Par FERNÃO PESSOA RAMOS*
Les Essais d'un disciple par le critique André Bazin
Jean-Louis Comolli a été l'une des figures marquantes de la réflexion française sur le cinéma dans les années 1960. Il a écrit de longs textes théoriques dans le Cahiers Cinéma, qui a occupé plusieurs numéros du magazine. Sous sa direction, des développements conceptuels fermés entrent au répertoire d'une publication initialement destinée au public cinéphile. Comolli fait partie de la troisième génération de critiques qui ont dirigé le Cahiers, après le groupe fondateur de 1951 (André Bazin, Lo Duca et Doniol-Volcroze) et les « jeunes turcs » de nouvelle vague (Eric Rohmer et Jacques Rivette, principalement). Il en prend la direction éditoriale dans la période délicate de 1966 à 1971. Au tournant des années 60, le magazine devient ouvertement maoïste et commence à publier des textes théoriques, supprimant même l'usage des photos.
Bien qu'il soit lié à la réalisation depuis les années 60, c'est dans les années 80 que Comolli s'impose comme cinéaste, principalement dans le domaine du documentaire. Voir et pouvoir. Innocence perdue : cinéma, télévision, fiction et documentaire échappe à la pensée dominante sur le cinéma au Brésil. Elle contourne les dilemmes méthodologiques des sciences humaines, chers aux historiens et anthropologues. Comolli nous parle du cinéma, ayant vécu sa réalité de l'intérieur. C'est un plaisir de sentir le souffle de l'image cinématographique dans l'écriture du critique et l'agilité avec laquelle il parcourt la filmographie.
La médiation de la machine
Parmi tous les arts narratifs et dramatiques, le cinéma porte la marque de la médiation mécanique. Cette marque a conduit une partie de la critique à la considérer comme un média, mettant l'accent sur l'évolution technologique. Le cinéma serait une machine du XIXe siècle, avec une tendance à disparaître dans l'évolution vers de nouveaux médias numériques convergents. Mais, contrairement à la vision évolutionniste, il perdure et maintient une forme narrative assez stable. Au cours de la période du centenaire, il a développé des procédures stylistiques matures, utilisant des sons et des images en mouvement comme matériau, principalement formaté par la machine que nous appelons « caméra ».
Quand on écrit sur le cinéma, comment ignorer la stylistique, les auteurs, l'histoire du cinéma, le cinéma contemporain ? Pour travailler avec le cinéma, la connaissance des films d'hier et d'aujourd'hui est indispensable. Parler de cinéma sans connaître le cinéma, c'est le danger d'utiliser le cinéma comme outil méthodologique dans les sciences humaines. L'analyse descriptive du film coupé sert de mesure à ce mouvement risqué. Une fois que le réseau de description des plans/séquences atteint un certain niveau de détail, tout se retrouve pris dans la traînée d'analyse. Le film sert nécessairement d'exemple du concept qui est déjà dans la poche de l'analyste en amont.
Ce n'est pas le cas de la critique de Comolli. On y respire le contexte idéologique de son temps, on ressent l'expérience du cinéma qui l'a précédé. Plusieurs extraits du livre rappellent la sensibilité d'André Bazin. En compagnie de Serge Daney, il ne serait pas exagéré de considérer Comolli comme un bazinien renfermé. Et pourquoi accroupi ? Il y a deux mouvements antagonistes dans le livre, pour ainsi dire. Chez Comolli, deux mouvements se rejoignent dans leurs contradictions : d'abord, un bazinisme suranné, qui semble constituer la couche la plus profonde du goût du critique ; deuxièmement, une tentative de nouer, avec des teintures contemporaines, ce premier mouvement. L'auteur dit de la chair du plan, avec des yeux baziniens : « la matérialité de la machine a toujours eu besoin de la corporéité des corps. Le corps filmé est le pilier du cinéma ». C'est dans le premier mouvement que Comolli se déplace avec agilité et donne libre cours à la cinéphilie, au diapason de la présence fondatrice du corps dans le plan et de sa manifestation épiphanique dans le style.
Le pouvoir de la déconstruction
Le deuxième mouvement est celui qui focalise les yeux et les oreilles des critiques contemporains. C'est le moment qui permet à Comolli de se digérer et de devenir (un peu plus pauvre) auteur de notre temps. En réalité, sa sensibilité bazinienne éprouve le besoin d'être assouplie par la force qui fait tourner aujourd'hui la roue de l'histoire : la déconstruction. L'opération traverse une bonne partie des écrits et c'est pour elle que les commentateurs brésiliens ont des yeux. Un mouvement en partie de l'auteur lui-même, qui force le mariage, déplaçant la dimension solaire de la « présence » de Bazin dans le plan de son origine « ontologique ».
Mais, curieusement, le court-circuit de Comolli se déroule à l'horizon du corps et du plan tel que Bazin le voit, sans éprouver le besoin de sortir du cercle et de le critiquer de l'extérieur. La sensibilité à l'image est la sensibilité réaliste de Bazin, et le tribut qu'elle doit à la pensée dominante contemporaine est payé par tranches. La fascination numérique est également dépassée, piétinée par l'accent mis par la critique sur la mêlée du plan, ouvert à l'indétermination et à l'intensité. Les clichés autour de l'imbrication entre fiction et documentaire sont absents. Où est la « beauté du documentaire » ? - question. Et il répond, toujours proche du réalisme d'après-guerre : « dans la disponibilité absolue de la machine cinématographique à enregistrer la force des corps filmés ; et, concomitamment, dans la résistance absolue des corps réels à se laisser déposséder par une machine. Il n'y aura alors pas de documentaire virtuel ou de synthèse ».
Dire que la fiction équivaut au documentaire, c'est nier ce noyau et placer le mouvement déconstructif contemporain au centre de l'analyse. C'est un mouvement pauvre, qui croit pouvoir y réduire toute l'histoire du cinéma, en faisant tabula rasa de la riche stylistique de la tradition documentaire. En supposant que le documentaire n'existe pas, parce qu'il est construction ou mise en scène, on assimile l'énonciation à la fiction et la transparence réaliste au documentaire. Mais, pour cela, on part de l'affirmation d'un degré zéro de l'écriture dont on sait d'avance qu'il n'existe pas – et à partir de là on nie la spécificité documentaire. Le chien se retourne et se mord la queue. Le sophisme s'affirme à partir d'une hypothèse que personne ne soutient.
Le mouvement réaliste, et même l'épiphanie de la transfiguration par la caméra, sont mis en évidence dans la critique de Comolli, laissant au second plan les « devoirs » déconstructifs. Un devoir qui est loin d'émouvoir le critique, comme il émeut les autres : si le premier moment de révélation (le moment de la nature du documentaire) est ontologique, le second existe pour satisfaire les exigences de l'éthique contemporaine. Si Comolli est un Bazinien enfermé, il est un au-delà de lui-même. Après la période de deuil, il retrouve une sensibilité qu'il avait laissée derrière lui. Peut-être que son intense travail de documentariste, dans les années 90, a été essentiel pour les retrouvailles. De toute façon, Voir et pouvoir il témoigne d'un parcours où l'on sent se mouvoir des forces contradictoires. Un parcours qui montre la maturité d'un des principaux critiques contemporains et qui a toujours une vision dynamisante du cinéma dans sa tradition documentaire.
*Fernão Pessoa Ramos, sociologue, est professeur à l'Institut des Arts de l'UNICAMP. Auteur de Mais après tout… qu'est-ce qu'un documentaire exactement ? (Sénac).
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VOIR ET PUISSANCE. L'INNOCENCE PERDUE
Jean-Louis Comolli
Sélection et organisation : César Guimarães et Ruben Caixeta
Traduction : Augustin de Tugny, Oswaldo Teixeira et Ruben Caixeta
ÉDITORA UFMG
374 p., 61,00 BRL