Notes sur la « Critique de la philosophie du droit de Hegel »

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Par TADEU VALADARES*

Commentaires, paragraphe par paragraphe, sur l'"Introduction" au livre de Karl Marx

Commentaire sur les paragraphes 1 et 2

Les deux premiers paragraphes nous introduisent à la nouvelle perspective adoptée par Marx à partir de la critique feuerbachienne de l'essence de la religion chrétienne, un démasquage philosophique qui devient le présupposé de toute critique menée par la gauche hégélienne, un processus que Marx commence à cibler plus haut tout l'État et la société civile, ainsi que l'ordre allemand et mondial.

A l'assaut du ciel, de l'existence sacrée de l'erreur, il appartient à l'homme générique et à la nouvelle façon de penser et d'agir développée par la philosophie de la praxis, qui est la praxis de la philosophie, de laisser de côté le domaine des apparences religieuses dénoncées par Feuerbach comme une réalité fantastique. Les intellectuels critiques commencent à se focaliser sur l'homme existant immédiatement et concrètement ; et ce faisant ils descendent sur terre, se tournent vers la critique politique de l'histoire, de l'État, de la société civile qui finit par embrasser le monde européen moderne et la périphérie allemande archaïque. En suivant cette voie, Marx commence à avoir pour objectif l'établissement de la réalité humaine authentique dans l'histoire.

 

Commentaire sur le paragraphe 3

Au début du paragraphe, les conséquences de la démolition « Feuerbachienne » sont résumées. Comme établi dans L'essence du christianisme, l'homme fait la religion, et non l'inverse. D'où l'on peut déduire que la sphère religieuse, structurée comme aliénation de l'homme dans le plan imaginaire de la transcendance, se révèle éloignée de l'authentique sentiment de soi de l'homme, une des caractéristiques du monde inversé. De là découle la tâche fondamentale de la gauche allemande : briser les autres voiles qui empêchent l'être générique de se conquérir à travers la mutation révolutionnaire de l'histoire. En d'autres termes, il faut abandonner la réalité fantastique dénoncée philosophiquement par Feuerbach et passer ensuite à l'essentiel, le rejet de la réalité politique et sociale allemande. Il faut s'évader du ciel théologique pour se focaliser sur la terre, la politique et l'histoire, dimensions qui appellent à déchiffrer et à dépasser. C'est le début du processus d'annulation de l'aliénation humaine.

Il est important de noter que le processus de libération humaine vis-à-vis la sphère religieuse n'est pas nécessairement irréversible. Elle peut être cyclique ou non dans la mesure où la dynamique d'annulation des illusions religieuses peut conduire à la libération humaine, à la conquête de soi par l'homme générique, mais en elle l'homme risque aussi l'échec, le retour à la situation initiale. Dans ce cas, l'être générique reprend la figure d'où il est parti : « il s'est déjà perdu de nouveau ».

Dans la suite, Marx souligne : l'être générique n'est pas abstrait, logique-spéculatif. Au contraire, l'être générique n'est jamais « squatté hors du monde ». Il n'y a rien au-delà de lui et de son monde, puisque l'homme est son rapport à lui-même et au monde dont il fait partie. A la place de la transcendance est placé le monde de l'homme qui, dans sa réalité substantielle, n'est pas celui de l'individu, mais plutôt le monde social, le monde de l'Etat et de la société civile, le monde réel, historico-concret tel que l'être humain .générique.

Pourtant – si on l'analyse de plus près – les hommes attelés à « cet État et cette société » sont les producteurs de religion parce qu'ils sont encore piégés dans l'aliénation, loin de leur propre liberté authentique. Cet État et cette société, artefacts humains, sont ce qui génère ou entretient l'irréalité religieuse, « une conscience inversée du monde ». Ils en sont capables parce qu'en fait l'homme aliéné, la religion et l'État forment le trio intérieurement articulé du monde à l'envers. On a donc une certaine homologie entre la religion comme conscience inversée du monde et tous les autres éléments ou sphères qui interagissent avec elle, la société civile et l'État. Le processus qui bouleverse le monde attrape presque tout le monde dans ses filets. Presque tous sont des facettes d'une même inversion qui se manifeste à plusieurs niveaux, de l'individuel au social, de l'économique de la société civile au politique par excellence de l'État, en passant par le domaine religieux lui-même.

En lisant ce paragraphe, j'ai pensé à Gunnar Myrdal et à sa théorie de la causalité cumulative. Chez Myrdal, ce type de causalité était pensé dans le cadre des théories du développement économique. Dans le cas de Marx, on peut imaginer quelque chose comme une causalité circulaire cumulative. À travers elle, un monde inversé est produit par le jeu même de la circularité établie entre ses trois éléments principaux, la religion, l'État et la société civile, la religion étant le complément idéal indispensable au bon fonctionnement de la circularité. La religion, une conscience inversée de ce monde inversé qui, bien qu'ayant été définitivement dépassée dans le champ philosophique, prédomine encore dans d'autres sphères sociales. Ceci, la réalité fantastique complexe qui doit être annulé par un nouveau type de rupture historique qui libère l'être générique de ses chaînes politiques, sociales et religieuses. Dans le cas de Myrdal, il s'agissait, plus modestement, de faire tomber les barrières du sous-développement.

Ensuite, la religion est décrite comme une théorie générale du monde à l'envers. Il apparaît comme un recueil encyclopédique, la logique du monde bouleversée sous une forme populaire, un point d'honneur, le point culminant de l'échelle des valeurs « spiritualistes ». Parce qu'elle est tout cela et plus encore, elle est aussi un sentiment d'enthousiasme, la sanction morale du monde tel qu'il est, son complément solennel. Tous ces aspects suggèrent et confirment l'ampleur et la profondeur du phénomène religieux comme le spirituel par excellence. De plus, cette (ir)réalité fantastique joue au moins deux autres rôles : celui de base générale de consolation et celui de base générale de justification. Ceux qui vivent sous l'influence de la conjonction de ces éléments ne peuvent échapper aux effets opératoires des deux rôles dans une dialectique qui englobe la triade à dépasser : l'État, la société civile et la domination religieuse, expressions du monde inversé. Ensuite, Marx dénonce la réalisation fantastique de l'essence humaine qui, étant en fait fantastique, n'a pas de contenu réel, mais seulement spéculatif.

Nous avons donc que l'essence humaine est présente dans l'histoire allemande, mais sous la forme du faux. La réalisation de l'essence humaine qu'offre la religion finit par proclamer une vérité cachée : sa réalisation fantastique est fausse, illusoire. La contradiction que la religion porte en elle finit par se manifester : contradiction ouverte entre elle-même comme erreur, comme conscience fantastique compensatrice du monde, et réalité historique effective.

C'est contre cet état de fait que se dresse la philosophie post-feuerbachienne, le jeune Marx en particulier. La nouveauté : le monde inversé a commencé à faire face à son contraire. Du refus de la totalité de l'illusoire s'ouvre la possibilité de l'avènement du véritable État, de la vraie société, de l'essence humaine comme rupture irréversible avec l'aliénation. Du conflit le plus profond émerge la possibilité que l'homme générique s'affirme dans l'histoire. En d'autres termes : pour Marx et ses compagnons, dans l'Allemagne des années 40, la fenêtre s'est ouverte pour la création d'un monde historique complètement différent, effectivement humain.

Cette volonté créatrice est, dans la logique de Marx, la plus haute exigence théorico-politique, d'autant plus que l'étape dans laquelle sont entrées l'Europe moderne et l'Allemagne archaïque appelle une nouvelle philosophie à la fois critique et agissante, la seule réellement capable de et révolutionnent pratiquement le monde moderne et le retard allemand. D'où l'importance de la critique feuerbachienne de la religion pour les praticiens de la praxis. D'où, aussi et surtout, le déplacement de l'orientation philosophique : la philosophie sort de la dimension de la critique religieuse elle-même et commence à préparer, dans la sphère critique, le soulèvement contre « ce monde dont la forme spirituelle est la religion ».

En termes de compréhension politico-stratégique du texte, il est important de souligner que l'une des irréalités entremêlées qui caractérisent le monde allemand, la dimension société civile-État que la philosophie active doit annuler, émerge comme une émanation ou un parfum de l'autre sphère , celle de l'irréalité religieuse. D'un côté, la religion ; de l'autre, l'État et la société civile. Articulés les uns aux autres, ils forment ce qu'il faut nécessairement vaincre/détruire. Comme nous le verrons plus loin, ce monde allemand inversé est subsumé par un autre, celui de la modernité dans lequel l'Allemagne, avec son retard séculaire, occupe une place subordonnée.

 

Commentaire sur le paragraphe 4

Deux notions pertinentes se posent, deux types de misère : religieuse et réelle. Comme chacun d'eux se réfère à l'autre, une dialectique persiste dans l'interaction entre les deux. L'un et l'autre se soutiennent comme un tout en constituant un système d'appui réciproque.

La misère religieuse, tout en exprimant à sa manière la vraie misère, semble aussi protester contre elle. Ce type de contestation pourrait-il avoir un avenir en tant qu'instrument de transformation sociale efficace ? Le texte écarte totalement tout rôle émancipateur de toute contestation sociale à caractère religieux. Historiquement, la « protestation contre la vraie misère » n'est rien d'autre que « le soupir de la créature opprimée », « l'esprit d'un monde sans cœur », « l'esprit des états de choses brutalisés ». Aucune possibilité, donc, que la religion joue, même indirectement, un rôle transformateur positif dans la réalité allemande. La religion, ontologiquement et historiquement, l'opium du peuple.

 

Commentaire sur le paragraphe 5

D'une part, l'opposition entre le peuple et l'Etat. Le peuple, catégorie ambiguë, est et n'est pas l'équivalent d'une autre catégorie tout aussi ambiguë, la société civile. De l'autre, l'opposition entre la religion, promesse d'un bonheur illusoire, et le bonheur réel comme exigence de l'homme générique, non plus aliéné à lui-même, non plus soumis au ciel. L'aliénation religieuse a été philosophiquement surmontée de telle manière que le succès même de la critique de l'essence du christianisme a conduit la pensée démocratique radicale à changer d'objet. Ce changement est à la fois philosophique et pratique : essentiellement, la nouvelle pensée qui est pratique et vice versa est engagée dans la transformation révolutionnaire de l'état de désolation dans lequel se trouve le peuple allemand. Le peuple, dans ce combat qui est le sien et celui des philosophes de la praxis, doit nécessairement abandonner toutes les illusions, notamment religieuses qui restent encore un phénomène de masse, malgré Feuerbach. Ces survivances ont leur poids, mais ce ne sont plus des barrières infranchissables. Le statut de la religion a changé pour le moins. D'obstacle insurmontable, il est devenu une condition défavorable affaiblie.

La lecture de la dernière partie du paragraphe signale la métamorphose : ce qui fut une critique philosophique de la conscience fantastique inhérente à la religion, en quelques années (L'essence du christianisme est de 1841) devient la lutte pour la transformation révolutionnaire de l'ensemble structuré par la convergence entre religion, société civile et État.

Philosophiquement, la critique cesse d'être ce qu'elle était, une critique du christianisme, et commence à se focaliser, avec Marx et d'autres de la gauche hégélienne en pleine mutation, sur le projet de détruire en surmontant la vallée des larmes, moment qui, une fois matérialisé, succédera l'émergence d'un monde totalement différent. C'était l'attente de ceux qui ont même spéculé sur le déclenchement, dans un délai raisonnablement court, de la révolution radicale-démocratique. Réalisée, la révolution marxiste allait non seulement changer radicalement l'Allemagne de Frédéric-Guillaume IV, mais, ce faisant, elle aurait aussi un impact décisif sur l'ensemble des États et des sociétés modernes. Dans ce bouleversement historique que connaîtra toute l'Europe, s'achèvera le dépérissement de la religion.

 

Commentaire sur le paragraphe 6

Un bilan du gigantesque choc produit par Feuerbach et les hégéliens de gauche à partir de la critique de l'essence de la religion chrétienne. En termes wébériens, peut-être pourrait-on dire que la critique a produit le désenchantement d'une partie importante du monde inversé, en atteignant, bien qu'indirectement, les sphères de la famille, de la société civile et de l'État. Ce désenchantement du monde religieux (le « détachement des fleurs imaginaires de leurs fers ») ne s'arrête pas en lui-même. Au contraire, elle exige que les chaînes elles-mêmes soient brisées afin que l'homme générique puisse connaître et vivre la fleur vivante de la vraie réalité. A la limite, la rupture proposée sera aussi la révolution totale du monde européen, c'est-à-dire le dépassement du monde moderne sous ses deux visages, le proprement moderne, franco-britannique, et le médiéval-moderne ou son contraire. , incarnée et symbolisée par l' Allemagne .

Dans cette voie, le premier pas a été franchi par Feuerbach. Le second, l'éclatement révolutionnaire, événement inaugural qui dépend de la capacité de l'homme, entravé par l'histoire comme aliénation, à oser enfin savoir, à oser devenir un désabusé revenu à la raison. Lorsque cette raison historique sera dûment travaillée et incarnée, l'homme désabusé se retournera sur lui-même, étant son propre soleil. Soleil de lui-même, l'homme générique va penser, agir et, à partir de ce penser-agir, construire enfin sa réalité jusqu'alors niée par l'histoire. En d'autres termes, un monde transparent et plein est possible. Sa mise en place est indispensable et urgente. Votre abonnement à l'histoire, impérieux. En lui, dépassant le domaine de l'illusoire, l'humanité vivra dans un rapport spéculaire avec elle-même, avec la nature, avec la réalité dans sa forme complète, la réalité transformée en un monde historique concret.

 

Commentaire sur le paragraphe 7

L'ambition du jeune Marx est pleinement affichée. La critique de la religion a philosophiquement finalisé son objet. De ce qui a été établi par le « fleuve de feu », la transcendance divine est abolie, ce qui donne à l'homme désenchanté l'opportunité d'émerger en tant que pensée, action et construction révolutionnaire du monde qui sera, après tout, réel, et non une structure complexe de religions. inversions, politiques, sociales, existentielles.

Ce changement d'axe – rester dans la critique du ciel perd son sens parce que la destruction philosophique du christianisme est pleinement accomplie – fait que la critique de la terre gagne le premier plan. La nouvelle étape n'a rien à voir avec la spéculation. Bien au contraire, elle se manifeste complètement ancrée dans l'histoire. Dans ce qui compte le plus, le moment post-feuerbachien pose, pour ceux qui savent le lire et l'interpréter radicalement, une autre tâche gigantesque : changer l'histoire politique et sociale. Dans le vide qu'est la misère allemande, anachronisme moderno-féodal multiforme ou inversement, mais toujours anachronisme, l'abandon de l'au-delà de la vérité s'impose pour que la vérité de cet ici puisse s'établir. La Gaule cisalpine ne se confond pas avec la Transalpine, même si elle la borde.

La mission révolutionnaire proposée surgit comme une réponse à l'histoire allemande et européenne au milieu du XIXe siècle. Mais, en réalité, comme le pensent les praxis, la mission révolutionnaire est celle de « la philosophie au service de l'histoire ». Cette pensée-agir a son propre profil, qui en fait un agent mandaté, un ensemble d'idées qui se matérialisent dans les corps d'hommes et de femmes destinés à opérer la grande transformation. Le but proposé par ce mouvement suppressif de la philosophie antérieure, vu comme un simple exercice de libre pensée spéculative, est le démasquage des formes non sacrées d'aliénation qui noient l'homme générique.

La critique du ciel étant achevée, la philosophie qui est la praxis réfléchie a déjà commencé la critique de la terre. A cet égard, le paragraphe donne quelques indices : (a) les critiques se succèdent ; (b) la critique de la religion est remplacée par la critique du droit ; et (c) celle de la théologie se métamorphose en une critique de la politique.

Pas de référence spécifique à l'économie politique. La critique de l'économie politique, on le sait, est en marche : Paris, 1844. Mais le grand acteur qui, pour l'instant (1843) occupe, dans la théorie de la révolution de Marx, la place de la passivité presque naturelle, apparaît, quoique fugitivement. A l'autre bout, au pôle d'activité, on sait qui est, la nouvelle philosophie, la praxis des intellectuels révolutionnaires.

Le paragraphe suivant fait référence à un projet non réalisé par Marx. De ce projet sont restés les cahiers qui ont fini par être connus, une fois finalement publiés, sous le nom de Critique de la philosophie du droit de Hegel.

À mon avis, le paragraphe 7 marque la fin de la première partie de l'« Introduction » à Critique de la philosophie du droit de Hegel.

Je laisse de côté le paragraphe 8 et passe au paragraphe 9, début d'une analyse encore plus centrée sur la statu quo Allemand.

 

Commentaire sur le paragraphe 9

En première lecture, le texte peut être compris comme « transitoire ». Mais, en fait, c'est bien plus que cela : cela établit un fil conducteur pour tout ce qui viendra. J'en ai extrait deux aspects principaux : (a) la statu quo L'allemand se caractérise par un tel retard, par rapport au mouvement des « nations modernes », que, dit Marx, l'ériger en objet de critique n'a aucun sens. Se focaliser sur ce retard reviendrait à s'opposer insipidement à un anachronisme manifeste déjà parfaitement déchiffré. « Si je nie les perruques poudrées » – celles de l'Ancien Régime, évidemment – ​​« je garde encore les perruques poudrées », celles de ceux qui se livrent à la misère allemande quotidienne ; et (b) pire encore : selon Marx, la situation allemande en 1843 est antérieure à celle de la France en 1789. Les temps des histoires nationales sont multiples, distincts, qualitativement différents. S'ils ne sont pas bien discriminés, ils peuvent jouer ce genre de tour : le contemporain moderne a nécessairement en lui – dûment marginal, quand il n'est pas en voie d'absorption – tout ce qui n'est pas contemporain. Mais cette articulation, la contemporanéité de l'inactuel, phénomène qui, en manifestant une articulation désarticulante paradoxale, révèle en réalité subtilement une immense capacité à tromper.

Dès lors, ce qu'il faut critiquer, et à tout prix transformer complètement, ce n'est pas la situation anachronique qui prévaut en Allemagne. La critique, pour être efficace et non superficielle, est obligée de prendre en compte l'actualité dans toute son ampleur. Dans la langue de Drummond, le monde présent, la vie présente, l'homme présent, sans mystification. Pour cette raison même, ce « tour de force » ne peut se limiter à l'Allemagne ; elle doit nécessairement appréhender ce qui se passe dans le « centre vital de la période présente ».

Or, quel est le but de la critique quand Marx se tourne vers ce centre vital ? Le définir comme modélisant, inspirant ou benchmarking ? Non. C'est du mimétisme servile, c'est se noyer dans une autre critique, strictement limitée à l'anachronisme, mais ayant des réponses « supérieures » toutes faites, qui pour l'essentiel ont été données par le monde, l'État et la société modernes. C'est ainsi que Marx voit la chose. Dès lors, il rejette la critique acritique, simple copie de ce qui se passe « outre-Rhin ».

Ce type de critique serait-il capable de conduire l'Allemagne périphérique, au terme d'une hypothétique réforme modernisatrice, à sortir de son anachronisme et à devenir contemporaine du monde avancé ? Non. Pourquoi? Car le simple ajustement au contemporain, en plus d'être sans pertinence, est, pour Marx, une hypothèse impossible à concrétiser, une thèse qu'il s'attachera à montrer tout au long de l'article.

au lieu de la mise à jour qui a quelque chose de la pensée originale de la CEPALC, il s'agit de détruire/surmonter à la fois l'anachronisme appelé Allemagne et le monde que les « nations modernes » ont créé en tant qu'États et sociétés révolutionnés dans des moules français ou anglais. Il s'agit, au lieu de suivre le chemin de ce qui a déjà été fait, de concentrer la force de penser et d'agir sur le négatif qui produira le double grand dépassement révolutionnaire, celui qui englobera, dans un même geste ou mouvement, la périphérie et le centre du monde moderne. La voie historique pour résoudre cette situation, la voie pour surmonter le dilemme incarné par le double visage du moderne, c'est la révolution démocratique radicale, la seule effectivement capable de transformer l'Allemagne de l'anachronisme en l'Allemagne phare du monde réel. Cette alternative n'a rien à voir avec l'Allemagne phare du monde qui n'émet de la lumière qu'à titre de philosophie spéculative. Le phare que Marx valorise est d'un autre type, dépendant lui-même de l'imbrication sûre de certains éléments révolutionnaires, et du dépassement audacieux de tant d'autres obstacles évidents en Allemagne et dans le monde moderne. Dépendante également, la révolution démocratique radicale, d'une vision astucieuse de l'histoire allemande, objet du paragraphe suivant.

 

Commentaire sur le paragraphe 10

Ce passage nécessite, pour être correctement commenté, une connaissance de l'histoire allemande qui m'échappe. Peut-être, dans une lecture comme la mienne, où la contextualisation est rare, Marx se réfère-t-il avant tout à la Révolution française et à Napoléon. Mais il pourrait aussi s'agir d'envisager un autre scénario plus proche dans le temps, peut-être la situation en France après les « voyages glorieux » de 1830 ? Indépendamment des interprétations possibles, le paragraphe confirme le diagnostic stratégique : le décalage entre l'Allemagne périphérique et les Européens modernes est tragique. « Ayant nos pasteurs en tête, nous ne nous sommes trouvés dans la société de la liberté que le jour de leur enterrement.

En développant l'argumentation, Marx explicite le sens passif-arriéré de l'histoire allemande depuis la victoire du protestantisme dans sa version majoritairement luthérienne, révolution illusoire car cantonnée au plan religieux et philosophique. A la Réforme, la tendance véritablement révolutionnaire finit par être écrasée par l'échec des insurgés dans la guerre des paysans. La misère allemande est résumée dans un paragraphe qui couvre un arc qui a duré trois siècles, depuis l'affichage par Luther, dans l'église de Wittenberg, des 95 thèses qui ont conduit au schisme jusqu'à l'état de calamité qui prévaut en 1843.

 

Commentaire sur le paragraphe 11

Le texte recueille et renforce impitoyablement la position des hégéliens de gauche, profondément critiques à l'égard de l'école de droit historique personnifiée à Savigny. La plus grande ironie est le pont établi entre, d'une part, Savigny et sa conception « historiquement » fondée du droit, bastion à préserver coûte que coûte par la droite, et, d'autre part, l'histoire dévoilée de la misère allemande. Bref, dans un autre calcul, Marx expose le mépris total qu'il avait pour les idées des juristes réactionnaires, partisans de l'absolutisme constitutionnel-monarchique allemand.

 

Commentaire sur le paragraphe 12

Après avoir réglé ses comptes avec l'école de droit historique, Marx revient exercer son ironie caustique, ciblant cette fois les survivants du mouvement Jeune Allemagne, si important au début du XIXe siècle. Marx rejette les nationalistes libéraux et leurs idées, ceux-ci ayant exercé une certaine influence sur les jeunes Engels, et peut-être aussi sur d'autres de la gauche hégélienne. Les opposants sont décrits, à forte dose de venin, comme « des enthousiastes bon enfant, des chauvins allemands par le sang et des libéraux éclairés par la réflexion ». Le côté libéral et bon enfant. Le côté sanguin, encore plus ridicule, cherche la liberté dans les forêts teutoniques primitives, ce qui conduit ce type de courant à confondre histoire naturelle et histoire humaine. Ces chauvins allemands finissent alors par assimiler la liberté humaine et la liberté du sanglier. "Alors laissez les anciennes forêts teutoniques tranquilles."

Dûment battu à la fois par les courants de pensée réactionnaire et libéral, Marx passe à la partie la plus forte de l'article. Le paragraphe 13 commence par une déclaration de guerre.

 

Commentaire sur le paragraphe 13

Une lecture hâtive, surtout si elle est trop concentrée sur sa section initiale, laisserait penser que dans ce paragraphe la critique de la situation allemande dans les vieux moules pré-Feuerbach resterait d'actualité, malgré ce qui a été établi au paragraphe 9, où le inutilité de continuer à critiquer l'anachronisme allemand tout court. Cette interprétation est trompeuse. En fait, ce que Marx affirme est, en d'autres termes, ce qui a été établi auparavant.

Ce qui importe le plus, même parce que le L'essence du christianisme c'est un cercle sans faille et on ne peut rien y ajouter : la critique de la réalité anachronique est passée à un autre niveau. Il est maintenant temps de combattre et de faire la guerre contre ce qui génère la misère allemande, contre ce qui la maintient en tant que système de pouvoir. Maintenant c'est le combat et la guerre basés sur la passion et la raison. La critique philosophique a cessé d'être purement philosophique. La philosophie est devenue plus que la critique : elle est devenue une pratique politique permanente, une agitation constante, une dénonciation vivace, une indignation quotidienne. Parce que c'est comme ça, la critique est devenue une arme, ce n'est plus un scalpel. Il s'est imposé comme le chef d'une passion dont l'objectif principal est de détruire, dans un abrogation particulier-universel, le monde décrépit.

Mais si cette pratique révolutionnaire-théorique est le produit, dans l'Allemagne de 1843, du chef de la passion, il convient de se demander : qui personnifierait la passion elle-même ? Quel est ce corps, dont le corps est la tête de la critique de Marx ? La réponse : le prolétariat, cet acteur, au regard de l'histoire allemande, à peine né, mais déjà le levier qui déplace tout en apparaissant dans le drame.

Après avoir esquissé le tableau à vol d'oiseau, l'intérêt manifeste de Marx pour cet exercice est clair : la nécessité de définir la situation, d'établir les principaux acteurs, d'indiquer comment la gauche radicale doit procéder, dans ce processus s'élargissant pour accumuler des forces qui peuvent l'amener à exercer, dans le moment prochain, un effet décisif. Ce qu'on veut, c'est abolir la réalité imaginaire allemande, et, ce faisant, ouvrir les vannes par lesquelles coulera la vie concrète, consciente, réfléchie, la libre circulation de l'homme générique, la liberté effective, tout ce qui en Allemagne est contenu et contenu. .

Qu'en est-il de la critique qui a fait ce saut qualitatif ? Transformer l'Allemagne de telle manière et avec un tel contenu que l'homme, expérimentant la dynamique de ce changement, émerge comme un être effectivement générique. Homme générique fidèle à lui-même, enfin libéré des chaînes de l'aliénation multiple. Par conséquent, la première étape consiste à bien décrire la réalité allemande, à bien dépeindre la pression suffocante. C'est de cela qu'il s'agit au paragraphe 14.

 

Commentaire sur le paragraphe 14

Un diagnostic de la pathologie de la misère allemande, de la sourde pression réciproque de toutes les sphères sociales. Cette pression – sourde, réciproque, quotidienne – génère une irritation générale qui est pourtant épidermique, anodine. Le système de pressions réciproques qui s'annulent désigne, dans son action, la passivité qui imprègne tout. Bien analysé, c'est un facteur qui empêche l'émergence de tout ce qui est doté d'un véritable sens politique et social transformateur. De plus, cette misérable stagnation est marquée par une étroitesse des perspectives qui, dialectiquement, « à la fois se reconnaît et s'ignore ». La pression suffocante, réciproque, irritante, passive et étroite occupe une place déterminée. Elle se situe, topologiquement, « aux limites d'un système de gouvernement ».

Quelles sont ces limites ? Elles ne sont pas expliquées analytiquement dans le texte, mais on sait qu'elles apparaissent, en termes généraux, comme « les limites d'un système de gouvernement qui vit de la conservation de toutes les indigences ». En d'autres termes, un système qui vit de la préservation soigneuse de toutes les nombreuses misères qui affligent l'Allemagne. Système de gouvernement, qui en soi est aussi une autre indigence, celle des puissants. Un autre type de misère qui, prévalant dans le gouvernement, imprègne le monde et la vie des puissants en leur donnant la domination sur l'ensemble formé par la société civile et l'État. Il s'agit donc de faire le premier pas, de dresser un portrait du monde allemand et de s'en servir simultanément comme d'une arme dans la lutte contre tout ce qui supporte et s'appuie sur l'anachronisme.

Le portrait ou croquis initial est approfondi dans le paragraphe suivant, qui complète la description de la misère de l'Allemagne comme un spectacle.

 

Commentaire sur le paragraphe 15

'Quel spectacle!' Nous voyons la société divisée en races (!?). Exclamation et interrogation de ma part pour marquer à quel point ce concept, si courant au XIXe siècle, hors du texte et du contexte, semble être pour nous, au XXIe siècle. Évidemment, Marx aurait dû, au lieu de «races», utiliser «classes de statut», «états», «classes», «sphères» ou quelque chose comme ça.

Mais la conception générale du « spectacle allemand », malgré le dérapage « racial », nous apporte des éléments de réflexion sur ce qui importe le plus, le montage d'une stratégie politique adéquate pour la gauche, un des points centraux de l'article. Le « spectacle » fait comprendre que même dans les désaccords, dans les conflits entre « races », l'Allemagne rejetée par Marx est une illustration du nanisme. Là-dedans, tout se résume à des dégoûts mesquins, à une mauvaise conscience, à une grossière médiocrité qui connote la division interne sans fin et progressive d'une société mue par des choses insignifiantes. Une société dont l'expérience, pour cette raison même, se résume à l'alternance systématique de l'impuissance. A un pôle, l'inauthenticité de la situation féodale moderne elle-même ; dans un autre, les suspicions réciproques entre membres de la société civile. La réalité anémique, marquée dans la vie sociale et politique quotidienne par le traitement autoritaire et homogène imposé par le pouvoir dominant à chacun des acteurs, groupes et sphères qui lui sont subordonnés. Les maîtres procèdent, face à la petitesse des dominés, de manière invariable : ils agissent comme si l'existence d'individus, de groupes et d'institutions qui ensemble font vivre la société civile était une concession gracieuse. Au final, les effets de cette servitude un peu volontaire des uns, couplés à l'autoritarisme gouvernemental des autres, finissent par générer une énième aliénation : ce que les dominés reçoivent est perçu par eux comme une concession ou une manne qui pleut du politico-religieux. ciel.

Si telle est la condition de la société civile, celle des gouvernants, aussi différente soit-elle, est symétriquement précaire. Sa grandeur en tant que classe ou domaine n'existe pas. Ils ne sont importants que par le nombre de chefs d'État, plus de 130 en Allemagne au temps du jeune Marx. Les homoncules sont donc dominés par les homoncules. La société civile, proie permanente de l'Etat, montre le contentement immédiat de l'Allemagne malheureuse.

Face à cela, et en opposition à cela, le paragraphe 16 expose ce que Marx attend de la nouvelle critique, celle qui sort de la tête de la passion.

 

Commentaire sur le paragraphe 16

Successeur et héritière du démasquage de la religion à la manière de Feuerbach, la critique radicale-démocratique est lutte, action, guerre, corps à corps. Dans cet état guerrier, aucun acte imaginaire de nature chevaleresque ne doit prévaloir comme guide des bonnes manières. C'est un combat sans quartier, un combat à mort qui rappelle la dialectique du maître et de l'esclave. Indispensable, dans ce conflit révolutionnaire, pour pouvoir exercer une efficacité maximale dans la destruction de l'ennemi.

Mais qui est l'ennemi ? La suite du paragraphe proclame, à la première surprise du lecteur, que l'ennemi, en première approximation, est multiple et un. Multiple : les Allemands. Uno : le peuple allemand. Ennemis, tous deux temporaires. Des ennemis temporaires car encore plongés dans l'illusion et la résignation qui en résulte dont le nom est aliénation. Face à ces « ennemis », seule une pression effective, accrue, incessante et quotidienne pourra générer en eux, dans un premier temps, la prise de conscience même de la pression, la prise de conscience initiale, l'effet déclenchant conduisant à l'annulation de l'auto- tromperie et résignation, ces oui, les vrais ennemis à l'intérieur. Ennemi extérieur, l'État monarchique-féodal-constitutionnel. Cette transformation des « ennemis » en alliés apparaît comme le véritable objectif qui sous-tend l'effort du chef de la passion, comme sa tentative de rendre public, comme fêtes honteuses, le comportement de chacune des sphères de la société civile allemande. Ce n'est qu'ainsi, par ce dépouillement forcé par la critique, que s'éroderont les relations pétrifiées pétrifiées dans de petites et médiocres antipathies, dans les liens individuels et sociaux prévalant dans la société étouffée et étouffante. Ce n'est qu'en subissant ce traitement de choc que chaque sphère sociale pourra danser la danse révolutionnaire qui mène à une autre histoire.

La pensée de Marx de 1843 établit rigidement deux rôles révolutionnaires en assignant une tâche à la philosophie de la praxis, une autre à « l'élément inerte ». Un, pour la tête passionnée; un autre, pour le corps passif du prolétariat. Les deux tâches, les exigences révolutionnaires de l'histoire réelle. Mais l'un d'eux est l'agenda des intellectuels mobilisés par la philosophie de la praxis ; l'autre, celle du peuple, qui à la limite se confond avec le prolétariat. Avant, les fleurs de la religion étaient cueillies pour que l'homme générique abandonne les illusions sacrées ; maintenant aussi les fleurs des illusions profanes doivent être arrachées. Sans ce pas de plus, le peuple dont le prolétariat fait partie ne réussira pas à briser ses propres chaînes. Il faut donc « apprendre aux gens à avoir peur d'eux-mêmes ». Indispensable, en ce sens, pour insuffler du courage. A la limite, Marx répète presque Rousseau qui préconisait de forcer le peuple à être libre. Le corps à corps de la critique qui n'est plus philosophie se justifie parce qu'il répond à un besoin du peuple allemand, décelé par la philosophie elle-même. Sans elle, sans son action et sa pensée, ni le peuple dans son ensemble ni le prolétariat en tant que partie essentielle de celui-ci ne pourront sortir de la misère, de la stagnation, de la paresse.

Complétant le paragraphe, une allusion à la téléologie hégélienne : « (…) les besoins des peuples sont précisément les causes finales de leur satisfaction ».

A partir du paragraphe suivant, Marx commencera à traiter de la relation entre la misère allemande et le monde moderne des nations avancées.

 

Commentaire sur le paragraphe 17

Dans un premier temps, il met l'accent sur l'interaction entre le monde allemand arriéré et le monde européen moderne, tous deux révélant des éléments d'une même totalité. L'anachronisme allemand peut donc intéresser les peuples et les nations modernes. La raison de cet intérêt faussement abstrait des modernes pour la périphérie qui commence sur le Rhin repose sur le fait que la misère allemande manifeste la perfection de la ancien régime déguisé sous une apparence monarchique-constitutionnelle. D'un autre côté, il y a un intérêt concret spécifique pour les 'avancés'. Conscient ou non, quelque chose est également perceptible pour les « modernes », même déguisé sous le couvert du constitutionnalisme européen : la ancien régime il persiste encore, forme et contenu recyclés, comme « le vice caché de l'État moderne ». Par conséquent, l'image réelle du monde qui est modélisée se caractérise par une extrême complexité. Le vice caché vit dans le moderne. En Allemagne, le vice caché est une réalité manifeste comme un anachronisme. Pire que l'Allemagne, seulement la Russie.

Malgré les deux grandes révolutions – Marx ne parle pas de la révolution américaine, peut-être parce que l'esclavage y était maintenu –, les États et les sociétés se sont révolutionnés à partir de 1789 et la première révolution industrielle ne s'est pas affranchie du poids du passé. Au contraire, ils ont incorporé dans l'État moderne une grande partie de ce qui était caractéristique de l'absolutisme. Cet extrait de Introduction à la critique du droit de Hegel ça me rappelle Tocqueville L'Ancien Régime et la Révolution, l'étude de la réutilisation silencieuse, par les révolutionnaires français – et, d'une certaine manière, par les pragmatiques britanniques – d'une grande partie de ce qui avait été construit par l'ordre monarchique-absolutiste. Dans l'État moderne du milieu du XIXe siècle, dit Marx, une grande partie de l'ancien régime subsiste. Ainsi dira Tocqueville, 13 ans plus tard.

La répétition historique de ce qui était grand dégénère en comédie, le mouvement originel ayant pris, dans sa grandeur, la dimension de la tragédie. Cette formulation de Marx de 1843 sera reprise, neuf ans plus tard, dans Le 18 brumaire, la tragédie restant, la comédie remplacée par la farce.

Marx avance alors une théorie du déclin de l'ordre mondial existant qui a quelque chose de hégélien. La dynamique de la décadence s'installe à partir du moment où le principe qui régit l'ordre est remis en cause par un autre qui se veut aussi le monde. Inévitablement, quand on lit l'écriture en 1843, on pense au déclin des États-Unis et à la montée de la République populaire de Chine, les deux mouvements qui encadrent la dispute pour la place hégémonique dans l'ordre mondial actuel, un processus qui va à travers son long moment d'indétermination, état de fait qui persistera jusqu'à ce que l'un des prétendants renonce. Il est également opportun de réfléchir au processus qui a conduit à la dissolution de l'URSS.

Dans le paragraphe suivant, Marx décortique à nouveau l'anachronisme allemand.

 

Commentaire sur le paragraphe 18

Au début, une variante du conte dans laquelle le roi est nu. Voyons : a) le régime allemand est un anachronisme, une contradiction flagrante entre deux principes, l'absolutiste et le constitutionnel, qui y coexistent de façon bâtarde et comique ; (b) en conséquence, la modernité ancien régime elle se révèle comme sa propre nullité exposée au monde moderne ; (c) la croyance du régime en elle-même est une croyance plutôt qu'une science. C'est une croyance à l'irréel qui soutient précairement le monde à l'envers, mais qui – un des aspects de la comédie – exige du monde moderne, au sein duquel le régime est un anachronisme consommé, la reconnaissance de l'évidemment inexistant, sa côté moderne; (d) l'essence même de l'absurde incarné par l'État faussement moderne, monarchique-absolutiste par essence, mais "constitutionnel" comme poli extérieur, est précisément son côté ancien régime; (et) donc, son existence se résume à une opération constante d'occultation du côté absolutiste sous couvert de « modernité constitutionnelle ». La conséquence du jeu de cartes entre ces deux essences opposées fait de l'hypocrisie et du sophisme des traits et pratiques inhérents à l'État. Le roi est nu. Ou, dans une autre formulation : « La modernité ancien régime n'est que le comédien d'un ordre mondial dont les vrais héros sont morts.

Passons à la conclusion du paragraphe, qui peut être lue comme une variante de l'astuce de la Raison hégélienne, Marx, en attirant notre attention sur la solidité de l'Histoire qui défie les révolutionnaires, mais qui conduit pourtant de temps à autre à une forme ancienne au tombeau, souligne : ce qui était héroïque, dramatique ou tragique finit par être réduit au comique. Dans cette section, il explore l'épuisement du processus historique qui a marqué l'Europe aux XVIIIe et XIXe siècles, manifesté par étapes successives. Dans le cas européen, le processus ne sera annulé que si l'humanité « se sépare joyeusement de son passé ».

Cette façon d'explorer le sens de l'histoire en cours permet une approche désenchantée de la décadence de la Révolution française. D'une certaine manière, cette même vision de l'épuisement des processus historiques dans leurs différentes phases se retrouve dans l'analyse du 18 brumaire de Louis Napoléon Bonaparte. Dans ce texte admirable, Marx expose toutes les étapes qui, des journées de février 1848, se prolongeront jusqu'à l'apogée, décembre 1851, lorsque Napoléon le Petit porte son coup et détruit la seconde République. Avant ce dénouement, le lecteur suit le chemin tortueux parcouru par la France, marqué par l'épuisement de toutes les alternatives politiques parlementaires ouvertes à la bourgeoisie, à l'aristocratie et à la bourgeoisie largement représentée par les républicains. Le rôle du prolétariat a disparu après les massacres de juin, au tout début de la révolution.

L'ironie ressurgit à la fin : le renversement de l'anachronisme allemand sera vécu avec la joie de ceux qui nient leur passé. "C'est ce joyeux destin historique que nous revendiquons pour les puissances politiques de l'Allemagne".

Quand on arrive au paragraphe 19, il est explicite, dès sa première phrase, la thèse à défendre jusqu'à la fin de l'article. Lorsque la réalité socio-politique moderne passe au crible de la critique, la philosophie de la praxis s'élève à des problèmes véritablement humains. C'est donc en dehors du statu quo allemand, ou arrive à son objet en considérant un autre objet. En s'exprimant ainsi, Marx illustre le retard allemand sous un autre angle, cette fois par son rejet, parfois moqueur, de la perspective défendue par l'économie politique protectionniste alors représentée par le nationalisme de Georg Friedrich List.

 

Commentaire sur le paragraphe 19

Vue avec le recul d'aujourd'hui, la thèse elle-même semble indiquer que Marx commençait à peine ses études d'économie politique, sa vision économique de 1843 étant très éloignée de celle de la maturité, telle qu'exprimée dans La capitale. La sensation immédiate du lecteur est que Marx, alors étudiant d'Adam Smith et d'autres économistes politiques classiques, lorsqu'il critique List, le condamne pour son passéisme. Mais, pourtant symptomatique, il rate l'occasion de critiquer aussi l'économie politique libérale comme l'autre face du protectionnisme, chacun plongé dans sa réalité respective, la britannique comme incarnation du moderne, l'allemande comme émanation de l'anachronisme.

Le plus précieux dans ce paragraphe est peut-être l'accent mis par Marx : la relation de l'industrie, du monde de la richesse en général, au monde politique constitue « l'un des problèmes fondamentaux de l'époque moderne ». Au sein de ce problème fondamental, la position libérale britannique serait typiquement contemporaine, tandis que celle de List révélerait une autre facette de l'anachronisme qui proclame comme nouveau ce que le monde moderne a déjà abandonné.

Dans ce cadre, la critique de l'industrialisme allemand peut, aujourd'hui, et surtout dans les pays sous-développés, être lue comme une erreur. Mais si l'on tient compte avant tout du désir de révolution qui anime Marx et ses compagnons, les démocrates de gauche radicale, la critique de List et de l'économie politique protectionniste apparaît presque comme une dérivation logique.

Ce que Marx rejette, c'est le désir qui anime List, si opposé à celui des révolutionnaires. Pour échapper à l'Angleterre, faut-il imiter l'Angleterre à l'ancienne ? Pour Marx, en essayant d'échapper à ce qui est un piège pour les pays arriérés, le libéralisme économique à la Smith, les protectionnistes allemands s'efforcent de répéter quelque chose démode. Pour cette raison, Marx voit List comme le défenseur d'une pensée dépassée qu'il insère aussi dans l'anachronisme allemand. En d'autres termes, aussi anachronique, List, en termes de politique économique, que l'État ancien régime déguisé en monarchie constitutionnelle.

 

Commentaire sur le paragraphe 20

Après avoir critiqué List, Marx revient dans la sphère politique allemande. C'est alors qu'il alerte sur une série d'éléments qui éclairent davantage le fossé infranchissable entre l'Allemagne et le monde européen moderne, précisément ce que l'économie politique protectionniste entendait obvier dans sa propre sphère. Pour Marx, le développement politique allemand n'existe pas, un fait qui aurait été prouvé de manière exhaustive au cours de son analyse de la société, de l'État, du gouvernement et du régime absolutiste moderne dominant.

Point important : un individu libre ne fait pas un été politique. Si vous participez, en tant qu'individu, aux « problèmes du présent », cette participation est socialement et politiquement stérile. Ce qui compte effectivement : le social et le politique. Dans ce contexte, ce qui est décisif, c'est le peuple, la masse, la société civile à mobiliser. C'est vrai, oui, mais seulement dans les termes. Elle vaut comme pouvoir, mais elle ne le sera vraiment qu'après que la totalité incarnée par le peuple convergera avec la praxis des intellectuels révolutionnaires. Ce n'est qu'alors et définitivement que la masse de la société civile se lèvera, avec celle de la philosophie de la praxis, dans l'insurrection dans laquelle le prolétariat jouera un rôle crucial.

Le paragraphe fait également allusion à la fascination des Allemands instruits pour la Grèce, un phénomène qui remonte au moins au XVIIIe siècle. L'évocation d'Anacarsis, l'un des sept sages, révèle à la fois l'imaginaire allemand « vis-à-vis » de la Grèce et signale un certain rancissement de l'universalisme européen structuré par le colonialisme. « Heureusement, nous, les Allemands, ne sommes pas des Scythes...

 

Commentaire sur le paragraphe 21

Le paragraphe émet de multiples signaux concernant des thèmes qui seront examinés plus en détail à la fois dans l'« Introduction » et dans d'autres textes par un Marx dans un processus accéléré de création de sa perspective révolutionnaire.

Parmi ces thèmes, notons : (a) l'apparition de l'idée de préhistoire comme cette période vécue par les anciens au sein de l'imaginaire mythologique. L'idée est transférée par Marx à la situation allemande, marquée par une préhistoire très particulière, celle de la pensée purement philosophique ; (b) en considérant la pensée philosophique spéculative comme préhistorique, Marx revient pour dénoncer la singularité allemande, l'avant-garde n'étant qu'en termes de philosophie. Sinon, anachronisme, misère généralisée, matérielle et spirituelle. Bref, l'Allemagne synonyme d'arriération ; (c) précisément parce que la philosophie allemande est certainement contemporaine du monde moderne, si vous voulez abolir la misère allemande, vous devez rejeter de manière critique le monde moderne dans son intégralité, y compris la dimension philosophique dans laquelle les Allemands excellent. La critique de cette philosophie monumentale se justifie parce que la spéculation hégélienne se situe « au centre des problèmes devant lesquels le présent dit : »Telle est la question'.

La dernière phrase du paragraphe, un exemple du radicalisme révolutionnaire-démocratique de Marx en 1843. Pour les nations avancées, le défi d'une « rupture pratique avec les conditions politiques modernes » est déjà lancé. En d'autres termes, les nations modernes sont mises au défi de matérialiser un autre mouvement révolutionnaire, qualitativement différent de celui de 1789.

En Allemagne, qui n'a même pas atteint le stade politique moderne, la rupture avec les conditions politiques avancées sera aussi, obligatoirement, « une rupture critique avec le reflet philosophique de ces conditions ». Pour que cela se produise, l'Allemagne est déjà, compte tenu de l'activité incessante des nouveaux philosophes démocrates radicaux, en train de se préparer à l'éclatement du moment révolutionnaire qui s'annonce. Signe, cette préparation, que le dépassement de la misère allemande se fera simultanément avec l'annulation, dans les pays avancés, de leur propre situation, à la fois moderne et insoutenable. L'humanité se prépare à éprouver la joie d'envoyer diverses formes d'histoire au cimetière.

 

Commentaire sur le paragraphe 22

L'essence de 22 semble être la thèse exposée dans la phrase d'ouverture. Voyons : a) sur le plan historique, seule la philosophie allemande du droit et de l'État est contemporaine du monde moderne. Mais cette contemporanéité ponctuelle ne renvoie qu'au plan que Marx appelle « officiel ». Il en existe donc une autre, officieuse, distincte de la première et opposée à celle-ci. Ce second pôle est typiquement corrosif, c'est la critique des conditions existantes, c'est le corps à corps qui dénonce publiquement l'anachronisme ambiant. La critique, donc, qui est action, dénonciation, exposition de fêtes honteuses et beaucoup plus. A ce titre, il évolue dans un autre univers que celui des « mouvements partiels » limités. En l'état actuel des choses, cette critique est essentiellement la nation allemande en tant que mouvement de libération totale. Combat, le vôtre, qui se manifeste à tous les niveaux, du pratique au philosophique. Critique qui incarne finalement le désir nourri par les praxis : laisser derrière, annulé, philosophie allemande moderne, expression du "plan officiel".

(b) par conséquent, seule une critique qui est aussi une révolution théorique peut, en plus de vaincre la misère allemande, en annuler aussi le côté moderne et philosophique. Celui-ci, né sur le territoire de la misère, mais étant, sans l'ombre d'un doute, suprêmement contemporain, c'est ce qu'il faut laisser derrière. Il est donc essentiel d'aller au-delà de tout ce qui existe tant dans le moderne que dans l'anachronique. Celle-ci, la tâche du chef d'une passion destinée à mobiliser, par l'action politique et la critique de la philosophie officielle, le peuple, la masse, le prolétariat.

A ce niveau, Marx lance son avertissement : l'avenir de la nation allemande dépend des Allemands (le peuple, les masses, la société civile, le prolétariat... en évitant deux voies (le parti pratique et le parti théorique) qui ne mènent pas L'essentiel est que le peuple se réconcilie avec son histoire onirique, il faut donc annuler révolutionnaire à la fois les conditions réelles, misérables, et l'expression de cette situation, sa continuation abstraite, la philosophie officielle.

Dans la dernière partie du paragraphe, il est raisonnablement clair que le texte fait partie d'un débat acharné au sein de la gauche allemande. Dans ce débat, Marx a sa propre position. Voyons : (a) dans la gauche allemande il y a deux partis et une troisième position, celle de Marx, qui critique et dépasse les deux tendances ; (b) un parti pratique et un parti théorique se combattent; (c) le parti pratique veut se concentrer sur un activisme complètement détaché de la théorie, et pour justifier sa position, il invoque « le germe de la vie réelle », le terreau à partir duquel il élabore sa vision de l'Allemagne, de sa révolution ou, peut-être, de son réformation; d) le parti pratique nie la philosophie en « lui tournant le dos », c'est-à-dire qu'il abandonne la philosophie, mais ce rejet s'exprime par de simples « phraséologies furieuses et banales » ; (e) le parti pratique, dit Marx, a raison de nier la philosophie, mais il est aveugle au fait que la philosophie ne peut qu'être niée, supprimée (annulé), s'il est historiquement détenu.

Après avoir fait la critique du parti pratique, dans le paragraphe suivant, Marx rejette le parti théorique.

 

Commentaire sur le paragraphe 23

Marx affirme essentiellement que : (a) le parti théorique limite le combat à une simple critique philosophique du monde allemand. Innocent, il ignore que la philosophie fait partie et complément idéal de ce même monde ; (b) les théoriciens critiquent les praticiens, mais se comportent sans critique vis-à-vis d'eux-mêmes, c'est-à-dire qu'ils s'écartent des présupposés réels de la philosophie, mais acceptent ses résultats ou bien présentent, comme résultats et exigences de la philosophie, des éléments élaborés dans d'autres domaines ; et (c) le défaut fondamental du parti théorique est la croyance que la philosophie peut être réalisée sans la supprimer.

Après avoir présenté les objections aux deux parties, Marx procède à l'examen, au paragraphe 23, de la résilience de la philosophie hégélienne du droit et de l'État.

 

Commentaire sur le paragraphe 23

D'emblée, un clin d'œil : pour qui a lu les cahiers de Marx sur la philosophie du droit de Hegel, il est clair que si les deux textes, celui de Critique de la philosophie du droit et l'« Introduction à la Critique », condamnent l'abstraction et le logicisme hégéliens, les deux critiques sont rédigées en des termes différents. Dans les cahiers, Marx écrit pour lui-même ; dans 'l'Introduction', pour la gauche allemande et européenne. Cela fait une énorme différence. Dans les cahiers, Marx est beaucoup plus caustique et iconoclaste. Dans l'Introduction, plus sobre.

Quoi qu'il en soit, au paragraphe 23, parce que Hegel est le plus complet des philosophes spéculatifs, Marx propose que la critique soit développée à deux niveaux. L'un d'eux, l'analyse de l'État moderne et de la réalité européenne avancée. A un autre niveau, la critique doit être « la négation décidée de la conscience politique et juridique allemande à tous points de vue ». Donc, deux mouvements : l'un, qui relie Hegel à l'Europe moderne ; l'autre, beaucoup plus centrée sur la conscience politico-juridique interne de l'Allemagne.

Marx souligne que la philosophie spéculative allemande elle-même est un élément d'un ensemble plus vaste, celui formé par l'État européen moderne. Cet État a pour fondement philosophico-juridique la même base qui soutient la philosophie spéculative allemande. Le point essentiellement partagé par Hegel et les juristes et philosophes politiques « d'outre-Rhin », c'est l'occultation systématique de l'homme réel, de l'homme total, générique, de l'homme concret dans sa vie concrète. A cette réalité terrestre, Hegel et les Européens modernes préfèrent l'abstraction du ciel légal. C'est pourquoi tant la pensée hégélienne que celle de l'État moderne opèrent une stratégie de dissimulation du réel, de négation des faits, de négation de l'homme générique. Tout au plus, dans un effort futile, l'un et l'autre tentent de satisfaire l'homme total, mais toujours sous une forme imaginaire. Ainsi, Marx soutient qu'« en politique, les Allemands pensent ce que les autres nations ont fait ».

Dans cette pensée allemande, où l'action appartient à d'autres peuples, Marx réitère : (a) la singularité philosophico-juridique allemande incarnée dans la pensée de Hegel, dans ce domaine l'Allemagne correspond au moins à l'Europe moderne ; et (b) par conséquent, l'Allemagne est la conscience théorique du monde moderne. La thèse est passionnante, mais la démonstration est peut-être fragile.

Voyons un peu démarche. En même temps que brillait la pensée spéculative, éblouissement abstrait et présumé, elle suivait aussi toujours le même chemin, celui de l'unilatéralité et de l'atrophie du réel. Brillant, abstrait, présomptueux, l'hégélien est une pensée unilatérale qui nie la réalité concrète. Mais quelle serait la réalité atrophiée évoquée par Marx ? La réalité de la misère allemande, courbe elle-même dont la pensée hégélienne est le point extérieur, au fond la philosophie appartenant à une autre courbe, celle tracée par les États européens modernes ? On reste dans le mystère.

Mais nous sommes également informés que le statu quo défendu par le système politique allemand, celui du règne de Frédéric-Guillaume IV, exprime, en tant qu'État « germano-chrétien », l'achèvement de la ancien régime. Certes, ce point n'est clair qu'en apparence. Tout dépend de ce que l'on entend par "finir". Maintenant, la finition peut signifier l'aboutissement, les dernières retouches. Par exemple, terminer une œuvre d'art. Mais finir peut aussi signifier défaire, quelque chose qui se dilue, s'épuise. Nous nous tenons entre l'apogée de la beauté et l'annihilation de quelque chose. Ou peut-être que Marx voulait dire que le statu quo qui s'incarne dans le système politique allemand est, en même temps qu'il « perfectionne » (son côté « monarchique constitutionnel »), la poursuite de l'affirmation de la ancien régime comme véritable fondement de la chose. Le système, alors, dirait Raul Seixas, une métamorphose ambulante dont l'avenir inexorable est l'aboutissement qui défait ce qui reste, ce qui existe encore comme survivance, réminiscence. Bien sûr, dans la pensée de Marx, que le démantèlement, l'achèvement du système, sera effectué par la révolution démocratique radicale, ou il n'y aura pas de démantèlement. La révolution défendue par ceux de la philosophie de la praxis, seul moyen de vaincre efficacement la misère régnante.

Mais il y a un autre statu quo, celle de la science politique allemande, le niveau spécifiquement hégélien. Celle-ci, à la différence de la précédente, exprime « l'état inachevé de l'État moderne ». Le problème est que le lecteur n'est pas tout à fait sûr si cette incomplétude ne s'applique qu'aux variantes de l'État moderne ou si elle inclut également la misère allemande. Peut-être est-il raisonnable d'interpréter que les deux situations, les deux finies, celle du système politique et celle du système philosophique, celle de la monarchie absolue et "constitutionnelle" et celle de la formulation philosophique hégélienne comme son complément idéal, seront toutes deux finies avec le déclenchement de la révolution théorisée par Marx comme exposé à la fin de l'article. Spéculation excessive des lecteurs ?

En tout cas, la question de la révolution vient au premier plan à partir du paragraphe 24.

 

Commentaire sur le paragraphe 24

La tâche de la critique dans sa nouvelle phase, sous son nouveau visage, est dûment expliquée : elle, qui dépasse largement la précédente, la critique de l'essence du christianisme, est à la fois philosophique, comme critique de la spéculation hégélienne, et pratique. - la politique, tandis que la pensée s'immerge dans diverses praxis qui cherchent à révolutionner l'Allemagne. Philosophie théorique et pratique, guidée par des tâches concrètes.

Dans ce contexte, Marx se demande : l'Allemagne peut-elle être révolutionnée ? C'est la question qui ouvre le paragraphe suivant.

 

Commentaire sur le paragraphe 25

La question est évidemment rhétorique, la révolution doit éclater dans le domaine de la comédie absolutiste moderne. Sa réalisation élèvera l'Allemagne au plus haut niveau historique. La reconfiguration totale de l'État et de la société se fera sur la base d'un radicalisme visant l'affirmation décisive de tous ceux qui ont toujours été réprimés. Lorsque l'événement révolutionnaire sera achevé, la vie concrète de l'homme générique, sa liberté totale, exprimée dans la pensée, l'action, l'apprentissage et bien plus encore, sera effective. L'Allemagne sautera directement de l'anachronisme à une nouvelle étape historique qui va bien au-delà, qualitativement au-delà, de la modernité européenne.

Puis, traitant de l'arme de la critique et de la critique de l'arme, Marx esquisse sa première théorie de la révolution. Il souligne : en opposition au pouvoir matériel qui s'établit en Allemagne, un autre pouvoir matériel est né. Convergeant vers ce nouveau pouvoir matériel contestataire révolutionnaire, Marx exalte le côté critique-pratique incarné par la philosophie de la praxis, un effort qui laisse derrière lui aussi bien le parti pratique que le parti théorique. La dimension de la théorie, en se transformant en force matérielle, s'unit à la puissance matérielle opposée Stricto sensu. Les deux, ensemble et superposés, vont révolutionner le pays. La certitude absolue que cet événement est à l'ordre du jour, tant que la proposition radicale du parti praxis est un phare et un guide. Or, comme être radical, c'est saisir la chose par la racine, il s'ensuit que, puisque l'homme générique est la racine de tout, il s'agit d'obtenir la fusion dialectique de deux forces matérielles, l'origine philosophique et la nouvelle, celui du prolétariat immergé dans le peuple. Cette fusion apporterait à la fois la fin du monde anachronique allemand et l'ouverture de portes à des mouvements d'émancipation similaires dans l'Europe moderne.

Ensuite, Marx rend hommage à Feuerbach tout en s'éloignant de lui. Il présente alors sa conception de la révolution démocratique radicale comme la forme historique, encore en gestation, du dépassement de l'État moderne en général et du retard allemand en particulier. A ce stade, il convient de relire le premier paragraphe de l'Introduction (p. 145) : « En Allemagne, la critique de la religion est essentiellement terminée ; et la critique de la religion est le présupposé de toute critique ». La démo maintenant commencée en est une autre. La critique génétiquement fondée sur Feuerbach est devenue critique révolutionnaire, théorie et action de la révolution démocratique radicale.

L'importance de la théorie comme émancipation théorique, affirme Marx à la fin du paragraphe, a une pertinence pratique spécifique dans l'histoire allemande. Cette déclaration l'entraîne dans une fuite historique au sujet de la révolution allemande de Luther à 1843. C'est-à-dire une fuite du XVIe au XIXe siècle, de Luther au moment vécu par Marx et vu par lui comme un moment pré-révolutionnaire. période, confirmée cinq ans plus tard.

L'attention du lecteur est attirée sur certains traits de l'histoire allemande, utiles pour apprécier la situation pré-révolutionnaire : (a) il n'y a pas de révolution, même celle initiée par Luther, qui se passe d'une théorie. Dans le cas de Luther, une théologie ; (b) ce qui en 1517 a commencé dans la tête d'un moine augustin, en 1843 commence dans la tête du philosophe. Le moine, nous savons qui il est. Mais qui est le philosophe ? Le jeune penseur ? S'il en est ainsi, et c'est ainsi qu'il semble en être au premier moment de la lecture, non sans raisons celles du club de docteur et toute la gauche hégélienne s'étonnait de temps à autre de l'audace du Maure. Plus vraisemblablement cependant que, lorsque le texte est bien lu, le philosophe soit un collectif, celui des philosophes de la praxis défenseurs de la révolution radicale ; (c) les observations sur Luther sont devenues des classiques, du moins dans le contexte marxiste. Ils résument de manière séduisante les oppositions entre catholicisme, d'une part, et luthéranisme/protestantisme, d'autre part ; (d) parmi les commentaires de Marx sur le protestantisme en tant que « révolution », il convient de souligner son évaluation selon laquelle, bien que la proposition de Luther soit une « fausse solution », le moine avait élaboré la « manière correcte de poser le problème ». Son effort, qui aboutit au grand schisme, menaça de détruire le catholicisme romain, contribuant ainsi à la fois à l'émergence du monde moderne et aussi, à la fin de la Réforme, à l'instauration de la misère allemande ; (e) la dernière partie du paragraphe se tourne vers l'analyse de la façon dont la théologie protestante, incarnée par Luther, n'était pas et ne pouvait pas être révolutionnaire. Au lieu de cela, révolutionnaire fut la guerre des paysans, « l'événement le plus radical de l'histoire allemande » jusqu'en 1843. Mais la révolution paysanne échoua « à cause de la théologie ». Autrement dit, même avec Münzer, il était impossible pour la théologie protestante de diriger le processus révolutionnaire. Il lui manquait le fondement théorique dont disposaient, trois siècles plus tard, Marx et les praxis.

Cette différence essentielle entre les radicaux de l'époque de la Réforme et ceux du XIXe siècle renforce les attentes révolutionnaires du jeune Marx. « Aujourd'hui, avec l'échec de la théologie elle-même, notre « statu quo », le fait le moins libre de l'histoire allemande, va se briser contre la philosophie » (p. 152).

Après avoir fait ce tour d'horizon historique, Marx va au cœur de la question qu'il a lui-même posée, celle de la viabilité de la révolution radicale, démocrate-humaniste.

Passons au paragraphe 26, énoncé du x du problème : "Pourtant, une révolution allemande radicale semble se poser avec une difficulté fondamentale".

 

Commentaire sur le paragraphe 26

De là jusqu'à la conclusion de l'article, Marx cherche à démontrer que le moment de vérité arrive, et pourquoi ce moment est de type x, pas y.

Dans la première approximation théorique de la révolution radicale comme seule issue pour l'Allemagne, il met en évidence : (a) les révolutions, pour se produire, nécessitent la conjonction de deux éléments : un passif, la base matérielle ; une autre pensée théorique-active, critique, qui « cherche à se réaliser » ; (b) pour cela, la théorie doit devenir effective dans un peuple. C'est-à-dire être la réalisation des besoins populaires; (c) la révolution démocratique radicale laissera derrière elle le décalage monstrueux entre les exigences de la pensée et les réponses banales que leur donne la médiocre réalité allemande ; et (d) au cœur de ce problème se trouve « le décalage de la société civile avec l'État et avec elle-même ». Malgré l'avènement annoncé d'une époque révolutionnaire d'un nouveau type, Marx continue de s'interroger sur les conditions du couplage des besoins théoriques aux exigences pratiques. Selon ses mots : « Il ne suffit pas que la pensée cherche à se réaliser ; la réalité doit s'imposer à la pensée ». Cette convergence dans le temps, cette rencontre de deux besoins qui s'entremêlent dans la conjoncture pré-révolutionnaire, est ce qui autorise l'attente du déclenchement de l'événement radical dans un laps de temps court.

Après avoir établi les principaux termes de sa première théorie de la révolution, Marx procède à l'analyse des difficultés auxquelles doivent faire face les démocrates radicaux.

*Tadeu Valadarès est un ambassadeur à la retraite.

Référence


Karl Marx. Critique de la philosophie du droit de Hegel. São Paulo, Boitempo, 2005, 184 pages.

 

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