Par FÁBIO FONSECA DE CASTRO*
Commentaire sur le roman de Claude Simon
Quelques mots sur un roman que je considère comme l’une des œuvres les plus impressionnantes, les plus stimulantes et les plus intéressantes de l’histoire de la littérature : La route des Flandres, au Brésil La route des Flandres, de Claude Simon, prix Nobel de littérature en 1985. C'est l'un des livres les plus importants dans mon développement de lecteur et d'écrivain et je pense qu'il n'est pas difficile de comprendre pourquoi.
C'est effectivement difficile de lire ce livre. Oui, il faut dire que c’est un livre dur mais sublime. Sublime, principalement, dans ce qu'il parvient à lire et à traduire de la sensibilité du monde qui l'entoure, le monde de la seconde moitié du XXe siècle, un monde transformé par la Seconde Guerre mondiale, dans lequel même les structures affectives et narratives ont été détruites. . Un monde effectivement post-structuraliste : sans référents et avec des temporalités qui se chevauchent.
L'intrigue du roman est relativement simple : un soldat de l'armée française, le capitaine Reixach, est abattu par un soldat allemand. Il s'avère que cette mort paraît étrange aux yeux d'un militaire, Georges, cousin du capitaine décédé et qui est chevalier dans le même régiment que lui. Georges soupçonne que le capitaine Reixach a en fait décidé d'être abattu, a décidé de mourir, et le roman est, en fait, son enquête sur ce fait.
Georges sait très bien que lui et le capitaine ont eu un ancêtre, dans les guerres napoléoniennes, qui a probablement dissimulé un suicide en se suicidant au combat. Il sait aussi que cet ancêtre a déguisé son suicide en mort au combat et qu'il avait décidé de mourir parce qu'il avait découvert qu'il était trompé par sa femme.
Georges discute avec Iglésia, un garçon sans formation militaire, dont le capitaine avait fait son aide de camp, et découvre que ce garçon était l'amant de Corinne, la femme de Reixach. Plus tard, Georges dialogue avec Corinne et devient, à son tour, son amant.
La route des Flandres fait partie de la tradition, très allemande d'ailleurs, des romans formateurs (le Bildungsroman) – mais il s'agit en fait d'une déconstruction de ces romans... Le livre de Claude Simon semble douter de la possibilité réelle de se former, ou d'apprendre, car il ironise sur le fait que nous vivons dans un monde que les Allemands ont détruit, un monde sans référents, ce qui dépend d'un immense effort d'interprétation, d'herméneutique, pour être, une fois de plus, compris.
Le roman comporte plusieurs couches temporelles, à commencer par la couverture des premières éditions, qui reproduit ce qui serait l'image des ancêtres des personnages, un tableau volontairement teinté de rouge pour signaler qu'il s'est suicidé. La couche la plus techniquement importante, ce qui pourrait être considéré comme « le présent du récit », est « annoncée », dès les premières pages, sous forme de prolepsis, c'est-à-dire comme une projection qui indique ce qui arrivera, dans le futur. , depuis le centre, équilibre pour le récit.
Il s’avère que ce « présent narratif », temporalité principale du roman, est écrit de manière quelque peu hallucinée, avec l’alternance de la voix narrative entre les 1a et à 3a personne. Entre cette prolepsie et ce « présent narratif », il y a plusieurs couches de temporalité : celle de l'ancêtre, apparemment suicidé ; celui de son descendant Reixach, qui peut ou non s'être suicidé lui aussi ; celle des années d'avant-guerre ; celui de la guerre elle-même ; celle des années qui ont suivi la guerre et la temporalité idéalisée, placée uniquement symboliquement, de ce que serait un monde s'il n'avait pas été détruit par la guerre.
Structures d'indétermination
La route des Flandres est marqué par un discours non linéaire. A partir d'un moment, le lecteur comprend les différentes scènes qui s'entrecroisent, les intrigues et les personnalités des personnages, mais comme il n'y a pas de marqueurs de linéarité, on se perd constamment dans le passage d'un élément à l'autre. Ainsi, la même scène reprend, tout à coup, au milieu d'une autre scène, et cela se produit tout au long du livre. En fait, c’est là tout le charme du livre, cette discontinuité, cette non-linéarité. Et le pire, voire le meilleur, c'est que certaines de ces scènes se répètent sur au moins deux plans différents : un plan symbolique, mais, disons, événementiel, et un autre plan symbolique, mais qui n'est pas événementiel, et qui est purement événementiel. archétype.
Je vais vous donner un exemple : l'une des scènes du livre, répartie tout au long du récit, parle de la rencontre du personnage de George avec un cheval mort. C'est une scène symbolique, mais un événement. C'est symbolique car le cheval mort suggère une référence à la guerre, ou à une certaine forme de guerre vouée à être perdue. Et il est mouvementé car il raconte un événement concret dans le parcours du personnage. Cependant, en même temps, cette scène est symbolique-archétypale : dans ce cas, symbolique car elle évoque un ensemble de références aux chevaux, pas exactement celui-là, présent dans l'intrigue et archétypale car ce cheval suggère l'idée d'un autre époque, ou d'un idéal, associé à la culture de la chevalerie, à la culture de l'honneur et de la noblesse, détruite par la guerre.
La non-linéarité du livre de Claude Simon est complétée par une autre marque du livre : ses transgressions syntaxiques, toujours très visibles, présentes par exemple dans sa ponctuation, dans son découpage phrastique – c'est-à-dire dans la structure de l'enchaînement de ses phrases – et dans l’agence syntagmatique des idées.
La route des Flandres C'est un livre transgressif, qui rompt avec les canons d'écriture des romans traditionnels, ou conventionnels, à la structure réaliste.
Le livre est effectivement composé de structures d’indétermination. Des structures qui dénotent, qui évoquent le sentiment d’un monde en ruine, ou plutôt d’un monde en ruine. Précisément du monde détruit par la Seconde Guerre mondiale et d’une humanité démoralisée par le fascisme. Dans ce monde, toute vérité transcendante a disparu et aucun système de références stable et univoque ne subsiste. C'est un monde sans référents et sans parallèles, dans lequel toutes les traditions de référence issues du rationalisme et des Lumières ont été détruites.
Labyrinthe syntaxique
Dans ce cadre de travail, je mets en avant un élément stylistique que je trouve particulièrement intéressant dans le roman, ce que l'on pourrait appeler l'illusion anaphorique : l'effet de projeter brusquement le lecteur, par une rupture fulgurante dans la structure de la phrase, dans un autre contexte. , ou plan , ou temporalité. Par exemple, lorsqu’un pronom personnel se dissocie brusquement du verbe auquel il est censé être lié, ouvrant brutalement un segment narratif entre parenthèses – c’est-à-dire une section qui serait normalement entre parenthèses et qui, ainsi, conduit à une autre approche. , l’autre référentiel, à un autre plan de l’histoire.
Ces effets désorientent le lecteur. On a l'impression d'entrer dans un labyrinthe syntaxique, avec des trappes, des faux murs et des miroirs convexes constitués de connecteurs logiques qui deviennent pernicieux et, sortis de nulle part, se transforment en connecteurs illogiques.
L'illusion anaphorique produit, en somme, une discontinuité chronotopique. Simon déconstruit l’ordre phrastique linéaire et, ce faisant, déconstruit également l’ordre narratif linéaire et l’ordre temporel linéaire. Et c’est précisément ici que l’on peut souligner la proximité entre le livre et la compréhension heideggerienne de la temporalité dans Être et temps.
Un roman phénoménologique
La route des Flandres Il s’agit d’un roman phénoménologique et, plus encore, phénoménologique et herméneutique. Le livre entier tourne autour de l’interprétation et de la compression de l’expérience des individus à la lumière de l’expérience de l’histoire.
Et pas seulement : l’horreur phénoménologique d’être dans un monde dont tout l’ordre des significations a été soudainement brisé et qui a besoin de reconstituer l’idée de l’univers à travers les sens et les références.
On y voit Georges, le personnage central de La route des Flandres, comme une anaphore pour le Dasein (Etre-là heideggerien). Et l’on peut aussi comprendre son effort épuisant pour reconstruire l’histoire de son cousin Roxarch comme un gigantesque effort pour accepter que l’être-là existe dans un monde partagé avec d’autres êtres-là, qui, à leur tour, produisent un être-avec-autrui qui , après tout, ne signifie pas grand-chose de plus que la recherche éternelle d'un sens qui n'existe probablement pas.
Justement cette idée de rencontre avec l'autre constitue un aspect très intéressant du livre de Claude Simon : sa dimension dialogique. On a l'impression que tout le livre est construit sur le dialogue, mais cette impression est sans cesse déconstruite, comme si l'auteur nous provoquait, nous provoquait, pour dépasser la dimension immédiate du dialogue qui s'établit entre les personnages et se rendre compte que, dans En fait, nous, lecteurs, dialoguons avec ces personnages et, éventuellement, avec l'auteur lui-même.
Cette structure dialogique est d'autant plus confuse que les dialogues sont parfois constitués de longs monologues, auxquels ne répondent pas toujours les interlocuteurs. Et, pire encore, ces monologues sont parfois le récit d'un personnage sur le récit d'un autre personnage. C'est le cas du rapport que Georges fait à Corinne du rapport que lui a fait Iglésia pendant la guerre.
Et le pire (ou le meilleur), c'est que ces dialogues n'ont généralement pas les marqueurs textuels qui caractérisent les dialogues, comme les guillemets, les tirets ou l'indication textuelle des locuteurs.
Mais bon, comme si cela ne suffisait pas, à ces dialogues dont on ne sait pas quand ils commencent ni s'ils vont se terminer, il y a aussi les faux dialogues, autre ressource stylistique qu'utilise Claude Simon. Les faux dialogues sont des dialogues courts et ponctuels qui ne sont pas inclus dans les longs fils narratifs du livre. Ce sont ce que nous appellerions à proprement parler des dialogues. Il s’avère que, pathétiquement, elles n’aboutissent généralement à rien : soit parce qu’elles ne disposent pas d’informations concrètes ; soit parce que ce que dit un personnage n'est tout simplement pas compris par un autre personnage ; ou parce que l'événement n'a aucune importance pour l'intrigue.
C'est comme si Claude Simon nous disait que le dialogue concret, la communication concrète, est impossible dans la vie et que le vrai dialogue est ce mal perçu, réalisé dans le flux intersubjectif de la conscience et de la mémoire sociale. Cette idée est très importante pour moi, que ce soit en tant qu’écrivain ou scientifique, et elle façonne une grande partie de ce que je comprends de la communication et de la culture.
L'auteur et ses guerres
En conclusion, quelques mots sur l'auteur. Claude Simon est né en 1913, à Madagascar, alors colonie française, où son père sert comme soldat. Son père est mort au combat en 1919, pendant la Première Guerre mondiale. En effet, Simon a raconté, dans un roman intitulé « L'Acacia », une expérience traumatisante de son enfance : le voyage que sa grand-mère a fait avec eux, à l'âge de cinq ans, jusqu'au champ de bataille où son père avait été tué.
Quelques semaines après le conflit, sa grand-mère a parcouru ce champ pour tenter de localiser le lieu exact de la mort de son père. Sa mère, à son tour, est décédée d'un cancer alors qu'il avait 12 ans. Claude Simon vécut avec sa grand-mère maternelle et devint plus tard pensionnaire au lycée Stanislas de Paris. A cette époque, il passait ses vacances d'été chez ses trois tantes paternelles, toutes célibataires, thème présent dans le roman. L'herbe.
Claude Simon a servi dans l'armée et a été mobilisé pendant la Seconde Guerre mondiale. En 1940, il est capturé et fait prisonnier par les Allemands, mais parvient à s'évader et retourne à Paris, où il participe à la Résistance. En 1944, sa femme, avec laquelle il vivait depuis l'âge de 18 ans, c'est-à-dire depuis 1931, se suicide. Après la guerre, Claude Simon part vivre dans une petite propriété rurale et devient vigneron.
Et c'est aussi le début de son activité d'écrivain. Dans les années 1960, il manifesta contre la guerre en Algérie et en faveur de l'indépendance de ce pays. À la fin de cette décennie, Simon reçoit l'important prix de littérature Médicis et fait partie du mouvement littéraire comme nouveau roman.
Claude Simon a écrit une trentaine de romans. La route des Flandres est de 1960. A part lui, j'aime particulièrement La bataille de Pharsala, qui date de 1969. Le prix Nobel de littérature est venu en 1985. Claude Simon est décédé vingt ans plus tard, à Paris, en 2005.
* Fabio Fonseca de Castro Il est professeur de sociologie au Núcleo de Altos Estudos Amazônicos, de l'Université fédérale du Pará (UFPA). Comment Fábio Horácio-Castro a publié le roman Le reptile mélancolique (Enregistrement).
Référence
Claude Simon. La route des Flandres. Rio de Janeiro, Nova Fronteira, 1986, 250 pages. [https://amzn.to/44SrUE7]
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