Par CHRISTIAN DUNKER*
Lisez l'« Introduction » de l'auteur du livre récemment publié, le premier volume de la collection « Psicanálise e Educação ».
Introduction
L'écoute est peut-être au point de passage et d'articulation entre deux surfaces : l'éducation formelle et l'éducation informelle ; éduquer et soigner, apprendre et enseigner. Ce point de division subjective de l'éducateur est aussi son point d'impuissance et de vide. C'est pourquoi je pense que l'écoute – qui n'est pas l'apanage ou l'exclusivité du psychanalyste, du psychothérapeute ou du spécialiste de la santé mentale – est devenue une part fondamentale pour l'éducateur.
Après des générations formées pour concourir pour la parole, après des années d'évaluation de la participation des étudiants en fonction de leur volonté de parler, nous nous rendons compte que la capacité d'écoute devrait également faire partie de nos programmes, objectifs et compétences. Une des erreurs de cette phallicisation de la parole est de penser que le protagoniste est celui qui parle et le subordonné est celui qui écoute. Je pense que le protagoniste est celui qui, comme le dit le terme en grec, se porte lui-même (proto) le conflit (agon).
Tout comme la passion de parler semble accompagner ceux qui veulent savoir, la passion d'écouter est liée à l'expérience de l'ignorance. Il ne s'agit pas de l'ignorance comme simple manque d'éducation ou de civilité, mais de l'ignorance comme point de départ de l'aventure de l'écoute et de l'ouverture à l'autre. Appelez cela une écoute ludique ou une écoute empathique, une écoute active ou non violente.
Ce que ce livre soutient le plus, c'est que l'écoute est une éthique, pas une technique ou un outil. Il y a des tactiques écoute (selon l'expression de Rubem Alves), tout comme il y a des exercices oratoires. Mais l'essentiel est que l'écoute s'accompagne d'un certain rapport productif à l'ignorance, d'un rapport puissant au non-savoir, ou au non-encore-connu. C'était aussi le conseil de Lacan aux jeunes analystes : ne comprenez pas, ne comprenez pas si vite ce que disent vos analysants, suspendez la fermeture du circuit de communication. Pour ce faire, une passion doit être produite, la passion de rester dans une relative ignorance du sens, de l'intention ou du sens de ce que l'autre personne dit. Garder le dire de l'autre comme une énigme, même si c'est une énigme pour celui qui parle.
Il ne semble pas un point hors de cette courbe que le Maître Ignorant, de Jacques Rancière[I], est devenu un paradigme pour les éducateurs du XXIe siècle, car on voit ici la fonction de l'ignorance effectuer une transformation des relations de pouvoir. J'ai écrit un livre essayant de montrer que la psychanalyse est l'héritière de la tradition du soin de soi[Ii]. Je me rends compte maintenant qu'il existe une tradition parallèle, mais non moins importante, que l'on pourrait appeler l'auto-éducation. C'est en elle que s'inscrit le personnage de Joseph Jacotot dont parle Rancière. De même que le maître ignorant transmet ce qu'il ignore, à travers des interrogations sur ce qu'il voit, ce qu'il pense et ce qu'il fait face à quelque chose, le psychanalyste transmet son désir d'analyser à partir de la passion de l'ignorance qui l'habite. .
Au Brésil, une étape importante dans l'introduction de la passion comme thème éducatif est Paulo Freire. Pris dans leur ensemble, les textes réunis ici esquissent un retour à la pensée de Paulo Freire, complétée et combinée avec la théorie lacanienne du langage. Le souci de Freire pour le sens social et politique de l'éducation, l'importance accordée aux affections dans ce processus, la réflexion sur l'émancipation et les problèmes pratiques et théoriques de l'acquisition de la lecture sont représentés ici. Mais le point de convergence le plus critique entre Lacan et Freire réside peut-être dans la manière dont tous deux abordent le sujet du savoir, avec une attitude éthique que l'on pourrait définir par la passion de l'ignorance.
Lacan a hérité du bouddhisme la théorie selon laquelle les passions de l'être sont trois : l'amour, la haine et l'ignorance. La passion fait ici référence au radical grec pathétique, c'est-à-dire non seulement une forme de souffrance ou de passivité, mais une capacité à être affecté par et l'acceptation radicale de l'expérience. Après cette bifurcation primaire, plus liée au langage et au corps qu'à la pensée, s'est formée l'opposition la plus connue entre raison et passion.
On peut alors parler d'un pathétique l'ennui, ainsi que l'errance ou la mélancolie. Mais l'idée que la passion touche notre être, à la différence de nos affections ou de nos émotions, invite même à une définition précaire de ce que nous entendons par être. « L'être n'est nulle part que dans les intervalles, là où il est le moindre signifiant des signifiants, à savoir la coupure […] Si nous voulons donner à l'être sa définition minimale, nous dirions que c'est le réel, alors que cela s'inscrit dans le symbolique »[Iii].
La passion de l'ignorance est une sorte de propédeutique de l'action, un lieu ou une position où l'on se trouve par rapport au savoir qui permet de produire des effets. Là, au plus profond de l'abîme, l'homme ordinaire répondra par le déni (verneinung) ou avec répression (déplacement), c'est-à-dire qu'il couvrira ce vide de haine, qui imagine le réel, ou d'amour qui symbolise l'imaginaire. L'ignorance est la réalisation du symbolique, et lorsque le symbolique est réalisé, nous réalisons qu'il est composé de négativité et non de positivité. Ainsi, la passion de l'ignorance représente la directive socratique du « je sais seulement que je ne sais rien », mais en considérant la connaissance comme un processus. Ce qui distingue le psychanalyste – et pourquoi ne pas dire qu'il peut partager cette disposition avec un certain type d'éducateur – c'est qu'il opte pour la passion plutôt que pour l'ignorance. Cela signifie priver le pouvoir que la connaissance porte avec elle. En renonçant à l'exercice du pouvoir, cela devient peut-être une autorité transférentielle.
« L'analyste ne doit pas ignorer ce que j'appellerai le pouvoir d'accès à l'être de la dimension de l'ignorance, car il doit répondre à celui qui, tout au long de son discours, l'interroge dans cette dimension. Vous n'êtes pas obligé de guider le sujet dans un effacer, dans le savoir, mais dans les voies d'accès à ce savoir »[Iv].
L'aliénation, représentée dans le discours de Lacan par la position de l'esclave, consiste à obstruer les voies qui mènent au savoir. C'est aussi ce qui définit le refoulement et la défense pour Freud : je ne veux pas savoir. La suspension de ce type d'ignorance, dans laquelle se forment nos symptômes, a des effets sur notre attitude envers le savoir en général, pas seulement celui qui est structuré par la négation, le sexuel et l'infantile. Il ne s'agit donc pas seulement des effets plus ou moins directs d'inhibition ou de refus du contexte d'apprentissage, que l'on observe si souvent dans les parcours scolaires, mais d'un empêchement global, qui fait du refus de savoir un mariage entre ignorance et méconnaissance . .
« La psychanalyse est une dialectique […] Et cet art est le même chez Hegel. Autrement dit, la position de l'analyste doit être celle d'un ignorance docta, qui ne veut pas dire sage, mais formel, et qui peut être formateur pour le sujet. La tentation est grande, car il est de bon ton, en ce temps de haine, de transformer ignorance docta dans ce que j'ai appelé, ce n'est pas d'hier, un professeurs d'ignorance ».[V]
Ici Lacan rattache la passion de l'ignorance, d'origine bouddhique, à l'ignorance savante, expression du philosophe Nicolas de Cues (1401-1464) qui fait référence à la connaissance qui implique l'unité des contraires et qui s'exprime sous la forme d'un désir : « […] on veut savoir qu'on ne sait pas. Si nous y parvenons, nous atteindrons l'ignorance savante. De même que l'infini englobe le fini, sans pour autant être fini, de même le savoir embrasse le non-savoir, sans pour autant devenir non-savoir [...][Vi]
En supposant une perspective négative sur la connaissance, mais sans que cela soit ancré dans le scepticisme, l'ignorance savante nécessite un dévouement à la connaissance, mais pour qu'elle réalise l'ignorance de manière maximale. De là naît la curiosité, une forme de désir infantile, qui se nourrit de la reconnaissance de l'existence de ce qui est ignoré.
Paulo Freire et Lacan seraient ainsi unis dans un projet homologue de subversion de l'usage, de la possession et de la propriété du savoir. Il est possible que ce soit ce projet qui dérange tant les conservateurs obscurantistes qui élisent aujourd'hui Paulo Freire comme ennemi public de l'éducation. Synthèse de l'école avec un parti et l'utilisation idéologique de l'État pour pervertir des enfants sans défense, en fait comme la psychanalyse qui a toujours été accusée de corrompre la jeunesse avec sa « manie » autour de la sexualité.
Lorsque la morale grossière qui s'est emparée de l'éducation brésilienne en 2018 reproche à Paulo Freire d'être responsable de nos problèmes, elle perçoit avec justesse le sentiment d'unité que l'auteur de Pédagogie des opprimés[Vii] atteint avec son travail et avec sa pratique. Mais, contrairement à ce que suggèrent ces critiques, Paulo Freire n'a jamais été le point de convergence synoptique de l'éducation au Brésil. Peut-être que la recette est bonne malgré le diagnostic erroné.
Comprendre les raisons qui ont conduit à cela, ainsi que souligner la place stratégique de l'éducation dans le processus politique brésilien, est l'objectif de ce livre. Son hypothèse de travail reprend ce que j'ai fait dans des travaux antérieurs sur les transformations du statut du mal-être et de la grammaire de la souffrance[Viii] et à l'écoute[Ix], dans ce cas compte tenu du contexte de l'école. La conversion de la souffrance en symptôme, issue des changements de nos modes de vie, c'est-à-dire de nos rapports entre travail, désir et langage, appelle une réponse éthique et politique que j'essaie de développer ici avec la notion d'écoute.
Fondement et principe du pouvoir de l'action psychanalytique, le statut même de la parole a subi des transformations décisives avec la version brésilienne du néolibéralisme, avec la diffusion de la culture numérique et avec les nouvelles formes d'individuation, concernant notamment les processus d'autonomie et d'indépendance avec leur implications pour la formation du désir. C'est donc la parole dans sa dimension d'écoute, de parole et d'écriture qui est questionnée dans ce livre.
Dans une première partie, je présente les transformations communautaires et institutionnelles qu'a connues l'école brésilienne au cours des quinze dernières années, au regard de l'hypothèse de la vie sous forme de condominiums. Durant cette période, la scolarisation brésilienne connaît un double processus : d'une part, les structures de copropriété déjà disponibles se sont intensifiées et généralisées, d'autre part, on commence à mieux comprendre les limites de cette façon de penser l'école dans un pays d'une telle dimension et de fortes inégalités comme le Brésil.
Des écoles avec plus de murs, des murs bilingues, des murs de classe, des murs et des caméras, qui ont fini par produire le consensus idéologique que nos enfants étaient en danger aux mains d'éducateurs marxistes, manipulateurs d'âmes qui, avec leur permissivité sexuelle et leur incitation aux droits de l'homme humains, corrompaient la famille.
Des écoles avec plus de liquidateurs, avec leurs processus de management et de management cognitif, avec leurs nouveaux schémas de pensée, leurs transmissions de connaissances et leur préparation à un nouveau monde du travail, désormais pleinement assimilé au monde du travail.
Des écoles avec des élèves qui souffrent d'une manière nouvelle. Plus silencieux, plus perturbateur, plus apathique, plus violent, avec des symptômes qui se sont déroulés dans la médicalisation, la criminalisation et la performance artificiellement induite à grande échelle. Après trente ans d'individualisation de la souffrance, d'en faire une expérience individualisée indifférente à la parole et à l'écoute, sécrétée par les neurotransmetteurs, nous sommes arrivés à une sorte d'effondrement discursif du néolibéralisme.
Dans la deuxième partie, j'ai essayé de montrer comment l'écoute peut nous aider à poser un diagnostic et à intervenir dans la crise régressive que nous traversons, mais aussi comment elle occupe une place stratégique pour affronter et transformer la nouvelle souffrance scolaire. Le concept et la pratique de l'écoute ne sont ni un privilège ni une prérogative des psychanalystes. Comme j'ai essayé de le montrer dans des travaux antérieurs[X], l'écoute est une forme d'antidote générique à la nouvelle souffrance scolaire. Dans l'ensemble, cela signifie que dans le même temps le processus de copropriété des écoles s'est aggravé, mais aussi la prise de conscience de ses effets et de ses méfaits. Ce n'est pour aucune autre raison que la polarisation politique qui a caractérisé les années 2016/2018 a placé le statut de l'école au centre du débat.
À un moment où l'éducation commence à atteindre un nombre sans précédent d'étudiants, avec une réduction substantielle du nombre d'enfants non scolarisés et une baisse des taux d'abandon, à un moment où, pour la première fois, nous avons plus d'étudiants noirs que de blancs à l'université de l'éducation , sous l'effet du système des quotas et du financement public de l'accès au collège, il y a en ce moment une diabolisation calculée des universités publiques, des politiques publiques d'éducation, des intellectuels et des professeurs, de l'univers du livre et de l'écriture.
L'émergence d'un discours obscurantiste ne peut être confondue ou réduite au coup du conservatisme. Le conservatisme est une attitude légitime et défendable dans l'histoire de la culture. Retenir, conserver et entretenir des valeurs, qu'elles soient sous forme d'œuvres, d'idées ou d'auteurs, dans une perspective de leur déclin dans le temps n'est pas un problème en soi. La tradition conservatrice dans la modernité, de Burkhardt à Gabriel Tarde, en passant par les anti-philosophes français et en arrivant à TS Eliot, nous a laissé des fruits incontestables. Mais cela est profondément différent du mouvement anti-intellectuel de rétrécissement démocratique, tendant au silence et à l'exclusion de valeurs qui ne sont pas les leurs, que l'on observe chez les critiques contemporains de Paulo Freire.
À cet égard, nous devons comprendre ce qui serait arrivé au meilleur de notre pensée conservatrice, d'origine libérale, qui n'a jamais réussi à s'imposer comme une plate-forme véritablement civilisatrice au Brésil. Il y a, comme je l'ai soutenu ailleurs, une difficulté chronique à soutenir, au-delà de la bravade déclaratoire et des idées déplacées, un individualisme capable de faire confiance aux institutions, de séparer le public et le privé, ou de croire en la force éclairante ou civilisatrice de la raison comme idéal médiateur. émancipatrice. Comme le montre Maria Helena Patto[xi], les idéaux libéraux en matière d'éducation, une fois inoculés sur le sol national, ont été successivement appropriés comme une forme de ségrégation, de naturalisation des différences et de confirmation des préjugés.
Mais c'est dans ce vide conservateur que l'on peut déceler l'émergence d'un discours régressif, prélibéral qui, au fond, n'accepte pas les règles élémentaires du jeu éducatif, comme renoncer au pouvoir des familles et le transférer dans le domaine de connaissances profanes, gérées par l'État et faire de l'enseignement privé une concession responsable à l'intérêt public. Au lieu de cela, nous avons le retour à une éducation disciplinaire au vernis militariste, la montée de l'éducation morale, l'implantation néo-pentecôtiste et la dégradation de nos ambitions scientifiques vers un format résigné et idéologique.
Contre cette trajectoire régressive, il importe de revenir à la fonction élémentaire de la parole, matière première de la psychanalyse, mais aussi point de départ de la démocratie et condition de possibilité de l'expérience éducative.
Ce livre est une tentative de reprendre la parole non seulement du côté de ceux qui la possèdent et la dominent, de ceux qui se disputent leur place de parole et produisent leur voix, mais aussi à travers l'écoute et la lecture, comme un acte transformateur. Ici, il ne s'agit pas seulement de manier la parole comme apanage exclusif des psychanalystes ou cliniciens, mais comme moyen culturel de production du commun. Dans la troisième partie, je suggère comment l'écoute peut redéfinir les processus d'autorité et de critique de l'idéologie, ainsi que participer au contexte de redéfinition institutionnelle et communautaire qui traverse les écoles, plus spécifiquement au regard des nouvelles grammaires de la lutte pour la reconnaissance.
L'École, telle que nous la connaissons, est une invention relativement récente. Si elle remonte aux expériences grecques par lesquelles le savoir se transmettait selon une forme éthique précise, que ce soit au Jardin d'Épicure, à l'Académie de Platon, au Lycée d'Aristote ou à la Stoa de Chrysippe, ce n'est qu'à l'époque XIXe siècle qu'elle s'est intégrée au projet de formation des États nationaux, qui avaient besoin d'homogénéiser leurs langues, leur histoire et leurs mentalités en vue d'institutionnaliser la société. Il est donc bon de rappeler que l'école devient une expérience obligatoire et universelle, puis un droit.
Son évolution en tant qu'institution est parallèle au processus de désenchantement du monde, avec sa rationalisation progressive. Dans ce processus, il ne faut pas oublier que l'école, qu'elle soit privée ou publique, sert toujours l'intérêt public. Elle fait partie intégrante de l'espace public et contribue à sa structuration du savoir. L'usage de la raison dans l'espace public, où se place la parole de l'enseignant, est une condition dans laquelle nous atteignons notre majorité ou encore ce que Kant appelait l'émancipation ou l'illumination.
Mais l'école est aussi une communauté. En fait, ils sont particuliers à cet égard, car certains reflètent des communautés nationales de destination, comme les écoles allemandes, françaises ou américaines ; d'autres proviennent de communautés religieuses comme les jésuites, les adventistes ou les maris ; communautés définies par division de classe, par extraction géographique, par des visions du monde, telles que les soi-disant progressistes ou expérimentales. Il existe des communautés définies par des positions philosophiques, par des modèles d'enseignement et d'apprentissage, toutes explorant des solutions au problème générique de savoir comment une communauté peut devenir une institution et une entreprise tout en restant une communauté.
Plus récemment, des écoles ont émergé qui se définissent comme une communauté internationale fondée sur la langue. Les écoles bilingues ou multiculturalistes réalisent l'importance de la diversité dans un monde de différences en pleine expansion. D'autre part, les écoles militarisées, qui fleurissent à travers le pays, semblent craindre cette diversité et l'interprètent comme une source de désordre et de détournement d'autorité. En même temps, l'école, surtout lorsqu'elle commence à avancer de plus en plus tôt dans le processus d'individualisation, hérite de la famille son sens communautaire.
Dans la famille, nous sommes toujours en position de minorité, car aussi équitables ou dialogiques soient-elles, les positions ne s'y substituent pas. Et c'est ce caractère irremplaçable qui en fait une matrice formative de notre grammaire amoureuse primaire. Dans la famille, nous commençons par être aimés pour ce que nous sommes, pas pour ce que nous faisons. Peu à peu, cela change, au point où nous passons de l'attention à la politesse. Cependant, le sentiment de possession qui naîtra de cette première expérience marquera profondément notre sphère privée et la façon dont nous appréhendons sa traduction en désirs et en exigences.
L'école en tant qu'institution en tant que telle veut « se tenir debout » et se pérenniser dans sa finalité, par force de loi et par prérogative de l'État et, le cas échéant, par prérogative de performance ou d'efficacité commerciale. A l'école, la contradiction entre l'institution et la communauté n'est jamais correctement surmontée. Mais ce qui est relativement nouveau dans notre situation, c'est l'émergence d'un double espace intermédiaire entre les deux sphères, publique et privée.
C'est l'espace de l'intime quand on pense au vecteur de l'espace privé, mais c'est aussi l'espace commun quand on pense à l'espace public. Le commun et l'intime impliquent tous deux une indétermination de la possession et de la propriété. Le commun et l'intime sont des situations problématiques pour les sphères de l'être et de l'avoir. Dès lors, il serait plus juste de comprendre que la relation entre le public et le privé n'est peut-être pas l'équivalent de deux sphères, mais peut-être une structure où l'extérieur et l'intérieur admettent des espaces de transition.
Cela aurait des conséquences importantes sur notre propre compréhension de l'individu, que nous avons tendance à représenter, depuis Leibniz, comme une boule ou comme une monade. Il y a l'intérieur et l'extérieur du corps, comme il y a la maison et la rue, le privé et le public. La critique psychanalytique de la modernité refuse de penser l'espace public et l'espace privé comme des sphères, proposant au contraire une double zone d'interpénétration, qui affectera profondément la compréhension de ce que l'on entend par connaissance et reconnaissance.
Partager le commun, c'est aussi institutionnaliser une manière de faire, de gérer, d'agir ensemble. Le partage de l'intime est une manière d'être communautaire, de partager des incertitudes et des promesses. On peut penser ce commun comme un commun d'origine, mais aussi comme un commun à venir, un commun à construire. De telles zones d'indétermination qui constituent le commun et l'intime peuvent se définir par une sorte de trou ou d'incomplétude des sphères. Dans ce trou, il y a une expérience très spécifique concernant notre rapport à la connaissance, car dans ce trou se trouve notre expérience de l'ignorance.
Si la communauté est un concept qui impose une géographie des côtes et des indéterminations, toujours ouverte à l'inclusion et à la référence à la famille comme communauté d'origine, l'expérience de l'institutionnalisation introduit un sens inédit et civilisateur de l'école. Du point de vue de l'institutionnalité, l'école est le lieu où l'on apprend que la loi n'a pas été faite de manière fantaisiste par les héritiers ou assimilés de nos proches. À l'école, nous découvrons que nous pouvons être remplacés par n'importe qui et que nous pouvons être comparés aux autres.
A l'école, la loi devient impersonnelle, elle s'applique à tout le monde, elle ne s'applique pas selon le goût ou la prédilection de l'enseignant, du coordinateur ou de la direction. L'école nous apporte une simulation et une répétition de ce qu'est un espace public et la parole de l'enseignant est la représentation première et fondamentale nécessaire à ce passage. En cela, un terme décisif est introduit pour parler de l'école en tant qu'institution qui sert et est créée dans le cadre de l'intérêt public : représentation. Qu'elle soit gérée par des fondations, par l'État ou par le secteur privé, l'école est toujours d'intérêt et d'utilité publique et donc soumise à une logique de transfert de pouvoir par la représentation.
Freud a créé la psychanalyse en partant d'un concept apparemment simple : la représentation, ou Vortellung. Terme clé de la pensée moderne car, entre autres, il permet d'être pris comme concept épistémique quand on pense que connaître c'est représenter correctement des phénomènes et des objets, mais c'est aussi une notion politique quand on pense que nos démocraties parlementaires s'appuient principalement sur des systèmes de représentation de district, fédéral et d'État. Enfin, si l'on se souvient qu'un acteur représente un rôle dans une pièce de théâtre ou qu'un peintre construit des représentations avec des images, on s'aperçoit que la représentation était un terme clé de la théorie esthétique.
Dans la récente crise politique brésilienne, on a souvent entendu dire qu'il s'agissait d'une crise de représentativité des institutions, des personnages et de confiance dans l'autorité de la raison ou dans la fiabilité des informations, qui aurait ébranlé encore plus la confiance dans la science, les écoles et les universités. Dans les arts et la culture, il y a un effort croissant pour revenir à la bonne manière de représenter, ainsi qu'un retour de la méfiance et de l'indignation envers certains thèmes qui ne devraient pas être représentés dans les musées et les expositions. Toujours dans ce contexte, il y a une prise de conscience croissante que certains groupes comme les femmes, les noirs, les LGBT et les pauvres sont surreprésentés dans les instances de pouvoir et de décision, que ce soit dans la sphère publique ou dans les entreprises.
Communauté et institutionnalité, reconnaissance de l'amour et reconnaissance des lois, coexistent de manière tendue, contradictoire et parfois effondrée, dans chacune des expériences scolaires que nous connaissons. Cependant, au Brésil après 2013, cette opposition a atteint une telle intensification et s'est croisée avec le processus politique de telle manière qu'une véritable mutation régressive semble avoir émergé. Au lieu de la passion de l'ignorance, on trouve l'abrutissement de ceux qui veulent pratiquer une pédagogie culturelle basée sur la coercition des thèmes et des valeurs.
Une transformation du sens de la communauté semble avoir renforcé l'esprit communautaire modifié, à travers lequel les familles en sont venues à se comprendre comme propriétaires ou actionnaires de l'école. D'autre part, les transformations institutionnelles suggèrent que les écoles doivent devenir de plus en plus des espaces disciplinaires et gouvernés impersonnellement.
Dans la quatrième partie, je présente une contribution ponctuelle, du concept psychanalytique de lettre, à la théorie de l'alphabétisation des enfants. J'ai essayé de présenter une conjecture sur l'hypothèse générique de Paulo Freire sur le fait qu'avant d'entrer en contact avec le savoir formel et codifié, représenté institutionnellement par l'école, l'enfant ou l'adulte analphabète est déjà lecteur du monde. L'idée que là où il n'y a pas de lettres, il n'y a qu'un vide à combler par une éducation bancaire, comme une toile vierge, est une idée qui ignore la compréhension plus large et plus universaliste du langage.
Cette idée freirienne se combine avec l'hypothèse de Lacan selon laquelle nous arrivons au monde dans une certaine constellation familiale, dans une mythologie familiale qui nous précède avec son réseau d'attentes et de surdéterminations. Les désirs qui anticipent l'arrivée d'un enfant sont aussi les coordonnées symboliques dans lesquelles l'enfant naît. Ce n'est donc pas une toile blanche. Nous avons appris que lorsque les parents comprendront que leurs enfants ne sont qu'un prolongement imaginaire de leurs projets et de leur façon de voir le monde, de sérieux problèmes surgiront pour cet enfant. L'enfant n'est pas une masse plastique à modeler par le narcissisme des parents. Cela se produit parce que le réseau d'attentes qui découlent de l'arrivée de quelqu'un dans le monde est, dans une large mesure, inconscient. Par conséquent, de nombreux enfants, lorsqu'ils réalisent les souhaits niés de leurs parents, font l'objet des critiques et des répudiations les plus sévères.
Mais l'enfant n'est pas une toile blanche, simplement parce qu'il anticipe des désirs et des exigences inconnus, mais aussi parce qu'il est un être actif et un sujet dans son rapport au langage, depuis le début. Elle est prononcée par le mythe familier du névrosé en même temps qu'elle parle du lieu de la vérité supprimée par ce même système. Et elle parle, simplement parce qu'elle lit le monde, comme une série de traits qui tombent sur son corps. Un ensemble de marques mnémoniques, c'est-à-dire comme des inscriptions mémorielles, produites par des attouchements, des caresses, mais aussi par les absences et les privations que lui impose le temps de l'Autre.
Cette idée que le sujet dépend d'une sorte de pari ou d'hypothèse d'anticipation nous conduit à une théorie de l'acquisition de l'écriture capable d'intégrer le lien social au sein duquel nous réapprenons à lire et à écrire.
Dans la cinquième et dernière partie, je présente quelques observations sur la psychanalyse à l'université. Ce sont des textes qui tentent de réinterpréter les questions léguées par Freud sur l'enseignement de la psychanalyse à la lumière des développements lacaniens sur le discours universitaire. Je comprends que la recherche en psychanalyse serait un quatrième élément par rapport au trépied de formation du psychanalyste, basé sur son analyse personnelle, sur la surveillance continue des cas qu'il traite et sur l'étude des concepts qui sous-tendent et généralisent la pratique de la la méthode d'investigation et la méthode de traitement.
En ce sens, la recherche en psychanalyse est une dimension supplémentaire de la formation. Cela signifie qu'il peut être ajouté au trépied sans que son absence signifie une perte ou une minorité. Rappelons que l'enseignement et la formation à la psychanalyse à l'université, notamment dans les cours de psychologie, ne sont qu'une fonction propédeutique ou préparatoire. La psychanalyse apporte donc à l'université un engagement éthique qui n'est pas toujours obtenu au regard du strict registre de la professionnalisation. D'autre part, l'université est un lieu de convergence de ce que la psychanalyse présente comme un symptôme par rapport au projet freudien originel, à savoir un champ qui s'organise selon l'opposition, la critique et la laïcité attendue de la science.
En cela, aucune conclusion n'est anticipée sur la nature scientifique de la psychanalyse, selon ses critères de délimitation, mais seule est réservée l'idée que la psychanalyse est transmise et adressée selon des critères publics d'aspiration universelle, donc réfractaires aux particularismes scolaires et aux politiques de des quartiers qui causent malheureusement le mécontentement de beaucoup de monde par rapport à l'invention freudienne.
* Christian Dunker Il est professeur à l'Institut de psychologie de l'USP. Auteur, entre autres livres, de littoraux pathologiques (Inverses).
Référence
Christian Dunker. La passion de l'ignorance : une psychanalyse de l'éducation à l'écoute. São Paulo, Contre-courant, 2020.
notes
[I] RANCIÈRE, J. Le maître ignorant. Belo Horizonte : Authentique, 2015.
[Ii] DUNKER, CIL Structure et Constitution de la Clinique Psychanalytique: une archéologie des pratiques de guérison, de soin et de thérapie. São Paulo : Annablume, 2013.
[Iii] LACAN, J. Le cahier du séminaire I Les écrits techniques de Freud. Rio de Janeiro : Jorge Zahar, 1988, [1953], p. 254.
[Iv] LACAN, J. Le Livre du Séminaire I: Les écrits techniques de Freud. Rio de Janeiro : Zahar, 1988, [1953], p. 317.
[V] LACAN, J. Le Livre du Séminaire I: Les écrits techniques de Freud. Rio de Janeiro : Zahar, 1988, [1953], p. 317.
[Vi] CUSA, N. L'ignorance apprise. Porto Alegre : EDIPUCRS, 2002, [1440], p. 43-44.
[Vii] FREIRE, p. Pédagogie des opprimés. São Paulo : Paz et Terra, 2005.
[Viii] DUNKER, CIL Malaise, souffrance et symptôme : une psychopathologie du Brésil entre les murs. São Paulo : Boitempo, 2015.
[Ix] DUNKER, CIL ; THÉBAS, C. Le clown et le psychanalyste: comment écouter les gens et transformer des vies. São Paulo : Planète, 2018.
[X] DUNKER, CIL & THEBAS, C. Le clown et le psychanalyste: écouter les gens et transformer des vies. São Paulo : Planète, 2018.
[xi] PATTO, MHS La production de l'échec scolaire. São Paulo : Queiroz, 1987.