Chronique de Machado de Assis sur Tiradentes

Image : João Pavese
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Par FILIPE DE FREITAS GONÇALVES*

Une analyse de style Machado de l'élévation des noms et de la signification républicaine

1.

Dans la première chronique de la série Une Semana, le dernier qu'il publiera, Machado de Assis, écrivant trois jours après la célébration de Tiradentes (qui deviendra un symbole du nouveau régime et du pays), construit un texte complexe, mais qui, comme c'est souvent le cas, laisse son sens à la vue de l'observateur attentif. Au premier abord, nous sommes face à un narrateur espiègle qui ne commence nulle part et ne finit nulle part.

Entre une chose et une autre, il change de sujet à mesure que le pays change de gouvernement au cours de ces premières années de consolidation républicaine. Derrière ce va-et-vient déroutant, on trouve cependant un raisonnement qui traverse tout le texte : la pertinence ou l’inadéquation des noms pour les choses. Il s’agit d’un sujet très ancien, qui pourrait très bien être considéré d’un point de vue philosophique. Le narrateur, dès le début, aborde le problème de manière comique.

Après avoir déclaré qu'il s'était réveillé avec les poules la semaine précédente et qu'il avait alors proposé un problème, il change rapidement de sujet et pose la question centrale : le nom approprié était une énigme. Le thème est central mais représente une rupture dans les attentes, car le lecteur s'attend certainement à ce qu'il nous dise quel est le problème qui lui a été proposé. Poursuivant le raisonnement, disons qu’en fin de compte, le problème était précisément celui qui se présente maintenant à nous : le nom le plus approprié pour caractériser les choses.

La différence de dénomination s’interprète alors non pas par l’adéquation entre la dénomination et la nature de la chose nommée, mais par l’effet que le nom a sur le public. Le problème du nom plaît aux lecteurs austères et le narrateur, soi-disant intéressé à s'identifier comme une personne austère, choisit le terme plutôt que celui d'énigme. Mais la phrase suivante brise une fois de plus les attentes en se comparant aux actrices, qui ne seraient plus « une prestation, mais une fête artistique ».

La comparaison, dès le premier paragraphe, place le lecteur attentif devant ce qui se passe réellement : la dégradation comique de problèmes « austères ». Au lieu d'une philosophie sur l'adéquation du nom à la nature de la personne nommée, l'image de dignité ou d'indignité qu'un nom donné génère, malgré son adéquation. « La chose », nous dit-il à propos de la célébration caritative ou artistique, « est la même. » Dans le paragraphe suivant, la conclusion : « Tout appelle une certaine élévation ». L’élévation, cependant, est donnée par le nom et non par la nature élevée de la chose qui est nommée.

Le ton de la plaisanterie est confirmé dans le paragraphe suivant par l’histoire des « estimés vieillards » qui, jouant aux échecs, s’endormirent au milieu de la partie mais, lorsqu’ils se réveillèrent, s’appelèrent non pas par leurs noms, mais par les titres qu’ils avaient acquis dans la vie : « Commandeur » de l’Ordre de la Rose pour services rendus au Paraguay et « Major » de la Garde nationale. Outre la scène évidemment comique, qui en elle-même dévalorise les titres, ils apportent également une élévation supplémentaire : selon le narrateur, nous serions face à un chevalier et non à un commandeur ; d'un lieutenant et non d'un major.

L'élévation, comique dans les rapports quotidiens entre deux amis âgés qui jouent aux échecs et s'endorment au milieu de la partie, est avant tout un mensonge : ils ne sont ni major ni commandant. Nous avons ici un nouvel élément important. La dénomination qui attribue la dignité ne doit pas nécessairement opérer simplement à travers les noms les plus prestigieux socialement, mais peut, et doit, falsifier la chose nommée. Le mensonge au service de l’élévation révèle le caractère idéologique du langage, qui est parallèle au contenu philosophique de l’acte de nommer lui-même et à l’adéquation du nom à celui qui est nommé.

2.

C'est là qu'intervient notre personnage : Tiradentes. Publié le 24 avril 1892, le chroniqueur place au centre de ses discussions le problème du héros républicain nouvellement apparu. Il confirme la nécessité du culte de l’enseigne martyre et nous jette au cœur du problème : « L’arrestation de l’enseigne héroïque est une chose qui devrait être célébrée par tous les fils de ce pays, s’il y a du patriotisme en elle, ou si ce patriotisme est autre chose qu’un simple motif de paroles dures et détournées ».

Tiradentes doit être célébré au nom du patriotisme, qui doit cependant être plus que des « paroles épaisses et détournées ». Autrement dit : il doit s’agir de plus qu’une simple élévation par le langage, que le jeu rhétorique qui produit, comme nous l’avons vu auparavant, des mensonges. Dans les choses sérieuses, la chose doit correspondre au nom et le noble sentiment d'amour pour le pays et les personnalités qui se sont sacrifiées pour le former doit être plus qu'un simple langage faux. Il s’agit d’une information pertinente qui, immédiatement après, est tout simplement écartée.

Le sujet se tourne vers la comparaison entre l'enseigne et les autres conspirateurs, devant lesquels il devrait même être favorisé, nous informe le narrateur : « Mais celui qui s'est offert à porter les péchés d'Israël, celui qui a pleuré de joie en voyant commuée la sentence de mort de ses compagnons, une sentence qui n'allait être exécutée que sur lui, celui pendu, celui écartelé, celui décapité, celui-là doit recevoir le prix en proportion de son martyre, et gagner pour tous, puisqu'il a payé pour tous. »

Le lecteur attentif doit noter que le langage commence à peser lourd et à s'investir dans l'identification de Tiradentes avec une figure d'ordre christologique : il porte les péchés d'Israël et doit recevoir la récompense proportionnelle à son martyre. La relation qui s'établit alors entre Tiradentes et la figure du Christ a déjà été documentée par l'historiographie et le narrateur s'inscrit dans la vague discursive de son temps.

Puis, le ton grandiloquent se poursuit dans l'identification de Tiradentes à Prométhée : « Relis Eschyle, cher lecteur. Écoute le langage compatissant des nymphes, écoute les cris terribles, lorsque le grand titan est impliqué dans l'incendie général des choses. Mais, surtout, écoute les paroles de Prométhée racontant ses crimes aux nymphes bien-aimées : « J'ai donné le feu aux hommes ; Ce maître vous enseignera tous les arts. C'est ce que Tiradentes nous a fait.

Quiconque connaît la prose de Machado reconnaîtra bientôt dans ce « Relede Ésquilo, cher lecteur » l'écho fondateur de l'autre, celui que le narrateur de Esau et Jaco nous propose au début du roman : « Relis Eschyle, mon ami, relisez les Euménides, vous y verrez la Pythie, appelant ceux qui allaient à la consultation : « S'il y a des Hellènes ici, venez, approchez-vous, selon la coutume, dans l'ordre déterminé par le destin » ». Les phrases se reflètent, mais le contenu est différent : Tiradentes, comme Prométhée, nous aurait donné le feu qui nous enseignerait tous les arts.

Eh bien, apparemment, nous avons changé de sujet. Il ne s’agit plus d’élever des noms, mais de la signification que Tiradentes doit avoir dans notre histoire nationale, c’est-à-dire d’un patriotisme qui ne soit pas seulement un sycophante dans la bouche de gens stupides. Grosse erreur. Le paragraphe suivant, au lieu de nous offrir une explication de ce que serait ce « feu », finit par revenir au problème initial et met la puce à l’oreille du lecteur habitué aux numéros de jonglerie de Machado. Il s’agit maintenant de discuter si le nom « Tiradentes » est vraiment le plus approprié pour un héros national :

Le temps apportera sûrement la familiarité du nom et l’harmonie des syllabes ; Imaginons cependant que l'enseigne ait pu atteindre un siècle par son imagination et devenir chirurgien-dentiste. C'était le même héros, et le travail était le même ; mais cela apporterait une autre dignité. Il se pourrait même qu'avec le temps, il perde la deuxième partie, dentiste, et qu'il reste simplement chirurgien.

L'espoir du narrateur est de pouvoir faire avec Tiradentes la même chose que les deux vieux endormis ont fait l'un avec l'autre : élever leur statut social en changeant leurs noms. Au lieu de Tiradentes, « chirurgien ». Puis, une autre histoire s'ajoute, traitant du même sujet : un jeune marié repousse sans cesse son mariage plus longtemps que prévu et, lorsque sa belle-mère arrive avec le « bâton moral » pour exiger des explications, il révèle rapidement l'imbroglio : « – Excusez-moi, mais ce n'est pas à cause du titre d'arpenteur en soi que je retarde le mariage. À la campagne, l'arpenteur est qualifié de médecin par courtoisie, et j'aimerais déjà me marier médecin. »

Il ne s’agit donc pas de pouvoir faire vivre la nouvelle famille, mais de savoir comment on l’appellerait à la campagne. Appelé sans l'être, qu'il soit noté. Appelé un petit mensonge. Titre de la ferme. Le provincialisme est démasqué. Le titre de mensonge est une habitude provinciale qui ne peut distinguer la grandeur de l’ordinaire parce qu’elle n’a jamais été véritablement confrontée à la grandeur. Entre l'ordinaire et le médiocre, l'ordinaire devient médecin, Prométhée ou quelque chose comme ça.

Et nous revenons au problème central : vouloir changer le titre de Tiradentes en Chirurgien est une habitude campagnarde à laquelle, pourtant, le narrateur bien éduqué qui se souvient d'Eschyle et de la Bible retombe comme un agneau dans son commentaire bon enfant. Et cela allume le signal d’alarme concernant le problème central : se pourrait-il que dire que Tiradentes nous a donné le feu que Prométhée dans le mythe aurait donné à l’humanité soit, en fin de compte, un provincialisme qui ne parvient pas à voir les choses clairement ?

Inversant la conclusion affirmative du narrateur lui-même : Tiradentes ne nous a rien donné et dire qu'il l'a fait est une sorte de faux titre qu'un narrateur patriote attribue au Christ brésilien récemment canonisé. Vue dans son contexte, la référence au rebelle semble être le contenu même de la chronique, autour duquel les autres récits, loin d'être une simple digression inutile d'un narrateur erratique, actualisent un contexte qui donne sens à l'élévation de l'enseigne comme symbole national. Loin d’être le discours inutile d’une personne désintéressée, le texte a un noyau clair dans la question de Tiradentes et de ce qu’il signifie (ou ne veut pas dire) dans notre culture.

3.

Le dernier paragraphe, qui semble être un autre tour de vis pour changer de sujet, parle en fait de la même chose. C’est désormais « l’affaire électorale ».

La conclusion est si bonne qu'elle mérite d'être citée intégralement : « De là à l'affaire électorale, il n'y a qu'un pas ; mais, ne comprenant pas la politique, je ne sais pas si l'absence d'une si grande partie de l'électorat aux élections du 20 signifie l'incrédulité, comme certains le prétendent, ou l'abstention, comme d'autres le jurent. L'incrédulité est un phénomène qui échappe à la volonté de l'électeur : l'abstention est un but. Certains ne voient dans tout cela que l'ignorance de la puissance de ce feu que Tiradentes a légué à ses compatriotes. Ce que je sais, c'est que je suis allé voter dans ma section, mais j'ai trouvé la porte fermée et l'urne dans la rue, avec les registres et les documents. Une autre maison les a accueillis avec compassion, mais les agents électoraux n'avaient pas été prévenus et il y avait cinq électeurs. Nous avons discuté de la question de savoir qui était arrivé en premier, la poule ou l'œuf. C'était le problème, l'énigme, l'énigme du lundi. Les avis étaient partagés ; certains ont voté pour l'œuf, d'autres pour la poule ; Le coq lui-même a reçu une voix. Les candidats n'en avaient pas, car les agents électoraux n'étaient pas venus et dix heures ont sonné.

Le nom a désormais des conséquences car qualifier l’absence d’électeurs (chose), l’incrédulité ou l’abstention (noms) implique d’interpréter la vie politique et de prendre position. Ici le problème prend un autre aspect, qui peut être rétroactif : dire que Tiradentes est le Prométhée qui nous a donné le feu, c'est déjà interpréter le monde. Cela n’implique évidemment pas que l’interprétation soit correcte, comme le montre le contraste entre l’incrédulité et l’abstention.

La même chose peut être interprétée de différentes manières. L’incrédulité n’implique pas de volonté, c’est-à-dire qu’elle affecte la population de manière généralisée et n’a pas de message politique clair. L’abstention est intentionnelle, c’est-à-dire qu’elle implique une réflexion active sur la situation politique et la décision de ne pas voter ; S'abstenir est un acte plein de sens tandis que ne pas croire est un acte de vidage de sens et de volonté. Quiconque veut confirmer la pertinence actuelle de cette phrase peut observer les discussions journalistiques sur le nombre croissant d’absents lors des dernières élections pour constater que nous sommes au même point qu’en 1892.

La phrase suivante est essentielle : « Certains ne voient dans tout cela que l’ignorance de la puissance de ce feu que Tiradentes a légué à ses compatriotes. » Ni incrédulité ni abstention : ignorance. Nous avons maintenant une idée de ce que pourrait être ce feu que Tiradentes nous a laissé : il ne s’agit pas simplement et purement de l’indépendance, mais de la République, de la possibilité pour un groupe d’électeurs de prendre position sur les affaires nationales. L’élection comme quintessence de l’embourgeoisisation du pays qui avait balayé une monarchie de la carte et établi une République et Tiradentes comme quintessence de l’élection.

Or, le feu de Tiradentes, c’est la démocratie, la participation populaire. Mais maintenant que nous avons trouvé le contenu, nous pouvons revenir à la blague de tout à l'heure : cette histoire de la République et de l'élection n'est-elle pas un canular ? Un petit mensonge à la campagne ? Nous appelons un arpenteur un docteur et un lieutenant un chevalier un commandeur, tout comme un chevalier appelé commandeur appelle un lieutenant un major. N’appelle-t-on pas République quelque chose qui ne mérite pas ce nom ? Ou encore : ne transformerions-nous pas un personnage qui ne correspond tout simplement pas à son rôle en héros républicain ?

La suite du paragraphe est encore plus révélatrice : le narrateur, arrivé à son bureau de vote, trouve tout dans la rue. Cela n'explique pas pourquoi, mais un lecteur plus ou moins informé sait que les élections au Brésil du XIXe siècle étaient des affaires violentes qui impliquaient des coups. À tout le moins, nous sommes confrontés à une désorganisation qui empêche l’acte souverain du vote. Et, à la fin, comme une blague qui reprend le début, une autre blague : les électeurs décident de discuter de qui est arrivé en premier, la poule ou l'œuf, et à la fin, sans pouvoir voter à la vraie élection, ils en sont réduits à la pantomime de voter pour les candidats déclassés de cette nouvelle élection. L’intrigue est intéressante car les électeurs qui sont allés voter ne l’ont pas fait non plus, ce qui suggère une autre explication à leur absence : la désorganisation ou la violence intrinsèque aux processus électoraux brésiliens. Le pays n’est pas fait pour voter.

4.

Mais la chronique ne s’arrête pas là. Il préfère terminer en citant les premiers vers du poème « Sara La bagnose », de Victor Hugo.[I] Le personnage indolent du poème est allongé dans un hamac en train de se baigner au-dessus d'un lac où coulent les eaux d'une rivière athénienne. Elle laisse le temps passer, et après la description de sa beauté, on la retrouve enfin en train de dire ce qu'elle pense :

« Oh ! si j'étais capitaine
Ou sultane,
Je prendrais des bains d'ambre
Dans une baignoire en marbre jaune,
Près d'un trône,
Entre deux griffons dorés !

J'aurais un filet de soie
Qui se plie
Sous un corps sur le point de s'évanouir ;
J'aurais un pouf moelleux
D'où vient-elle ?
Un parfum qui fait aimer.

Je pourrais m'amuser nu,
Sous les nuages,
Dans le ruisseau du jardin,
Sans peur de voir dans l'ombre
De la forêt sombre
Deux yeux s'embrasent soudainement.

Pour que je puisse, sans être sous pression
Mon indolence,
Je pars avec mes vêtements
Répartis sur les grandes dalles
Mes sandales
« En tissu brodé de rubis. »

Comme vous pouvez le constater, la référence n’est pas aléatoire et renforce le thème central d’imaginer être ce que vous n’êtes pas. Comme notre lieutenant aime être appelé major, la Sara au bain de Victor Hugo voudrait être une sultane. Mais la différence est aussi essentielle : la baigneuse veut être la sultane simplement pour pouvoir continuer à profiter sans souci de la merveilleuse nature qui l'entoure. Ce n’est qu’un rêve, un souhait et un délire de notre belle baigneuse « indolente ».

Dans le cas du major, du commandant et du martyr républicain, la chose a une autre fonction : le rêve prend la forme d'une réalité immédiate, même s'il s'agit d'un mensonge. De plus : la falsification de l’élévation est la vérité sociale. Ne pas être de jure Docteur, l'arpenteur en est un en fait, car le provincialisme le détermine ainsi. C'est tout à l'envers. Dans le monde imaginaire, la République se fait sans élections, c’est-à-dire sans volonté populaire. Et tout continue comme si c'était normal.

Juste à la fin du poème, les choses se compliquent. Les baigneurs frivoles, qui comme notre Sara chantent leur désir d'être une sultane, modifient la chanson comme suit :

- Oh! la jeune fille indolente
Qui s'habille si tard
Le jour de la récolte !

C'est le jour de la récolte ! Ils se baignent et sont en retard au travail. Mais c'est le groupe qui fait la modification, laissant au baigneur individuel le soin d'exprimer son désir. Le poème de Victor Hugo est complexe et mérite plus d'attention que nous ne pouvons lui accorder ici, en nous concentrant sur quelques points seulement. Le narrateur termine sa chronique en se référant au poème qui parle des sujets qu'il a traités sans toutefois inclure dans sa citation les passages qui sont véritablement importants pour le thème.

Il faut prendre la peine de lire le poème en entier pour voir ce qui est significatif. Et ici nous jouons avec quelque chose qui avait imprégné la narration dans son ensemble et qui révèle, dans les pratiques d'écriture du narrateur lui-même, les mêmes habitudes que la chronique, dans l'ensemble de la dégradation et de la confrontation de ses parties, semble condamner : les habitudes brésiliennes d'élévation sans contenu élevé. À proprement parler, le narrateur cite le mauvais passage. Lui-même, en effet, était tombé dans le piège d'élever Tiradentes au rang de Prométhée et de Christ, reproduisant dans son discours ce que le contenu de la chronique nie comme valable. Il fait partie du problème qu’il critique.

Si on le lit de manière positive, on pourrait dire que le pays manque de la conscience de groupe des jeunes baigneurs du poème de Victor Hugo : il faut aller travailler. Il ne faut pas s’imaginer être un sultan quand on est un ouvrier et qu’on doit aller à la récolte. Pour le dire simplement : il faut créer la République avant de créer des mythologies de la République. Les gens doivent voter et il doit y avoir un niveau minimum de participation populaire pour pouvoir dire que nous avons une République.

Et il est toujours bon de rappeler qu’au XIXe siècle, la République, malgré les infinies discussions érudites et bibliographiques autour de ce que cette idée signifie ou a signifié, était liée à la République française, à la révolution. Et encore plus dans la plume de Machado, qui avait vécu avec les exilés de 1848 dans sa jeunesse. La République, c'est le vote et la participation populaire : le reste n'est que la fausse élévation d'un langage qui se déforme en un sentiment de supériorité déplacée et insatisfaite.

5.

Se souvenir ici de l’argumentation de José Murilo de Carvalho à propos de Tiradentes est éclairant. À un certain moment de son essai sur la transformation de l’enseigne en symbole, l’historien du Minas Gerais se pose la question fondamentale de savoir pourquoi il l’a choisi. Il y avait d’autres mouvements plus proches du symbole du républicanisme brésilien et beaucoup plus ancrés dans ce que signifie réellement la République. Pourquoi choisir exactement Inconfidência Mineira et Tiradentes ?

Français La réponse est merveilleuse : précisément parce que rien ne s'est passé dans l'Inconfidência, précisément parce que l'Inconfidência, bien qu'elle parlait d'Émancipation et de République, ne disait rien exactement d'Abolition ou de participation populaire (au contraire, la République n'était pas encore celle des Français, mais celle des Américains qui, comme nous le savons tous grâce à Hannah Arendt, n'impliquait pas de transformation sociale, mais seulement une nouvelle forme de gestion politique), précisément parce que Tiradentes n'a jamais représenté, en fait, un défi au système mais s'est dilué dans un symbolisme plus ou moins religieux que la peinture du XIXe siècle explorerait dans l'identification du martyr avec l'Agneau de Dieu.

En d’autres termes, la République avait besoin d’un symbole qui ne symbolisait rien. Imaginez si vous aviez choisi une figure comme Frei Caneca. Le garçon avait véritablement participé à un mouvement à portée républicaine et populaire, il était un véritable martyr de ce que la République signifiait comme francesia, pour utiliser un terme portugais. Il n’était pas apte à vivre en République et n’avait pas l’intention d’être républicain. Le symbole vide était meilleur.

Or, la chronique de Machado de Assis semble nous dire la même chose sans l'appareil érudit de José Murilo de Carvalho, mais avec la vision perspicace de son auteur. Dire que Tiradentes est le symbole de la République, c’est l’élever à ce qu’il n’est pas et prétendre que la République est républicaine. Mais le problème est plus profond, car la chronique montre très clairement qu’il ne s’agit pas d’un fait isolé, mais qu’il est étroitement lié à la mentalité populaire. Ce qui se passe avec Tiradentes n’est pas un coup de tonnerre : la société brésilienne le fait quotidiennement, par habitude. Le nom de l’avantage est changé en fête et ainsi de suite.

Il y a un substrat social qu’il est très facile pour nous de ne pas prendre en compte. Disons les choses ainsi : la chronique remet en question, à travers l’identification que nous avons tous avec le point de vue intelligent du narrateur, notre propre pratique commune d’attribuer un contenu à ce qui, en fait, n’en a pas. Attribuer de la grandeur à ce qui, en réalité, n’en a pas. En d’autres termes : le narrateur de Machado, compris du point de vue de l’auteur, est une invitation constante à l’autocritique pour les chercheurs.

Je vais faire le grand saut vers ce qui compte vraiment. La chronique de Machado de Assis parle, pour m'exprimer dans le langage abstrait de nos jours, de la crédibilité des institutions, de la capacité des gens à croire aux institutions comme à des mécanismes qui disent quelque chose de concret. Sujet très brûlant comme vous pouvez le voir. Machado aborde l'institutionnalisation de la République à travers son symbolisme et discute de ce que représente en réalité la République et, si l'on en croit son jugement, elle ne signifie guère plus qu'un faux médecin.

Remplaçons le mot République par démocratie contemporaine et qu’obtenons-nous ? Nous nous retrouvons avec la même question inconfortable : que signifie la démocratie pour les gens d’aujourd’hui ? Pour la plupart des gens ? Est-ce un faux médecin ? Il suffit d'allumer la télévision pour voir le bon commentateur GloboActualités et tout le monde pourra voir que le narrateur de Machado est là, disant que Tiradentes est le Prométhée qui nous a donné le feu avec lequel nous apprendrons les autres arts. Le plus important d’entre eux est la justice sociale.

Si l’on en croit les journaux et les commentateurs politiques, Lula a remporté les élections de 2022 parce qu’il a créé un large front et a commencé à représenter la démocratie contre un Jair Bolsonaro qui érodait les institutions. C’est peut-être ce qui l’a rendu viable parmi les classes dirigeantes et parmi les classes moyennes qui, comme chacun sait, représentent très peu en termes d’élections.

Je crois qu’il a gagné à cause de la faim, de l’inflation et de la calamité sociale qui ont eu lieu pendant la pandémie et qui promettaient de perdurer. Lula a gagné les élections non pas parce que les gens l'ont regardé et ont vu la démocratie, cette chose abstraite que, à proprement parler, personne qui n'a pas suivi de cours d'études supérieures en sciences humaines ne sait ce que c'est. Il a gagné parce que les pauvres et les misérables l’ont regardé et se sont identifiés à ce qu’il représente vraiment : l’atténuation de la calamité brésilienne. C'est peut-être le contraire de ce que disent les journaux : les classes moyennes et ceux qui sont au pouvoir ont dû l'avaler parce qu'il représentait cela au peuple et qu'il gagnerait les élections de toute façon.

Pour ceux qui sont au sommet, les élections sont toujours une nuisance. Écoutez, si c’est vrai, si les bénéfices de ses premiers mandats étaient le résultat du boom des matières premières, si tout n’est que propagande, si son gouvernement est néolibéral ou quelque chose comme ça : rien de tout cela n’a d’importance pour notre problème. Il s’agit d’une élucidation savante. Ce n’est pas que ce ne soit pas important ; et. Mais au niveau de l’identification populaire, la démocratie signifie un peu de nourriture et un sentiment d’optimisme social.

Tout cela semble s’incarner dans sa silhouette. Tout cela pourrait être une mystification idéologique, le mouvement de l’histoire pourrait pointer dans une autre direction, mais je crois que, en fin de compte, il n’a gagné ce million de voix supplémentaires que grâce à cela. C'est votre capital politique. En dehors de cela, ce que nous appelons institutions n’existe pas. À part ça, ils sont soit un faux médecin, soit un commandant endormi.

Si l'on prenait la chronique comme une leçon politique, ce qui est toujours une erreur (mais une erreur irrésistible), on pourrait dire qu'il s'agit de faire de la République quelque chose qui ait un sens dans la vie des gens. Ou, pour reprendre le langage de Victor Hugo, nous devrions nous lever et aller à la moisson. Arrête de rêver. Je n’adhère pas à l’image d’un Machado de Assis sceptique et relativiste. La chronique est clairement écrite dans la perspective que la République a un sens de participation populaire (sinon, les plaisanteries et la rétrogradation n'auraient pas de sens) et cela ne devient pas un projet politique explicite seulement parce que le vieux Machado de Assis savait déjà que le monde tournait d'une manière plus compliquée et que le processus historique avait ses ruses.

En mettant les choses à notre époque, ce serait comme construire une « culture démocratique », pour reprendre l’expression utilisée par Heloísa Starling dans son interview à l’émission Roue en direct de l'année dernière. Qu'est-ce que cela signifie concrètement ? Personne ne le sait. Or, si personne ne le sait, c’est que l’hypothèse est fausse et qu’il faut abandonner les institutions. Dans le langage de Machado de Assis : laissez tomber Tiradentes-Prométhée et avancez avec cette citation que Walter Benjamin fait de Hegel : la nourriture et les vêtements d'abord, le Royaume de Dieu ensuite. Le problème est qu’entre la nourriture et les vêtements, il y a le gourdin idéologique et les complications d’une histoire rusée. Le Royaume de Dieu, eh bien, le Royaume de Dieu est devenu le Royaume des Cieux.

Terminons en disant ceci, car c'est presque la preuve que la chronique de Machado de Assis est correcte : le 21 avril n'est pas le jour de Tiradentes. C'est le jour de la Saint-Georges et, par conséquent, le jour d'Ogum. Personne ne célébrera l’inconfident. Nous allons tous manger de la feijoada. Contrairement à Tiradentes, Ogum a une signification dans la culture populaire. Comme le dit l'un de ses points : il gagne la demande, il vient travailler, il est votre Beira-Mar. Ou, comme le dit un autre, ce que je trouve être le plus beau de tous :

J'ai entendu un clairon sonner sur la lune.
Mais c’était le plus gros contact de la journée.
Ogum était un soldat de cavalerie.
C'était une ordonnance de la Vierge Marie.

Ceci est suivi d'un sifflement « la ha la ha » qui imite le son d'un clairon.[Ii] Très beau, car le clairon, l'instrument qui a la clarté dans son nom, se joue dans la lune, la lumière dans l'obscurité. À proprement parler, c’est la lumière qui émane de la lune et, par conséquent, comme c’est la lumière dans l’obscurité, elle est « la plus grande du jour ». Celui qui joue est Ogum, qui aurait été une ordonnance de la Vierge Marie, dans un syncrétisme merveilleux qui nous fait voir l'orixá et le saint dans un mélange difficile à décrire plastiquement, mais que la sagesse poétique populaire construit avec une simplicité aiguë, qui signifie aussi claire, comme un clairon. Cette lumière dans l’obscurité me rappelle le chant que nous chantons lors de la procession des bougies de Pâques dans l’église voisine. C'est du Frei Luiz Turra :

Ô lumière du Seigneur
qui vient sur la terre,
inonde mon être,
reste en nous.[Iii]

Entrer dans l'église avec un cierge allumé, en procession, est peut-être l'image plastique de cette lumière d'espoir qu'Ogum signifie dans l'un de ses points les plus inspirants. Quelqu’un a-t-il déjà écrit quelque chose d’aussi beau et émouvant à propos de Tiradentes ? Ses seules peintures sont ces peintures kitsch du XIXe siècle. Est-ce que quelqu'un fait de la feijoada pour célébrer Tiradentes ? Je préfère Saint Georges.

Filipe de Freitas Gonçalves Il est titulaire d'un doctorat en études littéraires de l'Université fédérale de Minas Gerais (UFMG).

notes


[I]Une traduction du poème peut être trouvée à l'adresse suivante : Sara la baigneuse / Sara la baigneuse | Antenne 2 – RTP. C'est elle que je citerai dans les extraits suivants.

[Ii]Le point peut être entendu ici : Clairon de la Lune.

[Iii]On peut l'entendre ici : Ô LUMIÈRE DU SEIGNEUR.

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