Violence symbolique dans les écoles

Image: Ignacio Palés
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Par MICHEL AIRES DE SOUZA DIAS*

Un environnement extrêmement répressif envers les idées, les connaissances et les valeurs progressistes

L’école n’est pas un environnement neutre, où les idées et les connaissances peuvent circuler librement. En fait, il s’agit d’un environnement extrêmement répressif à l’égard des idées, des connaissances et des valeurs progressistes. L'école est éminemment un espace politique de violence symbolique. Cependant, ce fait n'est pas perçu par la plupart des enseignants, car ils consomment les produits culturels homogénéisés de l'industrie culturelle. Ce faisant, ils adhèrent aux valeurs et à l’idéologie de la classe dirigeante.

Comme l’observe Marilena Chauí (2016, p. 276), « la majorité des enseignants du primaire et du secondaire appartiennent aux couches inférieures de la classe moyenne urbaine et adhèrent donc aux idées de cette classe, dans laquelle l’éducation est la transmission de information et formation pour obtenir le diplôme, afin que la pratique pédagogique vise à renforcer et non à critiquer l'idéologie dominante, considérée comme la vérité des choses ».

Les penseurs français Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron (2014), dans les années 1950, ont été les premiers à comprendre que l'objectif de l'école n'est pas de former des sujets autonomes, mais de fabriquer un ensemble de rôles et de valeurs sociales, dont la fonction est de constitution de sujets adaptés à l'ordre social, économique et politique d'un groupe ou d'une classe sociale. Pour eux, l’école impose des valeurs, des croyances, des préceptes, des manières d’être et de penser à travers une domination symbolique : « Toute action pédagogique est objectivement une violence symbolique comme imposition, par un pouvoir arbitraire, d’un arbitraire culturel » (BOURDIEU ; PASSERON, 2015 , p.27).

L’action pédagogique impose donc des significations comme si elles étaient légitimes, masquant les relations de pouvoir et les intérêts de classe, qui sont à l’origine de cet arbitraire culturel dominant : « Le choix des significations qui définit objectivement la culture d’un groupe ou d’une classe en tant que système symbolique est arbitraire. dans la mesure où la structure et les fonctions de cette culture ne peuvent être déduites d’aucun principe universel, physique, biologique ou spirituel, et ne sont liées par aucune sorte de rapport interne à la « nature des choses » ou à une « nature humaine » ». (BOURDIEU; PASSERON, 2015, p. 29).

Pour les deux sociologues, il n’existe pas d’éducation neutre. L'école serait un espace de socialisation contribuant à la formation des identités des individus, par la domination symbolique. Autrement dit, l’école impose un arbitraire culturel pour la formation d’un «habitus« culturel. Ils comprennent pourquoi habitus un ensemble de valeurs, de croyances, de significations et de symboles de la culture d'un groupe ou d'une classe sociale, qui sont assimilés comme un système d'orientation et de dispositions pour l'action. En ce sens, l’école reproduit les relations de pouvoir, les distinctions sociales et les différences de classes.

Pour reprendre une expression d'Herbert Marcuse (1973), l'école reproduit la « pensée unidimensionnelle », car elle développe un univers unique d'idées et de comportements, où les autres formes de pensée et de connaissances sont ignorées. Avec cela, l’école devient la matrice morale la plus importante des sociétés, qui impose par la violence symbolique un système de pensée et de valeurs qui doivent être intériorisés.

C’est grâce aux politiques pédagogiques que le contenu et les connaissances sont façonnés en fonction des intérêts de classe. Le meilleur exemple en est le racisme épistémologique, qui existe aujourd’hui dans les établissements scolaires. Dans les pratiques pédagogiques, la dévalorisation des savoirs et de la culture populaire afro-amérindienne, asiatique, africaine est notoire. Le processus d’apprentissage dans l’enseignement public traditionnel a une intention politique.

C’est la classe dirigeante qui décide de ce qui doit être enseigné, c’est elle qui décide de ce qui est estimable ou insignifiant, de ce qui doit être privilégié ou de ce qui doit être ignoré. Par conséquent, il n’y a aucune justification pour étudier la musique classique au lieu du hip hop ; l'histoire de l'Europe plutôt que l'histoire de l'Afrique ; la littérature de l'homme blanc au détriment de la littérature de l'homme noir ou asiatique ; peinture classique au lieu de graffitis ou de tags dans les grands centres urbains.

Dans l'éducation traditionnelle, les savoirs transmis, les méthodes pédagogiques, les modes d'évaluation, tout serait organisé au profit de la perpétuation des intérêts de classe. De ce fait, la domination symbolique est déguisée. L’efficacité de l’arbitraire culturel dominant dépend de la méconnaissance de la vérité objective de l’action pédagogique, considérée comme naturelle et légitime.

En raison des valeurs et des idéologies diffusées par les classes dominantes, les enseignants subissent constamment un harcèlement de la part des gestionnaires et de la communauté scolaire. Il est courant que les enseignants soient sollicités par la direction ou la supervision pour enseigner certains contenus. Si vous débattez de la sexualité des enfants, à partir des idées de Freud, vous courez alors un risque sérieux que le père d'un élève apparaisse dans vos cours ou qu'un directeur vous convoque pour vous donner des explications.

Si vous voulez réfléchir sur des questions religieuses et dire que « Dieu est mort », comme le disait Nietzsche, vous courez un risque sérieux que la mère d'un élève porte plainte formellement auprès du directeur. Si vous débattez de Manifeste communiste de Marx, court également le risque sérieux d'être qualifié de communiste et d'être accusé de diffuser des idées politiques, au motif que l'école n'a pas de parti. Si vous discutez de genre et d’homosexualité, vous pourriez être accusé de diffuser une idéologie de genre, comme si le genre était une catégorie naturelle et religieuse, et non une construction sociale et historique.

La violence symbolique est imposée de manière plus transparente et explicite dans les gouvernements d’extrême droite. L'implication des militaires et des religieux dans les questions éducatives est très courante. À une époque de fascisme et d'intolérance religieuse, la participation des églises évangéliques dans les écoles publiques est devenue courante, à travers des conférences, des cours, des dynamiques et même des cours d'éducation religieuse.

Aujourd’hui, dans les gouvernements liés aux agendas d’extrême droite, ces actions se sont intensifiées. Il existe de nombreuses plaintes de parents et d'élèves eux-mêmes qui suivent d'autres aspects religieux. Cependant, la communauté scolaire, étant expressément chrétienne, ne s’en soucie pas, et y voit même quelque chose de bon pour la formation morale et civique des élèves. Le fait est que la religion à l’école est l’exercice d’une violence symbolique, d’abord parce qu’ils manquent de respect aux autres religions ; ensuite parce qu’il s’agit d’une régression de l’homme vers un stade anthropologiquement antérieur de l’espèce humaine. Lorsque la religion s’oppose à l’objectivité scientifique, elle menace l’éducation.

Ce qui est paradoxal dans l’éducation, c’est que, bien que conservatrice, elle peut révéler les structures et les mécanismes de domination, elle peut être un vecteur de libération. Une éducation critique est possible, qui puisse réfléchir sur elle-même. Comme l’évaluait Martins (2002), la connaissance de la pratique constitue une des conditions de production d’une pratique relative de la liberté. Cela ne repose pas sur un volontarisme individualiste ou collectif, encore moins sur un fatalisme scientifique, mais sur la connaissance des fondements de la production des pratiques, point de départ de la construction d’une utopie rationnelle.

La prise de conscience de la tendance reproductive du système éducatif par ses agents, la reconnaissance de l'illégitimité du processus, peuvent contribuer à un changement de perspective, c'est-à-dire à la possibilité de passer de la reproduction à l'émancipation sociale (ALMEIDA, 2005). Comme le dit Paulo Freire (1987, p. 17), l’éducation ne peut devenir une « pratique de liberté » que lorsque le processus pédagogique fait de « l’oppression et de ses causes un objet de réflexion de la part des opprimés, ce qui entraîne leur nécessaire engagement dans la lutte pour la liberté ». leur libération. »

 Dans ses « Notes pour clarifier la notion de habitus», Loïc Wacquant (2007) nous explique que, malgré les habitus Étant durables, elles ne sont ni statiques ni éternelles, les dispositions sont socialement assemblées et peuvent être érodées, contredites ou même démantelées par l'exposition à de nouvelles forces extérieures. C'est le cas des immigrés qui, après avoir passé de nombreuses années en contact avec la culture d'un pays étranger, changent leur façon de penser et leur comportement.

Ce fait nous permet de penser l’éducation sous un nouvel angle. La théorie de Bourdieu elle-même nous permet de réfléchir à l'idée d'autonomie du sujet. Grâce à l'école, il est possible de déconstruire le habitus classe dirigeante et développer une nouvelle habitus, qui récupère l’autonomie critique des sujets. Il est possible de développer, grâce à un travail pédagogique durable, de nouvelles dispositions d'action, qui deviennent antagonistes à l'arbitraire culturel dominant.

Le processus pédagogique peut construire de nouveaux schémas de perception, d'appréciation et de représentation, de nouvelles valeurs et principes de conduite humaine. De la clarification politique, en tant que réflexion critique sur la réalité, il est possible de révéler les mécanismes de domination, il est possible de faire du processus d'apprentissage un instrument de libération.

* Michel Aires de Souza Dias Il est titulaire d'un doctorat en éducation de l'Université de São Paulo (USP).

Références


ALMEIDA, L. Pierre Bourdieu : La transformation sociale dans le contexte de La reproduction.

Inter-Ação : Magazine de la Faculté d’Éducation de l’UFG, 30(1), 139-155, janv./juin. 2005.

https://www.revistas.ufg.br/interacao/article/view/1291/1343

BOURDIEU, Pierre; PASSERON, JC. Reproduction : éléments pour une théorie du système éducatif. Rio de Janeiro : Editora Vozes, 2014.

CHAUI, Marilène. Les parcours de Marilena Chaui : philosophie, politique et éducation. Interview donnée à Homero Silveira Santiago, Paulo Henrique Fernandes Silveira. Magazine de l'éducation et de la recherche, vol. 42, non. 1, p. 259-277, janvier/mars 2016.

FREIRE, p. Pédagogie des opprimés. Rio de Janeiro : Paz et Terra, 1987.

MARCUSE, H. L'idéologie de la société industrielle. Rio de Janeiro, Zahar, 1973.

MARTINS, C. (2002) Notes sur la notion de pratique chez Pierre Bourdieu. Nouvelles études du CEBRAP, Non. 62, p. 163-181, mars 2002.

pratique.pdf>

WACQUANT, L. Notes pour clarifier la notion d'habitus. Éducation et langue, nº 16, p. 63-71, juillet-décembre 2007. http://www.cchla.ufpb.br/rbse/WacquantArt.pdf


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