Par João Adolfo Hansen*
Conférence sur les métamorphoses de la culture aujourd'hui
Je commence par attirer votre attention sur la position même dans laquelle je parle, position nécessairement en deçà de ce qui se passe. Je crois que je parle, dans ce sens, à travers le médium et je pense aussi dans une situation qui reste pour la plupart, du moins, ignorée par moi. J'ai la nette impression, quand je parle d'un sujet comme celui-ci, de parler entre ce que j'ignore totalement et ce que je connais très peu.
Je crois que c'est d'ailleurs l'une des principales déterminations de tout discours sur la culture aujourd'hui. Certaines notions qui semblaient jusqu'à hier très évidentes et qui étaient des notions produites à partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle, des notions des Lumières comme la critique, la négativité, la transformation, le dépassement, la totalisation, la totalité, le but et le sens de l'histoire, ont perdu leur force et Une personne qui en parle doit nécessairement reconnaître son parti pris lorsqu'elle en parle. En ce sens, le discours à leur sujet doit aussi reconnaître qu'il a perdu toute prétention de prescription.
Si vous pensez, par exemple, que jusqu'à hier, alors que ces catégories étaient apparemment évidentes, le fait qu'il y ait eu une cause et un sens final pour l'histoire déterminait aussi l'idée d'une prescription de ce que devrait être l'action en termes d'une action appropriée à cette fin. Comme aujourd'hui une catégorie comme la totalité ou la totalisation disparaît de la discussion de la culture, et l'idée d'un sens final pour l'histoire disparaît également, toute l'idée d'un discours prescriptif, c'est-à-dire d'un « devrait être ». disparaît également.
Ainsi, j'ai l'impression qu'il faut se souvenir d'une notion exposée il y a longtemps par un auteur aujourd'hui largement oublié du fait de ces changements de culture. Karl Marx au début des années XNUMX plans d'ensemble – le livre qui rassemble les brouillons de La capitale – déclare que, dans le développement historique, la dernière phase est généralement très unilatérale par rapport aux précédentes car elle suppose que les précédentes étaient des étapes pour elle-même et qu'en ce sens, elle a généralement une incapacité à critiquer sa revendication vers l'universalité et critiquez-vous vous-même. En ce sens, dit Marx, le présent est unilatéral. Et il est unilatéral parce qu'il produit de l'unilatéralité, c'est-à-dire qu'il s'approprie unilatéralement le passé et qu'il est en quelque sorte aveugle à lui-même parce qu'il n'a aucune preuve évidente des processus qui s'y déroulent en tant que présent.
En ce sens, je voudrais rappeler une hypothèse émise par l'historien allemand Rienhart Koselleck qui, évoquant le processus historique, propose de penser l'histoire selon la catégorie du « temps ». Il propose le temps non pas nécessairement de manière kantienne, comme catégorie préalable de toute pensée, mais comme catégorie sociale. Il propose que la catégorie du temps permettrait d'observer certaines périodes historiques, d'observer à travers elle deux choses fondamentales : la façon dont une expérience du passé se découpe, en termes d'expérience, et en même temps la façon dont une attente du futur est coupé.
Koselleck travaille fondamentalement, en ce sens, avec les histoires de l'Ancien Régime, avec les histoires qu'on appelle aujourd'hui baroque, avec des histoires des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, et il montre, par exemple, comment ces histoires recyclent une notion que l'on retrouve dans les lettres latines, notamment chez Cicéron, qui est la vieille idée que l'histoire est maîtresse de la vie. Koselleck propose : ce qui permet, par exemple, à un homme du XVIIe siècle de penser que l'expérience historique, ce qui a existé autrefois, peut être, en tant qu'expérience du passé, un modèle pour le présent et en même temps un modèle pour le maître de la régulation de la vie une attente de ce qui se passera dans le futur ?
Il met en évidence ce qui devrait être évident pour quiconque travaille sur ce sujet lié aux XVIIe et XVIIIe siècles : que dans ces soi-disant sociétés baroque le fait même qu'ils supposaient qu'il y avait un premier, unique et dernier fondement de l'histoire, qui est Dieu, leur faisait penser que la présence divine, qui apparaît déjà dans le passé, apparaît aussi dans le présent et dans l'avenir. Et, dans ce sens, l'hypothèse que les bons et grands exemples vécus par des hommes illustres, des prophètes, des héros, etc. anciennes, qui témoignent de la présence de Dieu dans le temps, dans la mesure où Dieu "est" toujours, elles se répètent aussi dans le présent et le futur. En ce sens, dans l'hypothèse que montre Koselleck, pour une formation historique telle que la formation Ancien Régime, il y avait une sorte de lien quasi immédiat entre l'expérience du passé et l'attente de l'avenir dû précisément à cette hypothèse théologique que le temps a un sens religieux et que Dieu se répète toujours en lui.
C'est ce qui nous permettrait, par exemple, dans notre cas spécifique, brésilien, portugais, de comprendre l'expérience d'un prêtre Antônio Vieira, au XVIIe siècle, qui a écrit un livre intitulé histoire du futur. Les gens, depuis la Révolution française, savent qu'une hypothèse d'écrire une histoire du futur est pour nous une hypothèse kabbalistique, soit superstitieuse, soit, par définition, improbable parce que les gens ont une expérience, depuis la Révolution française, que l'histoire ne répéter. Ou, si cela se répète, c'est comme une farce de la tragédie que c'était la première fois.
Or, Koselleck fait précisément cette hypothèse, à laquelle il est très intéressant de réfléchir : cette idée que la culture comme production sociale, comme représentation sociale, comme attente sociale et comme consommation sociale du passé et la production de valeurs dans le présent articulé avec une attente de l'avenir doit aussi être historicisé par la façon dont on peut penser la catégorie de temps et que, dans une société d'Ancien Régime, d'avant les Lumières, d'avant la Révolution française, qui croit en Cicéron, l'histoire est maître de la vie, l'histoire se répète. L'histoire se répète et l'écart entre le passé et le futur est pratiquement nul. Autrement dit, le facteur d'imprévisibilité de l'avenir tend vers zéro. Par exemple, pour un homme du XNUMXème siècle, l'idée que si ça se passait comme ça, ça se reproduirait dans le futur était probablement assez évidente.
Maintenant, vous vous souvenez, par exemple, d'une hypothèse critique de cette hypothèse faite par Kant dans Anthropologie, qui est un livre qu'il a écrit juste après la Révolution française, dans lequel il dit que jusque-là toute l'expérience historique, il se référait aux sociétés qui appel despotique, de l'Ancien Régime avait été subordonné au modèle théologique du sens du temps. Et il dit : toute la société était subordonnée au temps, dans la mesure où théologiquement le temps est une émanation de Dieu et, par conséquent, l'histoire humaine fait partie d'un projet divin inclus dans le temps.
Kant affirmera, à la fin du XVIIIe siècle, vous savez que, que, depuis ce moment où il écrit, l'histoire n'a plus eu besoin de Dieu, Dieu est mort, et qu'en ce sens, il n'y a pas de fondement absolu pour elle. et que l'histoire n'est plus qu'un processus quantitatif qui subordonne le temps à lui-même et qui établit, par définition, un laps d'indétermination entre l'expérience du passé et l'expérience du futur. Dans l'hypothèse kantienne, déjà à la fin du XVIIIe siècle, l'idée des Lumières, l'idée que l'avenir est impondérable, l'idée qu'on ne sait pas absolument ce qu'est l'avenir, mais que l'avenir dépend d'un calcul humain qui quantifie les différentes variables tentant précisément d'orienter le temps vers lui, le futur, d'où vient le sens du temps.
Nous avons probablement appris des philosophes de la Révolution française et des Lumières, puis du marxisme, au XIXe siècle et même au XXe, cette idée que le temps a un sens. Or, ce sens n'est plus divin ou théologique, il est seulement humain et résulte d'une production d'événements purement humains. Le débat est de savoir si ces événements sont produits par des types individualisés ou par des masses prolétariennes ou par des facteurs anonymes comme l'économie ou la politique, de manière indéterminée.
Mais il y a toujours ce fait commun qui est l'idée que le temps avance en ligne droite, le passé ne se répète pas parce qu'il a été nié par les pratiques du présent, le présent est encore une étape où nous sommes, mais il est un stade de contradiction et qu'il n'a toujours pas réalisé la plénitude du temps, la plénitude de la raison qui va vraiment s'incarner en lui, et qu'alors l'idée que le temps dans le présent est, par définition, n'est-ce pas, l'espace d'un négativité. C'est-à-dire que la culture a une fonction non seulement de représentation du social, etc., mais la culture a aussi une fonction avec l'idée de critique, c'est-à-dire l'idée de faire des contradictions du présent le matériau d'une négation. qui postule une transformation qui surmontera le présent, faisant venir le futur rapidement.
C'est par exemple l'hypothèse utopique du début du XXe siècle, l'hypothèse des surréalistes en 1924, l'hypothèse dada ou l'hypothèse cubiste, probablement l'idée que les formes de représentation bourgeoises ou académiques ou officielles que l'on trouve dans la culture sont passéiste. , excessivement lié à un passé compris comme un passé conservateur ou réactionnaire ou propre à une vie dirigée. Et cette idée, alors, que l'art ou la culture a pour fonction, par la rationalisation négative de la forme, par le refus de la familiarité de la forme avec le monde géré, de proposer une activité critique, qui atteint probablement le spectateur, en faisant politiquement conscient de la nécessité de surmonter cet état actuel en termes d'avenir.
Vous souvenez-vous, par exemple, que le poète Maïakovski allait dire, lorsqu'il fut chargé par Lénine de réaliser ce programme graphique et en même temps poétique de l'art révolutionnaire en Union soviétique au début des années 1920, que le véritable temps de la révolution c'est le futur c'est à dire, tout vient du futur, le futur c'est le temps d'où vient le temps. C'est-à-dire que c'est comme s'il y avait une mémoire du futur, c'est-à-dire que nous vivons au présent, puisque nous sommes éclairés, en fonction d'une critique du présent, d'un déni continu du présent, en fonction de quelque chose qui doit être un futur qui n'est pas encore venu donc c'est probablement le cas"utopique”; en fait, il estun sujet», il n'a pas sa place ; mais il estutopique», c'est-à-dire qu'il est hors de Pois, il n'est pas à sa place.
Probablement l'idée traditionnelle, alors, si l'on pense, par exemple, à la constitution d'un type à la fin du XVIIIe siècle qui est «l'artiste», un autre type qui se constitue qui est «le critique', un autre type qui se constitue qui est «ou intellectuelle», sont tous des types, selon les Lumières, dotés d'une fonction de production de la culture, au sens large, ou, dans le cas plus spécifique de la culture, de production des arts au sens d'une critique continue qui postule toujours un dépassement de l'état présent parce que le présent, par définition, est un état insatisfaisant.
Vous souvenez-vous de cette hypothèse, par exemple, "le rêve de la raison engendre des monstres”. Vous souvenez-vous de la peinture de Goya, cette idée que le présent est l'état du mythe, le présent est le temps de l'ignorance, de la superstition, et que la critique des Lumières, étant rationnelle, produira une abolition radicale du mythe faisant que les valeurs de res publica, comme le disait Kant, c'est-à-dire du «chose publique», de la vraie démocratie contre le despotisme, sont instaurées. Maintenant, Gilles Deleuze a fait une blague très drôle. Il disait : oui, Goya avait raison, le rêve de la raison produit des monstres, mais l'insomnie aussi.
En d'autres termes, quand la raison devient folle – et elle le fait –, ce peut être une raison industrielle qui calcule, par exemple, combien de Juifs nous allons brûler par seconde dans un four. Et il attire l'attention, par exemple, sur un camp de concentration, construit rationnellement comme une raison instrumentale, la raison des Lumières poussée jusqu'aux dernières conséquences de l'industrialisme, en brûlant les gens. Et que c'est une raison absolument frénétique, une raison portée au maximum à l'insomnie, ce n'est pas une raison qui dort, mais une raison très éveillée.
En ce sens, justement, vous êtes d'accord avec moi, dans les années 1960 surtout, on a trouvé diverses activités dans la culture, venues principalement de France, mais aussi en Allemagne, en Angleterre, en Italie et plus tard aux États-Unis, un mouvement de culture qui s'est d'abord dans des disciplines qui ont commencé à critiquer le positivisme des historiens et le positivisme des spécialistes des sciences sociales en général et sont des disciplines issues de la linguistique, de la psychanalyse, de l'ethnologie, de l'anthropologie qui ont commencé à attirer l'attention de ces spécialistes des sciences sociales et historiens sur la particularité des pratiques et ils ont commencé critiquer principalement l'idée qu'il y a un sens donné ou qu'il y a une unité donnée dans l'idée de sujet ou de conscience ou d'idéologie ou de représentation, etc.
C'est ce qu'un philosophe allemand qui enseigne aujourd'hui à Stanford, qui s'appelle Hans Ulrich Gumbrecht, appelle domaine non herméneutique, dans le cas de la culture, et qui se rattache précisément à une critique des Lumières. C'est-à-dire l'idée que cette manière d'organiser le temps comme succession, évolution, transformation, dépassement dialectique et comme contradiction suppose qu'il existe un sujet unitaire, plein, qui est sujet de connaissance par rapport à tout objet à connaître. Elle suppose, en même temps, que la conscience est le lieu où se déroulent les opérations de connaissance. Elle suppose en même temps qu'il existe un rapport presque équivalent entre le sujet qui sait et l'objet à connaître. Et elle suppose, en même temps, que le temps est un continuum et qu'il a une unité.
Qu'est-ce qu'une idée hégélienne, vous vous en souvenez : cette idée, dans le cas des arts, de classer les périodes historiques, avec une seule unité alors, "le baroque","le classique","la salle de jeux","romantique”. Vous le savez, bien sûr : plusieurs historiens ont commencé à montrer, depuis les années 1920 de notre siècle, que dans un laps de temps limité on observe plusieurs temporalités, qu'il est impossible d'unifier le temps sous une même étiquette parce qu'on observe, par exemple, que il y a une temporalité du langage, il y a un temps propre aux processus économiques, il y a une temporalité propre aux pratiques sexuelles ou aux relations de parenté, il y a une temporalité propre à la politique et qu'il y a plusieurs temps en même temps qui empêchent de supposer cette idée d'une unité évolutive.
Vous vous souvenez par exemple des études de Braudel sur la Méditerranée, sur Felipe II, comment il montre qu'il y a un temps très long, qui dure des milliers d'années, qui est le temps même de la rotation des cultures ou de la Terre. Puis, comme il y a un temps plus court qui vient s'ajouter à cela, qui est un temps politique, une monarchie, qui dure deux cents ans. Et puis un temps presque conjoncturel, un temps rapide, d'événements, de petites guerres. Et puis un micro temps, qui serait le temps de processus presque individuels. Cette idée des historiens est très intéressante à réfléchir.
Elle a commencé à introduire, dans les années 1920, dans l'historiographie française, par exemple Febvre, Bloch, cette idée qu'il faut abandonner ce modèle historiographique venu du XIXe siècle, qui est le modèle hégélien, d'évolution continue, d'une histoire qui a une un sens déjà donné et une seule ligne dans le temps, montrant par exemple que cette histoire est ethnocentrée, occidentale, essentiellement allemande, anglaise et française et qu'elle exclut les autres historicités. Elle met l'Orient dehors, elle met les dictons"sociétés primitives» out etc.. Cette critique qui commençait à poser justement cette idée d'un temps discontinu, qui jusqu'alors faisait peur aux historiens, doit déjà être considérée comme un choc à l'idée que le temps est un continuum évolutif de transformations et que le temps a un sens déjà donné comme origine et comme fin.
On trouvera, d'autre part, par exemple, dans toute l'activité de la psychanalyse et le développement de la psychologie au XXe siècle, une critique de l'idée bourgeoise d'un individu défini comme une unité et une identité psychologique toujours irremplaçable. . La psychanalyse freudienne ou lacanienne montre, par « a » plus « b », que le sujet est un accident dans une chaîne signifiante où il occupe une position imaginaire que lui permet la culture et qu'il peut être plusieurs à chaque instant et toujours un autre et que le sujet n'a pas d'unité substantielle.
Parallèlement, en philosophie, dans les années 1950 et 1960, on retrouve une reprise très forte des hypothèses de Nietzsche et plus tard de Heidegger sur le non-sens fondamental de l'histoire, cette idée d'un anarchique. C'est-à-dire que, dans l'hypothèse traditionnelle des Lumières, l'histoire a une arche il y a une origine fondamentale et donc il y a une fin. On va maintenant observer, dans les années 60, cette idée d'un anarchique, d'une non-origine, et qui produira, tour à tour, l'idée d'un non-sens donné et la critique de l'idée d'évolution, de l'idée de progrès, de l'idée de identité, de l'idée d'unité, c'est-à-dire, comme ils l'ont dit, c'est un "anti-platonisme" généralisé fait comme une critique radicale de cette idée que la conscience est le noyau fondateur du processus de connaissance, parce que maintenant c'est dit : non, la conscience est l'effet d'une structure linguistique ou d'une structure familiale ou d'une structure politique ou d'une structure économique ou d'une structure en « x ».
Là s'arrête l'idée, par exemple, que la conscience est le noyau. En même temps, dit-on : l'idée qu'il y a un sens déjà donné dans l'objet, que seul le sujet reconnaît le sens donné, est fausse. Dans l'hypothèse nietzschéenne, par exemple, la connaissance n'est pas la re-cognition, mais elle est la force, la connaissance est une violence qui s'exerce sur tout objet qui nous est totalement étranger. L'hypothèse, alors, que l'idée même de vérité, dont nous avons appris des Grecs qu'elle est quelque chose de substantiel, est un produit historique et qu'elle est une radicale, disons, historicisation de tout.
Cela a conduit, comme vous le savez très bien, à une critique qui a été faite jusqu'à ce jour dans les soi-disant discussions postmoderne dans les années 1980, qui est une critique de la méthode traditionnelle d'interprétation de la culture établie au XIXe siècle, principalement dans Introduction aux sciences de l'esprit, par Dilthey. Vous souvenez-vous par exemple qu'à la fin du XIXe siècle Dilthey, le philosophe allemand, a fait une hypothèse : quel est le rapport que l'on établit avec une œuvre d'art ? Dans l'hypothèse de Dilthey, il y a un sujet créateur, qui est pensé de façon classique, comme un sujet unitaire, un individu doté d'un sens critique profond et psychologiquement original. Cet individu formalise alors, dans une œuvre, son expérience individuelle. Mais qui, parce qu'il est génial, parvient à formaliser dans l'individualisation du travail une expérience qui est sociale et qui transcende donc la simple individualité et peut intéresser d'autres.
Nous, lecteurs ou spectateurs, dit Dilthey, établissons, en tant que sujets qui sont aussi comme l'auteur, une relation de dialogue avec l'œuvre. En établissant cette relation, on va chercher ce que cache la surface de l'œuvre et on va demander à l'œuvre ce qu'elle veut dire, si elle a une intention secrète, une intention profonde. Ensuite, nous interpréterons l'œuvre. C'est-à-dire que l'œuvre est doublée du mot latin: interpréter, c'est-à-dire se tenir au milieu du pli et se déplier vers l'extérieur.
Qu'est-ce que l'interprétariat ? C'est chercher dans l'oeuvre ce sens caché dans sa profondeur et qui correspond à un sens caché dans la nature humaine et que cet homme, artiste individuel, pour être un génie le modèle est romantique, il exprime, il représente, c'est-à-dire il présente à nouveau, il re-présente, il re-voile, c'est-à-dire que lorsqu'il montre, il cache et re-voile à la fois. L'activité du critique est donc d'établir une relation de commentaire avec l'objet, montrant au public en l'occurrence, à nous, qu'il n'a pas pu voir ce sens profond, le vrai sens profond de l'œuvre. Car, lorsque ce vrai sens profond est découvert, l'œuvre se révèle immédiatement comme une critique du présent et une possibilité de dépassement de la critique, proposant l'avènement du futur.
Or, ce modèle d'interprétation a explosé précisément avec la constitution, dans les années 1960, de ce soi-disant "champ non herméneutique” parce que c'est l'idée que c'est du sexe explicite il n'y a rien à interpréter car il n'y a pas de profondeur. Et l'idée qu'il faudrait travailler avec des relations et pas exactement avec cette hypothèse de chercher dans la profondeur supposée de l'objet une interprétation que l'on ferait émerger. Cela produit immédiatement l'hypothèse qu'il n'y a pas de sens donné dans le processus historique auquel l'interprétation est traditionnellement liée.
Dans la mesure où ce sens n'est pas donné, il n'y a pas non plus de raison d'en faire une interprétation car on n'a pas à chercher le vrai sens pour s'engager téléologiquement, finalistiquement, dans la critique de l'histoire et dans l'avancée, dans le progrès historique. L'hypothèse maintenant est que le sens est contingent, le sens n'est qu'un effet qui se produit ici et maintenant comme une simple relation entre le sujet qui agit — et ce sujet sait qu'il n'est qu'une partialité, il n'est pas du tout unitaire, profond, c'est juste une fonction syntaxique — et l'objet.
Cela produit, dans le champ de la critique d'art et de littérature, un grand virage qui s'accentue depuis les années 1980. Probablement parce que l'histoire elle-même, en tant que discipline, les historiens principalement, prenant en compte cette mutation du champ de la connaissance, ont commencé à attirer l'attention sur le fait qu'au lieu d'établir un rapport avec l'objet qu'il convient d'interpréter, il faudrait commencer à discuter des conditions de possibilité de l'apparition de cet objet.
Ainsi, par exemple, dans le cas de la littérature, on a remarqué un mouvement comme celui-ci : dans les années 1960, 1970, il y avait une sorte de grande concentration sur l'analyse « immanente » du discours ou sur une analyse qui cherchait des significations dans un discours . Tout à coup, cela a été oublié et les études se sont tournées vers quelque chose maintenant appelé "études culturelles», dans lequel les historiens de la littérature, au lieu de discuter du roman de Machado de Assis, discutent des conditions matérielles de la fin de l'Empire, du développement de la presse ou des techniques de production du livre, ou des conditions matérielles de circulation du livre. lecture ou l'oralité ou l'analphabétisme au Brésil pour discuter du texte de Machado de Assis dans le contexte de ces pratiques.
Ou alors c'est passé à une histoire de réception, je veux dire, ne voyons pas exactement quel est le sens de ce travail. Parce que dans l'hypothèse de Dilthey on établit un rapport à la culture quelle que soit sa matérialité, on cherche dans la culture un sens transcendantal, qui est le sens de la communication entre deux sujets pleins indépendamment de tout élément matériel. Quelle est l'idée traditionnelle : que veut dire ce texte ? L'idée qu'un texte a toujours un sens universel.
Maintenant, tout le mouvement à partir des années 1960, prenant en compte la critique de ce modèle interprétatif, par exemple, les Allemands liés à la théorie de la réception. Cette hypothèse, par exemple, que Jauss a faite que Joaci ici connaît, il a travaillé quelque chose de similaire dans le Cartes chiliennes… Jauss dit, souvenez-vous : Goethe a écrit, à la fin du XVIIIe siècle, une pièce qui est Iphigénie en tauride. Iphigénie, si on la lit interprétativement, on va dire : que veut dire la pièce Ifigênia ? Dans l'hypothèse de Jauss, souvenez-vous, la signification culturelle d'Iphigénie serait la somme des lectures qui ont été faites de ce texte depuis que Goethe l'a publié à la fin du XVIIIe siècle. Alors l'idée est maintenant qu'il est fondamental de prendre en compte les conditions pratiques d'appropriation de l'objet, que l'objet n'a pas de sens produit.
Je ne sais pas si vous êtes d'accord, mais dans les discussions qui ont lieu aujourd'hui dans le domaine de la culture, on se rend compte que quelque chose a changé dans la façon dont l'expérience du temps est orientée. Je veux dire, nous ne sommes évidemment pas des agents de l'Ancien Régime, nous ne croyons pas en Dieu, par définition nous sommes athées. Je pense que même lorsque nous sommes religieux, nous sommes des athées pratiques.
En même temps, le capital révolutionne encore aujourd'hui le monde avec cette révolution technologique, par exemple, dans les technologies de l'information. C'est quelque chose que nous ne savons pas ce que c'est, mais c'est absolument incroyable. L'autre jour, j'ai été vraiment déprimé parce que j'ai lu un reportage sur un voleur de banque au Canada qui a lui aussi volé une voiture et s'est enfui. Et il a été suivi par satellite, un satellite a lu sa plaque d'immatriculation dans une forêt du nord du Canada et il a été arrêté. C'est très effrayant parce que Lampião, qui était un gars vif, avait l'habitude de dire : «Dieu est grand, mais le buisson est plus grand”. Pas aujourd'hui, Dieu est trop grand.
Je pense à l'idée de Deleuze selon laquelle notre société aujourd'hui n'est plus une société disciplinaire, mais une société de contrôle. Deleuze propose que le modèle de société d'aujourd'hui soit la carte de crédit. Et il s'est rappelé, par exemple, comment la carte de crédit produit de l'argent virtuel et aussi comment elle produit du temps virtuel. Et, comme elle produit du temps virtuel pour chacun de nous, elle nous oblige, au présent, à nous engager dans tous les engagements conservateurs auxquels nous participons. Nous sommes toujours mariés à la même femme, au même homme, nous avons le même amant, le même petit ami, nous continuons à avoir le même patron, nous continuons à faire les mêmes choses avec l'idée de responsabilité. Je veux dire, je dois payer ça le mois prochain.
Ainsi Deleuze démontre comment peut-être la carte de crédit montre-t-elle précisément une nouvelle façon d'organiser le temps qui suppose autre chose. Et c'est ça qui est terrible, selon les critiques du postmoderne : l'idée que le présent ne passe pas, que le présent est éternel. Dans l'hypothèse des Lumières, le futur est le temps d'où vient le vrai sens de l'histoire et, par conséquent, le présent n'est qu'un passage, le présent doit être rapidement déclaré passé.
Je veux dire, plus nous tuons le présent, plus vite le futur arrive. Quelle est l'idée de la révolution. C'est ça la révolution. Or, à notre époque, depuis les années 1980, des termes comme révolution, lutte des classes ont radicalement disparu des discussions, je ne sais pas si vous êtes d'accord, et aujourd'hui, une personne qui ose parler de révolution ou de lutte des classes sera immédiatement classée comme inadapté ou névrosé, romantique ou irréaliste. Notre président a proposé : « oubliez ce que j'ai écrit », au nom d'un réalisme politique dont on sait qu'il n'est pas seulement un réalisme, mais un cynisme radical.
Or, les critiques critiquent à juste titre l'hypothèse que notre présent semble être devenu un présent de la valeur d'échange et du fétichisme radical de la marchandise, où nous n'aurions qu'un procès d'échange continu, un échange-échange absolument généralisé, et que, comme nous n'en avons aucune idée du futur, il semble que le présent se répète, tous les passés s'entassent comme s'ils étaient à notre disposition.
Ainsi, par exemple, certains urbanistes ont attiré l'attention sur l'espace contemporain des métropoles, sur la façon dont une sorte de simultanéité stylistique est vécue aujourd'hui, principalement en architecture, de citation de styles à partir de styles historiques. Nous sommes donc dans un espace néo-baroque, babylonien, romain, grec, Renaissance, néoclassique, romantique, Bauhaus, fonctionnel, Le Corbusier et torchis. Maintenant, est-ce simplement une mode ? Certains disent que non, ce n'est pas un effet de mode, que cela correspond à une structuration plus profonde, plus radicale, de la manière même d'organiser la perception dans les mutations économiques, politiques et culturelles du présent, qui font vivre le temps d'une manière autrement.
Par exemple, Gumbrecht attire l'attention sur le fait que toute personne à New York faisant un appel vers Paris et l'océan Atlantique n'est pas un obstacle spatial. Il y a une simultanéité radicale, c'est comme si je parlais à mon ami dans la pièce à côté ou ici, avec toi. Qu'est-ce que cela signifie? Ce que certains érudits appellent "glocal», je veux dire, c'est un global qui est dans le local, une simultanéité de l'espace de toutes les versions, la possibilité d'avoir un accès simultané à toutes les versions.
Nous avons deux positions de base à ce sujet, je ne sais pas si vous êtes d'accord. Il y a une possibilité, dans la mesure où la culture d'aujourd'hui accumule, empile, a un schéma archivistique, continue de rassembler et de citer apparemment de manière non hiérarchique. Quand j'étais jeune, il y avait une discussion fondamentale pour nous, qui était la distinction entre kitsch et de haute culture. Alors on s'est dit : "ah, c'est kitsch”; "c'est de la grande poésie"; "ah, cette chanson est bonne, cette autre est kitsch”. Et l'idée d'une culture savante opposée à l'industrie culturelle. Et l'idée d'une culture populaire opposée à une culture non populaire.
Et l'idée de la validité de termes tels que "à droite"Et"à gauche» dans la détermination des positions politiques. Or, on sait que, depuis les années 80, ces termes ont disparu. Et surtout dans médias on perçoit une indétermination absolue et radicale de la valeur esthétique, par exemple. Nous avons, sur la même page comme Folha de S. Paul, mais ce serait aussi ou Le Figaro, partout dans le monde, à la fois, des nouvelles de Caetano Veloso parlant de son amour pour Fernando Henrique et, de l'autre côté, un extrait de Mozart, Macaco Simão parlant mal de Mário Covas, une publicité pour Brad Pitt puis une petite nouvelle de la cuisine. Il y a trente ans, une page comme celle-ci était violemment critiquée par les sociologues, les historiens, les critiques, etc. comme une contrefaçon et comme quelque chose kitsch et radicalement de mauvais goût et comme quelque chose de ridicule, d'absurde. Maintenant, non, nous avons une sorte d'égalisation absolue, il n'y a pas d'intervalles. Et il y a une sorte de déhiérarchisation de la valeur artistique.
Cela produit un problème critique qui est amusant et qui est le suivant : les critiques des Lumières, qui sont encore là, les critiques marxistes, les gens qui lisent beaucoup Adorno ou dont l'esprit a été formé par Walter Benjamin, quand ils voient ce spectacle ils pensent comme ça : "wow, quelle horreur, quelle horreur”! En même temps, quand ils voient, par exemple, le nouveau garçon-Folha-de-S.-Paulo, qui utilise le Feuille comme moyen de en direct pour publier leur nouveau roman qui parlera des relations incestueuses homoérotiques désormais politiquement correctes, ils disent ainsi : wow, quel roman terrible, des ordures!
Pourquoi? Nous avons lu Kafka quand nous étions jeunes. Kafka ! En même temps, ils vont à une exposition de peinture et y voient, par exemple, qu'un tel est en train de repeindre le repeint du tableau de Beltrano, qu'il fait une parodie de la stylisation de la citation, etc. : putz, mais y'a pas d'invention, ce mec n'a rien, on a aimé Picasso, Klee, ces gens sont inventifs. Maintenant, c'est un problème critique très intéressant parce que ces critiques sont dans une attitude larmoyante, nostalgique, mélancolique comme "comme ma vallée était verte», disant comme ça : oui, ce temps-là était bon, et maintenant nous vivons une décadence radicale des valeurs.
Et ils produisent même une contradiction dans le discours lui-même, qui est l'idée de proposer des produits de haute modernité - Kafka ou Picasso, ce pourrait être Matisse ou Joyce ou Eliot - comme modèles pour le petit poète ou écrivain d'aujourd'hui. Maintenant, si nous sommes modernes contre le postmoderne, nous ne pouvons pas proposer que le moderne soit un modèle de quoi que ce soit parce que, par définition, le moderne est une idée des Lumières qui oblige le moderne à se renier.
Le moderne n'admet pas de canons, le moderne n'a pas de modèle. Alors le critique qui dit comme ça : «ça craint» et Kafka est le modèle pour dire que ce n'est pas bon, c'est une contradiction violente car il propose qu'un artiste moderne comme Kafka soit un universitaire, soit un classique qui sert de modèle à une autre production. C'est un côté, qui a cette pleurnicherie dans la culture et qui aujourd'hui vient, je pense, principalement du domaine du marxisme. Des marxistes qui n'arrêtent pas de pleurer en disant que c'est très triste. Vraiment, la société néolibérale est une horreur ! Mais ça ne sert à rien de rester dans cette position juste pour pleurer.
Un autre problème est le suivant : puisque tout est équivalent, on risque de tomber dans un relativisme culturel radical et de tout applaudir, de ne rester que dans une position de description et de penser que tout est cool. Le problème aujourd'hui, dans la façon dont on aborde ces questions et aussi la question de l'organisation du temps dans l'expérience historique de la culture contemporaine, à mon avis — qui n'est qu'une opinion — c'est qu'on n'a pas de catégories pour décrire ce qui se passe .
Je veux dire, la réalité est bien plus grande qu'on ne le pense. Et elle est probablement beaucoup plus rapide. Nous appliquons toujours les catégories des Lumières, qui sont les nôtres, pour réfléchir à des processus qui ont déjà dépassé les Lumières. Si nous sommes dans la position d'un critique moderniste, nostalgique du ballet, nostalgique du grand art du XXe siècle — qui est du grand art, vraiment —, nous ferons des déclarations mélancoliques et régressives sur le présent. Si on est dans la position de tout relativiser, on finit par adhérer à cette sorte de liquidation générale qui n'est qu'un en direct de la culture comme marchandise, comme régressivité, etc. passé, et aussi éviter de se contenter d'adhérer à ce qui est là.
En tout cas, il semble que, dans l'expérience du temps d'aujourd'hui, l'avenir soit bloqué. Pourquoi? Peut-être parce que le présent ne passe pas. Et pourquoi ne passe-t-il pas ? Nous avons ici deux hypothèses : l'une, qui vient du domaine du marxisme et de la critique très fondée du monde néolibéral d'aujourd'hui, est l'idée que le présent ne passe pas parce que les processus économiques et politiques produisent, chez les individus, un désinvestissement fondamental des relations de critique. Par exemple, quand le travail doit s'allier au capital pour garantir l'emploi, l'idée de révolution qui animait jusqu'à hier le mouvement ouvrier est passée dans l'espace.
En même temps, l'idée que dans une culture comme celle-ci la capitale révolutionne la culture et qu'en ce sens, le présent ne passe pas et l'avenir est bloqué car ce qui domine, pour l'instant, c'est ce présent mercantile, financier , d'échange économique qui transforme la culture en valeur d'échange. On le remarque, par exemple, dans les programmes de la Banque mondiale pour les universités ou pour l'éducation brésilienne, cette idée qui n'importe, comme enseignement, comme éducation, que ce qui est immédiatement rentable.
Bill Gates était à Stanford il y a environ cinq ans et il a réuni tous les artistes, architectes, musiciens, peintres qui y enseignent, il a également réuni des gens de lettres, des philosophes, des historiens, de toutes les sciences humaines et des arts et il leur a dit ainsi : écoutez, je gagne trente millions de dollars par mois. C'est un argument divin, il est absolument absolu. Et puis il a dit : perdez-vous encore du temps à enseigner la structure du théâtre de Shakespeare ? Discutez-vous pour savoir si Macbeth est un criminel ou non, s'il est machiavélique ou non ? C'est idiot.
Vous, avec les connaissances que vous avez, devez apprendre à vos élèves à produire des intrigues qui imitent Shakespeare parce que nous avons un grand domaine de l'industrie du divertissement devant nous. C'est aussi le modèle japonais, vous savez. Les Japonais font le pari que la grande économie du XXIe siècle en sera le signe. D'où l'investissement dans l'éducation qui y forme déjà des gens pour produire des divertissements pour les masses, car ils font l'hypothèse que les technologies de l'information libèrent les gens du travail immédiat et que la croissance des personnes qui fournissent des services, des travailleurs du tertiaire, etc. ce sera infini.
Or, la culture est dans cette clé, selon une critique marxiste le montrerait, précisément à cause de cette idée capitaliste radicale que la culture a effectivement toujours été une marchandise, un jambon, et qu'elle n'a d'importance que lorsque le jambon est immédiatement rentable, point barre. Ceci est une hypothèse. Les critiques les plus optimistes — et qui sont postmodernes — disent : regardez, assez de mélancolie, les choses ont changé, l'avenir est bloqué parce que nous avons trop d'avenir. Le présent est tellement multiple, il a tellement de pluralités, tellement d'articulations qu'on ne sait pas ce qu'est le futur à cause de cette idée des Lumières que le futur n'était qu'un et que ce serait un futur dépassant le présent comme une révolution terminée. Nous avons des millions d'avenirs aujourd'hui, c'est pourquoi l'avenir semble bloqué — il est indéterminé, nous ne savons pas ce que c'est.
Donc, dans cet espace, nous avons une discussion sur la culture, je pense, si nous pensons que, en même temps, les processus économiques néolibéraux mettent de plus en plus de gens hors de l'économie, de la production, de l'éducation, de la santé, etc. . et tout simplement se laver les mains. Je veux dire, jusqu'à hier, il y avait un type, qui était l'intellectuel des Lumières ou l'intellectuel critique, qui osait encore avoir l'idée qu'il pouvait parler pour ces masses.
Aujourd'hui, c'est une idée qui embarrasse, personne n'a le courage de parler pour personne — de penser que je vais faire prendre conscience à un prolétariat de son vrai devoir historique, cela ne devrait vraiment embarrasser personne. Mais c'est une erreur qui a été commise. En même temps, quand disparaît cette idée de la critique ou de l'intellectuel comme type critique, qui prenait parti politiquement sur la question de la culture, disparaît aussi cette vieille représentation du temps comme contradiction, négation, transformation, dépassement et révolution. Aujourd'hui, ces idées sont apparemment absentes de la culture non seulement au Brésil, c'est un phénomène mondial. Nous sommes donc dans une situation où il faudrait discuter de ce que signifie une nouvelle façon d'appréhender le temps et que la spatialisation, la simultanéité remplacent de plus en plus les idées de continuité ou de dépassement et que le déni disparaît et que nous vivons une sorte de pleine possibilité affirmative de ce qu'on appelait différences.
Maintenant, de plus en plus, nous avons des différences de légion. Je veux dire, depuis Gay Boys, lesbiennes, homoérotiques, passant par des noirs, juifs abandonnés, enfants, FEBEM, vous avez tout. Il y a tellement de minorités… Maintenant, la société de classes est évidemment là et elle est de plus en plus efficace. Le capital est là, nous avons une société encore basée sur l'idée d'exploitation. Probablement, alors, ce que nous n'avons pas, dans la vitesse de ce changement, ce sont les catégories qui nous permettraient de penser le temps.
Dans l'idée de Koselleck, qui je pense est une hypothèse très intéressante, réfléchir à la façon dont nous comprenons l'expérience, c'est-à-dire comment nous classons et définissons la catégorie d'expérience, ce que nous entendons par expérience. En même temps, comment accumule-t-on l'expérience, quelle fonction y joue par exemple la mémoire ? Qu'est-ce que la mémoire aujourd'hui, lorsqu'elle est sur disque dur ou sur disquette ? C'est intéressant de réfléchir.
Quel rapport établissons-nous avec l'expérience non seulement du présent mais surtout du passé dans les processus de notre vie au présent en termes d'attente du futur ? Je veux dire, quel est notre horizon d'attentes pour l'avenir ? Comment pensons-nous à l'avenir ? Et si nous n'y pensons pas, pourquoi ne pensons-nous pas à l'avenir ? Et puis ces éléments - la catégorie d'expérience, la catégorie d'horizon d'attente, la prévisibilité et l'imprévisibilité de la catégorie future - nous permettraient de penser à quelque chose d'autre qui est fondamental pour penser le temps, ce qu'est l'événement, ce qu'est l'événement. Il ne se passe rien dans notre société — je ne sais pas si vous êtes d'accord — l'ennui est mortel — du moins je le sens.
Je pense qu'il y a une sorte de grande agitation de l'échange, tout le monde court d'un côté à l'autre, la simultanéité est de plus en plus radicale, mais il ne se passe rien qui soit une transformation de l'état des choses. Un énoncé comme ça — vous pourriez me dire — c'est les Lumières, vous avez toujours le modèle précédent, parce qu'aujourd'hui peut-être ne devriez-vous même pas dire cela, qu'il ne se passe rien. Le fait qu'il ne se passe rien est peut-être caractéristique de l'échange, car il n'y a que maintien du circuit, sans que rien ne se passe dans le circuit qui circule, mais rien de nouveau ne vient de l'extérieur ou de l'intérieur qui l'interrompt. En ce sens, certains critiques — je ne sais pas s'ils sont des Lumières — ont le droit de dire, je pense, que c'est trop fastidieux, c'est trop ennuyeux, c'est trop répétitif.
Nous avons quelques événements programmés. Par exemple, nous pouvons tuer un président. C'est le modèle nord-américain de la production d'un événement. Ou, par exemple, nous sommes un tueur en série, nous escaladons une tour et avec un fusil tuons nos collègues à l'université ou à l'école.
Maintenant, est-ce un événement ? La police, à la périphérie de São Paulo, à Carapicuíba, en tue sept à huit par nuit. Ce n'est pas un événement. C'est un événement, mais ce n'est pas un événement parce que ce n'est pas donné dans le médias et cela n'affecte apparemment pas la structure de la vie. Qu'est-ce qu'un événement ? Il semble que l'idée d'un événement soit aussi toujours liée à une certaine attente que l'on a par rapport au futur, la manière de travailler avec l'expérience du passé et du présent et la manière dont on guide, dans le sens politique de l'intervention, cette expérience et cette attente dans notre présent. Cela a déterminé l'événement. Quel est l'événement? C'est ce qui arrive et peut ne pas arriver. C'est-à-dire qu'il est une rupture, l'événement est une rupture.
Dans ce domaine non herméneutique, il existe actuellement plusieurs études sur de nouveaux objets. Et l'un des objets étudiés à Princeton, par exemple, c'est la théorie de l'émergence ou la théorie de l'événement. Je veux dire, l'idée d'inventer une nouvelle science, une heuristique, qui devrait essayer de penser à de nouveaux objets encore un peu impensés aujourd'hui mais qui sont déjà parmi nous. Par exemple, le criminel qui est arrêté au Canada parce que le satellite a lu sa plaque d'immatriculation ; la carte de crédit qui produit du temps virtuel ; le fait que nous avons de plus en plus de phénomènes néo-fascistes ; le fait qu'en même temps qu'il y a une fin absolue à cette idée des Lumières, les gens vivent de plus en plus les cultes d'Isis, il y a de plus en plus de cultes ésotériques, des cultes du diable, ces sectes télévisuelles qui prolifèrent.
Je veux dire, il y a plusieurs événements, ou plutôt, plusieurs phénomènes qui se produisent dans la culture qui méritent d'être discutés comme de nouveaux objets, mais généralement ce qui se passe, c'est que, pour en parler, le critique soit adopte une attitude mélancolique — "oh!, ça craint, c'est une décadence!» — soit il est dans une attitude de simple validation. Et peut-être devrions-nous revenir sur cette hypothèse et essayer de discuter des possibilités effectives de trouver de nouvelles catégories de réflexion sur les objets. Par exemple, l'université ne pense pas à la vie quotidienne. L'université ne pense qu'aux savoirs savants déjà accumulés, qui sont généralement des savoirs morts.
L'université, où elle a des têtes, ne pense généralement pas à l'ici et maintenant de la pratique quotidienne. Elle doit penser au XNUMXe siècle avant Jésus-Christ, évidemment, elle doit le faire, c'est son rôle. Mais pas seulement. Il lui faudrait inventer une heuristique, un art d'inventer des problèmes futurs que nous n'avons même pas encore imaginés. Alors ce serait cool, parce que nous n'avons pas de réponses. C'est cool aussi, c'est magnifique, c'est un temps d'indétermination absolue.
Quoi qu'il en soit, c'est intéressant de réfléchir : peut-être penser sérieusement à la présence du présent, c'est-à-dire à ce qu'est la présence du présent. Probablement la présence du présent est, dans mon hypothèse, une déhiérarchisation des valeurs, une simultanéité absolue des relations, une absence du futur, qui se bloque, une accumulation radicale de tous les passés qui sont stockés et cités à volonté et , surtout une indéfinition de ce qu'est, par exemple, le corps.
Il faudrait aussi penser au corps. Qu'est-ce que le corps, quand bouge-t-il, quand entre-t-il en contact avec l'ordinateur ? Quel est le sujet, dans ces diverses connexions ? Il faudrait discuter encore aujourd'hui si notre modèle linguistique – signifiant, signifié – est toujours valable, qui rend compte, en tant que sémiotique, des phénomènes culturels, ou s'il ne faut pas récupérer ce que Jean François Lyotard a proposé comme une théorie énergétique, pulsionnelle, une théorie libidinale de la production culturelle.
Mais ce sont des hypothèses. Je pense que je parle beaucoup. J'ai même fait écrire un texte et je ne l'ai pas suivi, je me suis perdu en disant d'autres choses. J'espère que je n'ai pas été trop gaspillé. Désolé, j'ai parlé de manière arbitraire. Peut-être que j'étais juste postmoderne.
Alors, pensez-vous qu'il était possible de poser une question? Mon idée était de proposer trois hypothèses sur la temporalité pensée comme articulation sociale. Je veux dire, cette hypothèse dont parle Koselleck, le temps de l'Ancien Régime, un temps théologique, dans lequel Dieu est présent; le temps des Lumières, que l'on retrouve dans les Lumières et dans le marxisme, cette hypothèse de la critique et du dépassement ; et le temps postmoderne, qui ressemble à du non-temps, qui ressemble à une éternité. Comme le disait Drummond, comme c'était devenu ennuyeux d'être moderne, maintenant je serai éternel. C'est un peu cette situation où on est posthume par rapport à soi, on est déjà mort et on est toujours en vie, c'est ça qui est cool.
*John Adolfo Hansen est professeur à la retraite à l'USP. Auteur, entre autres livres, de Acuités du XVIe siècle – Œuvre d'ensemble, vol 1 (Edusp).
Cet article était une conférence lors de l'événement Conversas no Ateliê. Conférences sur les arts et les sciences humaines. Org. Vera Pallamin et Joaci Pereira Furtado. FAU/USP, 2002