Fatigue de la compassion

Image : Reuters
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Par SALEM NASSER*

La révolte est peut-être fatigante aussi, mais je ne m'en séparerai pas. Je ne saurai pas oublier, je ne saurai même pas pardonner

Un ami, alors que nous parlions de l'exposition « Les Larmes de la Terre », s'est rappelé avoir rencontré, en travaillant avec des réfugiés, le concept de « fatigue de compassion ». L’expression est parfaite pour nommer ce que beaucoup d’entre nous ressentent ces jours-ci.

Combien d’entre nous ont dit qu’ils évitaient tout contact avec l’actualité de Gaza, en particulier avec celles qui nous parlent des enfants qui sont morts, de ceux qui ont perdu leurs parents, de ceux qui se battent pour leur vie dans les hôpitaux détruits ? Nous disons que nous ne pouvons plus nous occuper des images et des histoires ; que nous ne pourrions pas fonctionner ou répondre aux exigences de la vie normale si nous continuions à y prêter attention ; qu’on ne supporte plus de ressentir autant…

C’est de l’usure de compassion. Nous devons d’une manière ou d’une autre nous calmer. Nous savons que la tragédie reste intacte et qu'elle durera ; nous savons que nous sommes dans une certaine mesure impuissants ; Nous ne voulons pas croire que nous, les humains et les animaux civilisés, soyons capables de massacrer des innocents et/ou de garder le silence pendant que des innocents sont massacrés.

Moi aussi, je ne veux plus écrire sur la Palestine et ses enfants si mon texte n'a pas le pouvoir et l'effet d'éveiller le monde. Si je ne trouve pas les mots justes pour montrer le drame dans son intégralité, les mots qui remplissent chaque conscience du poids des images brutes et nues de notre honte, alors à quoi bon écrire ?

Ces mots, ce discours, existent-ils ? S'agira-t-il de l'instrument à une seule plume, ou à quelques plumes ? Précisément, la réponse est non, et cela fait partie de ce que j’ai appelé la cécité sélective.

Qui décide de ce qui doit nous concerner ?

J'ai remarqué depuis longtemps l'existence d'un mécanisme dans la couverture médiatique de certaines questions internationales, et j'ai remarqué un effet dans le fonctionnement de ce mécanisme.

Mais, avant même le mécanisme auquel je fais référence, il convient de soulever un sujet important : qui définit et comment sont définies les informations qui nous parviennent chaque jour ? Qui nous dit qu'un certain conflit devrait apparaître dans le journal et occuper une page ou deux, s'il doit être souligné dans les gros titres, et qui nous dit qu'un autre conflit ne doit pas ou doit être mentionné ? Qui choisit les images que nous verrons ?…

Nous reviendrons peut-être sur les réponses possibles à ces questions dans le futur. Je propose seulement un indice plus générique : ici au Brésil, ce qui est considéré comme important aux États-Unis le sera également.

Le mécanisme auquel je faisais référence fonctionne plus ou moins ainsi, et je prends un exemple pour que ce soit plus clair : pendant un certain temps, il n'y a aucun moyen de ne pas couvrir une guerre au Moyen-Orient, surtout si elle implique Israël ; le parti pris aura tendance à être vers la reproduction des arguments et du récit d’Israël et/ou des États-Unis et de l’Occident.

L’intensité de la couverture médiatique et les préjugés dominants ont deux effets souhaités : ils vendent l’information et renforcent les récits officiels ; à un moment donné, si la réalité émerge et parvient au public contrairement au récit dominant, il faut montrer un peu plus « l’autre côté » pour préserver une certaine crédibilité ; et, enfin, vient le moment où les nouvelles ne se vendent plus, peut-être que la fatigue de compassion s'installe ou, même si les événements en cours sont importants, peut-être vitaux, il n'y a plus de nouvelles qui attirent le consommateur moyen d'informations.

L’information meurt et disparaît des journaux et des télévisions. Mais, après un certain temps, des semaines, des mois ou même des années, il se produit dans cette guerre quelque chose qui ne s'est jamais terminé ni apaisé, quelque chose de nouveau qui la fait revenir à la surface et occuper l'agenda. L’effet de cette situation est, pour l’essentiel, l’impression que même si rien n’a été rapporté, rien ne se passe réellement ; l'impression que l'histoire connaît toujours un nouveau départ. Autrement dit, rien n’est compris qui serait intéressant à savoir. A chaque tour, les représentations que nous offrent ces portions de couverture sont naturalisées.

On ne voit que ce qu'une personne indéterminée veut nous faire voir et on comprend les choses telles qu'on nous les dit...

Ils sont morts de faim !

Hier, alors que j'essayais de détourner mon attention des images qui me parviennent constamment de Gaza, alors que j'essayais de ne pas croiser ces yeux d'enfants, un regard sans vie pour beaucoup, un regard effrayé et hanté, pour beaucoup d'autres, un regard furieux et trahi . , pour les autres, alors que j'évitais tout ça, tout d'un coup, une phrase m'a saisi et je ne pouvais plus m'échapper.

On parlait d'une mère qui avait perdu tous ses enfants endormis lors d'une seule attaque israélienne ; sous le choc, elle demande : « où sont les enfants ? où sont les enfants? ils sont morts sans avoir rien mangé ! Ils sont morts de faim !

Un péché monté sur péché. La mère pleure, comme nous devrions pleurer, la mort de ses enfants et pleure la faim qu'ils ont ressentie avant de mourir. La compassion peut être fatigante ; Si ça ne devrait pas être comme ça, je ne sais pas.

La révolte est peut-être fatigante aussi, mais je ne m'en séparerai pas. Je ne saurai pas oublier, ni pardonner.

*Salem Nasser Il est professeur à la Faculté de Droit de la FGV-SP. Auteur, entre autres, de livres Droit mondial : les normes et leurs relations (Alamedina). [https://amzn.to/3s3s64E]


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