'insigne des passions.

On peut alors établir un rapprochement – ​​quelque peu surprenant, à première vue – avec la « psychogéographie » proposée dans les années 1950, à Paris, par la Letrista International. Cette petite avant-garde artisto-politique née, sous l'impulsion de Guy Debord, dans le prolongement du surréalisme originel, donnera plus tard naissance à l'Internationale situationniste. L'un de ses principaux centres d'intérêt était l'exploration de l'environnement urbain, son appropriation ludique, afin de vivre la décoration physique du point de vue de ses effets sur les « passions » individuelles et collectives, et non de son aspect utilitaire (travail, famille) .

Le labyrinthe est alors célébré comme la figure d'un espace social capable de transformer la vie en une aventure poétique permanente : ainsi, une nouvelle vie et un nouvel urbanisme sont réciproquement présupposés. Étant donné que les constructions existantes sont presque toutes dues à la société bourgeoise et, par conséquent, ne peuvent être « resignifiées » par des « jeux supérieurs » que de manière limitée, il est nécessaire d'inventer des maisons et des villes d'un nouveau genre, capables de stimuler la « construction de situations » : ce serait « l'urbanisme unitaire », comme une combinaison de l'architecture et des arts.

Cet urbanisme ne s'est cependant jamais matérialisé, et s'est même confondu avec l'adhésion (brève) des situationnistes, dans les années 1960, à la Nouvelle Babylone par l'architecte hollandais Constant Anton Nieuwenhuys. Son projet de ville « utopique » est rapidement rejeté par Guy Debord comme « technocratique ». La recherche d'un urbanisme poétique et ludique est alors abandonnée par les situationnistes au profit d'une critique très lucide des nouvelles horreurs urbaines des années 1960.

En 1956, Guy Debord déclarait que « nous savons que les formes matérielles des sociétés, la structure des villes, traduisent l'ordre des préoccupations qui leur sont propres. Et si les temples, plus que les lois écrites, étaient le moyen de traduire la représentation du monde qu'une collectivité historiquement définie a pu se former, il reste à édifier des monuments qui expriment, avec notre athéisme, les nouvelles valeurs d'une nouvelle voie. de la vie. , dont la victoire est certaine. (…) Il faut comprendre que tout ce qui peut se faire maintenant, en urbanisme, en architecture ou dans d'autres domaines, n'aura de prix que tant qu'on n'aura pas répondu à cette question sur l'art de vivre, et qu'on y aura répondu adéquatement. Il ne faut pas aller trop loin pour condamner l'architecture de Firmin Le Corbusier, qui voulait fonder une harmonie définitive fondée sur un mode de vie chrétien et capitaliste, imprudemment considéré comme immuable ».[Ii]

Mais, même si l'œuvre de Le Corbusier est « vouée à une complète défaite » pour s'être mise au service des « pires forces d'oppression », « certains enseignements doivent cependant être intégrés dans la phase suivante ». Le "style de vie à venir (...), au lieu de l'actuel, sera déterminé principalement par la liberté et les loisirs". Dans la séquence, Guy Debord cite l'artiste danois Asger Jorn, co-fondateur de l'Internationale situationniste, pour qui il faut "découvrir de nouvelles jungles chaotiques à travers des expériences inutiles ou dénuées de sens", ainsi que le surréaliste belge Marcel Marien, qui annonçait : « du béton prévu, de la rue tortueuse, du chemin étroit, l'impasse aura lieu. Le terrain vacant fera l'objet d'une étude toute particulière ».

Quinze ans plus tard, Guy Debord fait l'éloge du jardin très privé qu'Asger Jorg a fait construire à Albisola, dans la région italienne de Ligurie, où « ce qui est peint et ce qui est sculpté, les escaliers toujours inégaux entre les aspérités du sol, les arbres, les éléments assemblés, une citerne, les vignes, les débris les plus divers, toujours les bienvenus, le tout disposé dans un parfait désordre, composent un des paysages les plus compliqués » où « tout trouve sa place sans effort », formant ainsi « une sorte de Pompéi inversé : les reliefs d'une ville qui ne s'est pas construite ».[Iii]

Le programme annoncé par Guy Debord il y a plus de six décennies est toujours intéressant : construire des environnements qui expriment les valeurs d'une autre vie, d'un autre « art de vivre », et qui laisseront toute leur place à des formes irrégulières et surprenantes. Cependant, l'engouement pour un « urbanisme vraiment moderne », comme il le dit, et qui l'a conduit à vouloir récupérer une partie de ses « enseignements » (comme le fera Constant peu après), semble bien suranné puisque, comme Guy lui-même Debord l'annonçait beaucoup plus tard, « être 'absolument moderne' devint une loi spéciale proclamée par le tyran ».[Iv]

Heureusement, il existe déjà une énorme collection de techniques, de connaissances et de matériaux que nous pouvons utiliser. S'il n'est pas souhaitable de revenir aux anciens rapports sociaux, comme le veulent les réactionnaires, il est en revanche possible de recourir à ce qui a déjà été inventé et mis à l'épreuve des milliers de fois. Des progrès, même matériels, peuvent être nécessaires dans certains domaines ; dans d'autres, cependant, ce n'est rien d'autre que le besoin insatiable de nouveaux marchés du capitalisme et, peut-être, le narcissisme des « créateurs » qui nient le fait que, dans l'art de construire, il n'y a pas besoin de « progrès ».

Bien au contraire : à bien des égards, l'humanité a tout à gagner à reprendre des techniques éprouvées - en matière de solidité et de durabilité, de sociabilité, d'"éco-compatibilité", de performances thermiques, de possibilité pour les futurs habitants de s'investir personnellement dans la construction de leur maison et la guidant selon leurs goûts ; dans tout cela, les architectures traditionnelles n'ont plus besoin de démontrer leur supériorité. Et si rien n'abaisse plus un être humain que de devoir obéir à un autre, il est tout aussi dégradant de devoir vivre dans des lieux construits par des gens qui ne nous ont pas demandé notre avis. Le simple fait de voir à plusieurs reprises d'innombrables habitations identiques devrait faire soupçonner qu'il s'agit d'une atteinte à la dignité humaine. De même qu'aucun visage humain ne se ressemble, aucune habitation traditionnelle n'est le simple exemple d'un genre, la reproduction d'un modèle. Cela n'existe pas en dehors de la production industrielle.

L'industrialisation du logement est aussi nocive que celle de l'alimentation. Mais d'un autre côté, cela nous permet un certain optimisme : depuis des millénaires, l'humanité a construit des choses merveilleuses, et au cours des cent dernières années, elle a construit des choses horribles. Il est possible que ce soit juste une parenthèse qui se referme.

Immeubles de la commune de Nanterre, en périphérie de Paris. Au centre, le bâtiment de la banque française Société Générale. A droite, une partie de la Grande Arche de La Défense. Photo: Daniel Pavan

Il est sans doute vrai que l'architecture est le domaine de la culture où la notion de progrès a le moins de sens. Une ville avec une longue histoire, si son centre n'a pas subi de restructuration (comme cela arrive souvent), se présente comme un ensemble de cercles concentriques : en allant, pas à pas, vers l'extérieur, on voyage aussi vers la modernité. Et presque personne – du moins dans ce domaine, car il y a une sorte de sensibilité esthétique commune – ne dirait que, dans cette progression, on va vers la beauté. A l'approche des pavillons et des hangars de la périphérie – même dans les petites agglomérations – même le dernier défenseur de la modernité architecturale se tait.

Et pourtant la même humanité a érigé des villes comme Sarlat ou Chinon en France, ou Ascoli Piceno, Gubbo ou Pérouse en Italie centrale : des villes remarquables non (seulement) pour leurs monuments historiques, mais pour la qualité moyenne de leurs constructions. Une de ces maisons en travertin était accessible à tous. Ici comme ailleurs, c'est le capitalisme qui a créé la rareté artificielle, transformant la norme en luxe.

S'il y a donc un secteur de la vie où l'on peut opérer un « retour vers le passé » sans courir le risque d'être socialement réactionnaire, c'est bien l'art de construire. L'objection, cependant, vient toute faite : ça coûte trop cher ! C'était peut-être même possible quand il y avait moins de monde, mais pas aujourd'hui ! Curieuse objection, à vrai dire. La société moderne se vante sans cesse d'avoir centuplé les moyens dont elle dispose - mais, peu de temps après, se déclare incapable d'offrir à ses citoyens des logements qui ne soient pas des bidonvilles et dans lesquels, dès le départ, on prévoit qu'ils ne survivront pas à l'instant où ils habitent, que le propriétaire décide de payer ses dettes !

Le calcul le plus simple permet de se rendre compte que des résidences longues et « coûteuses » à construire, mais qui dureront des siècles, sont plus « économes » en ressources que celles qu'il faudra refaire tous les trente ans. Mais ici entre en jeu un autre acteur sans lequel toute réflexion sur la « modernité » reste incomplète : le capitalisme. Pourquoi une telle solution ne s'impose-t-elle pas, et presque jamais ? Parce qu'il n'est pas en phase avec le marché, avec le retour sur investissement, avec la création d'emplois, avec les élections gagnées grâce à cette création d'emplois, avec l'évolution des modes, avec le déplacement de populations entières, forcé par l'économie, avec la folie des grandeurs des "décideurs" de l'économie, de la politique et de la technologie...

Il n'y a guère de raison de continuer à construire si ce n'est le culte de la "croissance économique". La population est stable et, pour loger les personnes en situation de précarité, il faudrait commencer par utiliser les trois millions de logements vides en France, les ministères et offices, les casernes, les monastères, les villages touristiques. Ensuite, à mesure que nous avancerons dans la construction de logements décents, nous détruirons les bâtiments des 80 dernières années, en commençant par les plus horribles et les plus mal faits. Le matériau ne doit pas forcément être de la pierre taillée, mais on peut aussi utiliser du carrelage, de la terre, du bois…

Bien sûr, cette reconstruction doit se faire avec discernement. L'art même de bâtir doit être reconstruit, redécouvert, reconstitué. Nous ne pouvons pas le laisser entre les mains d'architectes et d'ingénieurs qui ont simplement adhéré à une mode qui prévoit des rues sinueuses, des places pour la vie sociale et des matériaux écologiques. Une architecture post-capitaliste ne pouvait être planifiée d'en haut.

En revanche, ce ne sera pas forcément le résultat de la « construction de soi » tant vantée aujourd'hui. Si grande que soit la créativité de certains individus et groupes, on ne peut l'assumer chez tout le monde, surtout après tant de siècles d'abrutissement. La capacité et la sensibilité nécessaires pour manier patiemment les techniques et les matériaux, décrites par Paul Valéry, ne s'acquièrent pas en un jour, notamment parce qu'il n'y a plus de transmission vivante entre les générations. Ce qui était autrefois corporations et guildes peut désormais se refaire dans le cadre d'une réappropriation généralisée du savoir et de son échange – ce que William Morris évoquait à la fin du XIXe siècle, notamment dans son roman d'anticipation. Nouvelles de nulle part.

Douce illusion ? C'est ce que disent ceux qui préfèrent continuer leurs cauchemars de climatisation en béton et artificielle (qui pourrait très bientôt être la première source de consommation d'électricité). Il vaut mieux embellir le monde que le défigurer au nom de la croissance et de l'économie. C'est presque un pari pascalien.

*Anselme Jappé est professeur à l'Académie des Beaux-Arts de Sassari, en Italie. Auteur, entre autres livres, de La société autophagique : capitalisme, excès et autodestruction (Elefante).

Traduction: Daniel Pavan.

notes


[I] Eupalinos ou l'architecte. São Paulo : Editora 34, 1996.

[Ii] "Intervention du délégué de l'Internationale lettriste au Congrès d'Alba" (1956). Dans : Guy Debord, Oeuvres, Gallimard, 2006, p. 243-246.

[Iii] "De l'architecture sauvage" [1971], sur. cit., p.1194.

[Iv] panégyrique, premier ministre [1989], sur. cit., p.1684.

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