Le visage de la Révolution

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Par LINCOLN SECCO*

Commentaire sur du rôle d'Auguste Blanqui dans l'invasion de l'Assemblée française par une foule non armée le 15 mai 1848

En février 1848, on proteste à Paris contre l'interdiction des banquets décrétée par le ministre François Guizot. Les traditionnels banquets d'élargissement du suffrage étaient le moyen de l'opposition de contourner l'interdiction des rassemblements, mais cette fois tout a coulé dans une vague populaire. Les soldats ont ouvert le feu et tué des dizaines de manifestants dans la Boulevard des Capucines. Les émeutes ne s'apaisent pas, la Garde nationale prend le parti des rebelles et le 24 février tombe la monarchie orléaniste (1830-1848) (RUDÉ, 1991, p.183).

La République qui suivit eut un gouvernement provisoire avec un socialiste, Louis Blanc, et un seul ouvrier, Albert (Alexandre Martin). Des ateliers d'État pour les chômeurs ont été formés, la journée de dix heures, le suffrage masculin adulte et le droit d'organisation ont été adoptés, entre autres mesures.

La République n'a pas répondu au mouvement populaire. Le 17 mars, le groupe auquel appartient Auguste Blanqui organise un rassemblement pour le report des élections et pour l'abolition de « l'exploitation de l'homme par l'homme ». La crainte que l'électorat conservateur en province ne crée une assemblée conservatrice était justifiée puisqu'à la fin du mois suivant une majorité absolue de républicains et monarchistes modérés et moins de 10 % de socialistes étaient élus (APRILE, 2000, p. 79 –80). .

Le 15 mai, 14 XNUMX chômeurs envahissent l'Assemblée, sans armes, pour présenter une pétition en faveur de la Pologne, une question qui jouit d'une large sympathie dans les milieux socialistes européens. Blanqui, Raspail, Barbès et Albert sont devant.

Parmi les députés présents se trouvait Alexis de Tocqueville. Dans ses souvenirs de 1848, Tocqueville décrit les gens de statut inférieur presque toujours de manière péjorative : un vieux marchand ambulant qui le bouscule ; une ambitieuse servante et domestique (d'ailleurs, servantes d'Adolphe Blanqui, frère d'Auguste) ; un portier ivre, « socialiste », etc. Cependant, lorsqu'il décrit le prolétariat comme une classe, il le considère comme un « groupe formidable » pour son courage combatif. C'était aussi une manière de valoriser la victoire de sa classe.

On ne s'étonnera donc pas du portrait qu'il fit d'un homme devenu une légende du prolétariat français : « C'est alors que je vis apparaître tour à tour, à la tribune, un homme que je ne vis que ce jour-là, mais dont le souvenir Je me suis toujours souvenu rempli d'aversion et d'horreur; ses joues étaient maigres et flétries, ses lèvres blanches, son air maladif, malveillant et sale, une pâleur sale, l'apparence d'un corps moisi, sans vêtements blancs visibles, une vieille redingote noire, accrochée à des membres maigres et maigres; il semblait avoir vécu dans un égout dont il venait de sortir ; On m'a dit que c'était Auguste Blanqui. Blanqui dit quelque chose de la Pologne ; puis, focalisé sur l'intérieur, il demande vengeance de ce qu'il appelait « les massacres de Rouen », rappelle avec menace la misère dans laquelle le peuple était plongé » (TOCQUEVILLE, 2011, p.168).

Bien sûr, il ne révèle qu'en passant que cette action avait des exigences : une armée pour libérer la Pologne, un impôt extraordinaire sur les riches et le retrait des troupes de Paris. Quant à l'apparence émaciée, si c'était vrai, il n'y a pas grand-chose à dire sur le fait que Blanqui avait passé des années en prison.

Méthode

Le démantèlement de rapports comme celui de Tocqueville peut conduire à deux voies : la querelle mémorielle ; et la revendication d'une représentation fidèle de l'événement. Ils ne sont pas exclusifs, même si le scientisme du XIXe siècle a conduit à l'idée qu'il était possible de reproduire le fait de manière impartiale ; et le présentisme soutient que la connaissance objective est impossible, après tout, nous n'avons que des projections de pensée sur le passé.

Nous choisirons une autre méthodologie. Nous ne considérerons pas que le scientifique est le reflet de la réalité objective qu'il analyse. Et encore moins qu'il n'y ait aucune preuve du passé. Nous n'aurons aucun doute sur l'existence du « 15 mai ». Cependant, l'organisation de ce qui s'est passé, la forme narrative et la chaîne des faits, peuvent être chargées de la subjectivité impliquée dans la recherche.

Cette organisation peut nourrir des mythes. Mais ce n'est pas le rôle de l'Histoire, même si elle fournit la matière première de la mémoire. Nous pourrions raconter les sombres aventures d'Hitler en supposant qu'il aurait survécu, caché, dans un village autrichien ou dans une ferme au Chili avec le même art narratif qu'un bon historien, mais ce ne serait pas de l'histoire car cela ne s'est tout simplement pas produit. De même qu'un récit captivant de la bataille de Lépante par Fernand Braudel n'est pas un roman car son sujet est un passé fondé sur des preuves.

Cela n'a rien à voir avec la véracité des documents eux-mêmes. Les fausses lettres du président Artur Bernardes (1921), le plan Cohen (1937) et la campagne électorale de 2018 étaient des faux grossiers qui sont devenus des faits dans la mesure où ils ont influencé les actions et les décisions de personnes réelles. Dans ce cas, c'est la falsification qui est le fait (et non le contenu falsifié) qu'il faut enregistrer et non considérer que le fausses nouvelles Les fascistes ne sont qu'un récit comme un autre. Nous verrons aussi que si une partie du 15 mai 1848 a pu être un piège tendu par la police, il s'inscrit tout de même dans la dynamique du mouvement populaire à cette époque.

Le fait est une chose en soi et une autre pour la connaissance. On a toujours affaire à des faits qui portent la marque du sujet connaissant, ou plutôt : on considère les couches successives d'interprétation présentes dans les notices et la bibliographie : « toute histoire réelle se manifeste aussi comme historiographie » (KOJÈVE, 2002, p. 472) . Le fait historique du point de vue de son existence empirique est un fragment de l'histoire arrivée ; en tant qu'objet de connaissance historiographique, il est le produit de la relation entre sujet et objet, comme dans toute science (SCHAFF, 1987). Tout fait peut devenir historique dans la mesure où il intègre une totalité qui lui donne sens en le rapportant à d'autres faits. C'est le principe dialectique selon lequel la connaissance des faits empiriques ne s'obtient que par leur intégration dans un ensemble (GOLDMANN, 1955, p. 16).

Histoires

Il faut transcender les récits et ne pas les prendre comme s'ils équivalaient à l'Histoire. Qu'il s'agisse de discours d'opprimés ou d'oppresseurs, ils se sont constitués en quelque sorte de manière relationnelle et avaient pour référence une état d'esprit commun. Même s'ils peuvent être radicalement opposés politiquement. D'autant plus lorsqu'il s'agit de reconstitutions bien plus tardives, qu'elles soient orales ou écrites.

Lorsque de jeunes historiens sont allés enregistrer les souvenirs des survivants d'un village massacré en 1945 par les nazis, ils ont découvert qu'ils blâmaient ceux qui avaient rejoint la guérilla (HOBSBAWM, 1998, p.282), mais leur mémoire n'était pas informée par les Italiens. conjoncture droitière des années 1990 ?

En l'espèce, il s'agit évidemment de textes composés plus ou moins proches des événements et réservés à un groupe social bien précis.

Une étude approfondie, ce qui est loin d'être le cas ici (celui d'un exercice avec quelques sources), nécessiterait au moins une analyse du dossier de l'accusé de mai 1848 dans lequel témoignent 266 témoins à charge et 62 témoins à charge. La défense. Et cela nous conduirait à une « concrétisation » encore plus grande de notre objet.

Ces réserves faites, nous pouvons comparer la version de Tocqueville avec d'autres. On sait que le 15 mai, François Raspail a lu une pétition, mais il n'a pas pu se faire entendre. Barbés est monté sur le podium. Blanqui était à ses pieds. Voici, la foule crie : «Ou est Blanchi? Blanqui à la tribune ! Nous voulons blanqui”. V. Bouton dit que Blanqui reste immobile ; de temps en temps il apparaît et provoque une violente émotion, une sorte de tonnerre. Il reste fixe, avec une force inconnue (DOMMANGET, 1972).

Selon le journal LeMoniteur Le 16 mai, Blanqui s'exprime longuement sur le sujet : il exige que la Pologne récupère les limites de 1772 et que la France ne remette pas son épée au fourreau jusqu'à ce que cela soit fait. Il tourne alors le sujet vers la justice sociale, contre la répression à Rouen, pour la libération des prisonniers politiques, et la foule l'interrompt en criant « Justice ! ». Quelqu'un s'approcha de Blanqui et lui dit quelque chose. Il a poursuivi en parlant de la misère du peuple. La foule a crié "Bravo!". Il a parlé de la crise économique et du chômage; et la foule : Bravo ! En colère! Quelqu'un a dit : « Nous sommes venus ici pour réclamer tous nos droits, quels qu'ils soient. O Comte Rendu du Représentant du Peuple, plus succinctement dans les comptes rendus des événements, ajoute que quelqu'un a censuré Blanqui, affirmant qu'ils n'étaient là que pour s'occuper de la Pologne et que Blanqui a incorporé la réprimande et a recommencé à dire que tous les peuples sont frères (BLANQUI, 1977, p.208). le journal Le Messageur du 16 mai 1848, qui parle à peine de Blanqui, signale qu'il préfère s'occuper de la cause du peuple et non de la motion sur la Pologne.

Blanqui a voulu reprendre le discours, mais il y a eu beaucoup de bruit, jusqu'à ce qu'un homme du peuple dise : « Silence, citoyens, dans notre intérêt ». Blanqui est intelligent. Il a justifié les revendications sociales parce qu'il s'agit d'un point de similitude entre les peuples français et polonais, mais il est revenu sur la question spécifique et a déclaré qu'après avoir attiré l'attention des députés sur lui, le peuple réclamait désormais entièrement leur attention pour résoudre le problème polonais. (AGULLON, 1992, pp.143-144).

Quant à son visage, il a en effet l'air pâle et froid au milieu d'un brouhaha effrayant, selon Victor Hugo. Un autre témoin, Hippolyte Castille, accentue également son front pâle. Mais tous deux accordent plus d'attention à l'effet politique de leur présence. Et Castille donne une autre interprétation à la pâleur, comme s'il s'agissait de l'annonce d'une nouvelle Révolution : le front lisse de Blanqui sort « de l'ombre des cachots » et la « foule comprend que le jour va prendre un nouveau visage ». Les « représentants de la réaction ne quittent pas leur banc (…). Le calme d'une énergie supérieure, que l'événement n'enivre pas (...) éclate chez M. Blanqui qui, en quelques mots, invite l'Assemblée au silence » (DOMMANGET, 1972).

Madame D'Agoult, socialement très proche de l'esprit aristocratique du comte de Tocqueville, a laissé une autre description de Blanqui. L'auteur était la fille d'un noble français. émigré et un allemand. Avec sa famille, il s'installe en France après la Restauration. Elle eut une vie mouvementée, abandonna son mari pour vivre une violente passion avec le compositeur Lizt, inspira un personnage de Balzac et laissa, parmi de nombreux livres, une Histoire de la Révolution de 1848. :

« Son aspect est étrange, son visage impassible ; leurs cheveux noirs coupés courts, le manteau noir boutonné haut, la cravate et les gants noirs leur donnent une allure sombre. Devant lui, le silence s'installe ; la foule, jusque-là agitée, reste immobile, de peur de manquer un seul mot que prononcera le mystérieux oracle des séditions » (DOMMANGET, 1972).

Historiographie

Le Congrès de Vienne avait établi dès 1814 qu'il n'accepterait principalement que deux idéologies : le libéralisme et le nationalisme. En 1848, les politiciens découvrent une plus grande menace qui a pénétré les masses parisiennes : le socialisme. Les événements suivants démontreront que pour le vaincre, il faudra abandonner un autre objectif de ce Congrès : ne jamais permettre à un membre de la famille Bonaparte de revenir au commandement de la France. Après tout, les crises successives qui ont mis à l'écart les secteurs les plus radicaux de la Révolution ont fait de l'élection de Louis Bonaparte en décembre 1848 et de son coup d'État trois ans plus tard la seule issue pour la bourgeoisie. Dans le langage de Marx, il s'agissait de sacrifier sa représentation politique au nom de la sauvegarde de ses intérêts économiques.

La Russie et l'Autriche ont été les architectes du nouvel ordre de 1814. L'Angleterre était hors du continent et avait un empire outre-mer ; La Prusse était encore militairement et économiquement trop fragile pour menacer l'empire autrichien. Et la France a été réadmise, mais isolée.

Le Printemps des Peuples de 1848 a sérieusement ébranlé cet accord car il était le triomphe des nationalismes et la promesse du libéralisme constitutionnel, même si dans la plupart des cas la Révolution fut un échec politique de courte durée. Et en France, un Bonaparte est arrivé au pouvoir. Les chancelleries d'Autriche et de Prusse ont dû accepter la situation comme un fait.

L'Autriche était une organisation impériale, issue de l'ancien empire des Habsbourg (après le partage des possessions de Charles Quint au XVIe siècle). La partie ibérique, Pays-Bas, Italie et Amérique était entretenue par Philippe II et la partie « germanique », l'Erbland, par Maximilien.

Dans cet Empire devenu progressivement multinational, « être » Autrichien, c'était appartenir à une élite libre de sentiments nationaux, habituellement germanophone, entassée dans la bureaucratie impériale et dotée de privilèges étatiques. L'Autriche était un ensemble d'« îles » dont la noblesse était censée être cosmopolite. La noblesse était la garantie de l'unité.

Ainsi, les premiers nationalismes seront encore des proclamations d'intellectuels. Ils ont inventé un passé. Les Allemands nationalistes ressemblaient au Saint Empire romain germanique ; les Hongrois les Terras de Santo Estevão ; les Tchèques les Terres de Saint Wenceslas etc. Mais les pays étaient très divers et les loyautés envers l'Empire variées.

AJP Taylor a défini 1848 comme l'éveil des nations : « L'année 1848 a marqué la transition d'un mode de vie inconscient à la poursuite consciente d'un seul » (TAYLOR, 1985). Pour lui, 1848 n'est pas le produit de la révolution industrielle, mais de son absence. A Vienne, il y avait un prolétariat sans terre, mais pas de capitalisme industriel. C'était le modèle de 1848. Ainsi, 1848 fut le début de la prédication des intellectuels au nom des nations supposément endormies dans le folklore paysan. Pas par hasard, l'une des forces de 1848 était les étudiants. Subordonnés à Budapest à noblesse; mais dominant à Prague et actif en Italie.

Au « programme » de 1848, aux côtés de la Hongrie associée à l'Autriche comme État souverain et à l'unification de l'Italie et de l'Allemagne, figurait l'indépendance de la Pologne, bien que certains interprètent ce processus d'un « point de vue non national » dans faveur d'une affirmation des institutions libérales (ARTZ, 1963, p. XI).

La Pologne, divisée entre les puissances, a fait preuve d'une activité révolutionnaire constante depuis le soulèvement de novembre 1830-1831 et son écrasement par la Russie. Le soulèvement de Galice en 1846 et les jugements de Berlin l'année suivante affaiblissent sa participation à la Primavera dos Povos. Les Polonais ont agi prématurément (DAVIES, 1986, p. 166). Cependant, plusieurs exilés des insurrections vaincues ont vécu en France et se sont impliqués dans les tentatives révolutionnaires et les sociétés secrètes du pays. La France, le cas le plus important de 1848, était dans une situation hybride. On ne peut pas dire que le pays était aussi industrialisé que l'Angleterre, mais la question nationale s'était développée beaucoup plus tôt, puisque la Révolution de 1789 et les clubs révolutionnaires n'étaient pas indifférents à l'internationalisme, même si le mot n'était pas employé.

De plus, l'avancée des forces productives après la crise de 1848 est remarquable et la Révolution de 1871 ne sera plus le soulèvement d'une coalition d'intérêts, mais d'une classe : la classe ouvrière de Paris. Par conséquent, aussi, la Révolution à Paris avait les caractéristiques des émeutes populaires antérieures plus une conscience de classe émergente ; parmi les révolutionnaires populaires, il y avait une grande variété: ouvriers d'atelier, artisans, petits commerçants et propriétaires, locataires, etc. Et parmi les soldats de nombreux paysans et Parisiens populaires. Malgré ce constat, il semble évident que la Bourgeoisie recrute toujours ses soldats dans le peuple et cela n'élimine pas la contradiction fondamentale que 1848 a mise au jour. Pour Marx et Tocqueville c'était quelque chose de clair : la lutte des classes. Et ils n'avaient pas tort.

histoire et mémoire

Marx donne à ce qu'il appelle les « mémoires historiques » deux fonctions : la première est de glorifier de nouvelles luttes ; la seconde celle de « l'érudition antiquaire », qui ne vise qu'à simuler la répétition du passé afin de maintenir la statu quo.

Ainsi, 1789-1814 est la période de la mémoire révolutionnaire et 1848-1851 celle de la mémoire conservatrice qui change de régime politique pour maintenir la domination de classe. Cromwell a invoqué la phraséologie biblique et les prophètes de l'Ancien Testament ; Robespierre, Desmoullins, Saint-Just, Napoléon, les habits de la République, le Consulat et l'Empire romain. L'esprit révolutionnaire était appelé non pas à « rôder à nouveau » mais à affronter la mission de son temps : ériger une société bourgeoise moderne. Après cela, la phraséologie devient creuse chez ses successeurs et la politique passe de la tragédie à la farce.

Or, la Révolution du XIXe siècle « ne peut puiser sa poésie dans le passé, mais seulement dans l'avenir ». Les autres révolutions cherchaient des modèles passés parce qu'ils avaient besoin de cacher leur contenu. Afin d'obtenir un soutien social, la Bourgeoisie a élaboré une idéologie qui couvrait ses intérêts d'un discours universel.

Le prolétariat ne porte pas une idéologie contraire à celle dominante. Il critique à chaque instant son passé, préservant une mémoire de luttes qui se matérialise dans des documents et des espaces organisationnels et non dans des monuments contemplatifs. Le prolétariat ne connaît aucune oppression particulière à résoudre dans le système bourgeois. Il souffre la misère universelle et dépasse toute doctrine qui anticipe sur le contenu futur d'une Révolution que Marx ne peut même pas nommer : « Là la phrase a dépassé le contenu, ici le contenu dépasse la phrase » (MARX, 1928).

Or, s'il n'y a rien à invoquer du passé, s'il n'y a pas de langage à emprunter, quel serait le rôle de la mémoire prolétarienne ? Les leçons de son propre passé de luttes doivent être sauvées comme mémoire et aussi objectivement contrastées avec la science de l'Histoire. Marx loue « l'insurrection de juin, l'événement le plus colossal de l'histoire des guerres civiles européennes », dénonce le meurtre de 3 15 insurgés et XNUMX XNUMX déportations sans procès. Cette praxis révolutionnaire, en revanche, « se moque » des premières tentatives, des mesures insuffisantes, des erreurs, et est toujours « autocritique », selon l'expression de Marx.

La Révolution de 1848 elle-même n'était pas inutile car au lieu d'apprendre "les leçons et les expériences" au rythme de l'école, le prolétariat pouvait utiliser la méthode abrégée de la pratique révolutionnaire pour comprendre les conditions nécessaires d'une révolution sociale et non superficielle.

La révolution politique ne change pas le mode de production et se déguise en fantasmes parlementaires. Dans la Révolution sociale, son premier acte négatif et destructeur est encore politique (la méthode abrégée d'apprentissage en 1848), mais dans l'instant qui suit, le théâtre politique se déploie et les coulisses sont exposées. Eh bien, à mon avis, c'est exactement ce que font "Blanqui et ses camarades" le 15 mai 1848. Et le prolétariat en juin de la même année. Et la conclusion de Marx est que mai et juin doivent se rejoindre. L'acte politique et le contenu qui le dépasse et le contient.

Retour sur la marche des événements

En France, la nouvelle du massacre des patriotes polonais par les troupes prussiennes et autrichiennes provoque l'indignation des clubs républicains. De nombreux Polonais y militent. Wolowski interroge l'Assemblée et celle-ci décide d'en débattre le 15 mai.

Blanqui n'est pas insensible à la tragédie polonaise, mais considère que la situation économique française suffit à occuper le peuple. Se soumettre à la provocation et à une éventuelle répression peut éroder la sympathie populaire pour le mouvement. Cependant, la Société républicaine centrale, connue sous le nom de Club Blanqui (malgré que l'honoré refuse ce titre) dépasse son chef et décide d'aller à l'Assemblée. A noter que l'adversaire de Blanqui, Barbès, est également contre. Blanqui considère que c'est de la folie, mais il n'arrêtera jamais de marcher avec les militants. Pas devant vous, mais avec eux. Italiens, Irlandais et Polonais se joignent au cortège rassemblé sur le boulevard du Temple. Blanqui est surveillé par des espions de la police (DECAUX, 1976, pp.361-377). Il y a 50 mille hommes, femmes et enfants. Soit entre 20 et 40 mille (ROBERTSON, 1987, p. 80 ; AMANN, 1970, pp. 42-69). Le but de la manifestation est qu'une commission entre dans l'Assemblée.

Wolowski monte sur le podium et dit que la Pologne n'est pas morte, elle s'est juste endormie. Dans la confusion, Raspail voit des hommes casser tout et reconnaît parmi eux des policiers. Ce n'est pas un hasard si Georges Sand jugeait l'événement obscur et Daniel Stern mystérieux (DECAUX, 1976, p. 365).

Qui est ce Blanqui si incompréhensible et pourtant si présent dans ces reportages ? Peut-on vraiment se rapprocher de lui ?

Auguste Blanqui (1805-1881) est le fils d'un député girondin à la Convention. Il est le frère d'un économiste bourgeois, Adolphe. Participe à l'insurrection de juillet 1830 et aux suivantes. Il n'est pas théoricien, mais défend « le communisme du sol et des moyens de production ». Et bien avant Marx, il refuse de perdre son temps à « des discussions prématurées sur les formes possibles de la société future » (ZEVAÉS, 1933, p. 23).

Il est arrêté après l'Insurrection du 12 mai 1839. Le peuple de Paris le libère en février 1848. Il sera de nouveau emprisonné le 15 mai. Bien qu'il s'agisse d'une manifestation non armée, l'Assemblée a décidé de donner une leçon au peuple et a condamné plusieurs personnes pour tentative de coup d'État.

L'idée que les « blanquistas » ont envahi l'Assemblée pour la dissoudre et imposer un nouveau gouvernement provisoire est courante et fréquente dans les notes de bas de page de l'ouvrage. Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, de Marx. Mais c'est un certain Aloysius Huber qui déclara l'Assemblée dissoute. Blanqui a dit que c'était une grosse erreur et Paul de Flotte, son ami, est allé à la tribune et a nié la dissolution de l'Assemblée. Cependant, la raison de l'accusation de coup d'État a déjà été donnée. Huber avait du militantisme dans le mouvement populaire, mais était soupçonné d'avoir été un espion de la police dans la monarchie de Luis Filipe. La facilité même avec laquelle la population est entrée dans l'enceinte, sans aucune répression, était une indication que la décision d'envahir était un piège (ROBERTSON, 1991, p.69).

Il est clair que Blanqui n'est pas un amateur, et sa présence au Parlement n'a pas été un coup de chance ou le produit d'une action individuelle seule. Il était avec le vrai mouvement ouvrier. Avec les considérations ci-dessus, nous nions le simple fait rappelé par les rapports et nous trouvons un Blanqui concret.

Après avoir mis en évidence les médiations successives entre le Blanqui des rapports et le vrai visage d'une Révolution inachevée, on comprend que le concret est une réalité révélée par une recherche qui revisite le dire des historiens et réinterprète la documentation, la situant dans une totalité.

Pour certains, les faits sont inaccessibles. L'historien n'arrive qu'à des déclarations à leur sujet. Cependant, c'est comme ça dans n'importe quelle science. La recherche doit être son objet. Même s'il s'agit d'un rocher que l'on peut toucher et ressentir, ils seraient loin de nous dire ce qu'est un rocher sans l'aide de la géologie.

Dans les reportages, tout est immédiat, abstrait et dépourvu de la médiation de la connaissance de la trajectoire de Blanqui et du mouvement populaire lui-même. Ce qui ne veut pas dire que l'abstraction n'était pas réelle et réellement vécue par les témoins. Parmi tous, il y a des angles différents à récupérer par l'historiographie selon la position théorique de chacun, après tout Blanqui est aussi devenu un mythe et une partie importante d'une tradition, impliquant des biographes, des romanciers, des militants et des penseurs tels que Walter Benjamin (HUTTON, 2013, p. 41-54). Ce sont les dénégations déterminées successives de ce fait empirique qui nous conduisent à la synthèse des constats, de la connaissance historique accumulée et son insertion dans une totalité.

Nous lisons que certaines caractéristiques coïncident : une pâleur, une étrangeté avec les vêtements, comme s'ils n'étaient pas ceux d'un homme populaire ordinaire ni ceux d'une personne bien nantie ; comme si Blanqui avait un rôle unique parmi les personnes qui l'ont accueilli ; son leadership est incontesté, car il ne demande ni la parole ni la tribune. L'un des rapports révèle que pressé devant la grille, lorsqu'elle se brise, il est poussé à l'Assemblée plutôt qu'à la tête de l'occupation. L'historienne Priscila Robertson (1987, p. 81) a suggéré d'accompagner la manifestation malgré son opposition afin de ne pas perdre son influence. Ça pourrait l'être, mais ça aurait tout aussi bien pu être sa simple fusion avec le mouvement, puisqu'il ne marche pas en tête de marche.

Les personnes présentes lui demandent de parler. Il s'écarte du mouvement, souligne la situation de pénurie du peuple. Son attention est sollicitée et il intègre la décision collective, même si ce n'est pas la sienne. Les reportages convergent vers l'image d'un public silencieux face à l'orateur. Même Tocqueville, le plus critique des témoins oculaires, a entendu chaque mot de Blanqui.

En juin, il y aurait d'autres visages. D'autres dirigeants moins expérimentés, comme un certain Pujol, qui ont agité les premiers instants de la guerre civile du prolétariat contre la bourgeoisie. Mais les insurgés auraient sûrement libéré Blanqui une fois de plus. En 1871, la Commune l'élit président. par contumace et il a tout fait pour obtenir sa libération des Versaillais.

Les sources retenues ici sont unanimes : le 15 mai, une foule a entendu Blanqui au parlement. Ce fut un véritable événement. Leurs vêtements ont provoqué l'éloignement que peut-être le groupe même de manifestants a également provoqué chez les témoins qui ont agi sur le théâtre politique du parlement. Son visage était aussi pâle que les pauvres de Paris. Mais à ce moment-là, c'était plus qu'un visage ordinaire et empirique. Il était le visage de la Révolution.

*Lincoln Secco Il est professeur au département d'histoire de l'USP. Auteur, entre autres livres, de Histoire du TP (Atelier éditorial).

Références


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