la folie du travail

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Par ANDRÉ MARCIO NEVES SOARES*

Commentaire du livre par Christophe Dejours

La psychopathologie du travail, si bien présentée par Christophe Dejours, bien que n'étant pas nouvelle, a été très méconnue des chercheurs dans le contexte historique. Ce n'est pas pour moins. Après tout, dans les dernières décennies de prédominance hégémonique du grand capital financier international, parler de la santé des travailleurs peut sembler pour le moins excentrique. En ce sens, prendre conscience du sous-développement de ce phénomène historique d'approfondissement de la compréhension du mouvement ouvrier et de ses corrélations de forces inter et intra-classes, c'est balayer sous le tapis les particularités qui ont guidé, et guident encore, la maladie continue des travailleurs en la modernité.

En ce sens, pour Christophe Dejous, l'histoire de la santé des ouvriers est liée à l'évolution des conditions de vie et de travail qu'ils sont parvenus à réaliser à travers les luttes ouvrières au fil du temps. En effet, si par le passé le combat pour la santé signifiait le combat pour la survie, la « crise de civilisation » actuelle dépasse la simple question de la vie elle-même pour atteindre le contexte de la souffrance psychique. Au XXIe siècle, il ne suffit plus de prêter attention à la durée excessive et précaire du travail, mais aussi à l'organisation du travail aliéné actuel dans une société de consommation fétichiste.

Les mutations capitalistes du 30ème siècle et du début de ce siècle ont fortement impacté le monde du travail. Après 200 (trente) années dorées de capitalisme d'après-guerre, la nouvelle phase libérale a laissé des traces indélébiles dans la réduction de la qualité de vie des travailleurs. La nouvelle division internationale du travail, avec la réduction respective du prolétariat industriel, a reconfiguré la société établie au cours des 2000 dernières années, où le travail fixe dans un lieu prédéterminé, et la vie résultant de cette prémisse, se défait rapidement (POLANYI , XNUMX) .

Au Brésil, en particulier pendant la dictature militaire entre 1964-1985, une période qui a mis en évidence les deux périodes du capitalisme d'après-guerre et sa chute au nouveau capitalisme libéral, ou néolibéralisme, l'industrialisation dépendante a renforcé la surexploitation du travail, avec des bas salaires , augmentation du temps de travail, désorganisation du mouvement ouvrier et syndical et restructuration productive. En ce sens, le nouveau système néolibéral, héritier du fordisme, articule un nouveau processus d'accumulation primitive du capital CASTEL (1995).

Pour Antunes et Praun (2015, p. ), la mise en place de programmes, systèmes de qualité totale juste-à-temps e kanban, en plus de l'introduction de gains salariaux liés à la rentabilité et à la productivité (dont le programme d'intéressement - PLR est un exemple), dans le cadre d'une pragmatique fortement adaptée aux conceptions néolibérales, a permis l'intensification de l'expansion des restructurations productives, ayant comme conséquences la flexibilisation, l'informalité et la profonde précarité des conditions de travail et de vie de la classe ouvrière brésilienne.

Les effets de cette restructuration productive se manifestent dans l'augmentation du taux d'accidents du travail, avec l'augmentation conséquente des décès de travailleurs. De plus, le lien entre la détérioration du travail et les accidents sans décès/maladies est devenu de plus en plus évident dans les recherches de plus en plus nombreuses menées (MPT, 2017).

Outre les discussions idéologiques, certains facteurs sont étroitement liés à l'augmentation des accidents du travail et des maladies. Ainsi, la flexibilité du travail, raccourcissant les frontières entre vie privée et vie publique des individus ; individualisation et solitude au travail; les objectifs de moins en moins tangibles ; les différents types de harcèlement comme forme d'exploitation du travailleur; et l'externalisation des services sans véritable encadrement par les pouvoirs publics, sont les portes d'entrée de l'augmentation des statistiques négatives sur la santé des travailleurs (idem, 2017).

Comme si ces facteurs de risque, évoqués plus haut, ne suffisaient pas, qui sont directement responsables de plus de 6,3 2018 décès dus aux accidents du travail par jour, selon l'Organisation internationale du travail (OIT, 61), plus de 2 % de la population en emploi dans le monde – XNUMX milliards de personnes – est dans l'économie informelle.

Toujours selon l'OIT (2018), le (manque d') éducation est le principal facteur de cette forte informalité car, selon elle (OIT), plus le niveau d'éducation est élevé, plus le niveau d'informalité est faible. Et l'étude de l'OIT ajoute que : « Les personnes qui ont terminé l'enseignement secondaire et supérieur sont moins susceptibles d'être sur le marché informel par rapport aux travailleurs qui n'ont pas été scolarisés ou qui n'ont terminé que l'enseignement primaire.

Au Brésil, selon le Conseil fédéral de médecine - CFM - il y a une très grande sous-déclaration des maladies causées par le travail, avec moins de 2% des maladies et moins de 1% des décès déclarés, alors que la plus haute entité mondiale, l'OIT, établit que les maladies causées par le travail représentent 86 %, en moyenne (CFM, 2018).

Selon Christophe Dejours : « L'organisation du travail exerce une action spécifique sur l'homme, dont l'impact est l'appareil psychique. Sous certaines conditions surgissent des souffrances imputables au choc entre une histoire individuelle, porteuse de projets, d'espoirs et de désirs, et une organisation du travail qui les ignore.

Bien que le déclin actuel de la modernité (beaucoup parlent déjà de post-modernité, ce qui n'est pas la compréhension de ce scribe, ni l'objet d'étude de cet ouvrage) ne présente pas beaucoup d'horizons favorables pour le monde du travail, il faut essayer faire une courte promenade à travers l'histoire politique-économique-sociale récente du monde et, en particulier, le Brésil, en postulant une meilleure compréhension de la déviation historique que le capitalisme a prise, après avoir passé plusieurs décennies d'aubaine, de bien-être social et de croissance économique, même si la périphérie du système, c'est-à-dire les pays en développement et/ou sous-développés, ont pris la plus petite part du gâteau, bien qu'ils abritent la majorité de la population mondiale.

Ainsi, il est fondamental de comprendre comment la politique de l'État a été cooptée par le capital, dans toutes ses sphères d'action, y compris et surtout la sphère de la santé publique, favorisant le démantèlement des réseaux de soutien social. L'abandon de la fin de la centralisation de la vie familiale par le travail, le manque de conditions matérielles et psychologiques d'accompagnement des travailleurs et l'augmentation de la rigidité des rapports sociaux sont des facteurs importants d'effritement du tissu social d'autrefois, lorsque le travail, et sa rémunération constante, fixe et concrète donne le ton psychologique de la vie capitaliste (on ne rentrera pas ici dans le fond de la question du travail comme facteur d'aliénation humaine, travail abstrait comme travail concret) (DELGADO, 2017).

Au Brésil, face à un scénario économique défavorable depuis la dernière crise financière mondiale de 2008, au retour de la suprématie du marché, et à ses politiques de gestion publique orthodoxes, même sous le gouvernement Dilma, la hausse accélérée du chômage a été un facteur d'usure politique publique, du groupe qui détenait le pouvoir ou d'une partie de celui-ci, et maladie privée des travailleurs de moins en moins sûrs de leur emploi. Les dérèglements politiques et institutionnels depuis lors, qui ont conduit à la montée d'un nouveau courant politique en 2018, n'ont fait qu'accroître la précarité de la vie du travailleur brésilien, augmentant les taux d'accidents du travail et de maladies professionnelles (idem, 2017).

Comme le disent Antunes et Praun (2015) : « Ce n'est donc pas un hasard si l'incidence plus élevée des cas de microtraumatismes répétés/troubles musculo-squelettiques liés au travail (RSI/Dort) et de troubles mentaux se produit simultanément avec la diffusion dans l'échelle 424 Servir. Soc. Soc., Sao Paulo, n. 123, p. 407-427, juillet/sept. 2015 des processus de réorganisation du travail et de la production et, de manière articulée, l'expansion des différentes formes de travail précaire, y compris l'expansion de l'externalisation » (ANTUNES E PRAUN, 2015, p. 423-424).

Un objectif important pour aider à minimiser les dommages déjà causés par le système néolibéral encore plus radical, certains l'appellent ultralibéral, dans le monde et dans les pays périphériques, notamment au Brésil, est la psychopathologie du travail de Christophe Dejours. En effet, pour cet auteur, l'objectif principal de son étude était d'établir les relations entre l'organisation du travail et la souffrance psychique. Bien que son étude soit majoritairement eurocentrique, il est possible d'étendre son étude à la sphère globale en relation avec l'exploration du sentiment de peur et d'anxiété pour l'extraction maximale de la productivité du travailleur dans sa « relation de travail ».[I]

Ainsi, de l'âge d'or du capitalisme industriel - le XIXe siècle - à l'âge d'or du taylorisme, précisément dans la période dite des "trente glorieuses",[Ii] les habitants des bidonvilles des grandes villes représentent l'essentiel des ouvriers d'usine dans le monde et sont les principales victimes, avec leurs familles, d'un taux de morbidité élevé, car ils vivent dans une situation précaire au regard de la matérialité de la pauvreté endémique.

En ce sens, la santé mentale de ces travailleurs exposés à des conditions dégradantes d'interaction sociale a initié des stratégies défensives pour atténuer les effets de ces conditions de vie malsaines. Pour un tel désir, Christophe Dejours a identifié les réactions de ces personnes comme une "soupape de secours", à savoir, l'alcoolisme, les actes de violence antisociale, la folie sous toutes ses formes et la mort. Pour lui, la souffrance des travailleurs était liée à l'insatisfaction et à l'anxiété/peur.

Les recherches menées par l'auteur ont apporté le sentiment d'indignité de ces travailleurs pour effectuer des tâches inintéressantes, pour ne pas avoir des conditions adéquates pour les mener à bien, à la fois matérielles et émotionnelles, et même ainsi être contraints d'accomplir certaines tâches qui n'étaient pas comprises par ces derniers. travailleurs par rapport à la finalité du travail.

Ainsi, toujours selon l'auteur, le sentiment d'indignité est lié au vécu dépressif du salarié, qui se manifeste par sa fatigue, non seulement physique, mais mentale qui influe sur sa performance et sa productivité dans l'exécution des tâches qui en découlent. lui sont imposées.

En effet, ce que l'auteur a vérifié, c'est que les travailleurs ne lâchent jamais la « tension nerveuse », même là où la charge de travail est moins élevée. Ainsi, les représentations de l'ignorance par rapport au sens du travail effectué, cette finalité fragmentée d'assurer la productivité maximale du travailleur, le sentiment douloureux d'être toujours contrôlé par les supérieurs et la conviction que le lieu de travail lui-même est dangereux pour le travailleur vie, notamment des travailleurs qui participent directement au processus de production montrent, selon Dejours : "... l'ampleur de la peur qui répond, au niveau psychologique, à tous les risques qui ne sont pas maîtrisés par la prévention collective". (Idem, p. 88)

Il en résulte ce que l'auteur a appelé "l'exploitation de la souffrance", c'est-à-dire que l'exploration de ce sentiment d'/anxiété/peur conduit à l'érosion de la santé mentale des travailleurs est bénéfique pour la mise en place d'un conditionnement en faveur de la souffrance . En d'autres termes, la vie mentale de chaque travailleur individuel n'est rien d'autre qu'un intermédiaire nécessaire à la soumission du corps.

Dès lors, les exemples des téléphonistes et de l'industrie pétrochimique que Christophe Dejours a donnés pour la souffrance née respectivement de l'insatisfaction et de la peur sont essentiels pour comprendre comment fonctionne l'organisation du travail. Ces sentiments produisent une agressivité indéterminée, diffuse et manipulable pour l'exploitation du travailleur par l'organisation du travail. En effet, lorsqu'il est impossible d'échapper à cet environnement panoptique, le travailleur passe à la phase d'auto-agression, où l'agressivité se transforme en culpabilité et la frustration alimente la discipline, qui est à la base des conduites conditionnées.

Ainsi, pour Christophe Dejours : « Alors la seule issue à l'agressivité, qui est assez restreinte, c'est de travailler plus vite. Voici un fait extraordinaire, qui entraîne une augmentation de la productivité… ». (Idem, 134)

Cela dit, si d'une part Dejours comprend que l'angoisse sert de courroie de transmission au refoulement, d'autre part l'irritation et la tension nerveuse sont capables de favoriser une augmentation de la production. Ainsi, il comprend que, pour des métiers répétitifs comme celui de téléphoniste : « la souffrance psychique, loin d'être un épiphénomène, est l'instrument même de la production du travail ». (ibid., p. 134).

À ce stade, son étude précise que l'organisation du travail n'explore pas la souffrance elle-même, mais principalement les mécanismes de défense utilisés contre cette souffrance. Les signalements des téléphonistes sur le travail « robotisé », fragmenté, répétitif que l'organisation du travail fournit aux travailleurs aboutit à l'expulsion du désir de chacun. Car c'est précisément la frustration et l'agressivité de la journée de travail subie et tendue qui va entraîner une augmentation du rythme de travail.

Par ailleurs, la souffrance psychique dans l'organisation du travail est peu reconnue par le sujet lui-même. Les stratégies de défense agissent pour atténuer ces souffrances, amenant chaque travailleur à gérer ses souffrances selon les conditions objectives dont chacun dispose, comme une sorte de « soupape d'échappement », ce qui peut conduire à des cas de dépression dans le temps, de névrose et de psychose.

Pour autant, Christophe Dejours comprend que l'organisation du travail "robotisée", dangereuse, fragmentée telle qu'elle a été la note dominante depuis les beaux jours du capitalisme peut conduire à la perte d'espoir et de rêves de la part de la classe ouvrière. Ainsi, ce qu'il appelle un blocage dans la relation entre l'homme et le travail peut se produire. Ce blocage pathogène, pour lui, est lié à la manière prédatrice dont le travail atteint les besoins de la structure mentale du travailleur.

*André Marcio Neves Soares est doctorante en politiques sociales et citoyenneté à l'Université catholique de Salvador (UCSAL).

Référence


Christophe Déjours. La folie du travail : étude de la psychopathologie du travail. São Paulo, Cortez. 2017, 224p.

Bibliographie


ANTUNES, Ricardo ; PRAUN, Luci. La société de la maladie au travail. Revue des services sociaux. São Paulo, N.o. 123, pages. 407-427, 2015.

CASTEL, Robert. Les métamorphoses de la question sociale – Une chronique salariale. Pétropolis. Voix des éditeurs. 1995.

DELGADO, Mauricio Godinho. Capitalisme, travail et emploi. São Paulo. Editeur LTr. 2017.

POLANYI, Karl. La grande transformation : les origines de notre époque. Rio de Janeiro. Editeur Elsevier. 2000.

notes


[I] Dejours entend par « relation de travail » l'ensemble des liens humains créés par l'organisation du travail : relations avec la hiérarchie, avec les supérieurs, avec l'encadrement, avec les autres travailleurs – et qui sont parfois désagréables voire insupportables. (2017, pages 96)

[Ii] Phase d'après-guerre – de 1946 au début des années 1970 – qui englobe trois décennies de splendeur de l'État-providence en Europe, surtout, mais aussi de reconstruction globale du monde miné par deux guerres mondiales.

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