La passion selon GH

Image : Régina Silveira
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Par BÉNÉDICT NUNES*

Présentation du livre par Clarice Lispector.

L'esprit se meut dans un monde étrange ou l'angoisse et l'extase se composant (Georges Bataille, L'expérience intérieure).

La passion selon GH (1964) entre dans cette collection non seulement comme le plus grand livre de Clarice Lispector - le plus grand dans le sens d'être celui qui développe les aspects singuliers de son travail, en extrémisant les possibilités qui s'y réalisent - mais aussi comme l'un des plus textes originaux de fiction moderne brésilienne.[I] C'est une loupe révélatrice, qui ouvre aussi au lecteur et au critique, par la puissance de l'engagement narratif, la frontière entre le réel et l'imaginaire, entre le langage et le monde, par où coule la source poétique de toute fiction.

d'un côté, La passion selon GH (PSGH) condense la ligne intériorisée de la création fictionnelle que Clarice Lispector a adoptée depuis son premier roman, Proche du Coeur Sauvage (1944), une ligne qui a atteint son point tournant à ce point; d'autre part, c'est un roman singulier, non pas tant par son histoire que par l'introspection exacerbée qui conditionne l'acte de le raconter, transformé en choc du narrateur avec le langage, porté dans des domaines qui dépassent les limites du verbal. expression.

Ce choc accompagne le récit tumultueux d'une extase. Qui le fabrique, sous l'effet de la fascination qu'exerce sur lui un cafard domestique, c'est GH, un personnage solitaire désigné par les initiales de son nom inconnu. Le trouble de son individualité, aliéné devant la contemplation du cadavre du cafard qui, dans un accès de rage, s'est écrasé sur la porte d'une armoire, et l'impuissance du personnage à raconter ce qui s'est passé, voilà toute l'intrigue de ce roman, si à on peut encore parler de complot. Passionné dans la mesure des passions rudimentaires et vertigineuses qu'il décrit La passion selon GH c'est pathétique dans sa forme d'expression intensifiée, chaleureuse, qui s'élève émotionnellement à la suite de la fusion d'images brûlantes, liées à des idées abstraites.

Le sec, l'humide, l'aride, sont parmi les premières qualités sensibles qui fournissent la gamme d'images descriptives des états d'aliénation que traverse GH, quittant le recoin de sa subjectivité pour l'élément impersonnel, anonyme et étrange des choses avec qu'il vit, s'identifie dans une sorte d'union extatique. Étapes d'un voyage de douleur et de joie, d'amour et de haine, atteignant l'Enfer et le Paradis, la souffrance et la gloire. Dans ces arrêts eschatologiques, libération et condamnation, salut et perte, s'entremêlent pour le personnage-narrateur, privé, comme mort, de son organisation humaine : « Si tu savais la solitude de mes premiers pas. Cela ne ressemblait pas à la solitude d'une personne. C'était comme si j'étais déjà mort et que je faisais seul les premiers pas vers une autre vie. Et c'était comme si cette solitude s'appelait gloire (…) ».[Ii]

A gloire est associée à la « longue vie de silence » qui était aussi l'entrée dans un désert : « Je suis entré dans un désert comme je n'y étais jamais allé. C'était un désert qui m'appelait comme une mélopée monotone et lointaine ».[Iii]

Mais ce désert de l'âme anticipe la nouvelle réalité à laquelle il arrive, le néant dans lequel il pénètre, qui a le brûlant de l'enfer et le refroidissement du paradis : « C'est ainsi que j'ai fait mes premiers pas dans le néant. Mes premiers pas hésitants vers la vie et quitter ma vie. Le pied a marché sur l'air, et je suis entré au paradis et en enfer : le noyau ».[Iv]

La généralité du sacrifice, de la passion de GH, puisqu'elle trouve en elle-même « la femme de toutes les femmes », donne à son chemin le sens d'un pèlerinage de l'âme, semblable à un itinéraire spirituel, comme dans les écrits mystiques à caractère confessionnel, fréquents dans la tradition chrétienne et presque étrangère à l'hébreu, inspirée par l'interprétation allégorique des textes sacrés. Serait-on face à un roman allégorique ? Plus justifiée semble la question ; quand il est trouvé, soit par topos entrée et sortie, aridité, sécheresse, solitude et silence, ou par la vision contradictoire de l'ineffable (le rien, la gloire, la réalité première), le « contexte mystique » de l'itinéraire sacrificiel de GH

Il ne serait donc pas déraisonnable de répéter pour le lecteur d'aujourd'hui, dans cette introduction de La passion selon GH, l'avertissement de Dante au Can Grande de Scala concernant la Divina Comédie: « (…) il faut savoir que cette œuvre n'a pas un sens simple, mais, au contraire, on peut même l'appeler polysémique, c'est-à-dire qu'elle a plus d'un sens, puisque le premier est ce qu'on a de l'œuvre elle-même, la lettre et l'autre celle qui tire son sens de ce qui est dit par la lettre. La première est dite littérale, la seconde allégorique ou mystique.[V]

Mais si l'on peut dire que l'œuvre de Clarice Lispector est d'une polysémie troublante, ce qui en elle « prend son sens de ce qui est dit par la lettre », n'appartient pas, comme dans le Divina Comédie, à l'échelle figurale de l'allégorique.[Vi] Comme en transit dans les décombres de la vision de Dante, la symbologie religieuse utilisée par GH n'est plus, malgré l'inflexion théologique de son long soliloque, dans le ton confessionnel d'un pénitent, l'illustration sensible du destin surnaturel de l'âme humaine. L'enfer et le paradis sont l'apogée pathétique de l'âme, l'aboutissement d'une vertigineuse connaissance de soi descendant dans l'abîme de l'intériorité.

Se La passion selon GH rend justice à la classification d'un roman allégorique, il ne le sera pas au sens médiéval, mais au sens baroque de figuration multiple d'une portée inépuisable, ou, comme le précisait le penseur juif Gershom Scholem, reprenant le concept d'allégorie de Walter Benjamin, d'un « réseau infini de significations et de corrélations où tout peut devenir la représentation de tout, mais toujours dans les limites du langage et de l'expression ».[Vii] Du fait de la multivalence des images et des concepts que réunit le récit de l'état d'extase, tout dans ce texte est un jeu clos d'apparences sous l'empire d'une ambiguïté douloureuse et perverse.

Le sacrifice de l'identité personnelle de GH, « la perte de tout ce qui peut être perdu et être encore », s'apparente à la crise violente qui annonce une conversion religieuse. Mais dépouillée d'elle-même, plongeant dans un moment d'existence abyssal qui élimine « l'individu superflu », elle s'annule comme personne, nivelée par un cafard. Brisant l'interdit hébreu de toucher au sale, à l'impur, au dégoûtant, grotesque aussi, l'amer sentiment de la faute commise l'assaille, sans rejeter le Péché. Et quand, après tout, il participe à la masse blanche de l'insecte transformé en hostie, cet acte prend l'apparence d'une profanation, du crime infâme du sacrilège.

La nature brute de la vie à laquelle elle accède est ambiguë : domaine de l'organique, du biologique, antérieur à la conscience, et aussi dimension du sacré, interdit et accessible, menaçant et apaisant, puissant et inactif. Et ambigu est l'amour que provoque l'extase : opposé à bouche bée du christianisme, impulsif comme l'eros païen, cet amour tend au ravissement et à l'enthousiasme orgiaque, annonciateur de la transfusion des corybantes au sein de la divinité.

Enfin, oscillant entre le tout et le rien, du vidage du Soi au vide plein, l'expérience cruciale de GH, contradictoire et paradoxale, assourdit sa compréhension et gêne sa parole : « Ce que j'appelais rien m'était pourtant si attaché qu'il était... moi? et donc il est devenu invisible comme j'étais invisible à moi-même, et il est devenu rien. La vie est à moi et je ne comprends pas ce que je dis ».[Viii]

La réalité commune subvertie, le monde bouleversé, le non-humain devient la profondeur insondable de l'humain.

Cependant, nous alertons le lecteur sur le fait que la vision troublante du personnage-narrateur est inséparable de l'acte de la raconter, comme sa tentative de se réapproprier le moment d'illumination extatique, antérieur au début de la narration, et qui l'a dépossédée. de vous-même. C'est seulement comme mémoire, dans l'ordre successif du discours, que la narration pourra restituer la soudaineté de la transe visionnaire. Et la restaurer, rendre aussi, grâce au nouveau je de l'énonciation dans lequel GH investit le rôle de narrateur, l'identité dont la perte constitue le noyau de son récit.

Partagé entre perte et reconquête, entre présent et passé, l'acte de raconter, douteux, la voix indécise de celui qui le fait, sans aucune certitude quant à ce qu'il a vécu et ce qui lui est arrivé, est une "histoire difficile" et sera moins un constat qu'une construction de l'événement : « Je vais créer ce qui m'est arrivé. Juste parce que vivre n'est pas à déclarer. Vivre n'est pas vivable. Je vais devoir créer sur la vie. Et sans mentir. Créer oui, mentir non. Créer n'est pas de l'imagination, c'est courir le grand risque d'avoir du réel. Comprendre est une création, ma seule voie. Je vais devoir faire un effort pour traduire les signaux télégraphiques – traduire l'inconnu dans une langue que je ne connais pas et sans même comprendre à quoi servent les signaux (…). Jusqu'à ce que je crée la vérité sur ce qui m'est arrivé. Ah, ce sera plus, un graphisme qu'une écriture car je cherche plus une reproduction qu'une expression ».[Ix]

Vivre n'est pas rapportable : le moment de l'expérience, instantané, échappe au mot qui l'exprime. Vivre n'est pas vivable : le récit, lien discursif de sens, recrée ce qui était destiné à être reproduit. Et comment reproduire le moment d'extase, muet, sans mots, qui renvoie à un monde non verbalisable ?

La simple expérience immédiate manquerait du mot qui lui donne sens, et la pure délivrance à l'imaginaire tomberait dans une verbalisation irréductible à l'expérience. La première nous enfermerait dans un monde pré-verbal, menteur au langage ; la seconde nous enfermerait dans un langage sans monde, menteur à la réalité. Créer consiste en la référence sans fin de l'imaginaire au réel et du réel à l'imaginaire, comme un mouvement d'écriture, qui traduit « l'inconnu dans une langue que je ne connais pas… »

Em La Passion selon G.H.., la conscience du langage comme symbolisation de ce qui ne peut être pleinement verbalisé, s'incorpore dans la fiction régie par le mouvement de l'écriture, qui entraîne avec elle les vestiges du monde préverbal et les marques « archéologiques » de l'imaginaire aussi loin que possible. comme il descendait. GH essaie de dire la chose sans nom, dévoilée dans le moment de l'extase, et qui se révèle dans le silence entre les mots. Mais ce qu'elle énonce ne peut manquer de symboliser le substrat inconscient de la narration qui, matière commune aux rêves et aux mythes, surgit des couches profondes de l'imaginaire qui constituent le sous-sol de la fiction. L' « archéologique » de la fiction alimente ce qu'il y a de sacré et d'eschatologique dans l'allégorie possible.

La prise de conscience du langage qui accompagne l'effort de la narratrice pour retrouver la transe visionnaire qui l'aliène est dramatique. Dès lors, le récit devient l'espace agonique du narrateur et le sens de sa narration - l'espace où le narrateur erre, c'est-à-dire où il se cherche, cherche le sens de la réalité, qui ne s'accomplit que lorsque le langage ne dit pas. lui : « La langue est mon entreprise humaine. Par le destin je dois aller le chercher et par le destin je reviens les mains vides. Mais – je reviens avec l'indicible. L'indicible ne peut m'être donné que par l'échec de mon langage. Ce n'est que lorsque la construction échoue que j'obtiens ce qu'elle n'a pas obtenu ».[X]

Du processus langagier résulte une fiction erratique, « plus un graphisme qu'une écriture… ». Cependant, considérez le lecteur que le point de vue de GH, comme vous pouvez le voir par le contrepoint méditatif précédent à propos de son "rapport difficile", ne se manifeste jamais indépendamment de la pensée conceptuelle qui demande, qui interroge, qui s'exclame, qui spécule, commentant et interprétant l'extatique l'illumination, récupérée comme une mémoire, comme le souligne la chaîne réflexive des thèmes – Dieu, l'art, le langage, la beauté, parmi tant d'autres, qui s'étend d'un bout à l'autre du roman. La narration devient « méditation visuelle », et cela constitue un graphisme, une cryptographie – écriture de la fascination, avec quelque chose de numineux, perpétuant la séduction du cafard écrasé.

On pourrait dire que le récit, avec ses traits numineux, fait couler, introspection exacerbée, tout ce que l'écriture implique de menaçant et de métamorphique. Avant d'être mystique, la vision de GH appartient au mysticisme de l'écriture.

C'est précisément la fiction erratique, issue de ce mysticisme, qui est le tournant de l'œuvre de Clarice Lispector, qui débute en Proche du Coeur Sauvage, du point de vue de l'introspection qui culmine dans l'extase de GH

Au moment de la publication de ce premier roman, cette perspective représentait une déviation esthétique par rapport aux standards dominants de la prose moderniste en 1922 et de la fiction néonaturaliste des années XNUMX, déviation qui liait l'auteur, par affinité, à Marcel Proust, Virginia Woolf et James Joyce, le "flux de conscience" ou les fictionnistes de la durée intérieure. L'aboutissement de cette perspective dans A Paixão Segundo GH c'est le débordement pléthorique de la dialectique du vécu – la tension entre l'intuition instantanée et son expression verbale médiatisée par la mémoire, qui a naturalisé la déviance esthétique comme force propulsive dans la fiction de Clarice Lispector.

La Passion selon G.H.., quel extrême la conscience de la langue s'est déjà manifestée, après Proche du Coeur SauvageSur Ô Lustre (1946), La ville assiégée (1949) et La pomme dans le noir (1961), ont exacerbé cette déviation. Après son cinquième roman, Clarice Lispector va briser le moule historique de la création romanesque et les conventions identitaires de la fiction dans Méduse (1973), L'heure de l'étoile (1977) et Un souffle de vie (1978).

Le signe indubitable du tournant de ces textes est le geste pathétique de GH, qui tient la main d'une seconde personne pendant qu'elle raconte, sans laquelle elle ne pourrait continuer son « histoire difficile » : « En écrivant et en parlant, j'aurai que de prétendre que quelqu'un me tient la main.[xi]

Expédient fictionnel, qui amplifie le drame du récit et authentifie le paroxysme du personnage, ce geste dialogique dirigé vers un tu située à la lisière du récit, elle fait irruption dans le monologue, comme proposition d'un nouveau pacte avec le lecteur, considéré comme un support actif de l'élaboration fictionnelle – participant ou collaborateur – qui doit la poursuivre.

Pour cette raison, La passion selon GH, où culmine la dialectique du vécu, favorise la compréhension rétrospective de la romancière Clarice Lispector, et contribue aussi à l'élucider prospectivement. Ainsi, la genèse du roman, qui est, en tant que possibilité, l'horizon vers lequel elle se dirige dès le début, est liée au développement de toute son œuvre.

***

L'étude génétique du texte, par Nadia Batella Gotlib, professeur de littérature brésilienne à l'Université de São Paulo, avec des travaux théoriques publiés sur les nouvelles et la poésie, ne perd pas de vue cet horizon. Dans le panorama biographique-littéraire et analytique qui retrace l'écrivain brésilien d'origine ukrainienne, élevé à Recife depuis l'âge de deux mois, il retrace le processus de genèse de l'œuvre jusqu'aux nouvelles écrites dans sa prime jeunesse, et qui contiennent déjà le contour des matrices, techniques et particularités de construction de Proche du Coeur Sauvage et les histoires matures de Relations de famille: le courant de conscience, le discours mémoriel, l'humour, le grotesque, « le jeu des personnages dans un triangle amoureux », et, surtout, la charge passionnée de séduction vécue par eux, qui les éloigne violemment un instant, de réalité quotidienne et triviale à laquelle ils reviennent toujours, comme cela arrive avec GH qui revient de l'extase dans le monde humain organisé.

prévaut dans Relations de famille le schéma narratif en trois parties avec un point culminant médian, qui sera aussi celui de La Passion selon G.H.., qui fut le produit de 24 ans d'activité littéraire, écrite au début d'une longue période de répression politique, quand l'auteur, sans échapper à ce qu'elle est, depuis le XXe siècle. XIX, dans notre pays, une règle de quelques exceptions dans l'activité professionnelle de nos écrivains, a commencé à gagner sa vie en tant que journaliste. Cependant, la situation politique n'a pas d'influence directe sur le roman de 1964, dans lequel le thème de la répression, qui est d'ailleurs implicite dans l'insoumission et l'élan transgressif des personnages féminins de Clarice Lispector, se profile dans la solitude de GH et dans l'effondrement de son cadre social .votre individualité.

Peut-être l'élan transgressif des personnages féminins de Proche du Coeur Sauvage, du Ô Lustre, du La ville assiégée et La pomme dans le noir, et certains récits de Relations de famille qui revient, après une crise d'aliénation du quotidien banal et domestique, est la marque inversée de la soumission féminine. Mais il est clair, d'autre part, que la nudité personnelle dans GH neutralise la différence entre le masculin et le féminin, absorbé dans une condition humaine générale par opposition à l'animalité et à la vie organique.

Soumission et domination, servitude et seigneurie, s'entremêlent dans la confrontation du masculin au féminin dans La pomme dans le noir. Ici, il y a un protagoniste, Martim, simplement L'Homme, comme on l'appelle ; autant que les femmes, Ermelinda, Vitória et Francisca, il représente, dans les relations intersubjectives antagonistes qui entretiennent, à travers l'utilisation équivoque du langage, la condition humaine précaire et fragile. Ce type de transaction affective revêt une importance particulière – le « jeu de se donner à – et de se protéger dans – », qui est une autre facette du jeu de séduction, – poussé à son extrême limite dans La passion selon GH et dans les contes de La légion étrangère (1964), dans beaucoup desquels le plan métalinguistique de la fiction de Clarice est évident.

Ce plan persiste jusque dans la chronique, chez nous un genre mixte, adapté à la communication journalistique, mêlant commentaire et faits divers et l'invention romanesque, qui intéresse Clarice Lispector, attirée par la piètre qualité esthétique de ce « vilain petit canard » de la littérature. Mais ses chroniques n'étaient pas déconnectées de son travail de romancier. Beaucoup sont devenus des fragments de textes plus volumineux. Sensible à la variété des styles, la conteuse et romancière s'est débarrassée de son sens parodique en imitant l'actualité à impact et le sensationnalisme du journal en écrivant autour d'un thème unique - le sexe - les 13 histoires de Le chemin de croix du corps (1974), qui substituent, à l'attrait du scabreux, la séduction de l'expérience et la fascination du langage, subsistant dans certains récits de Où étais-tu la nuit ? (1974), et qui contiennent, à forte dose, les récits de bonheur clandestin (1971) et le roman Un Apprentissage ou le Livre des Plaisirs (1969).

Dans ce dernier, qui apparaît comme une réponse à l'isolement monologue de GH devant un cafard, le récit est polarisé par le dialogue ; les personnages, Lori et Ulisses, consciences aimantes qui se reconnaissent dans leur interlocution et dans la vie, font un apprentissage du monde humain, auparavant désintégré.

Enfin, Méduse (1973) unit les deux volets, la transe visionnaire, l'illumination extatique, instantanée, et la pensée conceptuelle, dans un flux narratif continu, composé de moments discontinus, thématiquement diversifiés. Comparée par la narratrice elle-même à une improvisation musicale, la narration est le prolongement du mouvement vagabond de l'écriture de La Passion selon G.H.., créant l'espace agonique du langage, où la narratrice se perd à la recherche d'un sens qui la dépasse, et où elle se retrouve sans autre identité que celle d'instance énonciatrice de la parole, eau baptismale vivante dans laquelle elle baigne.

Improvisé, le texte, racontant l'histoire de personne dans des histoires épisodiques, demande au lecteur actif de le reprendre et de pouvoir se fondre, à travers les intervalles de silence, entre les lignes du sens des mots, distendues par le discours, le réel à l'imaginaire et l'imaginaire au réel. La relation dialogique reconquise est transférée, avec le nouveau pacte fictionnel, à ce lecteur plus qu'implicite, à qui s'adresse le narrateur-personnage.

Réfractaire « à la suite logique du récit », mais fidèle à la dialectique du vécu, le discours, où l'introspection éclate en improvisation, maintient la pulsation discontinue de l'instantané, incorporant des traces isolées d'intuition, sous une forme partielle, fragmentaire. d'écriture momentanée qui les a recréés. Fondamentalement "un collage de fragments", Méduse révèle cette technique de suture, fréquemment utilisée par Clarice Lispector, comme la contrepartie compositionnelle de la primauté du fragmentaire, de l'expression intensifiée, instantanée et passionnée qui la poussait à la déviation esthétique.

Le nouveau record de L'heure de l'étoile (1977) – son thème social – est une autre échelle de l'écriture déambulatoire de La Passion selon G.H.. Comme celui-ci également, le récit de l'impuissante Macabéa, fille insignifiante du nord-est perdue dans l'anonymat de la grande ville, est difficile, donné par un narrateur interposé, à côté duquel l'auteur elle-même, se moquant du déguisement de la distance fictionnelle, insinue son présence nominale : c'est Clarice Lispector qui souffre avec Macabéa, et qui finit par mourir quand, ironie du sort, l'impitoyable Fado s'écrase sous les roues d'une voiture, au moment où elle semblait s'élever au rang de célébrité urbaine - protégée par une bonne étoile – le caractère que la pauvreté avait déjà écrasé en tant que personne.

Publié à titre posthume, Un souffle de vie (1978), dont le romancier a reçu le sous-titre extralittéraire de pulsations, est un déploiement de sa présence dans deux personnages-auteurs, un homme et une femme, à travers lesquels elle se raconte, poursuivant, d'une autre manière, le même pathétique de la mort et de la folie que GH abordait, l'improvisation de Méduse.

***

En principe, la réception critique de A Paixão Segundo GH dépendait de l'acceptation des romans précédents et surtout de la répercussion favorable des contes de Relations de famille et les chroniques de l'auteur. Cependant, le cinquième roman a également représenté, pour diverses raisons littéraires, culturelles et politiques, comme nous le montrent les professeurs de littérature brésilienne Benjamin Abdala Junior et Samira Youssef Campedelli, un nouveau seuil d'accès aux livres du romancier, conteur et chroniqueur, qui s'est également consacré à littérature jeunesse. L'histoire de ses livres, dans la longue période post-moderniste où ils apparaissent, fait partie d'une phase fertile de l'art et de la littérature brésiliens, lorsque la poésie de João Cabral de Melo Neto, les grands poèmes de Carlos Drummond de Andrade, les l'œuvre romanesque de Guimarães Rosa, et lorsque, à partir des années 50, se développent les avant-gardes poétiques qui, comme le concrétisme, apportent de nouvelles exigences de jouissance du texte littéraire comme œuvre de langage.

En complément de cette édition critique, les trois lectures interprétatives de La passion selon GH., dont il existe une impressionnante convergence, soulignent, chacun de son point de vue particulier, ce travail de langage.

Explorant, à la lumière de l'analyse thématique, la veine biblique de Clarice Lispector, Olga de Sá, professeur à l'Université pontificale catholique de São Paulo et essayiste, répond, en Parodie et Métaphysique, à la question du caractère allégorique de l'œuvre que nous avons initialement formulée, nous faisant voir les éléments parodiques dans le registre de l'ironie, qui interfèrent avec l'itinéraire mystique de GH, inversant le sens doctrinal actuel des passages des textes sacrés. S'en tenant à l'esquisse des motivations théologiques qui accompagnent le cours de la « méditation visuelle » de GH, d'où ressort le fil singulier de l'idée d'une divinité substantielle - le Dieu -, Olga de Sá considère l'expérience cruciale décrite dans le roman comme un débat indécidable entre immanence et transcendance, qui se transfère au langage et qui trouve son apogée dans le moment silencieux, extatique et révélateur de l'épiphanie.

L'épiphanie est au centre de l'analyse intratextuelle d'Affonso Romano de Sant'Anna, qui commence par parodier l'aspect réitératif paralléliste des segments capitulaires de A Paixão Segundo GH Le poète, professeur à l'Université Pontificale Catholique de Rio de Janeiro, nous montre, dans Le rite épiphanique du texte, que l'épiphanie, dans cette œuvre, obéit aux séquences constitutives d'une aventure mythique, tout en étant une recherche de nature métaphysique, en même temps le récit d'une transformation opérée rituellement. Ainsi, la séduction du vécu et du langage prend la forme d'un rituel, qui rencontre les manifestations primitives du sacré. L'intelligibilité de l'œuvre, qui relève ainsi des structures anthropologiques de l'imaginaire, s'étend aussi, à travers des concepts tirés de la théorie des catastrophes, à la compréhension des contrastes et des contradictions des figures du récit : le Tout et le Rien. , la multiplicité et le neutre comme opposés. À la fois sublime et grotesque, le récit, langue-sujet et rituel de la langue, soutenu par des oxymores et des paradoxes, aspects qu'Olga de Sá aborde également, est un anti-récit.

La conclusion, par une voie différente, de l'interprétation semi-linguistique-formelle du même texte par Norma Tasca, de l'Université de Porto, n'est pas différente, ce qui pourrait être résumé dans la réponse donnée à la question suivante : comment verbalement reproduire l'expérience vécue ? La réponse de l'essayiste est donnée par le dévoilement des structures de sens qui sous-tendent la dialectique du vécu. Développant cette dialectique au détriment d'une dimension impulsive, cette question porte l'enquête à un niveau de généralité épistémologique : qu'est-ce qui permet de raconter la passion ? Chez Clarice Lispector, les conditions de possibilité du récit passionnel reposent au préalable sur la répétition intensive et extensive, qui est, comme la mémoire anaphorique, la anamnèse du texte segmenté, que les métaphores filetées soutiennent dans la corrélation métonymique. Le flux du langage est conditionné par la construction paradoxale du récit, due à la proximité maximale entre énonciation et énonciation, qu'assure la prépondérance du sujet narrateur. D'où l'effet surprenant d'une narration, qui se développe à contre-courant des mots, est une narration.

Les trois interprétations qui s'harmonisent, le thème devenant linguistique, l'intratextuel liant les constantes anthropologiques du texte à la maîtrise du mot, qui colle au sémio-linguistique-formel, confirment le rôle prépondérant de la conscience langagière dans la fiction Lispector de Clarice.

« Pourquoi j'écris ? Parce que j'ai capté l'esprit de la langue et donc, parfois, c'est la forme qui fait le contenu », écrit l'auteur interposé de L'heure de l'étoile. En effet, cette conversion de la forme en contenu est le privilège de l'écrivain authentique – l'écrivain au sens donné par Roland Barthes, qui « travaille sa parole (même s'il est inspiré) et s'absorbe fonctionnellement dans cette œuvre ».

Comme Machado de Assis, Mário de Andrade, Oswald de Andrade, Graciliano Ramos et Guimarães Rosa, Clarice Lispector, qui a travaillé sur le mot et a été travaillée par lui, appartient à la catégorie des écrivains matriciels, ceux capables de redimensionner une littérature dans la mesure où, en approfondissant la langue, ils contribuent à donner une nouvelle vie à l'esprit de la langue.

Dans l'introduction de l'article sur les débuts de notre auteur, qu'il récapitule dans le Liminar, Antonio Candido prévient que, pour que paraissent les chefs-d'œuvre d'une littérature, il faut que « la pensée accorde la langue et la langue suggère la pensée accordé par elle ».[xii]

Il faut tenir compte de ce double accord au sens musical de l'accord, comme la basse continue de l'œuvre de Clarice Lispector dans toutes ses phases, puisqu'elle atteint, à travers la langue travaillée, la difficile intersection de la pensée avec la langue.

* Benedito Nunes (1929-2011), était philosophe, professeur émérite à l'UFPA. Auteur, entre autres livres, de Le drame du langage – une lecture de Clarice Lispector (Énerver).

Référence


Clarice Lispector. La passion selon G.H.. Édition critique. Coordination : Benedito Nunes. São Paulo, Éditions UNESCO/Edusp, 1988, 390 pages.

notes


[I] Fonds d'archives, Éditions UNESCO.

[Ii] PSGH, p. 42.

[Iii] PSGH, p. 40.

[Iv] PSGH, p. 54.

[V] Dante Alighieri, Lettre au seigneur Can Grande de Scala, Œuvres complètes, vol. X, p. 165. Editora das Americas, São Paulo.

[Vi] Cf. Erich Auerbach, "Figure", Scènes du drame de la littérature européenne,P. 11-76. Livres méridiens, New York, 1959.

[Vii] Gershom Scholem, La mystique juive, p. 26, Editora Perspectiva, São Paulo, 1972.

[Viii]PSGH, p. 52 et 115.

[Ix] PSGH, p. 15.

[X] PSGH, p. 113.

[xi] PSGH, p. 13.

[xii]Antonio Candido, À l'aube de Clarice Lispector, dans Divers écrits,P. 126, Deux Cités, São Paulo, 1970.

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