Par JOELMA LV PIRES*
La résistance quotidienne contre toute domination capitaliste constitue le véritable mouvement qui dépasse l'état actuel des choses
Dans un contexte de capitalisme flexible fondé sur l'intensification de la domination et de l'exploitation de la classe ouvrière à travers la constitution d'une réalité d'incertitude et de précarité, avec la prédominance de la déconstruction des droits sociaux, il est indispensable d'assimiler la dialectique du travail. De ce point de vue, le travail est considéré comme la centralité de la vie humaine. Le lien entre l'œuvre et le monde réel exprime la résistance de l'homme (généralement l'être humain) en vue d'une transformation. C'est du travail vivant que naît l'action d'émancipation de l'homme. Cela réaffirme sa subjectivité de travailleur à travers la coopération avec d'autres travailleurs, en référence à l'éthique collective du monde commun et humain.
La théorie de l'évolution élaborée par le biologiste français Jean-Baptiste de Lamark et, plus tard, développée par Charles Robert Darwin, est considérée par Engels (non daté) dans son analyse de la centralité du travail dans le processus de constitution humaine. Dans cette perspective, c'est le travail qui humanise l'homme.
Engels (non daté) comprend que la relation entre l'homme et la nature comme possibilité de survie est à l'origine du travail. Les organes du corps humain ont évolué avec le travail, ainsi que sa position verticale. Dans cette configuration, le langage et le cerveau montrent la spécificité de la formation humaine. Le travail et, par conséquent, la parole articulée ont agi dans la transformation du cerveau humain accompagné des organes sensoriels. Le langage s'est constitué à partir de l'évolution des organes vocaux et donc avec l'expansion des sons articulés due au besoin des hommes de communiquer entre eux. Le langage est l'expression de la conscience du réel.
Mais, l'homme commence à se différencier des animaux par sa conscience lorsqu'il produit son mode de vie. Selon Engels (non daté, p. 27) : « […] On ne peut parler de travail qu'à partir du moment où apparaissent des instruments élaborés, manufacturés […] ». La conscience correspond donc à la vie réelle de l'individu, c'est un produit social. Face à cela, comme le rappellent Marx et Engels (1996, p. 37) : « […] Ce n'est pas la conscience qui détermine la vie, mais la vie qui détermine la conscience […] ».
Dans une relation dialectique, l'homme est en rapport avec le travail dans un processus ininterrompu depuis le développement du langage, du cerveau et des sens, avec l'évolution de sa conscience et sa capacité croissante de discernement et d'abstraction. De cette façon, il démontre sa capacité à effectuer des opérations complexes et à atteindre des objectifs plus élevés, en manifestant sa volonté, "[…] la marque de la volonté n'est imprimée sur aucun acte planifié d'aucun animal. Seul l'homme s'en sert [...] (ENGELS, non daté, p. 32). L'homme est le seul capable de penser et de planifier ses actions grâce au développement de son cerveau et de son langage. « […] Plus l'homme s'éloigne des animaux, plus il exerce une influence intentionnelle et planifiée sur la nature afin d'atteindre des objectifs préalablement projetés […] » (ENGELS, s/d, p. 31). Dès lors, la relation de l'homme à la nature par le travail réalise un processus de prise de conscience et d'émancipation.
Or, le rapport de l'homme au travail comme forme d'émancipation tend à s'annuler lorsqu'il perd le contrôle de sa force de travail en étant soumis à une situation de domination. Bien qu'une telle sujétion se soit déjà produite depuis la famille primitive, encore prédominante dans la phase de propriété communautaire dans un état de développement plus avancé, son intensification est inhérente au mode de production capitaliste constitué par les classes dominantes et opprimées. La domination et le contrôle de la main-d'œuvre par la classe dominante exposent également la division entre ceux qui planifient et ceux qui exécutent, constituant la conception idéaliste du monde, comme si les actes étaient le résultat de la pensée et non des besoins humains.
Le capital est donc un rapport social de domination légitimé par la conception idéaliste du monde. Le capital est basé sur le contrôle de la classe ouvrière, ce qui le reproduit est le fait que les ouvriers se comportent comme des prolétaires prédisposés à la production de plus-value. « […] Par conséquent, les intérêts de la classe dirigeante sont devenus l'agent moteur de la production, qui se limitait à maintenir, pour le meilleur ou pour le pire, l'existence misérable des opprimés […] » (ENGELS, s/d, p. 36 ). Dans cette situation, la condition d'émancipation inhérente au travail devient une condition d'aliénation. La force de travail aliénée devient l'objectif de la classe dominante pour le maintien de sa domination.
Le travail comme principe éducatif exprime l'identité entre l'éducation et le travail, puisque l'origine de l'éducation coïncide avec celle de l'homme. Cependant, dans le mode de production capitaliste, l'éducation qui était pleinement identifiée au processus de travail lui-même est séparée en éducation pour la classe possédante et en éducation pour les ouvriers. Ainsi, la détermination dont souffre la relation travail-éducation fait que seule la formation de la classe ouvrière est liée au monde de la production pour l'exercice du travail manuel en référence à la division sociale du travail (SAVIANI, 2007). Les capitalistes perpétuent leur domination, principalement à travers la scission entre travail intellectuel et travail manuel, dans le but d'obtenir des profits immédiats et donc d'augmenter le capital.
C'est dans la grande industrie basée sur les machines que s'opère l'assujettissement du travail au capital par la séparation entre les forces intellectuelles du procès de travail et le travail manuel. L'individu est divisé et ne développe une activité productive qu'en accessoire de l'atelier capitaliste, sa tâche spécialisée l'ajuste à chaque opération particulière dans la division du travail, qui assure le contrôle de la production selon l'intérêt capitaliste. Le capital établit une échelle des salaires selon la hiérarchie des forces de travail. La gradation hiérarchique de la main-d'œuvre est composée de travailleurs qualifiés et non qualifiés. Pour ces derniers, les dépenses d'apprentissage disparaissent, pour les premiers elles diminuent par rapport à celles des artisans avant la division du travail imposée par la fabrication, puisque leurs fonctions sont simplifiées. Dans les deux cas, la valeur de la force de travail diminue. La dépréciation relative de la force de travail avec la diminution des dépenses d'apprentissage signifie que le capital a une augmentation immédiate de la plus-value. « […] Tout ce que perdent les travailleurs partiels est concentré dans le capital […] » (MARX, 1996, p. 26). Exécutant des opérations simples dans des occupations coutumières, l'ouvrier voit son intelligence limitée et son courage annulé.
A l'ère du capitalisme néolibéral, les classes capitalistes n'imposent pas seulement la réduction des dépenses avec la scolarisation ouvrière pour l'augmentation immédiate de la plus-value. Mais, en plus, ils opèrent le démantèlement, le démantèlement et la démoralisation des établissements scolaires publics sous l'action de l'État pour son appropriation privée.
Les classes capitalistes ont toujours essayé de cacher les fonctions des institutions éducatives dans la configuration sociale, principalement les fonctions des écoles primaires publiques, qui sont des organisations de passage obligatoire pour les enfants des classes populaires. De telles écoles, conformément aux intérêts des classes capitalistes, visent à inculquer des stéréotypes et des valeurs morales en opposition ouverte aux modes de vie de la classe ouvrière. À cette fin, les enseignants de ces écoles ont rarement la tâche de stimuler et de valoriser les élèves, par conséquent, ils n'ont pas tendance à contribuer aux élèves pour qu'ils aient accès à la culture et assimilent les connaissances qui permettent le développement de la capacité de penser. Dans cette orientation, les enseignants reproduisent généralement des techniques de domestication, des méthodes pour conditionner et maintenir l'ordre, prédominant dans les écoles un caractère routinier, répétitif et sans contenu. On attend des enseignants qu'ils s'inscrivent dans une politique de contrôle visant à établir les bases d'une nouvelle configuration sociale, c'est pourquoi leur formation fait l'objet d'un processus intensif de surveillance et de police (VARELA et FERNANDEZ-URIA, 1992).
Cependant, Dejours (2009 et 2012) considère que le travail peut être un médiateur d'émancipation et un moyen de renverser la domination sociale. L'émancipation est le mouvement qui vise à libérer l'individu de la domination. L'auteur note que le travail est un rapport social et pas seulement une activité, travailler c'est vivre la résistance du monde social et, plus directement, des rapports sociaux dans la constitution de l'intelligence et de la subjectivité. C'est pourquoi « […] être intelligent au travail, c'est toujours s'éloigner des procédures et des prescriptions. Bien travailler implique d'enfreindre les recommandations, les règlements, les procédures, les codes, les cahiers des charges, l'organisation prescrite […] » (Dejours, 2012, p. 32). Selon l'auteur, l'écart entre le travail prescrit et sa réalité concrète existera toujours et doit être inventé ou découvert à chaque instant par celui qui travaille. C'est dans le travail réel que le sujet résiste, parce que le monde réel résiste.
Selon Dejours (2009 et 2012), tout travail confronte le travailleur au réel, c'est donc un travail vivant, dans lequel l'homme, par le travail sur lui-même, sa subjectivité sur lui-même dans le processus d'élaboration, impose sa volonté en constante lutte contre la domination et dans « [...] la confrontation aux contraintes organisationnelles qui rendent impossible l'usage de l'intelligence et ne donnent à la créativité, à la découverte, à l'ingéniosité aucune possibilité de manifestation [...] » (DEJOURS, 2012, p. 17 ). La rencontre du sujet avec la réalité provoque une souffrance affective, qui protège la subjectivité à la recherche de moyens d'agir sur le monde et de transformer cette souffrance en trouvant des moyens de surmonter l'aliénation. Le rapport entre souffrance et réalité fait évoluer la subjectivité du sujet. C'est au cours du temps que le sujet travaille que sa sensibilité et sa subjectivité se développent et s'élargissent. « […] Le travail constitue, pour la subjectivité, une provocation qui la transforme […] » (DEJOURS, 2012, p. 34). La compétence que le sujet développe au travail la transforme et l'améliore. « […] La souffrance, tout en étant affectivité absolue, est à l'origine de cette intelligence qui part à la recherche du monde pour s'éprouver, se transformer, s'épanouir […] » (DEJOURS, 2012, p. . 26).
Dejours (2009 et 2012) précise qu'une théorie du travail vivant permet de penser les principes d'une nouvelle politique du travail qui reprend en main l'organisation du travail. Or, le travail vivant ne relève pas de l'ordre individuel, il consiste en la formation d'une volonté collective en lutte contre la domination et en quête d'émancipation. C'est en ce sens que peut être soutenue la thèse de la centralité du travail. Reconnaître le travail comme émancipation doit être une priorité de cette politique. La politique commence bien avant la liberté, qui est le contraire de l'esclavage, et entre la servitude et la liberté il faut interposer la question de l'émancipation.
A l'ère du capitalisme néolibéral, prévaut une politique de précarité centrée sur l'auto-entrepreneur contre le salarié protégé, la domination du capital sur le travail impose la précarité comme forme d'existence et comme mode de vie. Dans ce contexte, le travailleur se comporte comme un individu-capital dans tous les domaines de l'action collective, notamment dans la fonction publique (LAVAL, 2019). L'évolution des formes d'organisation du travail et de gestion des entreprises à l'ère néolibérale mobilise la prédominance de l'évaluation comme moyen d'intimidation et de domination avec le sacrifice de la subjectivité au nom de la rentabilité et de la compétitivité. « […] Il en résulte une aggravation des pathologies mentales au travail dans tout le monde occidental, l'apparition de nouvelles pathologies, des suicides perpétrés sur le lieu de travail même, qui ne se produisaient, en aucun cas, avant l'ère néolibérale […] » ( DEJOURS, 2012, p. 43).
Le principal moteur psychique de la servitude volontaire et de la volonté de participer au mal peut être la peur de la précarité et de la solitude. La peur de la solitude est le sentiment de privation de reconnaissance. L'impossibilité de faire face à cette privation place l'individu dans une situation de vulnérabilité qui peut faire de lui un vassal, un soumis et un opportuniste prêt à trahir son sens moral et ses valeurs pour éviter une déstabilisation psychique découlant de son insécurité. La peur entrave d'importants mouvements de résistance et se traduit par une croissance sans faille de la productivité et de la rentabilité du travail vivant (DEJOURS, 2009 et 2012). Cette condition de l'individu est explorée dans le capitalisme de l'ère néolibérale. Dans la conjoncture de la précarité prévaut le manque total d'engagement du capital envers les travailleurs même au sens de leur reproduction sociale, qui sont amenés à acquérir, en tant que consommateur, les services qui devraient leur être garantis en tant que droits sociaux. Ce travailleur qui se comporte en individu-capital prend ses distances et ne se reconnaît pas comme tel, il est convaincu que son succès ou son échec est entre ses seules mains, cette certitude mobilise son plus cruel instinct de compétition et entretient l'acceptation et l'ostentation du identité entrepreneuriale.
L'individu-capital manifeste son obéissance et, par conséquent, son zèle, son dévouement et son intelligence dans un monde de travail de désert et de désolation. L'expérience de la servitude prend place dans la contrainte de produire imposée par la domination. Pourtant, face à la résistance du réel, l'individu-capital peut affirmer sa volonté d'émancipation dans une épreuve avec lui-même contre la servitude. Dans le travail vivant, travailler n'est pas seulement produire, c'est aussi transformer. L'intérêt sensible pour l'émancipation reconnaît l'espace du politique. L'espace politique est structuré comme un espace public de coopération (DEJOURS, 2009 et 2012).
La coopération constituée dans l'espace public peut contribuer à remettre en question et à dépasser les pratiques qui reproduisent les intérêts individuels concernant la sphère privée et qui annulent l'engagement collectif pour le bien commun. Cet engagement pour le bien commun permet à l'individu de s'ériger en capital et constitue son identification à la condition de travailleur dont la pratique s'appuie sur l'expérience d'autres travailleurs. Ce changement passe par la reconnaissance de leur identité en tant que travailleurs capables de coopérer collectivement pour un travail commun de création de solidarité contre l'adversité et la domination. Ainsi, l'intelligence du travailleur se manifeste comme désobéissance avec zèle et dévouement contre la domination et dans l'élaboration d'une action collective pour la construction des conditions matérielles de sa libération. La possibilité d'émancipation au travail réside dans la révolte contre la précarité comme mode de construction d'une solidarité qui réaffirme la coopération dans la constitution d'un engagement collectif pour une politique du travail garante de l'espace public.
La condition même de souffrance de l'individu-capital dans la situation précaire du travail peut lui faire reconnaître la résistance comme la vérité du monde réel, ce qui perturbe ses certitudes et son égoïsme. Dans cette perspective, le capital-individu aliéné et assujetti est confronté à sa vulnérabilité en tant qu'objet du capital, sa seule possibilité de la dépasser est la découverte de la coopération comme art de construire un collectif émancipé qui réaffirme le bien commun, la culture, la vie , O amour du monde. La sphère publique collective qui promeut le bien commun est constituée par le travailleur qui exprime l'imposition de sa subjectivité contre le capital perturbateur et prédateur. Pour cela, il faut faire de sa pratique de la résistance la réaffirmation de l'apport lucide de Marx (1996, p. 52) : « Le communisme n'est pas pour nous un état qu'il faut établir, un idéal pour lequel la réalité devra conforme à la conduite. Nous appelons communisme le véritable mouvement qui surmonte l'état actuel des choses. Les conditions de ce mouvement résultent des hypothèses actuellement existantes […] ». En ce sens, la résistance quotidienne contre toute domination capitaliste constitue le véritable mouvement qui dépasse l'état actuel des choses.
*Joelma LV Pires est professeur à la Faculté d'éducation de l'Université fédérale d'Uberlândia (UFU).
Références
DEJOURS, Christophe. Travail en direct. Travail et émancipation. Traduit par Franck Soudand. Brasilia : Parallèle 15, 2012.
______. Voyage vivant: travail et émancipation. Paris : Éditions Payot & Rivages, 2009.
ENGELS, Friedrich. Le rôle du travail dans la transformation du singe en homme. São Paulo : Global Editora, s/d.
LAVAL, Christian. La précarité comme « style de vie » à l'ère néolibérale. Paragraphe, janv./juin. 2017, c. 5, non. 1, 2017. Disponible à : http://revistaseletronicas.fiamfaam.br/index.php/recicofi/article/view/566/500Consulté le : 6 août. 2019.
MARX, Carl. De la fabrication à l'usine automatique. Dans : GORZ, André. Critique de la division du travail. Traduction par Estela dos Santos Abreu. São Paulo : Martins Fontes, 1996.
MARX, Karl ; ENGELS, Friedrich. L'idéologie allemande (Feuerbach). São Paulo : Editora Hucitec, 1996.
SAVIANI, Dermeval. Travail et Education; fondements ontologiques et historiques. Revista Brasileira de Education, Rio de Janeiro, vol. 12, non. 34, p. 152-165, janv./avr. 2007.
VARELA, Julia; FERNANDEZ-URIA, Fernando. Machinerie scolaire. Théorie & Éducation, Porto Alegre, 6, 1992.