André Breton et la Constellation noire des Caraïbes – L'anthropologie de la magie

Wassily Kandinsky, Petits Mondes VII, 1922.
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Par MICHAEL LÖWY*

Chapitre du livre récemment sorti « La comète incandescente : romantisme, surréalisme, subversion »

C'est à l'initiative de son ami Pierre Mabille, auteur d'une œuvre surprenante d'inspiration surréaliste - Le miroir du merveilleux [Le miroir du merveilleux] (1940) –, et qu'il sera plus tard nommé attaché culturel de France en Haïti – il fondera, en décembre 1945, l'Institut français d'Haïti – qu'André Breton est invité, en septembre 1945, à donner une série de conférences à Port-au-Prince.

Elisa et André Breton, alors à New York, sont arrivés en Haïti par avion le 4 décembre. Les témoignages de Paul Laraque et de René Depestre témoignent de l'atmosphère d'attente et d'enthousiasme qui a entouré cette visite. Cette attitude était partagée par les jeunes qui ont publié le magazine La Ruche. Orgue de la Geune génération, dont le numéro du 7 décembre 1945 annonçait, avec un gros titre en première page : « Bienvenue au grand surréaliste André Breton ». Cet hommage conviendrait à la fois au poète et au combattant de la liberté :

André Breton fait partie de ces intelligences dont les convictions antifascistes ont traversé les frontières de la France, trouvant l'approbation de milliers de non-conformistes à travers le monde. Le surréalisme est la négation absolue des valeurs corrompues auxquelles s'accrochent obstinément les écrivains réactionnaires. Son attitude face à la défaite française était admirable.

Si l'auteur de Manifeste du surréalisme accepté l'invitation, c'est parce que la culture noire des Caraïbes l'intéressait profondément. Cela concerne évidemment les artistes surréalistes pour lesquels il avait la plus forte admiration : les poètes Magloire Saint-Aude, Aimé et Suzanne Césaire et le peintre Wifredo Lam. Breton avait rencontré les Césaire lors de leur séjour en Martinique en 1941 : cette chaleureuse rencontre est relatée dans le livre Martinique, charmeuse de serpents [La Martinique, enchanteresse des serpents] (1948), dans lequel il célèbre la Journal d'une rentrée du poète martiniquais comme étant « le plus grand monument lyrique de cette époque » et peu de temps après, Saint-Aude sera l'objet d'un bel hommage : on retrouve dans ses poèmes, écrit Breton, « la pierre philosophale ou presque, la note incroyable qui apprivoise le monde, la dent unique dont la roue de l'angoisse se mêle à l'extase ».

Césaire – qui sera ensuite élu député communiste et maire de Fort-de-France – et Lam sont décrits, lors de la conférence de l'Hôtel Savoy, comme étant, tout simplement, ceux qui ont fourni, au cours des cinquante dernières années, « le plus grand impulsions pour les nouvelles voies du surréalisme ». Il y eut une exposition des oeuvres de Wifredo Lam à Port-au-Prince fin janvier 1946, et Breton contribua à son catalogue avec le texte "La nuit en Haïti", dans lequel il décrit l'art du peintre cubain comme " un témoignage unique et tremblant… des hérons au fond du lac où s'élabore le mythe actuel ».

Mais il y avait encore une autre motivation plus large, à la fois politique, culturelle et poétique : non seulement la sympathie du militant anticolonialiste pour les « peuples de couleur », mais aussi et surtout la conviction, profondément ancrée dans le surréalisme, que le cultures dites « primitives » – principalement celle des Indiens Hopi, que Breton avait visités en Arizona en août 1945, et celle des Haïtiens noirs – avaient un rapport privilégié avec les sources les plus intimes de l'esprit humain et qui n'avait pas encore été contaminés par l'aliénation capitaliste prédominante dans les pays occidentaux "avancés"...

En fait, pour Breton et les surréalistes, ces deux aspects sont directement liés : l'une des raisons, et non des moindres, de leur anticolonialisme était précisément leur admiration pour la qualité humaine et poétique des cultures des peuples colonisés, et leur indignation face à la tentative des puissances occidentales d'imposer - par l'action articulée entre leur force militaire, leurs missionnaires et marchands - la civilisation capitaliste « moderne », en plus de l'effacement ou de la destruction de ces « peuples indigènes » par ces mêmes pouvoirs.

Voici son commentaire sur le sujet dans une interview – qui eut un grand retentissement sur l'île – accordée au poète haïtien René Bélance, publiée dans Haïti − Gournal, le 13 décembre 1945 : « Le surréalisme est lié aux peuples de couleur, d'une part, parce qu'il s'est toujours positionné contre toutes les formes d'impérialisme et de pillage blanc, comme en témoignent les manifestes publiés à Paris contre la guerre du Maroc. , contre l'exposition coloniale, etc.; d'autre part, en raison des affinités les plus intimes existant entre la pensée dite « primitive » et la pensée surréaliste, dans lesquelles toutes deux visent à supprimer l'hégémonie du conscient et du quotidien, en s'appuyant sur la conquête de l'émotion révélatrice. Ces affinités sont mises en évidence par un écrivain noir martiniquais, Jules Monnerot, dans un ouvrage récemment publié : Poésie moderne et sacré.

Publié en 1945, ce livre réfute l'appréciation erronée de la « mentalité primitive » par l'anthropologie officielle (Lévy-Bruhl) et avance l'hypothèse suivante, qui semble avoir recueilli l'entière approbation de Breton : « Le surréaliste ou le merveilleux que visent les surréalistes ils peuvent évoquer, sans abus de langage inadmissibles, le monde imaginaire-réel de certains « primitifs » […]. un domaine privilégié de l'expérience s'oppose à la conscience de la vie ordinaire qui, dans notre société, n'entend tolérer rien de circonscrit en dehors d'elle ».

Na Ode à Charles Fourier, un passage du livre de Monnerot est cité, qui compare la démarche de Breton à celle des indigènes de Soulteaux : « [Fourier] je vous salue du carrefour en signe de preuve et de la trajectoire toujours puissante de cette flèche précieusement recueillie à mes pieds : « il n'y a pas de séparation et d'hétérogénéité entre le surnaturel et le naturel (le réel et le surréel). Pas de pause. C'est un 'continuum', on a l'impression d'écouter André Breton : mais c'est un ethnographe qui nous parle au nom des Indiens Soulteaux ».

Monnerot sert Breton à mettre en lumière les affinités secrètes entre les Indiens d'Amérique du Nord, Charles Fourier (dont il sera longuement question dans les conférences haïtiennes), les cultures noires des Caraïbes et le surréalisme.

Il reviendra sur ce thème, de différentes manières, dans ses conférences, à commencer par la première, lorsqu'il rencontre des poètes haïtiens à l'Hôtel Savoy (5 décembre 1945) : « Je n'ai pas peur d'affirmer que les hommes dits 'de couleur' ont toujours joui d'une ferveur et d'un prestige exceptionnels au sein du surréalisme. Il y a une excellente raison à cela : […] nous pensons, mes amis et moi, que ce sont eux qui sont restés au plus près des sources et que, dans cette approche essentielle du surréalisme, qui consiste à écouter la voix intérieure de chaque homme mis à part, nous cherchons à renouer immédiatement avec la pensée dite "primitive", qui vous est moins étrangère qu'elle ne nous l'est et qui, en plus, il est étrangement intrépide dans le vaudou haïtien ».

En fait, la pensée dite « primitive » – Breton emploie le terme avec beaucoup de réserve – n'est pas exclusive à telle ou telle ethnie : pour lui, cette pensée désigne une instance spirituelle commune à toute l'humanité, mais qui est méprisée et dévalorisée. par l'Occident.

De quoi parlent-ils polices caché dans les profondeurs les plus intimes de l'esprit humain ? Il me semble qu'il s'agit de magie, c'est-à-dire l'enchantement du monde qui se manifeste dans des rituels, des paroles, des gestes, des danses, des mythes, des images et des objets, et qui inspirent aussi bien la culture noire que celle de l'Océanie ou, encore, celle des peuples autochtones des Amériques. Il y a dans les oeuvres de Breton, Péret, Leiris et, plus tard, dans celle de Vincent Bounoure, une sorte de anthropologie de la magie qui est aussi une anthropologie du désir – qui leur permet de construire des vases communicants entre l'hermétisme, le romantisme, le surréalisme et les cultures dites « primitives ».

Qu'est-ce que la magie et quelle est sa relation avec le désir ? Selon Henri Hubert et Marcel Mauss, cités par Jules Monnerot, "l'essence de la magie est uniquement la croyance nocturne en l'efficacité du désir et du sentiment". La poésie moderne, et particulièrement celle des surréalistes, n'est-elle pas après tout une pratique magique qui cherche son but en elle-même, une magie « sans espoir » (de tuer l'ennemi ou de séduire l'être aimé) ? C'est l'hypothèse de Jules Monnerot. Selon le penseur antillais, Romantisme et Surréalisme partagent une nostalgie profonde d'un « monde perdu » – j'ajouterais : un monde enchanté –, d'une « période mythique », où « poésie, science, divination, philosophie, religion et socialisme l'organisation n'étaient pas irrémédiablement distinctes ».

Le discours de Breton en Haïti est conforme à l'esprit surréaliste de la sympathie – au sens étymologique du terme : un pathétique partagée – par les cultures dites « primitives », qui ont conservé quelque chose de cette unité magique originelle et ont su résister à la corrosive valeur d'échange capitaliste.

La référence au vaudou dans le discours de Breton n'est pas fortuite. Elle correspond à l'intérêt profond du poète pour ce culte magique populaire, dont il avait sans doute appris par Pierre Mabille. C'est grâce à son ami qu'il a pu participer, lors de son court séjour en Haïti, à huit séances de ce rituel secret, une expérience inoubliable qu'il remémorera quelques années plus tard dans une préface à la réimpression du livre de Pierre Mabille, Le miroir du merveilleux: « Pierre Mabille m'a guidé vers l'un de ces houmhors ou des temples vaudous, où plus tard, plus ou moins clandestinement, une cérémonie aurait lieu. […] Le pathétique des cérémonies vaudou m'a longtemps assailli pour que, des vapeurs persistantes de sang et de rhum, j'essaye d'extraire l'esprit génératif et d'en mesurer la véritable portée. Il m'était seulement donné de m'imprégner de leur climat, de devenir perméable à la profusion des forces primitives qu'ils mettaient en action ».

De ces visites, Breton rapporta un fétiche de fer, auquel les vaudous attribuaient des pouvoirs maléfiques ; selon le témoignage de Roger Caillois, Breton n'était pas loin de partager cette même croyance. Rappelons que le président Lescot a adopté, en collaboration avec l'Église catholique, une campagne virulente contre le vaudou, dite « Campagne anti-superstitieuse » (1942), dénoncée par Jacques Roumain – d'où le caractère « plus ou moins clandestin » des rituels qui Mabille et son ami pouvaient regarder.

C'est à partir du vaudou que Breton tentera de comprendre l'art haïtien et, en particulier, l'œuvre du grand peintre populaire haïtien Hector Hyppolite, qu'il avait découverte lors de sa visite au Centre d'art haïtien, la considérant « comme un souffle envahissant du printemps ». . . Dans un article de 1947, il note : « La peinture d'Hector Hyppolite présente, je pense, les premières représentations de divinités et de scènes vaudou. […] La vision d'Hyppolite parvient à concilier un haut réalisme avec un surnaturalisme extrêmement exubérant. Nul ne saurait mieux que lui exprimer l'angoisse de certains ciels haïtiens ou suggérer, par la fusion de la végétation et de la rouille, l'aspect touffu et touffu de ces feuillages. En revanche, dans son œuvre, ce qui est le résultat de la perception visuelle ne se distingue pas de ce qui est le résultat de la représentation mentale : c'est ainsi que, dans […] un de ses tableaux, le dieu-serpent Damballah n'est ni plus ni moins réel et concret que le prêtre, le maître de cérémonie et les deux prêtresses qui portent les bannières ».

Comme les poètes surréalistes des Antilles et le peintre Wifredo Lam, Hector Hyppolite – dont les œuvres seront présentées à l'Exposition internationale du surréalisme de 1947 – est une autre vedette de cette sombre constellation caribéenne avec laquelle Breton se sent en liaison directe pendant ces semaines décisives entre décembre de 1945 et janvier 1946.

Dans son discours à l'Hôtel Savoy, si radical dans sa rupture avec le racisme blanc, l'eurocentrisme occidental, le paternalisme colonial et la "compassion" missionnaire, Breton a exprimé le sens profond qu'il attribuait à cette visite, qui était pour lui, telle qu'elle lui était venue. chez les Hopis, une sorte de voyage initiatique. Ainsi, il se percevait comme quelqu'un qui venait non seulement présenter ses idées et ses connaissances, mais aussi écouter et apprendre : une attitude qui a largement contribué à la création, entre lui et ses interlocuteurs haïtiens – poètes, artistes, étudiants ou simplement esprits curieux. – , d'une relation de confiance et d'un lien de complicité amicale dont tous ont été témoins. On pourrait dire aussi qu'un processus d'affinité élective s'est développé entre eux, au sens alchimique du terme – reformulé plus tard par Goethe dans son célèbre roman Les affinités électives –, c'est-à-dire une attraction réciproque fondée sur des analogies intimes de l'esprit et des sentiments (l'affinité « chimique »).

Le surréalisme comme étincelle : les discours de l'Hôtel Savoy et du Teatro Rex

Ce qui rend cette rencontre unique, tant dans l'histoire du surréalisme que dans celle du pays de Toussaint Louverture, c'est la « coïncidence » entre la visite de Breton et le déclenchement de la Révolte de janvier 1946, qui renversa le régime détestable du président Lescot. Bien sûr, on pourrait comparer cette convergence, ou conjugaison active entre surréalisme et révolution, avec les événements de mai 1968 en France, mais l'influence du surréalisme était, à ce moment, bien plus diffuse et dense que celle d'une branche plus visible. : Situationnisme. Si la vocation révolutionnaire du surréalisme ne laissait aucun doute, la constellation qui s'opérait en Haïti en ce moment, entre la parole surréaliste et l'action subversive, est un événement singulier, sans précédent ni équivalence.

On sait que le discours d'André Breton à l'Hôtel Savoy a fait la une du magazine des jeunes poètes et révolutionnaires, La Ruche, dont la confiscation par les autorités, pour ainsi dire, a été l'étincelle qui a allumé la poudre à canon. En revanche, on peut se poser la question des raisons de cette mesure liberticide : est-ce le discours de Breton, un autre article, ou la publication dans son ensemble qui a soulevé les craintes du pouvoir et sa réaction brutale ? Il est vrai que la publication du discours accompagnait un commentaire sur les gloires du surréalisme, ne cachant pas ses intentions subversives. En tout cas, l'interdiction de la revue fut, comme les Lois sur la Presse de Charles X en 1830, la raison immédiate de la mobilisation des jeunes contre le régime et qui aboutit finalement à sa défaite.

Rappelez-vous que trois des jeunes « abeilles » de La Ruche figuraient parmi les acteurs principaux des journées de janvier : Gérald Bloncourt, René Depestre et Jacques-Stéphen Alexis. Le fait qu'ils soient artistes – respectivement peintre, poète et écrivain – a sans doute favorisé la réception de la parole de Breton. Tous sont également promis à un bel avenir : le premier, un jeune peintre, exilé en France, deviendra le photographe le plus important du mouvement ouvrier français ; le second, célèbre poète communiste, exilé à Cuba sous la dictature de Duvalier (il abandonnera plus tard le communisme et la poésie pour une carrière diplomatique, en tant que représentant d'Haïti à l'Unesco) ; et le troisième, un écrivain communiste au destin tragique, auteur d'un des romans les plus importants de la littérature haïtienne, Général Soleil Compère [Camarade général Soleil] (1955), mourra sous les balles de la police duvaliériste en 1961.

Quelles étaient donc les affirmations de Breton dans ce discours du 5 décembre et dans les discours des semaines suivantes qui pouvaient contribuer, directement ou indirectement - en tout cas involontairement, puisque l'auteur de L'Amour Jou [amour fou] n'avait pas l'intention de semer le trouble – avec les événements qui se sont déroulés début janvier 1946 ? Sans vouloir exagérer son importance, et sachant bien que les jeunes marxistes haïtiens avaient déjà des projets insurrectionnels bien avant l'arrivée de Breton, il ne fait aucun doute que les interventions du poète surréaliste ont apporté un certain soutien à la gestation - parmi les étudiants, les jeunes et une couche plus cultivée. culture populaire – d'un certain état d'esprit, d'un climat, d'une atmosphère agitée favorable à un grand élan émancipateur.

Un climat favorisé aussi par l'espoir, dans toute l'Amérique latine en 1945, que la défaite du fascisme entraînerait la chute des dictateurs et des régimes autoritaires du continent. Bref, André Breton fut, non seulement lui, mais certainement, avec les jeunes poètes révolutionnaires de Port-au-Prince, l'un des messagers de la tempête de janvier 1946. Ou plutôt, l'une des sources qui, comme le Hougans du vaudou, a le don sacré de prononcer les paroles enchantées qui déclenchent la foudre...

Selon des coupures de presse et des témoignages, la conférence à l'Hôtel Savoy a été une sorte de rencontre magique entre Breton, d'une part, et poètes et jeunes haïtiens, d'autre part. L'intervention de l'invité a suscité des réactions enthousiastes et ferventes que, même un demi-siècle plus tard, les participants mentionneraient encore. Voici le témoignage du poète Paul Laraque : « Aux premiers mots du Mago, l'atmosphère s'électrisa et bientôt les mines lancées par les jeunes révolutionnaires de La Ruche, dont la rencontre avec Breton en Savoie, début décembre 1945, fit de notre banquet un croisement entre la poésie et une sorte d'épreuve du feu ».

Trois thèmes de cette intervention ont probablement résonné particulièrement puissamment auprès du public :

(1) L'affirmation, de la part du surréalisme, d'une "foi sans bornes dans le génie de la jeunesse". Après avoir rappelé l'exemple des adolescents ou des plus jeunes que le surréalisme s'attribue – Saint-Just, Novalis, Rimbaud, Lautréamont –, l'oratrice n'hésite pas à proclamer : « quand le surréalisme aura cent ans, l'idée qu'il est en jeunesse que réside la lucidité, ainsi que la vraie puissance ». Mais, au-delà de cet hommage, il y avait un appel dans le discours savoyard, un impératif : « il faut absolument que la jeunesse se libère du complexe d'infériorité, au plus haut degré de paradoxe, dans lequel pendant des siècles on a fait l'impossible pour rester ”. Ce n'est qu'en se débarrassant de ce fardeau que les jeunes « pourront obtenir le droit à une voix active prépondérante et faire prévaloir les solutions audacieuses qui leur appartiennent sur la routine ».

Il est évident qu'un tel appel ne pouvait qu'inciter les jeunes – notamment les auteurs de La Ruche, mais aussi d'autres au-delà d'eux – qui rêvaient, justement, de faire prévaloir en Haïti leurs solutions audacieuses : la Révolution Sociale.

(2) L'hommage rendu au passé révolutionnaire d'Haïti, ce « bon mot [...] qui évoque immédiatement, sinon tous les épisodes très précis de votre histoire, du moins un désir d'émancipation qui ne se démentira jamais », ce « petit mot dynamique , du petit nombre de ceux qui ont suivi vers l'avant ».

Là aussi, pour ceux qui estimaient nécessaire de porter en avant le désir d'émancipation du peuple haïtien, le message était clair.

(3) Pour conclure son discours, l'orateur a choisi de citer un passage du roman poétique seigneurs de la rosée, par l'écrivain communiste Jacques Roumain (mort en août 1944) : « Nous sommes pauvres et malheureux, c'est vrai, nous sommes misérables ; et vérité. Mais savez-vous pourquoi, ma soeur? A cause de notre ignorance : nous ne savons pas encore que nous sommes une seule force, une seule force ; tous les villageois, tous les noirs des plaines et des collines ensemble. Un jour, quand nous aurons compris cette vérité, nous irons d'un bout à l'autre du pays et tiendrons des assemblées générales des seigneurs de la rosée, les grands coumbite de travailleurs de la terre pour démanteler la pauvreté et planter une nouvelle vie ».

Comment des jeunes, à la fois adeptes du surréalisme et disciples de Jacques Roumain, pourraient-ils être insensibles au passage cité par Breton, véritable appel au bouleversement général, « d'un bout à l'autre du pays », des pauvres, misérable et condamné de la terre? Il est intéressant de noter que la sympathie, voire l'adhésion, des jeunes de La Ruche au mouvement communiste n'a pas empêché l'accord, l'affinité dont parle Breton dans son discours, "qui surmonte complètement la différence d'âge entre moi et vous", avec l'ami de Léon Trotsky et également fondateur de la FIARI (Fédération internationale de l'art révolutionnaire indépendant) , dont les critiques du stalinisme sont bien connues. Cela aurait été impossible en France en 1945… Il est vrai qu'en rendant hommage à Jacques Roumain, Breton avait démontré son ouverture d'esprit et son rejet de toute idée de faction politique.

On peut alors émettre l'hypothèse que le discours savoyard a créé entre le poète français et l'avant-garde de la jeunesse haïtienne une sorte de champ magnétique, aimanté par la poésie. Ses paroles, et en particulier sa conclusion, pourraient facilement être interprétées comme un appel aux jeunes et aux pauvres à se révolter, à retrouver le chemin de l'émancipation, à planter les graines d'un avenir nouveau. En publiant le discours dans leur magazine, les jeunes ont légitimé leur démarche contestataire et préparé le terrain à leurs actions subversives. La répression du régime a accéléré les choses…

La première de la série de conférences prévues sur le « Surréalisme », qui eut lieu au Théâtre Rex le 20 décembre 1945, a peut-être contribué et aussi préparé l'ouragan tropical qui, quelques semaines plus tard, balaya Lescot et ses palettes e bougrelas. C'est ce que rapporte René Depestre, qui était présent et garde un ardent souvenir de l'événement : le message d'André Breton « a fait un festin dans l'imaginaire des jeunes qui ont rempli le théâtre. Nous avons applaudi avec beaucoup d'enthousiasme… Nous avons grimpé dans le lyrisme contagieux de Breton comme des oiseaux découvrant que l'arbre où ils se sont posés était un prodige de musique et de liberté. […] Dès le premier mot d'André Breton, nous savions que nous étions prêts à déchaîner en Haïti, de manière pionnière, mutatis mutandis, un 'Mai 68' sous les tropiques ».

Devant un public bien plus nombreux que celui de l'Hôtel Savoy, Breton a évoqué un thème cher aux jeunes marxistes, qu'il n'avait fait qu'esquisser dans son discours précédent : la misère du peuple haïtien, la condition « non seulement précaire, mais pathétique ». de l'homme haïtien. Il reprend aussi, plus explicitement que le 5 décembre, la tradition révolutionnaire de l'île : « ce qui lui a d'abord donné la force d'endurer puis de retrouver sa liberté, ce qui a été l'âme de sa résistance, c'est l'héritage africain qu'il a réussi à transplanter ici, en le faisant fructifier malgré les chaînes qui le liaient ». Ce n'était pas seulement un appel historique, mais un fait permanent, grâce à "l'indescriptible élan de liberté et la solide affirmation de la dignité de votre pays". Quelles que soient les intentions du locuteur, ces propos pouvaient aussi être reçus comme une injonction à ne plus se soumettre au joug d'un pouvoir autoritaire et oppressif.

La conférence a tracé, en quelques paragraphes denses, l'histoire des origines et de l'évolution du surréalisme, à partir d'une « petite phrase » de 1919, qui a révélé à Breton un univers totalement inconnu, lui servant de « lampe de poche sourde » pour explorer le profondeurs de l'esprit humain : « il y a un homme coupé en deux par une fenêtre ». Un tournant important pour le mouvement né en 1924 sera, un peu plus tard, la guerre colonialiste contre le Maroc, qui suscitera la nécessité d'une manifestation publique, mais sera surtout l'occasion de découvrir « le matérialisme dialectique comme seule force de opposition fortement organisée, seul barrage contre l'égoïsme national et seule promesse de conciliation et d'harmonie universelles ». Ce matérialisme, réinterprété par les surréalistes, refuse les approches réductionnistes : à côté de l'économie, « dont nous nous gardons bien de réduire son importance », il existe un autre élément qui conditionne également la vie psychique et morale des sociétés humaines, que l'orateur désigne comme lyrique : « Il suffit de toucher Haïti pour se convaincre que cet élément lyrique, loin d'être, comme ailleurs, un sujet réservé aux spécialistes, se manifeste dans les aspirations de toute la population ».

C'est à partir de ces prémisses que, pour le surréalisme, se pose la question de « l'action sociale, action qui, à nos yeux, a sa méthode propre dans le matérialisme dialectique et dont on peut d'autant moins méconnaître l'intérêt que l'on considère la libération de l'homme comme condition sinus gua non pour la délivrance de l'esprit. Breton évoque, dans ce contexte, les diverses positions politiques prises par le surréalisme, principalement contre le fascisme, dès le 10 février 1934, en France – appel à la grève générale – puis pendant la guerre d'Espagne – positions fondées « sur la fidélité à principes, dans la rigueur et dans le refus obstiné de tout compromis » – et en guise de conclusion il cite Maurice Blanchot, qui écrira, à propos du surréalisme : « Comment la poésie pourrait-elle se désintéresser de la révolution sociale ? ».

En raison de cette adhésion explicite au marxisme - qui n'était pas encore évidente lors de la conférence du 5 décembre - et de l'impératif de la révolution sociale émancipatrice, Breton a été placé directement sur le même terrain que les groupes les plus radicaux de la jeunesse haïtienne. En revanche, il est difficile de savoir combien de jeunes pourraient partager l'idée, chère au surréalisme, que la révolution sociale n'est pas une fin en soi, mais un moyen de libération de l'esprit humain...

Il est intéressant de noter que cette conférence a également été publiée, le 1er janvier 1946, dans la revue Conjonction – sans pour autant être appréhendé par les autorités –, puis lu par un public plus large que celui présent au Teatro Rex. Ainsi, comme en Savoie, il a semé les graines – ou plutôt les étincelles : les graines mettent plus de temps à germer – de la révolution sociale sur un terrain éminemment explosif.

Après la chute de Lescot, Breton évoquera les « Cinq glorieuses » – les 7, 8, 9, 10 et 11 janvier 1946 dans sa deuxième conférence, lue le 11 janvier, exactement à la fin de la révolte . Il commence par expliquer pourquoi il maintient un certain devoir de réserve : « Malgré toute tentation que je pourrais avoir, vous comprendrez certainement que les conditions de mon séjour en Haïti m'empêchent de formuler un bilan des événements qui se sont déroulés la semaine dernière en ce pays". Cette prudence a probablement été imposée par la volonté d'éviter des ennuis à son hôte, Pierre Mabille.

Cependant, il se sent tout à fait libre de faire quelques commentaires "de portée générale", mais qui sont très clairs et précis : "Il a été démontré ici même, avec une sobriété de moyens, une économie de vies humaines, avec une rapidité, une une rigueur et une évidence sans précédent, que les jeunes peuvent tout faire, ou du moins tout conquérir ». La jeunesse, ajoute-t-il, « ne doit pas seulement être impétueuse, elle doit être directe et engagée dans la vie dans le sens de ce droit. Les jeunes d'Haïti viennent ainsi de s'imposer comme de vaillants guerriers ».

Breton semble percevoir dans ces « événements » la confirmation de son attachement à la capacité des jeunes à « faire prévaloir les solutions audacieuses qui leur appartiennent ». Cependant, ces jeunes, qui venaient de renverser le régime, ne courraient-ils pas le risque de voir leur victoire confisquée, notamment par les militaires qui se précipiteraient pour occuper le vide du pouvoir ? Avec lucidité, le conférencier ajoute : « C'est suffisant, mais ce n'est pas tout : d'ailleurs encore faut-il que les jeunes sachent se protéger et, pour cela, seuls les plus avertis et inspirés d'entre tous peuvent le faire, en veillant à ne pas être déposé ou trahi ». Il est évident que Breton exprime ainsi sa confiance aux « plus avertis » parmi les jeunes, ainsi que son soutien – une formule qui inclut sans doute les animateurs de La Ruche –, craignant qu'ils ne soient « renversés » – ce qui est en effet arrivé très vite. Son appel à la sollicitude est aussi un appel à refuser les compromis opportunistes et l'égoïsme : « La jeunesse ne goûtera le fruit inestimable de ses conquêtes que si ce n'est qu'à la condition qu'elle fasse preuve d'une fidélité inébranlable aux idéaux et aux principes qui lui ont permis de gagner et qui , en premier lieu, , commandent la subordination de l'intérêt de l'un à l'intérêt de tous. Il faut, tout d'abord, qu'elle soit imprégnée de la conviction que la philosophie existentialiste tend à reprendre aujourd'hui, que le renoncement équivaut à un véritable suicide spirituel ».

A quelques exceptions près, la plupart des jeunes comédiens de janvier 1946 ont répondu à cette exigence, dont Jacques-Stéphen Alexis, en payant le prix de leur vie...

Face à ceux qui se sont soulevés contre la radicalité intransigeante des jeunes, Breton cite avec satisfaction celui qu'il désigne comme "l'un des rares hommes d'action que j'honore sans réserve", "L'ami du peuple" Marat , qui, le premier, avait dénoncé la prostitution du vocabulaire politique par les puissants : « Les princes, leurs ministres, agents, flatteurs et serviteurs appellent […] politique l'art de tromper les hommes ; de gouvernement, de domination lâche et tyrannique... de soumission, de servitude... de rébellion, de fidélité aux lois ; de révolte, de résistance à l'oppression ; de la parole insoumise, la revendication des droits de l'homme ».

Le contenu de cette seconde conférence et de celles qui suivirent sort pour l'essentiel du sujet de cette note, qui concerne le rôle de Breton dans la création des conditions atmosphériques de la révolte de janvier 1946. partie. En quelques mots : c'est une généalogie du surréalisme, affirmant son statut d'héritier du romantisme révolutionnaire du XIXe siècle. Pour Breton, le romantisme n'est pas, comme le prétendent à tort les manuels, un mouvement strictement artistique, mais aussi et indissociablement « un mouvement philosophique et social ». Et ses moments essentiels ne consistent pas, contrairement à l'enseignement scolaire, dans les poèmes de Lamartine, Musset ou Vigny, mais plutôt dans les romans gothiques anglais – Walpole, Lewis, Maturin – dans les œuvres de Novalis et Achim von Arnim, dans la poésie d'Hugo, etc... Le romantisme est une sorte de fil conducteur tout au long du passage de Breton en Haïti, y compris son hommage au « primitivisme » haïtien, sa référence à l'œuvre de Jacques Roumain et, enfin, ses conférences sur les sources du surréalisme.

Un ultime et vibrant hommage aux événements de janvier 1946 se trouve dans la huitième et dernière conférence bretonne en Haïti (probablement le 12 février) : « Mesdames et Messieurs, dans une des dernières périodes les plus sombres de l'histoire, je n'oublierai jamais qu'il incombait aux Haïtiens de préférer concrètement, à mon sens, ce que nous pourrions considérer comme sauter du royaume de la nécessité au royaume de la libertédade. Pour que cela se produise, rien de moins n'était nécessaire que l'aide des pouvoirs qui restent allumés dans votre passé, entre tous, dramatique et glorieux. De plus, quoi que je vous doive, il me suffirait de m'attacher passionnément à vos destins ».

La formule « pouvoirs brûlant encore dans votre passé » est sans doute une référence à la Révolution des « Jacobins noirs », menée par Toussaint Louverture ; Breton se présente comme un témoin (« à mon avis ») plutôt qu'un acteur social, mais il attribue clairement une énorme portée humaine et historique à cette surprenante révolte haïtienne.

Revenons donc à la question qui fait l'objet de certaines de ces lignes : l'influence possible de Breton sur l'insurrection de janvier 1946. Quel est le pouvoir de la parole d'un homme ? Dans quelle mesure peut-il inspirer efficacement l'action sociale ? La légende raconte qu'au cours de la révolution de 1848, Bakounine traversa le nord de l'Allemagne en calèche ; Intrigué par une foule de paysans qui entouraient un château majestueux sans savoir quoi faire, il descendit du carrosse et s'adressa à eux; En repartant quelques minutes plus tard, il eut le plaisir de voir, au détour du chemin, le château en flammes...

Plusieurs historiens de la Révolution russe s'accordent à reconnaître dans les discours de Léon Trotsky, un orateur charismatique, principalement à l'époque de la réunions du Cirque Moderne de Petrograd, facteur important dans la préparation du climat révolutionnaire d'octobre 1917. Mais ces exemples, liés à des dirigeants révolutionnaires animés par l'objectif de soulever la révolte sociale et la subversion de l'ordre, ne sont guère comparables à notre cas, en où l'on observe un poète s'adressant à un groupe de jeunes, leur expliquant les aspirations émancipatrices du surréalisme.

Breton lui-même avait une vision extrêmement modeste de son rôle en 1946 ; quelques mois plus tard, lors d'un entretien, on lui pose la question suivante : « Je crois que vous avez eu une certaine influence sur la Révolution haïtienne. Pourriez-vous nous donner des détails sur ce qui s'est passé ? Voici sa réponse, dans laquelle il insiste sur la gravité de la situation sociale, les traditions révolutionnaires du peuple haïtien et le rôle de la jeunesse insoumise : « N'exagérons pas. Fin 1945, la misère et, par conséquent, la patience du peuple haïtien atteint sa limite. […] Cette situation est encore plus déchirante si l'on pense que l'esprit haïtien, pas comme les autres, continue miraculeusement à extraire sa sève de la Révolution française et que l'histoire haïtienne est celle qui, dans un surprenant raccourci, nous présente le plus pathétique effort pour faire avancer l'homme, de l'esclavage à la liberté. […] Dans une première conférence sur « Le surréalisme et Haïti », j'ai essayé […] d'ajuster le chemin parcouru par le surréalisme avec le rythme séculaire des paysans haïtiens. […] Le magazine La Ruche, organe de la jeune génération, dont le numéro du lendemain m'était dédié, déclara mes propos électrisants et décida de prendre un ton insurrectionnel. Sa saisie et sa suspension immédiate déclenchèrent bientôt la grève des étudiants suivie, dans les 48 heures, de la grève générale. Quelques jours plus tard, le gouverneur a été arrêté.

Dans une autre interview, publiée en juin 1946, il maintient son opinion, reconnaissant pleinement le caractère unique et fascinant de l'expérience qu'il a vécue : « Il serait absurde de dire, même à moi-même, que j'ai provoqué la chute du gouvernement [ …]. Être placé dans un ensemble de circonstances comme celle-là n'arrive qu'une fois dans une vie.

Même en acceptant ce bilan minimal, la question demeure : quelle influence Breton a-t-il pu avoir sur les acteurs de janvier 1946 ? Peut-être faut-il poser la question autrement : Lucien Goldman expliquait, dans ses travaux sur la sociologie (marxiste) de la culture, que les « influences » n'expliquent rien. Au contraire, ce qu'il faut expliquer, c'est pourquoi tel auteur ou tel penseur a choisi, à un moment donné de l'histoire, d'être « influencé » par tel auteur. En d'autres termes : ce que nous appelons l'influence est un choix actif, une sélection, une interprétation ou plutôt un usage plutôt qu'une « réception » passive. Si nous appliquons ce raisonnement méthodologique à notre cas, nous pouvons formuler l'hypothèse suivante : les jeunes « abeilles » de La Ruche et le mouvement plus actif des jeunes étudiants avait besoin d'un mot plus radical et ils l'ont trouvé dans les interventions de Breton. Ils y ont reconnu l'expression de leurs sentiments les plus profonds de révolte et d'espoir. Ils en ont fait le fleuron de leur magazine. Ils le maniaient comme une arme.

Quelques semaines plus tard, en février 1946, Breton doit quitter Haïti : selon plusieurs témoignages, c'est la junte militaire qui a renversé Lescot – et qui sera bientôt contraint de convoquer de nouvelles élections – qui lui demande de partir, mal à l'aise avec sa dangereuse influence sur les jeunes… (Pierre Mabille sera lui aussi contraint de quitter son poste quelques mois plus tard). Après un bref séjour en Martinique et à Saint-Domingue, Breton reviendra en France. C'est sur le navire qu'il embarquera à Puerto Plata (République dominicaine) faisant le voyage retour vers São Tomás (aux Antilles) – d'où il partira en avion pour les États-Unis, puis vers l'Europe – qu'il rencontrera, pour la dernière fois, un des jeunes de La Ruche qui était à la tête des « Glorious Five » : Gérald Bloncourt.

* Michel Lowy il est directeur de recherche au Centre National de la Recherche Scientifique (France). Auteur, entre autres livres, de L'étoile du matin : surréalisme et marxisme (Boitempo).

Référence


Michel Lowy. The Glowing Comet : romantisme, surréalisme, subversion. Traduction : Elvio Fernandes et Diogo Cardoso, Éditions 100/têtes, 2021, 312 pages.

 

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