Par DANIEL AFONSO DA SILVA*
La classe politique française et ses élites économiques et culturelles ont finalement réussi à lancer le pays vers l’inconnu, rendant le régime tout entier dysfonctionnel.
C’était prévisible : un pays – la France – ingouvernable. C'était prémonitoire : la fin des JO de Paris avec Tom Cruise et Mission impossible. Le Premier ministre français Michel Barnier vient d'être démis de ses fonctions par le Parlement après 91 jours de mandat. Les parlementaires ont rassemblé 331 voix – bien plus que les 289 nécessaires – pour le censurer et l'expulser de ses fonctions.
Jean-Luc Mélenchon a été le mentor et le ténor de la manœuvre. Marine Le Pen, sa compagne de conviction et de soutien. Les deux plus grandes forces politiques françaises, malgré leurs divergences, se sont unies en principe contre le projet de budget présenté par le Premier ministre. Mais en réalité, son objectif non dissimulé a toujours été d’affaiblir le président Emmanuel Macron.
Qu'il lui faut désormais reconnaître sa défaite, accepter la décision législative, accepter la démission de Michel Barnier et de son très bref gouvernement de trois mois, nommer un autre Premier ministre et inspecter le choix des nouveaux ministres, les nouvelles tactiques et les nouvelles stratégies pour surmonter la variété des événements sinistres français momentanés, conjoncturels et structurels extraordinairement profonds. L’effondrement économique est très grave. Le très grave embarras partisan. Entropie politique sans précédent. Et la crise de régime, teintée de Ve République, est proche de sa phase terminale.
Sans mâcher ses mots, la classe politique française et ses élites économiques et culturelles ont finalement réussi à lancer le pays vers l’inconnu, rendant l’ensemble du régime dysfonctionnel. Bien sûr, à la suite d’opérations sournoises. Cela ne vient ni d'aujourd'hui ni d'hier. Mais de temps en temps. Des années et encore des années avec le bateau prenant l'eau. Et maintenant, enfin, avec des trous agrandis, une coque explosée et un gouvernail complètement endommagé. Une solution par des réparations est peu probable. Il ne reste plus qu’à reconnaître l’ouverture d’une nouvelle saison de chaos.
Forgée par le général Charles de Gaulle, à partir de 1958, la Ve République, en tant que régime politique français, était en fait une réponse à l'instabilité politique et morale de la Quatrième République. Mais aussi et fondamentalement un effort pour dépasser la « république des partis ». Un cancer permanent et insistant dans la vie politique de la France.
Comme on le constate quotidiennement, la tension au sein de la classe politique française n’a jamais abandonné son effervescence. De la Révolution, en passant par la Restauration, en passant par le coup d'Etat – farce ou pas – de Napoléon III, jusqu'à l'effondrement de 1870-1871, amer après 1918 et 1929, connaissant le cataclysme de 1940, engourdi par la résistance au nazisme jusqu'en 1944. , ramassant les morceaux de l'humiliation de Vichy plus tard et en essayant de surmonter le tropisme de France Eternelle versus la vulgarité de la gestion du second. Une immédiate qui impliquait (i) la réconciliation nationale, (ii) la reconstruction du pays et (iii) la définition du destin des colonies africaines.
Le général De Gaulle était démis de ses fonctions depuis 1946. Il paraissait trop controversé. Il dirigeait la Résistance française depuis 1940. Il était un héros sans équivoque des guerres totales de 1914 à 1945. Mais – peut-être aussi pour cette raison – il attirait les soupçons de tous les côtés. Notamment de la part du Premier ministre Winston Churchill, qui a toujours émis des votes de défiance à son égard, et particulièrement de la part du président Roosevelt et de l'ensemble de l'Union européenne. établissement Américain, qui éprouvait à son égard un sentiment complexe d’admiration et de répulsion. Surtout parce que le général De Gaulle, au fond, était la quintessence du marquis de La Fayette – « héros des deux mondes », combattant de la guerre d’indépendance américaine et de la Révolution française – avec tous ses stigmates d’être admiré pour sa bravoure et rabaissé en reconnaissance.
Comme tout le monde s'en souvient très bien, le déficit d'éloignement La France de 1940 avait été un choc planétaire. Malgré l'extraordinaire engagement du général français pour surmonter cette situation, après la libération de Paris et de la France en 1944-1945, il fut perçu comme un corps étranger dans son propre pays lorsque la situation se calma. Et ce faisant, il a été contraint de se retirer de la vie publique et de se réduire à un simple observateur distant et silencieux. Loin de tout, mais proche de tout le monde. Surtout avec l’avancée de la guerre froide.
Contrairement à toutes les apparences, la guerre froide a toujours été un problème essentiellement européen dont l’impasse était due au sort de l’Allemagne. Depuis Yalta et Potsdam, elle était partagée entre les Américains et les Soviétiques. Rendre très clair l’impératif de la tension Est-Ouest entre libéraux et antilibéraux, forgeant un espace de rivalités intériorisées et impitoyables symbolisé par l’occupation de Berlin. Il n'y avait pas encore de mur. Mais le rideau de fer était déjà une réalité incontestable.
Ainsi, dès 1945, la possibilité d’une avancée rouge suscitait des appréhensions. Surtout chez les Français. Qui, à leur tour, ont imploré un soutien permanent et structurel de la part des Américains. Qui, en réponse, est revenu dans le Vieux Monde avec le Plan Marshall et l’OTAN. Deux projets qui ont permis la reconstruction effective de la France et l'intériorisation décisive des notes françaises de pacification.
Mais seulement parmi les métropolitains. Car, dans les colonies, notamment en Afrique, depuis 1944-1945, au lieu de mettre fin aux guerres et aux conflits, s'accélérait le véritable début d'une guerre sans fin pour l'indépendance et la liberté. Et pour des raisons plausibles : les colons français avaient participé à l'effort de guerre sous l'aura de résistance mise en œuvre par le général De Gaulle à partir de 1943 et, avec la fin de la lutte contre le nazisme en 1944-1945, leur revendication générale s'est orientée vers la suppression du nazisme. le système, le régime et la domination coloniale française. Il y a eu une lutte pour la décolonisation. Mais le peuple parisien restait hébété et indifférent. Surtout après 1946, avec le départ du général.
Dans cet affrontement, la classe politique française a rapidement renoué avec l'entropie après 1946. Il était à la fois impossible d'ignorer les revendications africaines comme elles le faisaient et sans conséquence d'ignorer le poids des colonies sur le budget français puisque ceux qui avaient moins d'expérience n'y parvenaient jamais. pour le faire. Face à cela, la combinaison de l’insensibilité, de l’ignorance et de l’indifférence a fini par conduire le pays au bord du précipice. Générer un scénario d’anomie franche. Où la Quatrième République a cessé d’être fonctionnelle.
En effet, la pression parlementaire contre l’octroi de l’indépendance aux Africains a conduit – pour donner un exemple simple – à des pressions budgétaires insupportables pour le maintien de l’intégrité territoriale coloniale et, d’autre part, à la réduction des impôts provenant des colonies. Et comme si cela ne suffisait pas, la métropole française – lire : la société civile – était trop fatiguée de l'aventure et de la guerre.
Pour surmonter la situation, il a fait pression sur sa classe politique qui, incapable de la supporter, a succombé à une immense instabilité partisane. Cela a contaminé le Parlement. Lequel, par timidité, commença à souffrir de convulsions successives. Produire 24 gouvernements et 12 premiers ministres dans les législatures de 1946 et 1958, et conduire le régime politique à un dysfonctionnement total. Aucune continuité ni crédibilité dans la conduite de leurs destinées. Ce qui nécessitait la réhabilitation du général De Gaulle. Essentiellement pour résoudre le problème colonial. Mais, fondamentalement, surmonter cette guerre sans fin entre les partis.
Convoqué en 1958, le général est aussitôt nommé plénipotentiaire. Et, dans cet état, il rédigea en toute hâte une Constitution. Il est allé en Algérie – la colonie principale et la plus troublée. Il a présenté aux Algériens son ambiguïté «je vous ai compris« [Je les ai compris]. La détente commença avec toutes les colonies. Il négocia avec pratiquement tous les dirigeants métropolitains et coloniaux. Cela a conduit – parfois calmement, parfois moins calmement – à la décolonisation/indépendance.
Il repositionne la place de la France dans le monde. Il a forgé une nouvelle projection intérieure et extérieure du pays. Cela a éliminé la possibilité d’un alignement automatique avec les libéraux ou les communistes. Elle a commencé à se construire comme une troisième voie et une troisième voix dans le monde. Parler à tout le monde et essayer de se faire entendre de tous. Au nom du présent, en pensant à l'avenir et en hommage à l'époque où le monde vénérait la France. Malgré tout, la pression interne restait immense.
D’autant que, techniquement, le général avait été intronisé au pouvoir indirectement par un collège de notables. Donc sans participation populaire ni légitimité. Et de cette façon, que cela vous plaise ou non, vous êtes plus ou moins l’otage du système et des partis. Ce qui, bien entendu, pouvait amputer ses moyens d’action et l’expulser du pouvoir à tout moment, dès que sa tâche principale consistant à résoudre le problème colonial serait achevée.
Pour ensuite inhiber cette possibilité, le général a appelé un référendum pour l'instauration du suffrage universel pour choisir les présidents de la République, à commencer par lui-même. En réaction, le regroupement des partis du collège des notables a déposé une motion de censure contre le gouvernement de George Pompidou, le premier ministre du général, dans le but de malmener le général. Nous étions en 1962. Le mois d’octobre. Le jour, 5.
Ainsi, conformément à l'article 50 de la Constitution de 1958, le 5 octobre 1962, pour la première fois sous la Ve République, un Premier ministre est démis par volonté parlementaire.
Mais le général ne se laisse pas intimider. Voyant que l'objectif était de l'affaiblir, il dissout le Parlement, convoqua de nouvelles élections parlementaires, réussit à créer une majorité parlementaire en sa faveur, reconduisit George Pompidou au poste de Premier ministre et obtint le référendum favorable au suffrage présidentiel universel. Et ce faisant, il a rendu le conflit des partis hors de propos. Dynamiser l’esprit du nouveau régime ancré dans la Constitution de 1958 qui a fait du président du pays un véritable monarque, doté de larges pouvoirs et d’une solide légitimité. Venant directement du peuple. Sans aucun – ou presque – engagement envers les partis. C'est l'essence de la Ve République.
Ce qui vient de se passer en France en cette première semaine de décembre 2024 est complètement différent de ce qui s’est passé en 1962. Michel Barnier vient d’être limogé par les parlementaires et le président Macron ne dispose d’aucun mécanisme pour « punir » les parlementaires. On assiste ainsi à un retour évident à la haineuse querelle entre partis. Stériliser le régime politique de la Ve République et jeter le sort du pays – de la Ve République et du président Macron – dans l’inconnu.
Car un retour à la Quatrième République est devenu impossible et la mise en place d’une Sixième, fondée sur des réformes politiques, semble également improbable. Si bien que 1958 et 1962 sont désormais devenues anachroniques et que 2024 a gagné le titre de annus horibiblis Français. Ou plutôt l’année où l’accumulation des crises a atteint la limite du supportable. Car les crises sont multiples et variées. Pour ne s'intéresser qu'aux plus décisives, en y regardant de très près, on peut positionner le curseur sur cette décision fatidique de dissoudre le Parlement dans la nuit du 9 juin 2024 après la victoire écrasante du parti de Marine Le Pen aux élections des députés aux élections européennes. Union à Bruxelles.
Plus loin, le 2 décembre 2020, le 26 septembre 2019 et le 8 janvier 1996 – dates respectives de décès des présidents Vallery Giscard d'Estaing, Jacques Chirac et François Mitterrand – ont enterré les derniers présidents français capables de porter le fardeau de Les successeurs du général De Gaulle. Et si l'on regarde en arrière, la Ve République a peut-être commencé à se terminer avec la démission du général en ce terrible 28 avril 1969.
En remontant au début et en recomposant sereinement six mois, jour après jour, de cette décision fatidique du 9 juin 2024, personne n'a pleinement compris les motivations du président Macron pour dissoudre le Parlement. Les élections étaient européennes. Le parti de Marine Le Pen - et ses homologues radicaux et extrémistes en Europe et dans le monde - a étendu sa portée de manière profonde et structurelle depuis la crise financière de 2008. À tel point qu'il a atteint le second tour des élections présidentielles françaises en 2017. 2022 et XNUMX – à ces deux occasions, contre Emmanuel Macron.
Il est donc devenu tacite que son ascension soit constante, impressionnante et irrésistible. Et, clairement, cela pourrait – un jour ou l’autre – conduire Marine Le Pen ou autre à la présidence en 2027 ou plus tard. Dissoudre le Parlement français sous prétexte de contenir la branche du parti de Marine Le Pen reste donc un argument intellectuellement fragile, moralement sans conséquence et politiquement irresponsable. Tout comme la thèse de clarification, mobilisée par le président Macron.
Sans être trop crue envers le noble président français, la défense de cette thèse frise le cynisme. Tout le macronisme est entré dans une crise terminale lors du premier mandat du président Macron. Après sa réélection en 2022, les dégâts de cette crise n’ont fait qu’augmenter. Ainsi, obliger les gens à « mieux réfléchir » et à « revoir » leur soutien accru au parti de Marine Le Pen est très proche de l’ignominie. Ou, pour le dire autrement, cela ressemble à une mauvaise plaisanterie avec l’intelligence des autres. A tel point que leur résultat aux législatives a rendu encore plus visible la force de Marine Le Pen.
A l'inverse, notons que ce résultat a coloré le Parlement avec la France insoumise (LFI) de Jean-Luc Mélenchou remportant 78 sièges ; le Parti communiste français (PCF), 8 ; les Écologistes (LE), 28 ; le Parti socialiste (PS), 69 ; les différents partis de gauche, 10 ; les différents partis centristes, 5 ; le Mouvement démocratique (Modem) de François Bayrou, 33 ans ; Ensemble – réunissant Renaissance et autres alliés du président Macron – 99 ; les Horizons de l'ancien Premier ministre Édouard Phillipe de la présidence Macron, 26 ans ; l'Union Démocratique et Indépendante, 3 ; les Républicains (LR) de l'ancien président Nicolas Sarkozy, 39 ans ; divers partis de droite, 26 ; le syndicat LR-RN – alliance entre Éric Ciotti et Marine Le Pen –, 17 ans ; Le RN de Marine Le Pen, 125 ; le parti d'extrême droite, à droite du RN, 1 ; et le parti régionaliste, 9.
Visant tout par les alliances, le Nouveau Front populaire (NFP), dirigé par Mélenchon, a remporté 182 sièges. La majorité présidentielle (MP) de Macron en a obtenu 168. Le Rassemblement national (RN) de Marine Le Pen et les partis LR d'Éric Ciotti en ont obtenu 143. Le groupe des Républicains en a obtenu 46. Alors que la formation indépendante de droite en a obtenu 14, celle de gauche, 13, au centre, 6. Alors que le parti régionaliste en a pris 4 et que d'autres petits groupes se sont unis, 1.
En brassant encore une fois les chiffres et en les relativisant, le RN apparaît comme le seul parti avec une hausse constante, cohérente et accélérée de l'expansion de sa représentation parlementaire au cours des vingt-cinq dernières années. Cette force politique dirigée par Le Pen n’avait remporté aucun siège en 2002 ni en 2007. Mais elle en a remporté deux en 2012, neuf en 2017, 89 en 2022 et 125 – soit, en alliance, 143 – en 2024.
L’ensemble des partis ancrés dans le groupement Ensemble en a remporté 350 après la première élection du président Macron en 2017, 249 après sa réélection en 2022, et est tombé à 156 – ou 168 – sièges en 2024. Alors que le groupement de Mélenchon – qui comprend aussi, contre la volonté de tous, des fractions du PS – variait de 162 en 2002 à 205 en 2007, 307 suite à l’élection du président François Hollande en 2012 à 58 en 2017, 131 en 2022 et 178 – soit 182 – en 2024.
Il semble plus que clair que ces chiffres ne sont pas des chiffres. Rien qu’en regardant la réalité de 2024, après la dissolution et la recomposition du Parlement, il y a 143 sièges en faveur de Le Pen, 168 pour Macron et 182 pour Mélenchon. Constituant trois forces parlementaires informes et dissonantes. Comme on n’en a jamais vu sous la Ve République.
Eh bien, pour en revenir à son essence, la Ve République présuppose une gouvernabilité à travers une majorité parlementaire. Peu importe.
Le général De Gaulle et tous ses successeurs – à l'exception du président Jacques Chirac, en 1997 – ont proposé la dissolution du Parlement comme mécanisme permettant d'affirmer cette majorité. Et ils ont réussi.
Le président Macron pourrait même avoir l’intuition et continuer d’imaginer que cela serait possible en juin 2024. Mais aucune donnée réelle ne corrobore sa thèse.
Ainsi, sans boiter en ce qui concerne la rencontre du distingué président français friand de sauts avec le président Lula da Silva en Amazonie, sa dissolution intempestive du Parlement était, en effet, un acte imprudent et dénué de peu ou pas de calcul politique enduit de ressortissant français. intérêt.
D'où la perplexité face à l'inconnu. Car dans ce scénario, tout Premier ministre a tendance à passer par un Parlement hostile. Lequel ne pourra être à nouveau dissous qu’en juin 2025. Trop tard pour un régime politique qui, franchement, boite.
Et ça boite parce que, en fait, « personne n’a gagné » les élections législatives. En d’autres termes, aucun parti n’a remporté un nombre de sièges suffisant pour prétendre à la majorité. Le nombre minimum serait de 289 sièges. Quand personne ne s’est approché, le chaos s’est ensuivi. Car le groupe de Mélenchon en a obtenu 182 et s'estime majoritaire. L’entourage de Marine Le Pen avec ses 143 se sent aussi responsabilisé. Et les 168 députés fidèles au président savent qu’ils n’ont rien à célébrer.
Dans cet environnement, le simple choix d’un Premier ministre est devenu un risque pour le régime. Le président Macron a choisi Michel Barnier en le sachant.
Michel Barnier est considéré comme une personnalité politique française expérimentée. Parmi les divers services fournis, le plus récent, le plus complexe et le plus pertinent a été la négociation du Brexit. Il a démontré ses qualités de porteur de nerfs d'acier, de patience chinoise et de sagesse de Rio. Il est donc entré dans le radar du président Macron pour Matignon. Mais pour accéder à ce poste, il lui faudra nouer des alliances. Essentiellement avec Mélenchon et fondamentalement avec Marine Le Pen.
Pour le premier, la réponse a été « non ». Avec le second, nous avons parlé. Et de cette conversation est née la perspective d'intégrer les 143 sièges du RN avec les 168 du RN. Ensemble comme front parlementaire pour faire adopter des projets essentiels. Le budget étant le plus important. Au prix moral, sincèrement, incroyablement impardonnable, de la naturalisation de Marine Le Pen et de son RN dans le paysage politique français.
Tout semblait bien. Vraiment bien. Malgré les bosses de Mélenchon. Jusqu'à ce que la justice française engage une procédure visant à rendre Marine Le Pen politiquement non viable. La dénonçant de crimes politiques – « emplois fictifs » – au Parlement européen.
Michel Barnier avait prêté serment comme Premier ministre en septembre 2024 et cette offensive judiciaire contre Marine Le Pen a débuté en octobre. Alors que pendant deux ou trois semaines, on n'a parlé que de la possibilité que les principaux dirigeants de la principale force politique du pays risquent d'être exclus de la compétition électorale française.
Ce malaise provoquait partout un inconfort physique et spirituel. Notamment sur Marine Le Pen, son parti et ses électeurs.
Parallèlement, Michel Barnier a commencé à présenter le budget qui sera voté par le Parlement. Une opération complexe, résultant de la détérioration structurelle des finances publiques du pays.
La situation fiscale française est gravement déficiente depuis quarante ou cinquante ans. L’après pandémie et le «quoi qu'il en coûte« [Quoi qu’il en coûte] du président Macron n’a fait que rendre la situation plus difficile. Avec le déclenchement de la nouvelle phase de tension russo-ukrainienne et son impact direct sur l’approvisionnement énergétique, ce qui était un défi a pris un air de désespoir. Face à la situation israélo-palestinienne, le désespoir devient insupportable. Et comme si rien de tout cela ne suffisait, l’attente du retour de Donald J. Trump à la Maison Blanche a transformé le cauchemar en chaos. Le projet budgétaire de Michel Barnier était donc irréalisable et impossible à approuver.
Sans entrer dans les détails techniques, compte tenu de tous ces vecteurs, le projet proposait simplement une augmentation de près de 40 milliards d'euros d'impôts pour les contribuables français.
Chez les Français, on le sait, tout : sauf la revalorisation fiscale. Notamment après 2008, la crise de l’euro, le Brexit, les Gilets jaunes et la pandémie.
En tout cas, il fallait essayer. Et essayez par la voie législative. En ce sens, du côté de Mélenchon, le soutien – quelle que soit la proposition – serait nul, et il l'a été. Tandis que le soutien de Marine Le Pen à un projet de ce type serait une trahison de ses 11 millions d'électeurs. Car ces deux forces parlementaires – le NFP et le RN, menés par Mélenchon et Marine Le Pen – ont bloqué la proposition.
Face à cela, le Premier ministre a utilisé l'article 49, paragraphe 3, de la Constitution pour l'adopter sans l'approbation du Parlement. Devant la gravité de la manœuvre, Mélenchon a formalisé une proposition de censure. Ce qui a été immédiatement accepté par Marine Le Pen et plusieurs parlementaires d'autres partis. Débouchant sur 331 votes de censure contre Michel Barnier le 04 décembre.
Alors qu’il était Premier ministre sous le président Macron, Michel Barnier a été jeté à la nature. Tout le monde le savait. Mais maintenant, avec un air historique. Pas seulement parce qu’il s’agissait du premier licenciement après 1962 et du deuxième au sein de la Ve République française. Mais parce que, au fond, l’événement suggère des temps nouveaux. Temps de tempêtes. Où la stabilité est devenue volatile. Et personne ne semble savoir quoi faire.
Il suffit de regarder le cas français, lorsque Nicolas Sarkozy est devenu président de la République en 2007, intelligentsia La France, l’Europe et le reste du monde ont commencé à signaler qu’un monde intégré de manière ombilicale aux difficultés du XXe siècle commençait à disparaître. Nicolas Sarkozy a été le premier président de la Ve République né après 1945 et donc dépourvu de l'image du tragique sur ses rétines.
Mais avant cela, la situation n’allait pas bien. En 2005, le « non » français à la Constitution européenne, sous la présidence de Jacques Chirac, est un coup dur. En 1992, l’adhésion des Français au système de Maastricht fut un autre moment embarrassant. 1981, le « non » français à la réélection du président Valéry Giscard d'Estaing reste lui aussi complexe. Parce que le différend Giscard versus Mitterrand a produit deux récits qui méritent d’être médités.
Giscard a proposé que Mitterrand était un « homme du passé » tandis que Mitterrand a proposé que Giscard était un « homme du passif ».
En observant calmement, ce « passif » faisait référence aux problèmes fiscaux, à l’augmentation du chômage, à la pression fiscale, etc. Tous les problèmes persistaient avant 1981. Pour ne pas dire beaucoup plus tôt. Depuis au moins la fin des Trente Glorieuses, qui se sont effectivement terminées en mai 1968.
Mai 1968 et octobre 1962 jettent le discrédit sur l’autorité du fondateur de la Ve République. La première fois, en 1962, le général réussit à endurer et à vaincre. Pas à partir du deuxième, en 1968. En conséquence, il démissionnera onze mois plus tard sans laisser de successeur.
Et pour des raisons profondes qu'on comprend en méditant attentivement les conceptions du général De Gaulle rapportées dans ce fabuleux C'était de Gaulle d'Alain Peyrefitte (Paris : Fayard, 1994).
Sous tous ses aspects, la Ve République a été créée sous la méditation du général. Essentiellement en comprenant que l’exercice de la présidence doit être avant tout un fait rhétorique et un fait moral. Où le grandeur La grandeur de la France, influencée par son histoire et sa culture, servirait d'objectif et d'obsession. Et la distinction de son leader maximum amènerait le pays au-dessus des arrangements de l’État, de la loi et des partis.
Le président Mitterrand – le seul président français à avoir exercé quatorze ans de présidence ininterrompue sous la Ve République – a poussé ces préceptes jusqu’à leurs conséquences ultimes. La « quasi » imposition de Maastricht est la marque la plus évidente de cette perspective structurelle et structurante.
Le président Chirac, à son tour, a tout tenté – et réussi – pour suivre la voie du général. Le « non » français à l’invasion de l’Irak en est le meilleur exemple.
Le président Macron est arrivé au pouvoir en 2017 en ignorant De Gaulle, Mitterrand et Chirac et en voulant être Jupiter, la plus grande planète du système solaire. Mais aujourd’hui, pour des raisons obscures, après la dissolution de juin et la motion de censure de décembre, il risque fort de finir comme Icare : naviguer dans l’inconnu jusqu’à être définitivement déchiré par son mélange d’arrogance et d’illusion.
*Daniel Afonso da Silva Professeur d'Histoire à l'Université Fédérale de Grande Dourados. auteur de Bien au-delà de Blue Eyes et d'autres écrits sur les relations internationales contemporaines (APGIQ) [https://amzn.to/3ZJcVdk]
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