La révolution et ses distances

Arshile Gorky, Agonie, 1947.
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Par HORACE GONZALEZ*

Réflexions sur la temporalité révolutionnaire.

La révolution est derrière nous. Il apparaît diffus – non parce que ses différents noms le sont, mais parce qu'il prend les proportions d'un mythe devant lequel nous sommes des consciences erratiques, insignifiantes. Cependant, si les éphémérides et les statues des révolutionnaires nous regardent depuis un passé de cristal, nous ne considérons pas non plus l'avenir comme l'enceinte de ce qui s'est déjà passé. Nous le considérons comme une imprévisibilité qui inclut toutes les versions modifiables d'un passé qui joue à cache-cache avec son actualité.

Pourtant, le mot révolution – contemporain d'au moins quatre siècles, de Cromwell à Cooke – n'a pas la renommée de son étymologie (quelque chose renversant quelque chose), mais le prestige d'une rupture radicale dans l'histoire. Il y a toujours une recherche du temps zéro, du jour initiatique, de l'épiphanie. Pour cette raison, bien des révolutions prescrivent d'emblée le découpage des temps, ce que dans les discours usuels nous appelons eaux partielles, tourné, mais, en fait, ce qui casse, c'est le temps. Le temps de l'eau qui, même si on n'y croit pas, est un complément du temps.

C'est pour cette raison que la Commune de Paris réfère son calendrier à celui de la Révolution française et celui-ci renvoie au calendrier de la nature : le temps se mesure par rapport aux évidences naturelles, récoltes, chaleur, brumes, etc. On ne pourrait pas dire que la révolution est un changement de calendrier, mais une autre vision du temps, un clivage de la temporalité linéaire. En adopte-t-on une autre, circulaire ? Dans une large mesure oui, mais dans l'attente de la possibilité de vous donner des "étapes" et de "surmonter". C'est ce qui s'est passé avec la Révolution d'Octobre, le mois changé en novembre par les révolutionnaires eux-mêmes, « occidentalisant » leur conception du calendrier, la notion de chronologie pour classer les événements collectifs.

Mais si la révolution est un moment précis du temps – auquel elle s'arrête utopiquement – ​​elle ne cesse d'être l'objet de préparatifs frustrés et d'opportunités soudaines et foisonnantes. Le révolutionnaire professionnel semble surgir d'un moment antérieur : l'humanité a besoin de se voir d'une autre manière, d'une manière dont elle ne soupçonne que ce qu'elle sera. Mais la constance du révolutionnaire professionnel lui fait voir le temps d'une manière étrange, comme une corrélation de forces, une sommation objective d'énergies.

Le temps est une force qui ne se mesure pas, c'est pourquoi la corrélation est un pari métaphorique. Face aux différents moments de ces corrélations, l'imagination agit en supposant qu'aujourd'hui la volonté du révolutionnaire est faible et demain, au contraire, il sera puissant. Pour cette raison, les documents et les discours du révolutionnaire professionnel peuvent être vus comme contradictoires, mais ils sont revalidés à mesure qu'il calibre les différentes distances qu'il établit avec son matériel.

Si vous voyez venir la révolution, vous sautez des étapes. Si vous le regardez de loin, car de nombreuses médiations interviennent, vos discours parleront de moments conjoncturels, la somme de différents aspects, la frénésie pleine de choses et de personnes avec lesquelles vous ne serez jamais tout à fait d'accord. En face du révolutionnaire professionnel se trouve le révolutionnaire qui ne connaît pas sa force et ne prévoit pas ses actions. Il n'est ni spontanéiste ni intuitionniste. Il y a des certitudes sur le déroulement de l'histoire, l'hypothèse d'un vide l'atteint, non régie par des hypothèses selon un temps linéaire ou des étapes qui obéissent à son début, à la conclusion de ce qui l'a précédé. C'est le fils d'un gouffre insoupçonné.

L'histoire des révolutions est l'histoire de l'opposition entre le révolutionnaire professionnel et le révolutionnaire reconstitué et remplacé par l'abîme d'un temps imprévisible. L'histoire de ce dernier a toujours été racontée à la lumière de l'histoire du premier. Peut-être viendra-t-il un temps où les équations s'inverseront, et le révolutionnaire « occasionniste », l'homme de l'impensé, pourra-t-il raconter ce qu'il a vu de ce qui aurait pu être son refuge originel, ce révolutionnaire de métier, qui, étant toujours révolutionnaire, constamment adapta sa vie aux différents murs que, pour abattre, il fallait toujours mesurer selon les différentes distances qu'ils t'offraient. C'était le jeu entre le maçon avec sa cuillère à mortier fixe et le torero toujours calculateur, perplexe, un jeu de distances toujours différentes entre lui et son but qui bouge tellement, pure vibration animale.

* Horace Gonzalez (1944-2021) a été professeur à l'Université de Buenos Aires et directeur de la Bibliothèque nationale d'Argentine. Auteur, entre autres livres, de Que sont les intellectuels (Brésilien).

Traduction: Silvia Beatriz Adoué.

Initialement publié dans le magazine El Ojo Mocho, année VII, nº 7, Buenos Aires, printemps-été 2018-2019.

 

 

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