La mise en scène du cinéma

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Par FERNÃO PESSOA RAMOS*

Considérations sur le rôle de l'espacement des corps et des choses dans la scène

Jean Renoir d'après Jacques Rivette d'après Jacques Aumont

Le concept de « mise en scène » définit, entre autres éléments, l'espacement des corps et des choses sur la scène. Elle vient du théâtre, à la fin du XIXe siècle/début du XXe siècle, et surgit avec l'appréciation progressive de la figure du metteur en scène, qui commence à planifier globalement la mise en place du drame dans l'espace scénique. Il pénètre la critique cinématographique dans les années 1950, lorsque l'art cinématographique affirme sa singularité stylistique, laissant derrière lui l'influence la plus proche des avant-gardes plastiques.

La mise en scène au cinéma, c'est le cadrage, le geste, l'intonation de la voix, la lumière, le mouvement dans l'espace. Il se définit dans la figure du sujet qui s'offre à la caméra en situation de prise de vue, en interaction avec quelqu'un d'autre qui, derrière la caméra, le regarde et dirige son action. Dans la scène documentaire, le concept de mise en scène se déplace un peu et se pose, plus lâchement, sur l'étincelle de l'action de la circonstance du plan.

La génération de nouvelle vague français, avant de monter à la direction, toujours dans l'exercice de la critique, se retrouvait dans l'idée de mise en scène un concept très utile pour construire votre nouveau panthéon d'auteurs. Le terme acquiert son sens contemporain à travers la génération de « Jeunes Turcs » hitchcocko-hawksiens et de cinéphiles appelés Macmahoniens. L'appréciation de la mise en scène a, comme fondement compositionnel, des éléments stylistiques qui ont trouvé la modernité dans le cinéma, le situant dans les années 1950. voir le cinéma qui parle.

S'éloignant d'une approche plus simpliste, il est important de rappeler que les grands metteurs en scène de l'âge d'or du théâtre du début du XXe siècle (tels que Vsevolod Meyerhold, Max Reinhardt, Constantin Stanislavski, Edward Gordon Craig, Adolphe Appia) composent, très étroitement, la tradition de la mise en scène, plus tard saluée par des réalisateurs tels que Murnau, Lang, Losey et Preminger. Tout le cinéma expressionniste est clairement redevable aux grandes mises en scène de Max Reinhardt, de la même manière qu'il est difficile de penser le constructivisme russe, Eisenstein en particulier, sans le travail scénique inspiré des expériences de Vsevolod Meyerhold.

La mise en scène au cinéma, la grande « mise en scène », a toujours eu un dialogue profond avec l'horizon de l'art de la mise en scène, tel qu'il s'est développé dans la scène théâtrale. La forte influence que certains metteurs en scène Les Européens avaient sur le cinéma naissant d'Hollywood. Le regard de la critique française des années 1950, en quête d'affirmation de l'art cinématographique, se tourne vers des cinéastes plus sensibles à la mise en scène théâtrale européenne, comme c'est le cas d'Otto Preminger, Max Ophuls ou Fritz Lang.

Mais s'adapter à un modèle de mise en scène est complexe. L'élégie de la mise en scène au cinéma se réalise par différents versants, et aussi du côté du réalisme, comme par exemple le regard d'André Bazin faisant l'éloge de la mise en scène de Jean Renoir. Le terme « mise en scène », dans les années 1950, décrit le moment où le cinéma se découvre comme tel et parvient à voir en lui-même la strate de son propre style. C'est une spécificité qui n'est plus celle du « cinéma pur », ou celle de l'esthétique muette du début du siècle, et qui n'est plus constructiviste, futuriste ou surréaliste. C'est la forme de la première avant-garde cinématographique.

Dans un texte inclus dans les annales des conférences du Colégio de História da Arte Cinematográfica, Le Théâtre dans le Cinéma (AUMONT, 1992/93), Jacques Aumont, développe une intéressante analyse de la mise en scène avec une approche réaliste, dans un article intitulé «Renoir le Patron, Rivette le Passeur”. Aumont part d'une phrase de Jacques Rivette, auteur qui entretient des liens étroits avec le théâtre, que « tout grand film est un film sur le théâtre ». Pour Jacques Aumont, il y a deux arts qui sont « tuteurs » du cinéma : le théâtre et la peinture. Introduire le théâtre dans le cinéma, c'est « rendre sensible une certaine structure de l'espace, fondée sur la fermeture et l'ouverture ». Dans cette perspective, Jacques Aumont tentera de situer une sorte de ligne évolutive, de Jean Renoir à Jacques Rivette, établissant une relation forte entre les deux domaines. En rapprochant Renoir et Rivette, Jacques Aumont traverse le champ du paradoxe, unissant Renoir, auteur au style résolument réaliste, et Rivette, qui a toujours cherché à rendre claire sa dette envers la scène théâtrale.

Jacques Aumont développe une intéressante analyse de la mise en scène au cinéma, définissant la tradition de la mise en scène qui vient de Preminger/Reinhardt, comme le « Central European dramaturgical heritage » à Hollywood, dont il retrouve la représentation typique chez Otto Preminger , « dont les films des années 1940 et 1950 sont remarquables par la précision maniaque des gestes, le mouvement des corps, le rythme » (AUMONT, 1992/93, p. 229). La tradition de la mise en scène, qui s'est développée dans le grand cinéma hollywoodien des années 1930 et 1940, héritier de la dramaturgie théâtrale centre-européenne du début du siècle, « est une conception de la mise en scène comme calcul, comme 'mise-en-scène', -en-place', comme construction du rythme par le montage, comme marquage des éléments significatifs par le cadrage » (AUMONT, 1992/93, p. 229). Jacques Aumont conclut en disant qu'il s'agit d'une conception passionnée de la mise en scène au cinéma, mais il poursuit en pointant une autre pratique de la mise en scène, marquée par le réalisme, qu'il voit se développer en Europe, autour des Renoir /Axe de rivet.

Il trace alors une ligne évolutive qui place Renoir comme mécène et Rivette comme passeur (continuant, épigone). Il s'agit d'aborder la tradition réaliste du cinéma, de trouver un espace pour surdéterminer la présence de la mise en scène théâtrale au cœur du réalisme cinématographique, dans lequel Renoir a toujours occupé une place prépondérante. Jacques Aumont situe les différences entre les traditions hollywoodienne et européenne de la mise en scène en deux éléments : l'exploration de l'espace cinématographique et l'exploration de l'interprétation de l'acteur, où il met en lumière le cinéma qui vient de Renoir/Rivette.

L'espace dramatique dans la tradition de la mise en scène théâtrale d'Europe centrale, qui arrive à Hollywood, a pris soin de créer un cadre cinématographique significatif pour l'accueillir. Selon les termes de Jacques Aumont"lui faire revenue raison et presque lui faire revenue gorge» (Aumont, 1992/93 : 229). Autrement dit, utiliser explicitement l'espace scénique cinématographique, jusqu'à l'épuiser, épuiser son potentiel dans une sorte de grammaire structurale de la nouvelle mise en scène, qui noue le cou de l'espace cinématographique pour en extraire les ressources nécessaires à la composition.

La posture de l'axe réaliste de la mise en scène cinématographique (Renoir/Rivette) est distincte et se concentre sur l'espace qui se donne dans le monde du plan. Un espace, qui lui-même, de façon originale à la mise en scène, « impose sa structure et presque son sens ». La structure du monde, sa constitution en style, est là et c'est à la mise en scène de se laisser emporter par la force de la pente, par l'attraction gravitationnelle de ses noyaux de mouvement, d'action et expression, telles qu'elles apparaissent à la caméra.

La définition de la différence entre les deux domaines (la mise en scène de la tradition hollywoodienne d'Europe centrale issue du théâtre et la mise en scène théâtrale-réaliste européenne issue de l'histoire du cinéma) est précisée comme suit : « la mise en scène-en-scène (pour la stylistique réaliste européenne Renoir/Rivette) ne consiste plus tant à maîtriser la pénétration du corps de l'acteur dans l'espace, mais à suivre des lignes d'attraction suggérées par l'espace dramatique comme c'est » (Aumont, 1992/93, p. 229).

L'exploration de l'espace dramatique dans la tradition réaliste est alors définie par Jacques Aumont comme l'appropriation d'une stylistique à la coupe minimaliste, ouverte dans la constellation spatiale du monde qui vient percuter la prise, profitant de l'agencement des choses. et des êtres en mouvement, qu'ils sont déjà là. Mais il y a un autre axe qu'il faut suivre pour aborder, dans sa définition, la mise en scène réaliste européenne : celui de la mise en scène de l'acteur. Et c'est à partir de l'analyse du travail de l'acteur que Jacques Aumont travaille non seulement sur le style de Renoir, mais sur l'incorporation que l'héritier Rivette en fait. Elle découle du fait que, bien qu'il soit connu pour « son art de la profondeur de champ, de la mise en scène virtuose, du mouvement de caméra pénétrant et engageant », c'est par rapport à la direction d'acteurs qu'il se constitue, dans la ' patron' Renoir, la référence inspiratrice.

Dans l'esthétique réaliste de Renoir, dans sa position visant à obtenir une « vérité » du monde en collant la mise en scène dans son déroulement, c'est l'acteur et la construction du spectacle (son interprétation) qui occupent une place privilégiée. moment. Le « système Renoir », en progression de carrière, devient « de moins en moins rigidement scénique pour se concentrer sur l'acteur » (Aumont, 1992/93, p. 231) : « l'héritage de Jean Renoir dans Jacques Rivette consiste alors, très clairement, à déplaçant encore plus franchement cette problématique (celle de la mise en scène) du côté de l'acteur, faisant de l'acteur la source même de la vérité et de l'émotion » (Aumont, 1992/93, p. 231). Autrement dit, faire de l'acteur la source d'un réalisme (vérité et émotion), à l'intérieur duquel Renoir se meut à sa guise et nage à grands coups. Un système qui, chez Renoir, est de moins en moins rigidement scénique pour se concentrer sur le travail de l'acteur.

Comme Renoir, Rivette suit une méthode dans la direction de l'acteur qui esquisse un plan général de conduite. Il ne s'agit pas d'une ouverture à l'improvisation en soi (les deux réalisateurs sont connus pour obliger les acteurs à répéter la même scène une infinité de fois), mais celle qui, partant d'un plan d'attitudes, d'une ébauche d'intentions et de procédures, permet aux acteurs d'apporter des contributions divers pour la scène, dans une sorte « d'invention collective ». Jacques Aumont explique la méthode : « Le mécanisme de tournage de Rivette est bien connu : c'est un jeu sur un plan de consignes dramatiques (souvent extrêmement réduites : certains "scénarios" de Rivette, surtout avant sa collaboration avec des scénaristes et dialoguistes de renom, se distinguent par leur extrême brièveté, comme celle de Sortie 1 (1971) qui comporte une page) » (Aumont, 1992/93, p. 231).

Le risque de travailler avec ce « système » est d'arriver au bout et de ne rien obtenir. Avoir un film lâche en main, avec des scènes chargées de lignes évidentes passant par la tension dramatique. Si le risque est grand, le gain d'une mise en scène réaliste est de l'autre côté de la médaille de la mise en scène. Elle se perd dans la précision maniaque du geste, dans la composition, que Jacques Aumont retrouve chez Preminger, elle gagne à traiter de l'intensité du corps de l'acteur dans son attitude, libre au monde.

L'enjeu, pour le patron Renoir et son disciple Rivette, est de pouvoir établir une mise en scène réaliste, soutenant la seule jambe de la mise en scène dans la direction des acteurs, avec des procédés de plus en plus minimalistes dans la composition de l'espace. du monde. Le liant final du récit interagit avec l'espace d'origine par la multiplication des options de montage. Rivette, dans de longues périodes d'isolement, est généralement confrontée en tant que réalisateur/monteur, au polissage du mouvement, au montage des plans et à l'articulation du rythme dans le récit. L'acteur libéré dans le plan par le « plan d'instruction » serait-il peaufiné au montage/montage ?

Le danger pour les réalisateurs de se tirer une balle dans l'eau, dans ce type de mise en scène réaliste, est concret : « le risque qui existe est que l'invention collective échoue et s'avère insuffisante, soit pour nourrir le film, soit pour faire comment il se soutient. Mais des films comme Céline et Julie, Le Pont du Nord, Sortie 1 sont amplement nourris de cette substance que l'acteur apporte au personnage et au récit, faisant jouer pleinement à Rivette, sur ce plan, son rôle de disciple » (Aumont, 1992/93, 231).

Le lien entre Renoir et Rivette peut être vu comme le passage de témoin de la mise en scène réaliste, s'affirmant dans un univers différent de celui dans lequel s'est formée la critique de l'art. nouvelle vague dans les années 1950. Jacques Aumont définit clairement le champ du passage : « L'héritage de Jean Renoir dans Jacques Rivette consiste donc, très clairement, à déplacer encore plus incisivement cette problématique sur l'acteur pour en faire la source même de la vérité et de l'émotion. » (Aumont, 1992/93, 231). La différence entre la pratique du disciple et celle du maître se retrouve aussi dans l'autre axe de la mise en scène, celui de l'exploration de l'espace. Jacques Aumont distingue chez Renoir une sorte de trait classique de la scène, fondé sur la centralité de l'espace théâtral. Il a chez Renoir un lien fort avec la tradition plus classique, située « dans le dramatique, dans le récit, dans la perspective, dans l'espace centralisé, alors que le cinéma (moderne) est de plus en plus lié à des valeurs qui s'y opposent, comme la ludique, le jeu des images artificielles, l'aplatissement, le dispersif » (Aumont, 1992/93, p. 233).

Rivette, homme de son temps, rompt avec la tradition scénique encore classique que l'on respire chez Renoir, pour introduire une sensibilité visant la fragmentation de la modernité. La dernière partie du texte de Jacques Aumont sera consacrée à définir la théâtralité moderne dans Rivette telle qu'elle se constitue, en s'appuyant sur les axes « espace scénique » et interprétation « d'acteurs », au sein d'une mise en scène chargée de théâtralité, imprégnée de cinématique le réalisme. Renoir, le mécène, sert de tableau au mur et l'analyse avance dans les subtiles médiations qu'exigent l'imbrication de l'héritage et de la rupture. La dette du disciple envers son patron est bien définie dans un autre passage : « Renoir est l'illustration par excellence de l'idée du 'cinéma comme art dramatique'. Mais, dans son travail, le rapport au théâtre est naturel, presque innocent, jamais perçu comme contradictoire avec la recherche du naturel, du vrai, du documentaire lui-même ». (AUMONT, 1992/93, p 233)

Chez Rivette, la théâtralité n'est plus innocente, mais éloignée du théâtre classique et de la scène italienne : « elle est appréhendée théoriquement, dans un geste qui commence par vouloir prolonger la tradition critique dont est issue Rivette » (Aumont se réfère ici à l'esthétique de mise -en-scène centre-européenne Hollywood) « qui, de plus en plus, va à contre-courant, à l'heure où l'essentiel du cinéma mondial, après l'implosion d'Hollywood, s'occupe moins de drame pur et simple, et plus de créer des images » (Aumont, 1992/93, p. 233).

 

Michel Mourlet et la mise en scène du corps fasciste

Dans un autre sens de cette mise en scène que nous décrit Jacques Aumont, mais attirés, comme Renoir, par l'angle mort de l'intensité et plongés dans la tradition scénographique hollywoodienne du théâtre d'Europe centrale, se trouvent les écrits du critique Michel Mourlet. En particulier, le résumé de sa pensée, intitulé Certains arts sont ignorés, initialement publié dans Cahiers Cinéma en août 1959 (n° 98) et qui donnera plus tard le titre d'un recueil du même nom initialement publié en 1965, suivi d'autres éditions (Mourlet, 1987). Michel Mourlet est une figure de proue du groupe dit MacMahonien qui, dans les années 50 et 60, s'est réuni autour du cinéma MacMahon, situé avenue du même nom à Paris. Le groupe – également composé de Pierre Risient, George Richard, Michel Fabre, Marc Bernard, Jacques Serguine, Jacques Lourcelles – promeut la sortie de plusieurs films en France, indispensables à la formation du panthéon moderne de la cinéphilie. Ils ont également édité un magazine éphémère, Présence du cinéma.

Dans les œuvres de la Nouvelle Vague, c'est dans le premier Godard que l'on peut trouver des répercussions plus fortes du goût esthétique des MacMahoniens, soit par la présence physique du cinéma MacMahon dans le tournage de harcelé, soit dans la participation de Pierre Rissient en tant qu'assistant au film, soit dans l'apparition de Michel Mourlet lui-même. Un autre hommage à Godard est la citation bien connue qui s'ouvre en voix off. le mépris« Le cinéma substitué à notre regard un monde qui s'accorde à nos désirs» (« Le cinéma transforme notre regard en un monde qui s'adapte à nos envies »). Le passage est une corruption d'un passage de Certains arts sont ignorés. Elle apparaît dans le film débité à André Bazin, dans une blague intertextuelle très appréciée du cinéaste. L'article de Michel Mourlet, Sur un art ignoré, est publié dans Cahiers (la même année que les assiégés est filmé) entouré de réserves, marquant peut-être la distance avec Eric Rohmer qui dirigeait à l'époque le magazine. En plus d'être imprimé en italique, l'article est précédé d'un paragraphe qui souligne sa singularité dans la ligne éditoriale du Cahiers.

La « mise en scène » est le cœur d'un film pour Michel Mourlet. Il la définit comme « l'effervescence du monde » qui apparaît sous forme de couleurs et de lumières sur l'écran. Pour Michel Mourlet, la recette d'une bonne mise en scène est la suivante : « la 'mise en place' des acteurs et des objets, leurs mouvements dans le cadre, doivent tout exprimer, comme on le voit dans la perfection suprême de les deux derniers films de fritz lang, Le tigre du Bengale (1959) et tombeau indien(1959) » (Mourlet, 1987, p. 42/43). Et d'avancer dans la définition de la mise en scène cinématographique : « La proximité aiguë du corps de l'acteur traduit des peurs et le désir de séduction, qui doivent être favorisés par la direction de gestes rares, l'art de l'épiderme et des intonations de la voix, une univers charnel – nocturne ou ensoleillé » (Mourlet, 1987, p. 46).

Univers charnel, donc, gros de la vie du corps dans les circonstances de la prise, une vie que le metteur en scène doit savoir appréhender à travers le garrot stylistique de la mise en scène, à travers la direction des gestes et de la voix – expressions de base de l'acteur. Le cinéma peut alors émerger comme un art de l'épiderme, comme l'art de cette pellicule mince qui recouvre le monde d'éclat quand elle pulse et que la grande mise en scène parvient à capter. Et Michel Mourlet retrouvera cette grande mise en scène dans l'école d'Europe centrale, comme nous l'avons déjà décrit. Les as de la cour MacMahnonian, les quatre cinéastes phares qui guident le goût esthétique du groupe lui sont dus : Preminger, l'Américain Lang, Joseph Losey et Raoul Walsh. Mourlet en touche encore un de plus sur le terrain des as : l'Italien Vittorio Cottafavi.

Corps, gestes, interprétation, regards, mouvement discret dans le cadre, composent la stratégie définie par Michel Mourlet pour tarir l'artillerie élaborée de la mise en scène théâtrale et la faire rentrer dans le cinéma. Michel Mourlet, dans sa radicalité, inaugure un regard centré exclusivement sur l'appréhension de la nouvelle mise en scène, habillée à la mesure du récit cinématographique. La critique du maniérisme stylistique par Michel Mourlet est claire, explorant le potentiel des cadrages farfelus : « les angles insolites, les cadrages bizarres, les mouvements gratuits de l'appareil, tout l'arsenal révélateur de l'impuissance doivent être écartés comme de la mauvaise littérature.

On pourra alors accéder à cette franchise, cette fidélité au corps de l'acteur, qui est le seul secret de la mise en scène ». (Mourlet, 1987, p.49). Sur ce morceau, la mise en scène d'Eisenstein et Welles se définit comme « une grande machine de carton et de toile », avec « son modernisme agressif et son originalité gratuite, recouvrant un expressionnisme vieux d'un quart de siècle » (Mourlet, 1987 , p.50).

Le style de mise en scène défini par Michel Mourlet est froid et fin, centré sur le corps de l'acteur. Le terme qu'il emploie pour désigner la préséance de l'acteur par rapport aux autres éléments scéniques est connu : « l'importance de l'acteur » ('la prééminence de l'acteur'). La mise en scène évolue cependant dans un sens différent de ce que l'on a remarqué dans l'exposition de l'œuvre de Renoir/Rivette. L'interprétation, selon le critique, doit être contenue, combattre l'intensité expressive et l'amplitude gestuelle de l'espace théâtral. Une citation d'Hitchcock sur les acteurs (« le meilleur acteur de cinéma est celui qui sait le mieux ne rien faire ») est citée avec admiration. Une actrice au travail d'acteur lourd, avec une coupe pulpeuse, comme Giulietta Masina, est ridiculisée et qualifiée de "grotesque". Michel Mourlet ne marche pas non plus dans le sens de Bresson et de son idée d'acteurs froids, épuisés par la répétition, tant que le "modèle" n'est pas conforme. Bresson, pour Michel Mourlet, ne fait pas respirer l'acteur. Ses paramètres semblent être ceux d'Edward Gordon Craig et l'idée de l'acteur comme une marionnette, mais une marionnette faite de chair et qui sait regarder sans élargir la vision.

Ce que Michel Mourlet appelle « la fidélité au corps de l'acteur » achève, au cœur de la mise en scène, le transfert du concept vers le champ cinématographique. En effet, nous sommes loin des grands appareils spectaculaires assemblés par les premiers metteurs en scène du cinéma. C'est pourquoi Michel Mourlet peut dire que « les thèmes fondamentaux de la mise en scène s'ordonnent autour de la présence corporelle des acteurs dans un scénario » (Mourlet, 1987, p. 56). La vision de Michel Mourlet s'applique au domaine du cinéma de fiction, où l'ouverture aux procédés stylistiques est beaucoup plus large.

Insistant sur la dimension de la présence corporelle de l'acteur dans le plan, explorant son ouverture au formatage de la caméra, Michel Mourlet définit un style pour la mise en scène cinématographique. À partir de ce noyau, il nomme pour lui-même les principaux éléments de la mise en scène, qui font tous partie de la scène du monde transfiguré par le plan. Ce sont : « la lumière, l'espace, le temps, la présence insistante des objets, l'éclat de la sueur, l'épaisseur d'une crinière, l'élégance d'un geste, l'abîme d'un regard » (Mourlet, 1987, p. 55 / 56).

En se montrant sensible à l'intensité de la présence du monde à l'écran, Michel Mourlet défavorise les critiques qui centrent leur analyse sur les scénarios et sur le contenu des films. Le scénario n'est presque rien pour évaluer un film et son articulation va au-delà de la vision de metteur en scène de Michel Mourlet : « Croire qu'il suffit à un cinéaste d'écrire son scénario et ses dialogues, de s'orienter selon des thèmes définis et de répéter les actions de ses personnages, pour devenir 'auteur de films', est une erreur fondamentale qui rend le fausse autorité de la critique engluée dans la littérature et aveugle au potentiel de l'écran » (Mourlet, 1987, p.54).

Si la mise en scène n'est pas l'écriture, le domaine du montage est aussi vu avec un certain mépris. Le style de montage, pour le genre de mise en scène prôné par Michel Mourlet, doit éviter le relief expressif. L'ensemble doit être transparent. Elle ne peut « affronter les lois de l'attention », mais doit conduire le spectateur « devant le spectacle, devant le monde, la chose la plus proche du monde, grâce à la docilité, la malléabilité d'un regard auquel le spectateur adhère. jusqu'à ce qu'il l'oublie ». (Mourlet, 1987, p. 49). Le profil classique du découpage est évident, ainsi que sa distance par rapport au montage de coupe constructiviste. Le regard que porte le montage doit donc être « classique à l'extrême, c'est-à-dire exact, motivé, équilibré, d'une parfaite transparence, à travers lequel l'expression nue trouve sa plus grande intensité ». (Mourlet, 1987, p. 49)

C'est la recherche de cette « expression nue » qui, contradictoirement, finit par conduire Michel Mourlet à une sensibilité esthétique où l'on retrouve l'élégie d'une volonté de puissance, aux contours nietzschéens clairs, en quoi cette sensibilité était la plus dangereuse (et on se souvient ici de Susan Sontag de fascisme fascinant) (SONTAG, 1986). L'arc du chemin suit ce que nous avons défini plus haut comme « la proéminence de l'acteur ». La mise en avant de la mise en scène de l'acteur est vue comme une sorte d'hymne à la gloire des corps, puisque c'est au corps de l'acteur que Michel Mourlet fait référence. Le cinéma est défini comme un « hymne à la gloire des corps qui doivent reconnaître l'érotisme comme son destin suprême » (Mourlet, 1987, p. 52).

La définition est intéressante : « par son double statut d'art et de regard sur la chair, (le cinéma) est voué à l'érotisme comme réconciliation de l'homme avec sa chair » (Mourlet, 1987, p.52). La chair et le monde, ou la chair du monde, sont des concepts essentiellement phénoménologiques, montrant l'accord de Michel Mourlet avec les traces de la pensée et de l'appartenance d'André Bazin traversées dans le contexte idéologique de l'après-guerre français. Ce sont des concepts clés pour Michel Mourlet pour construire sa notion de mise en scène, ouvrant la chair du monde sur la stylistique cinématographique. Une stylistique froide, classique, garrottée par le liant de la scène, mais demandant au monde de venir la frapper, avec la puissance de son intensité et, surtout, avec la hauteur et la violence précise de ce qu'il appelle un "geste efficace". C'est le « geste efficace » qui sert de clé pour valoriser les éléments les plus fins au cœur de la stylistique macmahonienne en termes de décors, de mouvement sur scène, de regard, de voix, de corps et d'objets.

La vision d'un monde-caméra conforme à la puissance brute du corps de l'acteur renvoie à la sensibilité de Michel Mourlet au pouvoir et à la domination, définis par le mot « gloire », ou « hymne à la gloire des corps ». La mise en scène comme « hymne à la gloire des corps » est composée d'élégies de moments extrêmes du corps de l'acteur, ouvert sur le monde dans le plan. Elle apparaît dans une vision de l'image intense qui, par des signes manifestement contraires, rencontre la sensibilité déplacée de Bazin dans ses exigences éthiques qui entourent l'instauration du réalisme cinématographique. Chez Michel Mourlet, le ton est clairement anti-humaniste, atteignant des accents nietzschéens en ce qu'ils exaltent la beauté de la force par rapport à la faiblesse, la volonté de puissance qui domine par l'affirmation de la volonté, et le mépris de la logique chrétienne de la volonté seigneuriale. compassion et culpabilité dans l'humilité de l'esclave.

Chez Michel Mourlet, donc, la sensibilité à la gesticulation précise de l'acteur trouve la fascination de la forme précise dans l'expression de la volonté de dominer ce même corps. C'est aussi regarder et apprécier un type d'action et de réaction du corps au bord de la mort. Il en résulte une ouverture pour l'esthétisation de la guerre et ne laisse planer aucun doute sur la possibilité d'un plaisir spectateur dans cette limite. Dans l'article "Excuses pour la violence» (Mourlet, 1987), Michel Mourlet analyse la violence de l'image cinématographique ayant pour modèle la manifestation d'un corps spécifique dans le cadre du plan, celui de Charlton Heston, réalisé par Cecil B. De Mille. La violence est vue comme une « décompression » résultant de la tension entre l'homme et le monde. Michel Mourlet centre son analyse de la « mise en scène » sur la possibilité pour le cinéma d'appréhender la tension à travers la dimension du plan.

Le cinéma est unique dans sa façon de montrer l'intensité, le moment où explose « l'abcès » de la « décompression ». Pour cette raison (comme l'avait déjà remarqué André Bazin, lorsqu'il qualifiait le cinéma d'obscène), le cinéma est si proche de l'érotisme : érotisme sexuel ou violence. La violence est le point extrême de l'expérience de l'homme dans le monde, et le cinéma est dans une position privilégiée pour la représenter. Ce que les autres arts ne peuvent que suggérer ou simuler, le cinéma, à travers la caméra, « l'incarne dans l'univers des corps et des objets ».

La « mise en scène », à ce moment, est définie par Mourlet, « dans son essence la plus pure », comme « un exercice de violence, de conquête et d'orgueil » (Mourlet, 1987, p. 61). Ou encore « étant l'exaltation d'un acteur, la mise en scène trouvera dans la violence une occasion constante de beauté » (Mourlet, 1987, p. 61). Ou, plus explicitement encore, il fait l'élégie de la mise en scène de l'intensité qu'a la mort à l'horizon, abordant sans crainte une esthétique fasciste (bien qu'elle n'épuise pas la mise en scène qu'elle propose). Le noyau de la spécificité cinématographique, la représentation contenue de l'expression vibrante de la vie corporelle, évolue chez Michel Mourlet de manière arrogante vers le plaisir comme domination sur le corps d'autrui.

Plaisir capté dans sa transcendance brute dans le plan, puis assoupli comme dans une mise en scène : « Exercice de violence, de conquête et d'orgueil, la mise en scène dans son essence la plus pure tend vers ce que certains appellent le fascisme. », dans la mesure où ce mot, dans une confusion sans doute significative, recouvre une conception nietzschéenne de la morale sincère, opposée à la conscience des idéalistes, des pharisiens et des esclaves. Refuser cette recherche d'un ordre naturel, ce plaisir du geste précis et efficace, cette lueur dans les yeux après la victoire, c'est être condamné et ne rien comprendre à un art (cinéma) qui se résume à la recherche du bonheur à travers le drame de le corps » (Mourlet, 1987, p. 61).

Il serait intéressant d'analyser comment l'expérience initialement froide de l'intensité du plan, synthétisée dans l'esthétique de la mise en scène défendue par Michel Mourlet, a pu cheminer vers l'exaltation avec des couleurs fascistes, acquérant des tonalités qui rappellent les enthousiasmes nietzschéens. , même si ce n'est pas dans le sens où la pensée post-structurale récupère le philosophe. La définition de la mise en scène comme « drame corporel », comme « l'art du geste exact », permet d'inscrire sa conception de la mise en scène dans le cadre d'une critique qui pensait que le cinéma respirait dans l'espace de le plan, ou dans l'espace du monde en retrait coupé par le parti pris phénoménologique.

Il serait également utile de la comparer à d'autres auteurs (comme Vivien Sobchack ou André Bazin, sans oublier, dans une perspective différente, Stanley Cavell) eux aussi sensibles aux potentialités de l'intensité de la vie dans l'image-caméra cinématographique. , mais qui a su les explorer dans des sentiers très différents.

*Fernão Pessoa Ramos, sociologue, est professeur à l'Institut des Arts de l'UNICAMP. Auteur, entre autres livres, de L'image de la caméra (Papirus).

Références


Aumont, Jacques. Renoir le Patron, Rivette le Passeur. Dans : Le Théâtre dans le Cinéma – Conférences Du Collège d'Histoire de l'Art Cinématographique nº. 3. Hiver 1992/93. Paris. Cinémathèque française/Musée du cinéma.

Moulet, Michel. Sur um art ignoré – la mise en scène comme langage. Paris, Ramsey, 1987.

SONTAG, Suzanne. « Fascisme fascinant ». Dans: Sous le signe de Saturne. Porto Alegre, LP&M, 1986.

 

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10 LES PLUS LUS AU COURS DES 7 DERNIERS JOURS

La stratégie américaine de « destruction innovante »
Par JOSÉ LUÍS FIORI : D'un point de vue géopolitique, le projet Trump pourrait pointer vers un grand accord « impérial » tripartite, entre les États-Unis, la Russie et la Chine
Les exercices nucléaires de la France
Par ANDREW KORYBKO : Une nouvelle architecture de sécurité européenne prend forme et sa configuration finale est façonnée par la relation entre la France et la Pologne
Fin des Qualis ?
Par RENATO FRANCISCO DOS SANTOS PAULA : L'absence de critères de qualité requis dans le département éditorial des revues enverra les chercheurs, sans pitié, dans un monde souterrain pervers qui existe déjà dans le milieu académique : le monde de la concurrence, désormais subventionné par la subjectivité mercantile
Distorsions grunge
Par HELCIO HERBERT NETO : L’impuissance de la vie à Seattle allait dans la direction opposée à celle des yuppies de Wall Street. Et la déception n’était pas une performance vide
L'Europe se prépare à la guerre
Par FLÁVIO AGUIAR : Chaque fois que les pays d’Europe se préparaient à une guerre, la guerre se produisait. Et ce continent a donné lieu à deux guerres qui, tout au long de l’histoire de l’humanité, ont mérité le triste titre de « guerres mondiales ».
Pourquoi je ne suis pas les routines pédagogiques
Par MÁRCIO ALESSANDRO DE OLIVEIRA : Le gouvernement d’Espírito Santo traite les écoles comme des entreprises, en plus d’adopter des itinéraires prédéterminés, avec des matières placées en « séquence » sans considération du travail intellectuel sous forme de planification pédagogique.
Cynisme et échec critique
Par VLADIMIR SAFATLE : Préface de l'auteur à la deuxième édition récemment publiée
Dans l'école éco-marxiste
Par MICHAEL LÖWY : Réflexions sur trois livres de Kohei Saito
Le payeur de la promesse
Par SOLENI BISCOUTO FRESSATO : Considérations sur la pièce de théâtre de Dias Gomes et le film d'Anselmo Duarte
Lettre de prison
Par MAHMOUD KHALIL : Une lettre dictée par téléphone par le leader étudiant américain détenu par les services de l'immigration et des douanes des États-Unis
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