La leçon de français

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Par ANDRÉ KAYSEL

Il n’y a pas de moyen de vaincre l’extrême droite sans la gauche

Le 7 juillet, les Français se sont rendus aux urnes pour le deuxième tour des élections législatives anticipées, convoquées par le président Emmanuel Macron un peu moins d'un mois plus tôt. Au premier tour, qui a eu lieu une semaine plus tôt (30 juin), le parti d'extrême droite Reunião Nacional (RN) a obtenu le plus grand nombre de voix (environ 33 %), suivi par la coalition de gauche Nova Frente Popular (NFP). (28 %), avec la coalition centriste officialiste « Juntos » en troisième position (20 %).

Au vu de ces résultats, et à l'approche du 2e tour, la plupart des sondages et analyses politiques convergent pour souligner que, même s'il n'obtiendrait probablement pas la majorité absolue, le groupe dirigé par Marine Le Pen en serait très proche, pouvoir compter sur le soutien de la liste traditionnelle de droite, les « Républicains » arrivée en quatrième position, pour former un gouvernement et nommer le nouveau premier ministre, probablement le jeune Jordan Bardella.

A la surprise générale, dimanche dernier, le Nouveau Front populaire, composé de la Ligue des Frances insoumises (LFI), de Jean-Luc Mélenchon, du Parti socialiste, des communistes et des Verts, est arrivé en première position, même si loin d'être l'absolu. majoritaires (182 sièges), les partisans d'Emmanuel Macron ont fait un net redressement, prenant la deuxième place (168 sièges) et l'extrême droite a fini à la troisième place (avec 143 sièges), sur un total de 577 que compte l'Assemblée nationale française.

Ce résultat inattendu est le résultat d'un effort impressionnant de coordination et de mobilisation électorale, au cours duquel les candidats de gauche ou du centre ayant moins de chances de gagner ont pour la plupart renoncé aux conflits de circonscription, afin que ceux qui avaient plus de chances puissent bloquer l'élection des représentants à l'Assemblée nationale. Par ailleurs, l'élection a été marquée, aux deux tours, par une forte mobilisation électorale, avec respectivement environ 66% et 67% de participation, les plus élevés enregistrés pour les élections législatives au cours des quatre dernières décennies.

Aujourd'hui, le délicat dilemme de la composition d'une coalition gouvernementale se pose dans un parlement où aucun des trois principaux blocs ne dispose de la majorité absolue (289 députés), impliquant des interlocuteurs de gauche et de centre/centre-droit, qui jusqu'à la veille étaient fortement affronté dans les contestations qui ont marqué la politique française sous la présidence d’Emmanuel Macron.

En ce sens, se démarque la ligne éditoriale qui a prévalu dans les médias hégémoniques, en France et à l'étranger, qui cherche à désigner comme principal obstacle à la formation d'un futur cabinet « républicain » LFI et son leader Mélenchon, stigmatisé comme des « extrémistes », souvent traités comme presque équivalents, voire équivalents, à l'extrême droite du Rassemblement National et de Marine Le Pen.

Cette argumentation, que l’on pourrait qualifier d’« extrême-centre », n’est pas nouvelle et a marqué le débat public français et européen ces dernières années. Selon les défenseurs de cette thèse, dont le principal représentant politique est justement l'actuel locataire de l'Élysée, il faudrait éviter les « deux extrêmes », droite et gauche, tous deux stigmatisés comme « autoritaires », « antidémocratiques ». , « obsolète », etc.

Ces derniers mois, marqués au niveau international par l'escalade des conflits en Ukraine et en Palestine, cette balance a même penché en faveur de l'extrême droite, qui a augmenté le ton de son soutien à Israël, tandis que la soi-disant « gauche radicale » est stigmatisé comme « antisémite », simplement pour avoir fait preuve de solidarité avec la cause de l’autodétermination palestinienne et dénoncé ce qui se passe dans la bande de Gaza comme un génocide.

Plus généralement, les partisans de « l'extrême centre » postulent que la seule barrière efficace contre la marée montante de l'extrême droite, en France et dans le monde, serait l'adoption d'une politique centriste et modérée, combinant mesures économiques libres-marchés. avec la défense de politiques « multiculturelles » qui reconnaissent les différences, dans cette formation discursive que la théoricienne politique Nancy Fraser a qualifiée de « néolibéralisme progressiste ».

Dans ce cadre de références, largement hégémonique dans les grands médias corporatifs, en plus d'être très fort dans les milieux académiques, le rôle de la gauche serait, au mieux, celui d'un acolyte du « centre », devant mettre de côté ses des préférences pour des politiques économiques interventionnistes et égalitaires, qui « effrayeraient les marchés », au nom d’une grande convergence autour de la « modération ». Bref, dans le « piège centriste », prétendument imposé par la montée inexorable de l’extrême droite, la gauche devrait se résigner à disparaître de l’échiquier politique, tout au plus se charger de défendre les politiques de « reconnaissance ».

Or, le message que l'électorat français vient de donner aux urnes va précisément dans le sens inverse : mécontent de l'autoritarisme technocratique d'Emmanuel Macron, qui a imposé une réforme des retraites franchement impopulaire, a davantage soutenu les forces de gauche que le centre comme parti préféré. antidote pour bloquer le Rassemblement National, qui, il convient de le rappeler, a encore connu une croissance importante, se consolidant comme la principale force de parti isolée du pays.

Les raisons de la préférence pour le Nouveau Front Populaire se trouvent dans son programme, qui comprend des mesures qui intègrent directement les préoccupations très concrètes d'une grande partie de la population active française, comme l'augmentation du salaire minimum ou le gel de certains prix de l'électricité. nécessités de base, sans parler de l'abrogation de la réforme des retraites. En ce sens, la prédication des faiseurs d’opinion de « l’extrême centre » selon laquelle ce programme conduirait au « chaos économique », comme l’a dit Emmanuel Macron lui-même pendant la campagne, n’a pour effet que d’accroître le soutien populaire à l’extrême droite et la stigmatisation de l’extrême droite. les immigrés comme bouc émissaire, alors que l’électorat populaire français rejette massivement les mesures d’austérité.

Il convient également de se demander ce qu’il y a de si « radical » ou « extrême » dans les positions de Jean-Luc Mélenchon et de LFI : surtaxer les grandes fortunes ? Renforcer les services publics de protection sociale ? Être contre l’OTAN ou favorable à la formation d’un État palestinien ? Tous ces axes – justice distributive, valorisation du public et défense de l’autodétermination des peuples – étaient des éléments clés de la plupart, sinon de la totalité, des programmes de gauche, radicaux ou modérés, des cent dernières années, avec des accents différents au Nord. et dans les pays du Sud.

Les traiter comme l’équivalent d’un programme qui prêche ouvertement la déportation massive des réfugiés et le refus de la pleine citoyenneté aux personnes non blanches est une véritable absurdité pour quiconque se dit « démocrate » ou même « républicain ». Autrement dit, les héritiers de Léon Blum et du Front populaire des années 1930 et ceux du maréchal Pétain et du collaborationnisme de Vichy sont traités sur un pied d'égalité.

Cette logique des « deux extrêmes » semble assez familière aux oreilles brésiliennes. Après tout, combien de fois au cours du gouvernement de Jair Bolsonaro (2019-2022) des voix ont-elles été entendues traitant d'« extrême » le leadership de Lula, dont la modération et la propension à la conciliation sont plus que proverbiales, et du président d'extrême droite de l'époque ?

L'année dernière, lorsque l'actuel président a nommé Márcio Pochmann, un économiste de gauche au solide parcours universitaire, à la direction de l'Institut brésilien de géographie et de statistique (IBGE), une série de représentants des principaux médias brésiliens ont comparé cette nomination à celui du général Eduardo Pazuelo au ministère de la Santé du gouvernement précédent, suggérant que tous deux seraient des « négationnistes », qu'il s'agisse des « lois » de l'économie ou de la médecine.

Enfin, ces dernières semaines, nous avons vu comment une attaque spéculative contre la monnaie nationale a été attribuée, presque à l'unisson par les commentateurs économiques et politiques, aux déclarations soi-disant « incendiaires » de Lula, qui se limitait à défendre les dépenses sociales et à critiquer le président du Parlement. La Banque centrale, Roberto Campos Neto, pour avoir ouvertement fait de la politique avec l'opposition, en posant en public avec l'actuel gouverneur de São Paulo et probable candidat au bolsonarisme en 2026, Tarcísio de Freitas.

Même si les positions prises par Lula et le Parti des Travailleurs (PT), dans le contexte brésilien, sont bien plus modérées que celles de Jean-Luc Mélenchon et de LFI, dans le contexte français, le message des défenseurs de « l'extrême "Centre" des deux côtés de l'Atlantique est la même : la condition de l'engagement à empêcher la montée de l'extrême droite, appelez-la Marine Le Pen ou Jair Bolsonaro, est le retrait complet de toute prétention de la gauche à mettre en œuvre la sienne. programme, laissant intacts les piliers de l’austérité budgétaire et de l’accumulation du capital rentier.

Le résultat, comme le souligne l'économiste italienne Clara Matei, dans son approche des politiques d'austérité à la suite de la crise capitaliste de 2008, est de continuer à alimenter les sources de mécontentement populaire dont se nourrissent les dirigeants et les groupes d'extrême droite, en les stigmatisant comme boucs émissaires, qu'ils soient ou non. les immigrants dans le Nord ou les groupes raciaux ou de genre subalternisés dans le Sud.

Voici la grande leçon des dernières élections françaises, qu'il serait très utile d'apprendre sur les terres brésiliennes : il n'y aura aucun moyen de vaincre l'extrême droite sans accepter les forces de gauche et leurs plateformes programmatiques comme interlocuteurs, tant sur le plan politique et dans le débat public. Nous pouvons être fiers d’une longue tradition de défense des majorités sociales, sans lesquelles la démocratie n’a que peu ou pas de sens.

Nos interlocuteurs libéraux, qui n'ont pas besoin d'être d'accord avec nous, pourraient au moins, s'ils ont un réel intérêt à bloquer les héritiers de Vichy ou de « l'opération Condor », nous écouter et engager sérieusement un débat franc sur la complexité du problème. problèmes aigus de l'époque contemporaine.

André Kaysel est professeur au Département de sciences politiques de l'Université d'État de Campinas (Unicamp). Auteur, entre autres livres, de Entre la nation et la révolution (Alameda) [https://amzn.to/4bBbu4P]


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