Par RONALDO TADEU DE SOUZA*
Commentaire sur le livre d'Honoré de Balzac
1.
De tous les écrivains qui constituent ce qu’on appelle le canon de la littérature occidentale, aucun n’a une œuvre aussi vaste qu’Honoré de Balzac. Ton Comédie humaine dépasse les 10 volumes (il y en a un total de 17 dans la célèbre édition Globo), atteignant environ plus de 8 mille pages. Il a sans doute exprimé, à travers l'intrigue et l'historicité des thèmes qu'il traitait, des aspects constitutifs de l'ère mondiale et de la société post-féodale.
Ce n’est pas un hasard si l’historien marxiste Eric Hobsbawn affirme qu’après la Révolution française (la plus importante des révolutions bourgeoises), nous sommes entrés dans le monde d’Honoré de Balzac. Les rêves et désirs naïfs de Luciano Rubempré, l'ambition surhumaine des filles de Goriot, l'essence calculatrice et monétaire de Grandet sont des moments qui ont façonné la spiritualité d'une société gouvernée par le réalisme froid et sans âme de l'argent – du capital. (
Karl Marx était un lecteur passionné de l'auteur de Les illusions perdues; et Friedrich Engels a déclaré qu'il en révélait plus sur la société française de son temps que tous les sociologues, penseurs politiques et historiens du monde. Les grandes œuvres d'Honoré de Balzac sont donc connues du public lettré (brésilien) ; ses significations dans le contexte du roman historique sur l'existence humaine à l'aube d'une époque où tout ce qui est solide se fond dans l'air, ont été enregistrées au fil des années par divers critiques littéraires, essayistes, philosophes, sociologues culturels et chercheurs littéraires.
Cependant, une partie du grand Comédie humaine n'a pas encore été découvert par les chercheurs. Au dévoilement des relations sociales du monde d'après 1789 dans toutes leurs variantes – dans les scènes de vie privée, dans les scènes de vie provinciale, dans les scènes de vie politique, dans les scènes de vie parisienne, dans les scènes de vie rurale et dans les scènes militaire –, Honoré de Balzac a incorporé de petits textes (également fictifs) qui traitaient de questions liées à la pratique artistique, aux tensions de l'expérience que vivent les artistes (et les écrivains) face au besoin de survie et à la question de la place absolue. ou non, au contraire parfois, de talent original et créateur dans les arts.
Em Études philosophiques, tome 15 de Comédie humaine, on retrouve le court essai-récit, l'anecdote-critique d'art ou encore un bref traité d'esthétique-prose historique (le texte est difficile à classer), Le chef-d'œuvre ignoré. Comme ça; La question est : qu’est-ce que l’œuvre (et sa signification) Le chef-d'œuvre ignoré par Honoré de Balzac ? Dans ce qui suit, je propose une brève approche, afin d'interpréter ce conte en vue de soutenir qu'il préfigure Le chef-d'œuvre ignoré les traits et aspects fondateurs de l’art moderne (d’avant-garde).
2.
Dans la question quel est le travail de Le chef-d'œuvre ignoré il est possible de poser une série d'autres questions ; ainsi que d'élaborer des formulations et de configurer des hypothèses de travail. Nous nous intéressons à au moins trois considérations, même si nous n’aborderons pas directement deux d’entre elles dans cet essai. Lesquels sont : premièrement, il est important de noter qu'il s'agit d'un texte qui opère à la frontière entre l'art et la littérature, ici il est important de dire qu'il est toujours complexe d'aborder ces deux sphères de l'esthétique de manière articulée, en interaction. , le texte lui-même concerne les arts plastiques (peinture).
Mais Balzac en tant que tel est un écrivain, et l'un des grands romanciers de l'histoire de la littérature, comme nous l'avons souligné tout à l'heure, et il distingue de temps en temps Le chef-d'œuvre ignoré l'art comme peinture et la poétique (entendue) comme procédé littéraire ; De cette particularité découle la deuxième considération articulée en deux moments (l’un dans le contexte de la littérature et l’autre concernant l’art moderne).
La nouvelle nous suggère de problématiser certaines observations faites par l'un des critiques littéraires les plus influents du XXe siècle, George Lukács, dans la mesure où il considère l'œuvre de Balzac comme l'un des représentants du roman historico-réaliste, et ce, en contraste avec les romans modernes, en particulier les romans de James Joyce, Franz Kafka et Marcel Proust, trois des principaux auteurs des innovations formelles du modernisme littéraire.
Le chef-d'œuvre ignoré n’est pas un texte littéraire réaliste et historique, car l’intrigue elle-même construite par Balzac – le sens de l’art pour Frenhofer – est, d’une certaine manière, loin d’être qualifiée à partir de ces deux caractéristiques (historique et réaliste), elle est donc , pour dire, plus précisément, le caractère d'un esthète qui s'explique de lui-même par l'art (et la littérature) moderniste, dans les termes exprimés par Giulio Carlo Argan (1987) ; la troisième formulation balzacienne est contenue dans l'immanence de la question que je posais ici, en un sens fort – quelle œuvre, son sens, sa poétique, sa forme, est l'œuvre présente dans Le chef-d'œuvre ignoré? Voyons.
Le chef-d'œuvre ignoré il fut publié dans la première version en 1831. Une nouvelle version parut en 1837, dans laquelle Balzac apporta diverses modifications, notamment dans la description de l'atelier de Porbus (Lagos, 2014). Trois personnages composent le récit ; Il s'agit de Porbus le maître peintre, de Poussin le novice qui veut apprendre les techniques de la peinture pour devenir un grand artiste et enfin de l'exotique Frenhofer – c'est censé être l'artiste. par excellence.
Eh bien, c'est dans cette figure mythique de Comédie humaine que Balzac représentera le sens de la création (Rivero, 2004) ; Frenhofer a exprimé les vertus esthétiques de l'imagination dans l'art (Barolsky, 2004). En effet – Frenhofer fait irruption dans la scène d’ouverture de Le chef-d'œuvre ignoré ainsi : « un vieillard montait l’escalier » (Balzac, 2003 [1831], p. 15). Balzac représente les personnes âgées dans un style historiquement précis, dans la caractérisation détaillée du roman du XIXe siècle, dans la répartition équilibrée entre le lieu extérieur de l'action latente et la physionomie romantique.
Le personnage de Frenhofer constitue déjà un progrès problématique dans l'intrigue balzacienne sur le cœur de la création artistique, car il est vu avec une étrange « tenue » ; visage « diabolique » (profane) ; couleur des yeux impressionniste d'un « vert » inhabituel ; tête originale sculptée d'arabesques ; des scintillations « fantastiques » provenant des escaliers présentent ce vieux mystique – c'était comme s'il s'agissait d'une (parodie) d'« un tableau de Rembrandt » (Ibidem, p. 16). La fable s'ensuit; ils sont là – Poussin et Frenhofer – dans l’atelier de Porbus ; C'est là que la matière acquiert la forme de l'art. C'est dans cet intervalle d'existence que se fonde l'authentique ; le jeune Poussin éprouve l'étonnement des « peintres-nés en voyant [la] première » (Ibidem) salle dans laquelle la dimension de l'art est partagée dans tous les lieux, moments et dispositions spirituelles.
Le dialogue commence. Marie d'Egypte c'est la peinture qui incite à la conversation ; réalisé pour le jeu (utile) des Médicis, il devient objet d'échange dans les moments difficiles de la famille : Maria Médicis vend son tableau homonyme « lorsqu'elle se trouve dans la pauvreté » (Balzac, 2003 [1831], p.18) et depuis lors, le tableau a été reproduit. Mais c’est le sens de l’art qui fait débat.
On lui a demandé s'il aimait ou non le Marie d'Egypte chez Poussin, Frenhofer est catégorique, le saint n'était pas « mal fait » (Ibidem) ; il s’avère que le tableau (l’original et la reproduction) n’a pas de vie – « votre saint […] n’a pas de vie » (Ibidem) –, dessiner un visage parfait, imiter correctement les règles de « l’anatomie » (Ibidem) n’est pas la voie de l'art. Selon Frenhofer, suivre les règles d’une bonne peinture ne suffit pas pour créer un langage poétique dans un tableau. Il s’agit plutôt de subjectivité – de passion héroïque (Barolsky, 2004) de créer de l’art.
Du délire de rendre esthétique le présent, Frenhofer veut une « frénésie créatrice » (Rivero, 2004). Il ne s’agit pas pour lui de créer des artificialismes bien construits et raisonnés géométriquement, puisque l’objectif du vieillard, s’il en est, est à égale distance de « la bonne perspective […], [d’exprimer] correctement les couleurs du ciel » (Balzac , 2003 [1831], p. Était-il un précurseur de l'impressionnisme ? Le maître du maître de Poussin est impitoyable envers Marie d'Egypte; en fait, la leçon d'art de Frenhofer est donnée, indirectement, au Porbus correct et éthique.
Avec une personnalité marbrée – lisse, sculptée à souhait, blanche – il ne comprenait pas la position du vieux Frenhofer. Désormais, il souhaite que la vie, que le personnage opposé au destin (Benjamin, 2011) insuffle l'âme du tableau – et par conséquent de Porbus et du jeune Poussin. Pour lui, sans que le peintre, le poète, le musicien ne transposent leur propre monde authentique dans la matière dans toute sa complétude, ils seront loin de livrer un chef-d'œuvre à l'humanité.
Naïf, le « jeune homme contenait à peine le désir d’attaquer » (Balzac, 2003 [1831], p. 19) Frenhofer pour avoir méprisé le reflet rigoureux d’un visage humain réalisé avec le pinceau rationnel et conscient de son maître. Son non-conformisme modéré l'a amené à se demander comment un individu avec cette apparence pouvait être aussi irascible face à Marie d'Egypte et de son créateur (ou propriétaire) : un homme respectueux de la nature fondamentale des choses, un adepte obéissant des coutumes bourgeoises qu'est Porbus (Falkemback, 2012) ne pourrait pas être confronté à une telle diffamation.
Après un examen plus approfondi de l'œuvre de Porbus, toujours en présence non conformiste de Poussin, Frenhofer esquisse ce qui serait une œuvre d'art sérieuse (Adorno, 1985). Dans le dialogue tissé par Balzac, la position de l'élève-maître (élève du vieil homme et maître du jeune peintre) reflète une erreur sociale ; le véritable art est celui qui imite la nature avec précision, en ce qui concerne le design extérieur et avec parcimonie d'esprit. Porbus dit étudier « beaucoup […] [le] tour des modèles nus [qu'il peint] » (Balzac, 2003 [1831], p. 21).
Son reproche, pour Frenhofer, imaginant la complaisance du vieil homme, est de dire de la nature qu'elle cache les « vrais effets » (Ibidem) – d'où la difficulté et l'échec parfois des peintres. Irrité par une attitude aussi accommodante, typique des salons bourgeois de l'après Restauration et des artistes qui les fréquentaient, l'antimaître, tel un tigre vorace montrant les crocs, tonne que « la mission de l'art n'est pas de copier la nature, mais de l'exprimer ! Vous n’êtes pas un vil copiste, mais un poète ! (Ibidem, p. 21). (Une avant-garde qui invente quelque chose de nouveau…).
Celui qui entend forger l'œuvre d'art, le chef-d'œuvre, ne doit pas se contenter d'une attitude austère et rigoureuse face à l'extériorité appréhendée. (Il y a « des peintres [qui] triomphent instinctivement sans connaître [les] thèmes [qu’ils veulent rationaliser] de l’art » (Ibidem, p. 22) – Porbus s’étonne.) Alors ; Que signifie l’art ? Frenhofer répond : c'est la forme (attribuée) à la matière. Cela transforme « rien [en] tout » (Ibidem, p. 24). C’est ce qu’ont fait « Titien et Raphaël » (Ibidem) – mais pas le misérable utilitaire Pierre Grassou, un « esprit médiocre, méthodique […], bourgeois » (Lago, 2014, p. 101).
Être poète, peintre, nécessite d'être prêt à expérimenter la folie de l'abondance et à accepter la tentation d'embrasser les circonstances de la vie dans toute leur ampleur ; C'est la propension à intervenir dans les représentations pratiques de l'existence qui donne naissance à une œuvre d'art. Frenhofer ardente de la passion de l'art et elle s'empare de « la palette et [les] pinceaux » (Balzac, 2003 [1831], p. 25) ; pris avec « une aspiration héroïque » (Barolsky, 2004, p. 51) le personnage principal du volume Etudes philosophiques da Comédie humaine veut convaincre ce Rubempré de la peinture encore peu ambitieux de nier la « raison froide [de] la bourgeoisie » (Balzac, 2003 [1831], p. 35) – il veut convaincre Poussin, et non Porbus, de vivre l’antithèse de la « le manque de sérieux de l'art […] [qui exprime la pauvreté du goût bourgeois » (Barolsky, 2004, p. 50).
« Tu es digne d'une leçon, et [encore] capable de comprendre, je te montrerai combien peu […] [il] en faut pour [réaliser] […] [l'œuvre] d'art » (Balzac, 2003 [1831] p. 25) : vous comprendrez que « les grandes choses sont simples ». Le jeune Nicolas Poussin, voulant faire ses preuves comme un honnête effaceur d'écran – « Je suis un étranger, mais un effaceur d'écran né qui vient d'arriver dans cette ville » (Ibidem) – après la question acerbe de Porbus qui voulait savoir qui il était, copié le visage de Marie d'Egypte; le Frenhofer incandescent est un démon ; il agit vite, l'esprit est impatient, ses mains extatiques gestent des lignes lumineuses, son « imagination fertile » (Ibidem, p. 26) déverse la singularité sur la toile.
De petites touches de couleur sont accompagnées de coups de pinceau perturbateurs, ceux-ci forgent avec eux des lumières subjectives de leur propre épaisseur, donnant une forme passionnée et authentique à l'expérience : le génie de Frenhofer a créé « une nouvelle peinture » (Ibidem, p. 27).
Ce bref essai pourrait être continué jusqu'à épuisement. Mais ayant à l'horizon les objectifs requis pour écrire cet ouvrage – je reviens à la question à laquelle j'ai organisé les affirmations argumentatives du texte que je vous présente ; Quelle est l’œuvre du chef-d’œuvre ignoré ? Et sa signification ? Dans le cadre du récit balzacien, elle est indécidable, ainsi qu'en ce qui concerne la référence historico-littéraire. C'est Frenhofer lui-même, dans l'intrigue du roman (ou de la nouvelle), qui répond de manière suggestive à notre question de méthode ; stylisant la résolution, il dit que dans le « chef-d'œuvre » (Ibidem, p. 25), de Le chef-d'œuvre ignoré, « seuls les initiés [et les jeunes débutants] aux arcanes les plus intimes de l’art peuvent découvrir […] » de quoi il s’agit ; c’est ce que l’on peut appeler, dans le sillage des théories esthétiques d’avant-garde, l’art : en opposition et négativité au Porbus, aux Pierres Grassous et à toutes les modalités de l’art qui prolifèrent comme «comodity» (Barolsky, 2004, p. 51) dans le monde de Balzac. Et qu'il a expliqué d'une manière sans précédent tout au long du Comédie humaine.
*Ronaldo Tadeu de Souza est professeur au Département des sciences sociales de l'Université fédérale de São Carlos (UFSCar).
Référence
Honoré de Balzac. Le chef-d'œuvre ignoré. Traduction: Teixeira Coelho. São Paulo, Iluminuras, 2000, 112 pages. [https://amzn.to/4azAjxv]

Bibliographie
ADORNO, Theodor W. L'industrie culturelle : les Lumières comme mystification des masses. Dans: Dialectique des Lumières : fragments philosophiques. Rio de Janeiro : Jorge Zahar, 1985.
BALZAC, Honoré. Le chef-d'œuvre ignoré. São Paulo : éditorial du Comunique, 2003.
____________ illusions perdues. Rio de Janeiro : Ediouro, 1994.
BAROLSKI, Paul. Frenhofer et le triomphe des Fourgerés. Notes sur l'histoire de l'art-Chicago, v. 23 nº 4, 2004, p.49-51.
BENJAMIN, Walter. Destin et caractère. Dans: Écrits sur le mythe et le langage. 2ème édition. São Paulo : Editora 34, 2013.
Burger, Peter. Le déclin de l'ère moderne. Nouvelles études Cebrap, São Paulo, nº 20, 1988, p. 81-95.
FALKEMBACK, Daniel. Le chef-d'œuvre méconnu (Honoré de Balzac). Épilogue. Site: https://www.posfacio.com.br/2012/07/02/a-obra-prima-ignorada-honore-de-balzac/.
LAGO, Isabelle Baptista. L'espace de création du peintre dans l'œuvre de Balzac : visite des ateliers de Porbus, Servin et Grassou. Non Plus-USP Magazine Français, nº 6, 2014, p. 98-110.
LUKACS, Georges. Balzac : Les Illusions perdues Dans : dissertations sur la littérature: Civilisation brésilienne, 1965.
______________ Le réalisme critique aujourd'hui, une approche de l'un des problèmes les plus sérieux et fascinants de notre époque : la relation entre le marxisme et les arts. Brasilia : Thésaurus, 1991.
MARX, Carl. La guerre civile en France. São Paulo : Boitempo, 2013.
OLIVERIA, Régina Cibelle. Paulo Rónai et l'organisation de la première édition complète de La Comédie humaine, d'Honoré de Balzac, au Brésil. São Paulo. 203 pages. [Thèse de doctorat – Études littéraires et culturelles] Université de São Paulo/USP 2021.
LIVRE, Ezra. ABC de la littérature. São Paulo. Cultrix, 2007.
RIVERO, Manuel Rodríguez. L'erreur Frenhofer. S/L. Livre Revue, 1er novembre 2004, p.1-3.
la terre est ronde il y a merci à nos lecteurs et sympathisants.
Aidez-nous à faire perdurer cette idée.
CONTRIBUER