La saga des intellectuels français

Joan Miró, Carnaval d'Arlequin, 1925.
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Par FRANÇOIS DOSSÉ*

"Introduction" du livre nouvellement publié

Un écart entre deux dates, 1944-1989, et un immense contraste sert de limite temporelle à cette étude : d'une part, le sentiment d'être poussé par le mouvement de l'histoire vers le climat de sortie de la barbarie nazie ; de l'autre, l'impression de l'effondrement de l'expérience historique vécue au moment de la chute du communisme en 1989. Dans cet intérim, c'est la croyance même au cours de l'histoire - qui, soi-disant, apporterait un monde meilleur - qui a fini par être refusé.

L'idée d'un avenir, comme but à atteindre inexorablement par la marche du monde - dont les guides seraient des intellectuels - a disparu pour être remplacée par un "présentisme" indéterminé. Comme l'a déclaré Jorge Semprún, lors de sa participation à l'émission de radio radioscopie, présenté par Jacques Chancel : « Notre génération n'est pas préparée à se remettre de l'échec de l'URSS ». Ce sont les intellectuels de gauche – bien plus que les militants communistes eux-mêmes – qui, de manière cruelle et durable, ont subi un tel coup, finissant par se voir, au cours du XXe siècle, orphelins d'un projet de société.

La marche vers une société égalitaire avait été le moteur des mouvements émancipateurs du XIXe siècle, dit « siècle d'histoire » : la société perdait ce qui lui donnait sens. Les intellectuels de gauche n'ont pas été les seuls à se résigner à être sans avenir au cours du XXe siècle tragique : ceux de droite ont dû abandonner leurs propres illusions à la fois d'un retour à la tradition, prôné par le maurrassisme d'avant-guerre, et d'une compromis avec un régime républicain qui, pendant longtemps, avait été l'objet de répudiation.

Pour couronner cette crise de l'historicité, la croyance largement partagée, tant à droite qu'à gauche, en un progrès indéfini des forces productives s'est heurtée à une réalité plus complexe avec la fin du Trente Glorieuses et la prise de conscience de la menace qui pèse sur l'écosystème planétaire. Cette crise de l'historicité, phénomène qui touche tous les pays, du Nord comme du Sud, a pris en France un caractère paroxystique, sans doute associé à un rapport à l'histoire particulièrement intense depuis la Révolution française.

Si ce sont surtout les philosophes allemands — Kant, Hegel, Marx — qui ont attribué un sens de finalité à l'histoire au cours du XIXe siècle, toutes les spéculations visant à diviniser sa marche s'enracinaient dans une réflexion sur l'universel dimension de la Grande Révolution et de ses valeurs, avec la conséquence suivante : la nation française est, par essence, dépositaire de la capacité d'incarner l'histoire. Il suffit de penser à Michelet, qui considérait le peuple français comme la pierre philosophale qui donne sens au passé et prépare l'avenir, ou à Ernest Lavisse, pour qui la patrie française est porteuse d'une mission universelle. Cette conviction, courante chez de nombreux historiens français du XIXe siècle, se perpétue au siècle suivant, dans ce que le général de Gaulle désigne comme «une certaine idée de la France ».

Au cours de la seconde moitié du XXe siècle, cette vision de la France « aînée de l'histoire » s'effondre par étapes. Traumatisé par la catastrophe de 1940, affaibli par quatre années d'occupation par les troupes nazies et la perte de son indépendance économique, en plus d'avoir été amputé de son empire colonial, le pays s'est effondré dans la catégorie d'une nation modeste, plus ou moins réduite à l'Hexagone – configuration du territoire français sur le continent européen – et se limitant à jouer une partition mineure dans le concert des nations, dominé de manière durable par l'affrontement entre les deux superpuissances. Il n'est pas surprenant que cet effondrement ait touché en premier lieu les intellectuels de ce « pays qui aime les idées », pour reprendre l'expression de l'historien britannique Sudhir Hazareesingh. Le renoncement de la France à son ancienne grandeur a certainement exacerbé la crise générale d'historicité de la seconde moitié du XXe siècle, attisant un rapport intense à l'histoire, même si c'est au prix d'un déni des faits.

1.

Le parcours reconstitué ici s'inscrit entre deux moments : l'irruption puis la disparition de l'intellectuel prophétique. Apparue dans l'immédiat après-guerre, cette figure est portée par la génération qui a traversé la tragédie nourrissant l'attente d'un réenchantement de l'histoire. Comme le souligne René Char, dans un célèbre aphorisme : « Notre héritage n'a été précédé d'aucun testament ». Ce poète, résistant à l'occupation nazie, entend affirmer qu'après avoir quitté la guerre – considérant que l'héritage avait perdu toute lisibilité – il fallait se tourner vers la construction de l'avenir. Qu'ils soient gaullistes, communistes ou chrétiens progressistes, ils sont tous convaincus de réaliser des idéaux universalisables. A l'autre bout du chemin, en 1989, on constate la disparition de cette figure du penseur alerte, capable de donner un point de vue sur tout. On parle du « tombeau des intellectuels ».

Dans cet ouvrage, l'histoire d'un tel obscurcissement est précisément reconstituée : non pas tant celle de la profession intellectuelle, mais celle d'une certaine intellectualité hégémonique. Il est significatif qu'au moment même où cette figure disparaît, dans les années 1980, émerge l'histoire des intellectuels, abordée comme un objet d'étude. Après tout, n'est-il pas vrai que Michel de Certeau observe qu'au moment où la culture populaire disparaît, elle entreprend son recensement et son historicisation pour que « la beauté des morts » soit pleinement valorisée ?

Le deuxième changement majeur qui marque cette période est la disparition du rêve né dans l'après-guerre d'un système global d'intelligibilité des sociétés humaines. Ce rêve a atteint son apogée avec ce qui a été baptisé « l'âge d'or des sciences humaines », dans les années 1960 et 1970, lorsque la domination absolue du structuralisme s'est vérifiée. Pris au sens large, le terme « structure » fonctionne donc comme un mot-valise pour une grande partie des sciences humaines. Son triomphe est si spectaculaire qu'il s'identifie à toute vie intellectuelle et même bien au-delà. Interrogé sur la stratégie à mettre en place par l'équipe de France de football pour améliorer ses performances, l'entraîneur répond qu'il compte organiser le jeu de manière… « structuraliste ».

Période dominée par la pensée critique, expression d'une volonté émancipatrice des sciences sociales naissantes en quête de légitimité savante et institutionnelle, le structuralisme a fini par soulever l'enthousiasme collectif des intelligentsia pendant au moins deux décennies. Jusqu'à ce que, soudain, à l'orée des années 1980, l'édifice s'effondre : la plupart des héros français de cette aventure intellectuelle disparaissent en quelques années. Profitant de l'élan, l'ère nouvelle s'empresse d'enterrer l'œuvre de ces auteurs, évitant le travail de deuil nécessaire pour rendre justice à ce qui a dû être l'une des périodes les plus fécondes de l'histoire intellectuelle française. Miracle ou mirage ?

Jouant le rôle de franchissement des frontières au service d'un programme unitaire, le structuralisme avait réuni autour de son credo un grand nombre de noms de tous horizons. Pour Michel Foucault, « ce n'est pas une méthode nouvelle, mais la conscience éveillée et inquiète du savoir moderne ». Selon Jacques Derrida, c'est une « aventure du regard ». Roland Barthes, à son tour, la considérera comme le passage de la conscience symbolique à la conscience paradigmatique, c'est-à-dire l'avènement de la conscience paradoxale.

Dans cet ouvrage, il est question d'un mouvement de pensée, d'une part, et, d'autre part, d'un rapport au monde bien plus large qu'une simple méthodologie appliquée à tel ou tel champ d'investigation. Le structuralisme se présente comme une grille de lecture qui privilégie le signe au détriment du sens, l'espace au détriment du temps, l'objet au détriment du sujet, la relation au détriment du contenu, la culture au détriment de la nature.

D'abord, elle opère comme le paradigme d'une philosophie du soupçon et du dévoilement qui vise à démystifier le doxa, révélant, derrière le dire, l'expression de la mauvaise foi. Cette stratégie de dévoilement est en parfaite harmonie avec la tradition épistémologique française, qui postule une rupture entre la compétence scientifique et le bon sens. Sous le discours libérateur des Lumières, se révèle l'appel à la raison des corps et l'enfermement du corps social dans la logique infernale du savoir et du pouvoir. Roland Barthes déclare : « Je rejette profondément ma civilisation, jusqu'à la nausée ». A son tour, l'essai de Claude Lévi-Strauss l'homme nu  (1971) se termine par le mot «rien» [rien], en majuscules, requiémiquement.

2.

Dans ces deux décennies des années 1950 et 1960, les intellectuels français renoncent au centralisme occidental, découvrant avec enthousiasme les sociétés amérindiennes, grâce à Claude Lévi-Strauss. L'irruption de la pensée sauvage au cœur de l'Occident contribue à l'abandon de la conception étroitement évolutive du modèle occidental de société. Lévi-Strauss rompt avec cette vision dans son texte course et histoire, publié en 1952, ouvrant à une prise de conscience plus spatiale que temporelle de la marche de l'humanité. La mondialisation, avec ses effets de déterritorialisation, accentuera encore ce glissement vers la spatialité et le présent, aboutissant à un temps mondial « moins dépendant de l'obsession des origines, plus marqué par la transversalité et, donc, plus orienté vers les périodes récentes ».

Dans le même temps, la France est aux prises, entre 1954 et 1962, avec une guerre qu'elle n'ose pas dire son nom – la guerre d'Algérie –, qui assumera des aspects de la bataille de l'écriture du côté de la métropole coloniale : ainsi que les prises de position des intellectuels sont d'autant plus demandées que le conflit prend, déjà en 1957, le caractère d'un scandale moral avec la découverte de la pratique de la torture, au nom de la France. Dès lors, l'affrontement se déroule clairement sur deux fronts : militaire, en terre algérienne, et intellectuel, dans le domaine de l'écriture à caractère moral, en métropole.

La seconde dimension du paradigme structuraliste consiste en l'influence prépondérante exercée par la philosophie sur les trois grandes sciences humaines – à savoir la linguistique générale, incarnée par Roland Barthes ; anthropologie, avec Claude Lévi-Strauss ; et la psychanalyse, avec Jacques Lacan – qui partagent l'appréciation de l'inconscient comme lieu de vérité. Le structuralisme se présente comme un troisième discours, entre science et littérature, cherchant à s'institutionnaliser en se socialisant et en contournant le centre de l'ancienne Sorbonne par toutes sortes d'expédients, depuis les universités périphériques, l'édition et la presse, jusqu'à une institution aussi vénérable que la Collège de France : depuis, cet établissement sert de vivier à la recherche de pointe.

Ces années sont le témoin d'une bataille acharnée entre les Anciens et les Modernes, au cours de laquelle des ruptures ont été opérées à plusieurs niveaux. Les sciences sociales cherchent à rompre le cordon ombilical qui les relie à la philosophie en construisant l'efficacité d'une méthode scientifique. D'autre part, certains philosophes, comprenant l'importance de ces travaux, tentent de s'en accaparer ainsi que leurs bienfaits, redéfinissant la fonction de la philosophie comme le lieu même du concept. Une des spécificités de ce moment réside dans l'intensité des circulations interdisciplinaires entre champs de savoir et entre auteurs. Une véritable économie des échanges intellectuels se déchaîne, basée sur des incorporations, des traductions et des transformations d'opérateurs conceptuels. L'attente d'un savoir unitaire sur l'individu engendre de nombreuses découvertes qui fondent, au plus haut degré, la foi dans la capacité des intellectuels à élucider le fonctionnement du lien social dans n'importe quelle partie du globe. Il faudra pourtant désenchanter et déconstruire, petit à petit, un programme dont le scientisme ignore pratiquement le sujet humain singulier.

3.

Le troisième changement majeur qui a affecté la place des intellectuels dans la société française entre 1945 et 1989 tient à la massification des publics respectifs et à leur médiatisation de plus en plus accentuée. Une concurrence féroce existe entre les acteurs de ce marché en croissance, qui connaît une croissance exponentielle du nombre d'étudiants, augmentant dans le même élan un lectorat, désormais avide d'actualités littéraires et politiques. Le nombre d'étudiants est passé de 123 1945 en 245 à 1961 510 en 1967; à 811 1975 en 1960 ; et à 1973 mille, en XNUMX. Accompagnant ce mouvement, le nombre de professeurs à l'université est multiplié par quatre, entre XNUMX et XNUMX.

Deux décennies plus tard, le sociologue spécialiste des médias Rémi Rieffel écrit que "l'augmentation de la demande conduit naturellement les éditeurs à proposer à ce public, avide de savoir, des ouvrages à bas prix et facilement accessibles". Le lancement du format livre de poche reflète parfaitement cette révolution du marché de l'édition, qui a fait les beaux jours des sciences humaines.

Cet âge d'or vaut aussi pour la presse, à l'heure où le quotidien parisien Le Monde joue le rôle de porte-parole de la France dans les cercles diplomatiques et où les hebdomadaires façonnent l'opinion publique, comme Le Nouvel Observateur, de Jean Daniel, ou L'Express, par Jean-Jacques Servan-Schreiber et Françoise Giroud. Dans ce contexte d'élargissement du public et d'interpénétration croissante des sphères publiques et intellectuelles, la progression spectaculaire des moyens de communication sociale change radicalement le mode d'intervention des intellectuels, reléguant le travail d'élucidation des mécanismes sociaux aux cénacles savants et utilisant, par exemple, tour, des tribunes qui privilégient une pensée simple et plus facilement intelligible.

L'évolution de la culture et des médias modifie profondément le rapport au temps, donnant la primauté à l'instantané et contribuant à comprimer l'épaisseur temporelle. Certains intellectuels n'hésitent pas à quitter le silence des chaires et des bibliothèques pour affronter les projecteurs ; il en résulte une nouvelle figure, sous le nom d'« intellectuel médiatique », dont les « nouveaux philosophes » sont, à la fin des années 1970, l'expression la plus spectaculaire.

Ce règne de l'éphémère – et, bien souvent, de l'insignifiance – est dénoncé par certains intellectuels qui entendent préserver l'esprit critique dont découle leur fonction. Ainsi, Cornelius Castoriadis critique ceux à qui il attribue le qualificatif de «divertisseurs», ainsi que la succession de plus en plus rapide des modes qui, dès lors, constituent le biotype de la vie intellectuelle : « Au lieu d'une mode, la succession des modes est o façon dont l'époque, particulièrement en France, vit son rapport aux « idées » ».

4.

Le renversement du régime d'historicité qui s'opère au cours de la seconde moitié du XXe siècle est marqué par la forclusion de l'avenir, la dissipation des projets collectifs et le repli sur un présent devenu immobile, influencé par la tyrannie de la mémoire et de la piétinement du passé. Un temps désorienté a pris la place d'un temps bien défini.

Comme nous l'avons vu, les dates qui encadrent notre parcours délimitent la chute des deux grands totalitarismes du siècle : le nazisme, en 1944-1945, et le communisme, en 1989. Le contraste entre le souffle prophétique qui pousse à l'engagement passionné des intellectuels dans l'immédiat après-guerre, le sens omniprésent de la responsabilité dont ils sont chargés et la désillusion généralisée qui finit par les submerger. Déjà vigoureusement secoués en 1956, ils sont menés par le scepticisme en 1989 : une année vécue, par certains, comme un deuil impossible et, par d'autres, comme un dégel libérateur.

Entre ces deux moments, il y a de nombreuses ruptures qui, comme tant d'autres cadences, finissent par obscurcir l'horizon de l'attente. Selon les différentes générations qui se succèdent et la singularité des parcours de chacun, certains événements, plus que d'autres, constituent des ruptures initiatrices qui, peu à peu, alimentent le choc d'historicité qui aboutit à l'anomie sociale et, parfois, à la aphasie intellectuelle : les années 1956, 1968 et 1974 sont quelques jalons qui permettent de comprendre, dans de meilleures conditions, comment s'est opéré ce retrait.

Pour appréhender son évolution, il convient de se méfier, d'une part, de toute réécriture de l'histoire à la lumière de ce qu'il est possible de savoir sur l'avenir, sous peine de tenir compte de l'indétermination des acteurs ; et, d'autre part, éviter la tentation d'utiliser les catégories du présent comme des grilles de lecture du passé. L'historien britannique Tony Judt néglige ces précautions lorsqu'il stigmatise les erreurs répétées des intellectuels français à partir d'une lecture téléologique de leurs engagements entre 1944 et 1956.

En effet, il n'est que trop facile de relire ce deuxième XXe siècle à l'aune du clivage qui s'est peu à peu imposé entre les défenseurs de la démocratie et les partisans d'un régime totalitaire dont le caractère s'est peu à peu découvert. Sans essayer, en aucune façon, d'excuser les déviations et les erreurs des intellectuels de l'époque, nous ne cesserons d'essayer de comprendre leurs raisons. Judt, quant à lui, refuse toute forme d'explication contextuelle visant à comprendre cet enthousiasme français pour le communisme après-guerre, se bornant à considérer une telle posture comme une adhésion globale à une perversion totalitaire.

Disqualifiant, par ailleurs, d'historiciste et d'insuffisante toute approche qui met l'accent sur la situation de la Libération pour éclairer les comportements et les pratiques, il estime trouver dans cette période les « germes de notre situation actuelle ». Si on lui en donne crédit, le contexte n'est rien d'autre qu'un scénario réduit à l'insignifiance ; ainsi, la position de Judt coïncide avec les thèses de l'historien israélien Zeev Sternhell, qui attribue le qualificatif fasciste à toute recherche d'une troisième voie entre capitalisme et bolchevisme dans les années d'avant-guerre.

Parfois, une singularité de la vie intellectuelle française a été évoquée en raison de sa propension à la violence, aux excès et donc à l'incompréhension. Une telle analyse risque de passer sous silence le déni de réalité d'un grand nombre d'intellectuels durant cette longue période. L'obsession - parfois volontaire - nous semble avoir pour ressort essentiel le refus de se résigner à être sans eschatologie dans un monde moderne devenu post-religieux par une sorte de transfert de la religiosité à l'histoire qui, soi-disant, promet, faute de de salut individuel, un salut collectif. Pour appréhender ces évitements du réel, il convient de prendre les acteurs au sérieux et d'être attentif au contexte de leurs propos.

Il nous semble qu'à ce stade, la notion de « moment intellectuel » s'impose, d'autant plus que l'époque actuelle est marquée par l'effacement de l'expérience historique. Dans une situation où l'on a l'impression que le passé est tragique et l'avenir opaque, l'utopie de la communication transparente fait du présent la seule entrée possible dans l'histoire. Depuis les années 1980, la crise qui en résulte touche tous les domaines du savoir et de la création ; selon Olivier Mongin, directeur du magazine Communauté!, elle est à l'œuvre dans la répudiation de ce qu'est la politique, dans le repli identitaire, dans le manque d'inspiration dans la fiction romanesque, dans la substitution de l'image au visuel, voire dans l'occultation de l'information au profit de la communication.

Les intellectuels se réconcilient progressivement avec les valeurs démocratiques occidentales, jusque-là considérées comme mystificatrices et purement idéologiques. L'ironie vis-à-vis de ces valeurs devient plus difficile, de telle sorte que la déconstruction des appareils démocratiques doit être repensée par rapport à leur positivité. Privilégier des moments différents nécessite de revenir sur les contextes précis des prises de position et des controverses. L'approche chronologique s'avère pertinente pour donner à certains « mots-instants » – qui incarnent l'esprit du temps – leur ton spécifique. On passera ainsi, successivement, dans le tome I, de la pensée existentialiste initiale à la triade Marx, Nietzsche, Freud, qui inaugure l'ère du soupçon ; puis, dans le tome II, la triade Montesquieu, Tocqueville, Aron — qui a inspiré le moment libéral — et, enfin, la triade Benjamin, Levinas, Ricœur, qui marque la pensée du mal.

*François Dossé est professeur d'histoire contemporaine à l'Université de Formation des Maîtres de Créteil. Auteur, entre autres livres, de L'histoire à l'épreuve du temps : de l'histoire en miettes au secours du sens (UNESP).

Référence


François Dossé. La saga des intellectuels français (1944-1989). Traduction : Guilherme João de Freitas Teixeira. São Paulo, Gare de Liberdade, 2021, 704 pages.

 

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