Le grand décrochage historique et la fin de la société industrielle

Image: Lucio Fontana
whatsApp
Facebook
Twitter
Instagram
Telegram

Par LUIS FERNANDO VITAGLIANO*

Commentaire sur le livre récemment publié de Marcio Pochmann

De nombreux économistes préfèrent regarder les chiffres plutôt que de regarder l'histoire. Ces économistes et leurs choix pour les mathématiques ont un avantage indéniable : ils sont dans le domaine de la précision. Un PIB faible ou une inflation élevée ne change pas dans l'interprétation temporelle, il le restera inexorablement. L'évolution de variables telles que le taux d'intérêt, le taux de change et les salaires a des conséquences calculables et des mécanismes de contagion identifiables par des modèles.

Les économistes qui choisissent de se pencher sur l'histoire pour développer leurs analyses ne disposent peut-être pas des excellents outils de régression et de contrôle des indicateurs ; mais ils ont un autre avantage qu'un économètre n'aura jamais : ils peuvent réfléchir et évaluer le passé, par la capacité de tisser des relations, proposer le futur comme un futur, discuter des avancées et des reculs civilisateurs. Pour ce second profil professionnel, les chiffres ne sont qu'un moyen (secondaire aux mouvements historiques et aux décisions politiques) d'appréhender la construction nationale.

Marcio Pochmann, qui correspondrait évidemment au second profil d'un chercheur dans le domaine économique, se tourne vers le passé récent pour réfléchir aux prochaines étapes de l'avenir. Il serait redondant de dire qu'il traite de la question nationale, au sens précis du terme : de la direction d'une nation qui a la taille et la capacité de la souveraineté.

Élu par l'indice scientifique Alper-Doger (AD-2022) comme le 4e économiste brésilien le plus important et le 11e latino-américain, Pochmann vient de sortir son 62ème livre : La grille historique des décrocheurs et la fin de la société industrielle. Ouvrage qui circule de manière essayistique à travers des moments historiques antérieurs, pour se focaliser sur la Nouvelle République comme période centrale de ses interrogations civilisatrices. La question qui agite le lecteur est de savoir si nous aurons ou non un espace politique de construction nationale qui nécessite certaines conditions ?

Déjà dans l'introduction de l'ouvrage, Pochmann soutient que cette bourgeoisie nationale qui s'est constituée avec un projet de développement national, a insisté sur un pays industriel, urbain, moderne et développé était exceptionnelle au sens d'exception historique. Et même celle-ci, qui s'opposait au profil oligarchique de la bourgeoisie associée et dépendante, a renoncé. Finalement, cette bourgeoisie, ou cette fraction de la bourgeoisie, finit par être submergée par la fatigue de ce pays d'avenir, souverain et aux indices de développement, et accepte la position léguée par le néolibéralisme et ses cliques nationales dans la position subalterne que l'autre partie de l'élite a supplié et a prévalu.

Ce qui rend le débat instigateur, c'est le rôle de l'État mis en cause dans l'essai. Quelle nation proposons-nous d'avoir pose la question de savoir quel État est nécessaire ? Au sein d'une élite subordonnée et dépendante du capital international, averse au risque d'une entreprise capitaliste hautement compétitive, domine la perspective d'un État néolibéral et oligopolistique – qui sécurise le capital international tout en défendant les intérêts locaux de l'aversion à la concurrence.

Nous savons que pour établir un État bourgeois, il faut agir contre l'intuition. Il n'y a pas de place pour un État libéral pour un État bourgeois. C'est là que les économistes économétriques se trompent et que les économistes historiques ont plus d'instruments : tout regard sur le développement des pays développés constate que l'État est fortement intervenant et agit dans la construction du développement. Nous le connaissons de Rostow à Myrdall, de McNamara à Mandel, de Dani Rodrick ou Stiglitz à Joo Chang. Par conséquent, pour que le Brésil puisse développer son projet de développement national, il aurait besoin d'un État fort, actif et modernisateur. Le problème n'est pas économique, mais politique. Car si une partie de l'élite ne le voulait pas, ou si le résultat des forces politiques de l'élite était le retrait de l'investissement dans un État qui pourrait aider à la construction de l'État industriel, sans une classe ouvrière qui entend les relations capitalistes, cela pas arriver.

Sans vouloir faire une lecture mécaniste des périodes explorées par Pochmann, mais bénéficiant d'une stratégie de condensation pour exprimer des questions contextualisées dans l'ouvrage, on peut supposer qu'une relation intéressante s'établit entre le capitalisme comme mode de production international, la version du capitalisme qui s'insère dans la division internationale du travail et de l'État nécessaire ou résultant des contradictions de la structure matérielle de production. Autrement dit, dans les conditions provoquées par la division internationale du travail, accompagnée par le capitalisme national et ses corrélations endogènes, configure par extension une figure d'État presque en fonction des besoins matériels du capital international et national et des forces politiques.

Il y a trois moments utilisés et comparés dans le livre; ayant pour objectif la République: (a) La Première République, avec l'État gendarme libéral, agraire, exportateur et toujours avec un lien fort avec l'esclavage lié à la division internationale du travail, où le Brésil se place dans la position d'un agraire- exporter la monoculture et de cela le résultat est un état libéral qui respecte et renforce les oligarchies ; (b) La période ultérieure d'industrialisation qui va de Getúlio Vargas au régime militaire, où les forces d'industrialisation trouvent, tant dans l'environnement international que dans le projet national, un espace pour agir dans le processus de repositionnement brésilien dans la division internationale de le travail, réclamant un Etat industriel ; (c) Et la période de la Nouvelle République, où le néolibéralisme a de nouveau attaqué la constitution de 1988 pour ramener le Brésil à l'état de subordination qui avait été précédemment établi, et la version néolibérale d'un État faible et subordonné a provoqué le retrait d'une partie de la société civile. société contre les combats d'un État industriel.

Si l'histoire se répète, ou si l'histoire est cyclique, ce sont des subjectivités qui n'interfèrent pas avec le fait qu'il y a eu un retrait historique du Brésil de se consolider comme non souverain et autonome face à la division internationale du travail.

En tant que personne qui veut discuter de l'avenir, la question de Cazuza convient : de quel pays s'agit-il ? Mais il vaudrait mieux se demander quel pays voulons-nous que ce soit ? Pour cette deuxième question, la réponse passe nécessairement par l'État nécessaire qui va gérer les politiques publiques qui vont guider le projet. Reste l'attente (ou l'espoir) d'une élite qui discute des orientations nationales et redéfinit l'Etat nécessaire, à l'image des USA de l'indépendance qui ont établi leur pacte pour la souveraineté des colonies dans l'union. Et, en l'absence de cette élite, ce sont les classes populaires qui doivent assumer la mission de sensibilisation à la question du développement et des politiques publiques, comme elles le faisaient dans la vieille Europe du XIXe siècle. Dans l'abandon de personnages historiques collectifs décisifs (ou dans l'insuffisance de ces acteurs), l'histoire brésilienne s'est répétée entre subordination libérale et subordination néolibérale aux intérêts des grands groupes internationaux.

*Luis Fernando Vitagliano politologue et professeur d'université.

 

Référence


Marcio Pochman. Le grand décrochage historique et la fin de la société industrielle. São Paulo, Ideias & Letras, 2022, 152 pages.

 

Note


[1] L'index scientifique Alper-Doger (AD-2022) est disponible sur https://maisbrasil.news/2022/03/14/ranking-dos-100-economistas-da-america-latina-traz-50-brasileiros-e-bresser-pereira-e-o-primeiro-da-lista/

Voir ce lien pour tous les articles

10 LES PLUS LUS AU COURS DES 7 DERNIERS JOURS

__________________
  • Abner Landimlaver 03/12/2024 Par RUBENS RUSSOMANNO RICCIARDI : Plaintes à un digne violon solo, injustement licencié de l'Orchestre Philharmonique de Goiás
  • Le mythe du développement économique – 50 ans aprèsledapaulani 03/12/2024 Par LEDA PAULANI : Introduction à la nouvelle édition du livre « Le mythe du développement économique », de Celso Furtado
  • La troisième guerre mondialemissile d'attaque 26/11/2024 Par RUBEN BAUER NAVEIRA : La Russie ripostera contre l'utilisation de missiles sophistiqués de l'OTAN contre son territoire, et les Américains n'en doutent pas
  • Les chemins du bolsonarismeciel 28/11/2024 Par RONALDO TAMBERLINI PAGOTTO : Le rôle du pouvoir judiciaire vide les rues. La force de l’extrême droite bénéficie d’un soutien international, de ressources abondantes et de canaux de communication à fort impact.
  • Ce n'est pas l'économie, stupidePaulo Capel Narvai 30/11/2024 Par PAULO CAPEL NARVAI : Dans cette « fête au couteau » consistant à couper de plus en plus et plus profondément, quelque chose comme 100 ou 150 milliards de R$ ne suffirait pas. Ce ne serait pas suffisant, car le marché n'est jamais suffisant
  • Qui est et qui peut être noir ?pexels-vladbagacian-1228396 01/12/2024 Par COLETIVO NEGRO DIALÉTICA CALIBÃ: Commentaires concernant la notion de reconnaissance à l'USP.
  • N'y a-t-il pas d'alternative ?les lampes 23/06/2023 Par PEDRO PAULO ZAHLUTH BASTOS: Austérité, politique et idéologie du nouveau cadre budgétaire
  • L’avenir de la crise climatiqueMichel Lowy 02/12/2024 Par MICHAEL LÖWY : Allons-nous vers le septième cercle de l’enfer ?
  • Les spectres de la philosophie russeCulture Burlarki 23/11/2024 Par ARI MARCELO SOLON : Considérations sur le livre « Alexandre Kojève et les spectres de la philosophie russe », de Trevor Wilson
  • Le paquet fiscalpaquet fiscal lumières colorées 02/12/2024 Par PEDRO MATTOS : Le gouvernement recule, mais ne livre pas l'essentiel et tend un piège à l'opposition

CHERCHER

Recherche

SUJETS

NOUVELLES PUBLICATIONS