Afrique du Sud contre Israël

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Par SALEM NASSER*

Détails juridiques et contexte de l’affaire portée devant la Cour internationale de Justice

Il n’est pas exagéré de dire que l’affaire présentée par l’Afrique du Sud contre Israël devant la Cour internationale de Justice (CIJ), pour violations de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, sera l’équivalent juridique de la fameuse confrontation "Rumble dans la jungle», le combat entre Mohamad Ali et Foreman, au Zaïre.

Je vais maintenant tenter de donner une explication aussi complète que possible du cas et de sa pertinence, en termes moins techniques et de manière synthétique.

Quelques détails juridiques importants

La Cour internationale de Justice ne juge pas les gens. Il juge à la fois les affaires opposant deux États, dans les affaires contentieuses. Outre cette compétence contentieuse, elle dispose d'une autre capacité dite consultative, à travers laquelle elle donne des avis, répondant aux questions juridiques des institutions onusiennes.

Le cas sud-africain est un cas controversé contre Israël.

La souveraineté des États est le principe fondamental du droit international. En raison de ce principe, un État ne peut être jugé par un tribunal international que s'il a expressément accepté sa compétence.

Cela signifie que, dans ce cas, si Israël n’était pas partie à la Convention sur le génocide et s’il n’avait pas accepté l’article de la Convention qui détermine la compétence de la Cour internationale de Justice, l’affaire ne pourrait pas exister.

Il est clair que lors des prochaines démarches, Israël contestera très probablement la compétence de la Cour internationale de Justice. Si cela se produit, nous serons confrontés à un ou deux ans de discussions sur ce seul sujet. Si, finalement, la Cour décide de sa propre compétence, nous aurons alors encore quelques années de discussion sur le fond, puis une sentence finale qui nous dira si Israël est coupable ou innocent.

La décision sur les violations de la Convention ne sera donc pas prochainement rendue.

La discussion qui a débuté les 11 et 12 janvier est différente.

L'Afrique du Sud a demandé des mesures provisoires ou conservatoires, y compris une ordonnance de la Cour pour qu'Israël cesse ses attaques contre Gaza. Lorsque de telles mesures sont demandées, elles priment sur tous les autres cas en cours d’analyse.

Pour pouvoir décider de mesures conservatoires, la Cour doit décider de certaines choses fondamentales.

La principale est celle-ci : elle a ce qu’on appelle la compétence à première vue. Comme je l'ai dit, discuter de compétence peut prendre beaucoup de temps. Ici, la Cour doit simplement s'assurer qu'il existe une forte probabilité d'être compétente, de pouvoir juger l'affaire.

Tout bien considéré, il est fort probable que la Cour internationale de Justice se considère compétente à première vue et finir par émettre une sorte de mesure provisoire dans cette affaire. Cette conclusion découle, pour moi, d'une lecture de la Loi, mais aussi d'une lecture du contexte dans lequel l'affaire sera jugée par la Cour.

Le contexte de l’affaire au sein de la Cour

Il s'agit de la cinquième affaire contentieuse portée devant la Cour dans laquelle un État accuse un autre de non-respect de la convention sur le génocide. Les quatre précédentes étaient les suivantes : Bosnie-Herzégovine contre. Serbie-Monténégro, démarrée en 1993 ; Croatie contre la Serbie, démarrée en 1999 ; Gambie contre Myanmar, 2019 et Ukraine contre. Russie, qui a débuté en 2022.

L'historique des affaires peut nous donner des indices sur ce qui peut être décidé en matière de mesures conservatoires et quel peut être le résultat final en ce qui concerne la violation de la Convention. Les indices proviennent de la jurisprudence de la Cour, en tant qu’institution, mais aussi de la position de chaque juge dans des affaires antérieures.

À cet égard, il faut dire qu'en principe, les juges qui composent la Cour sont indépendants et ne répondent pas à leur pays de nationalité ni aux pays qui les nomment lorsqu'ils sont juges. ad hoc (nommé uniquement pour un cas spécifique, ce qui se passe maintenant avec un juge d'Afrique du Sud et un autre d'Israël).

Même si les juges se positionnent souvent en tenant compte de leur propre origine et des intérêts des États dont ils sont issus, les décisions du collectif finissent par être contrebalancées par la diversité, le nombre de juges et la conscience que la Cour internationale la plus importante du monde n'a pas peut être considéré comme irresponsable, incompétent ou illégitime.

Par rapport aux tribunaux internationaux des droits de l’homme ou du droit pénal international, ainsi qu’aux tribunaux d’arbitrage en matière d’investissement, la CIJ tend à maintenir un niveau de qualité de décisions supérieur en termes de précision et d’équilibre juridique.

Tout cela va maintenant être testé, peut-être d’une manière sans précédent.

Considérons seulement les deux dernières affaires portées devant la Cour pour voir quel impact elles pourraient avoir sur la réclamation de l'Afrique du Sud contre Israël.

En Gambie contre. Myanmar, la Cour a approuvé à l’unanimité les mesures conservatoires que le Myanmar devra observer en 2020. Depuis lors, trois nouveaux juges ont rejoint la Cour. Tout bien considéré, les affaires ayant plusieurs éléments communs, il faut s’attendre ici aussi à ce que la Cour ordonne des mesures conservatoires contraignantes à l’encontre d’Israël.

En Ukraine contre. En Russie, la Cour, à la majorité de 13 voix contre deux, a également imposé des mesures provisoires à l'encontre de la Russie. Les voix dissidentes provenaient du juge russe et du juge chinois.

Ce qui est le plus pertinent dans cette deuxième affaire est le fait que l’Ukraine n’accuse pas la Russie d’avoir commis un génocide ni de ne pas avoir empêché ou puni la commission du crime. L'Ukraine affirme que la Russie a invoqué à tort la survenue d'un génocide dans les provinces orientales de l'Ukraine pour justifier son opération militaire.

Il ne fait donc aucun doute qu’il s’agit, sur le fond, d’un dossier beaucoup plus fragile et que les chances de succès, dans les phases suivantes, sont moindres. Un autre aspect très important de ce cas, celui de l’Ukraine, est le fait sans précédent que 32 pays, dont plusieurs occidentaux, ont demandé et obtenu le droit d’intervenir dans le processus. La Russie a considéré qu’il s’agissait d’une manœuvre visant à opposer 33 États contre un seul.

Une stratégie similaire a également été employée, par un plus petit nombre d’États, dans le cas de la Gambie contre le Myanmar.

Il reste maintenant à attendre de voir si les États demanderont à intervenir dans le cas de l’Afrique du Sud et s’ils feront de même.

Il sera intéressant de voir comment les alliés habituels d'Israël, qui sont intervenus dans l'un ou l'autre des cas précédents, se positionneront par rapport à la demande de l'Afrique du Sud.

Le test pour la Cour peut être résumé comme suit : dans les cas du Myanmar et de la Russie, le collectif est allé dans la direction qui a plu à ce qu’on appelle habituellement la communauté internationale (les États-Unis et l’Europe, en gros) ; Dans ce cas, pour être cohérent avec ce que vous avez décidé dans le passé, vous devrez aller dans la direction opposée.

*Salem Nasser Il est professeur à la Faculté de Droit de la FGV-SP. Auteur, entre autres, de livres Droit mondial : les normes et leurs relations (Alamedina). [https://amzn.to/3s3s64E]


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