Les métaphores du Covid

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Par Fernão Pessoa Ramos*

La brutalité de la droite protofasciste énonce l'élégie de la mort et affirme des figures d'horreur dans la mort pour le travail ou dans l'affirmation crue de la torture.

1.

Parmi les penseurs contemporains qui se sont consacrés à la réflexion sur la maladie, Susan Sontag a développé un concept intéressant : celui de métaphore. Dans ses livres écrits sur le sujet dans le dernier quart du XXe siècle (La maladie comme métaphore/ 1978 e Le sida et ses métaphores/1989), Sontag pense à la maladie qui l'affecte directement (et finit par lui coûter la vie, le cancer), et à d'autres qui lui sont contemporaines (SIDA), ou qui l'ont précédé dans l'aide sociale (tuberculose).

La métaphore désigne le nom avec lequel la maladie est digérée, pour ainsi dire, par ceux qui en souffrent et par ceux qui, dans le contexte social, veulent l'exorciser ou la stigmatiser. L'idée de maladie est ainsi une figure, des éléments de personnalité et de tempérament qui la désignent comme extérieure à elle-même, un objet dont le locuteur cherche à s'exclure : « la maladie est le côté nocturne de la vie (…) né détient la double nationalité, au royaume des bien-portants et au royaume des malades » [« la maladie est le visage nocturne de la vie (…)La maladie comme métaphore).

 L'argument de Sontag est que les métaphores de la maladie sont des fantasmes nécessaires à l'exercice de cette double citoyenneté : face au côté absolu de la maladie (« le côté nuit »), point de concentration qui devient absolu dans l'âme quand force; et sa dispersion naturelle dans la santé, quand le nombril de la faiblesse semble lointain avant qu'il ne se profile à l'horizon et ne domine à nouveau.

Les métaphores pour faire face à l'abîme de la maladie sont, en réalité, des noms qui signifient notre compréhension de celle-ci et reconnaissent dans sa force les images de notre corps. Socialement, elles peuvent correspondre à des images punitives ou stéréotypées de l'altérité, imprimant au patient ce dont nous voulons nous séparer. Il peut aussi s'agir de figures sentimentales dans lesquelles nous cherchons à promouvoir, ou à abriter, l'identité et la compassion, de manière directe à affirmer notre ego.

Ils couvrent aussi les « stéréotypes de caractère national », une manière de désigner l'ennemi comme celui que nous ne sommes pas en tant que collectivité. Sontag, dans son livre, dit qu'elle ne veut pas décrire "ce que c'est que de migrer dans le royaume du malade et d'y vivre", mais de parler des fantasmes qui sont liés à la situation - ceux qui figurent, sur de ce côté, l'expérience par la métaphore. Mais la métaphore doit être abandonnée si l'on veut voir l'altérité brute, la maladie telle qu'elle est en soi, la faiblesse, la consommation, le dépérissement, la mort.

Avant le SIDA, Sontag travaillait sur les deux maladies qui étaient absorbées dans le réseau de métaphores qui les nommait : le cancer et la tuberculose. Pour le cancer, il identifie des métaphores de figures guerrières et agressives à « saveur militaire » : le cancer « colonise » les cellules ; la tumeur « envahit » ; le traitement « tue » les envahisseurs, les cellules cancéreuses ; « bombes » de radiothérapie, etc. Pour la tuberculose, les citations se regroupent, allant de Montagne magique par Thomas Mann, de passage à Stendhal (armance), Kafka (correspondance), Dumas (La Dame aux camélias), Dicken (Nicholas Nickleby), gide (L'Immoraliste), Stowe (A Cabana do Pai Tomas) et d'autres.

C'est la pléthore de « maladies épouvantables », mais qui, selon Dickens, « raffine la mort ». Les métaphores de la tuberculose exposées par Sontag sont les figures d'une « maladie liquide », de glaires et de mucus, de crachats. La maladie de la désintégration, de la consommation progressive, de la fièvre faible et continue, du dépérissement, de la maigreur. Une soudaine vitalité, cependant, une euphorie (y compris sexuelle) surgit, mais ne s'installe pas, cela peut apparaître, mais c'est, en réalité, un signe de dépérissement récurrent et de mort. La tuberculose est la maladie de la « consommation », le cancer est la maladie de « l'invasion ».

En 1988, avec l'explosion du sida, Sontag reprend la réflexion et lance Le SIDA et ses métaphores, explorant, dans le même sens que son premier livre, le contexte idéologique de la fin du XXe siècle. Les métaphores, cependant, sont différentes maintenant. Contre l'explosion idéologique libertaire des années 1960 et 1970, le flash de la contre-culture et les nouveaux comportements qui ont marqué les sociétés occidentales – développées et, comme on les appelait, « sous-développées » – les métaphores du sida ont servi à établir la réaction et le recul.

La notion de « peste », souffrance ciblée, sorte de châtiment mérité, amène la maladie à infliger la purification à des groupes bien déterminés par le martyre du corps. Les homosexuels et les toxicomanes par voie intraveineuse méritent la punition qui justifie la culpabilité qu'ils purgent dans la faiblesse de la maigreur et du dépérissement. La maladie est une figure du châtiment divin et la peste sert de métaphore à l'expiation de l'expérience de la pulsion incontrôlée.

À l'époque où nous vivons, la maladie est revenue au centre, maintenant sous la forme d'une «grande pandémie» qui doit marquer notre génération. Elle apporte aussi avec elle les figures et les « métaphores » de Sontag qui la font décoller dans l'imaginaire. En tant que "côté nocturne" de nous, le double visage de la citoyenneté, la maladie Covid est soudaine, elle frappe comme une vague qui se propage par vagues progressives, non contenues. Il y a un peu plus de deux mois nous vivions un quotidien qui semble aujourd'hui irrémédiablement perdu ou lointain. L'horreur de la mort et de la suffocation devient trop proche des sens, à portée d'un frôlement minable.

La Grande Pandémie a déjà son image qui impressionne par sa cruauté : celle de la noyade sèche, sur terre, dans l'environnement privé de la maison ou dans la chambre personnelle ; ou bien intubé dans une infinité d'appareils respiratoires qui ne font rien contre le gouffre sous-marin que Covid ouvre sur la terre ferme. Le principal produit que les nations luttent pour posséder est le ventilateur mécanique, la machinerie qui alimente les tubes qui pénètrent dans les poumons pour injecter de l'air.

Une nouvelle forme de coexistence sociale s'est instaurée dans l'espace créé par la maladie (comme les sanatoriums dans la tuberculose, ou spécifiquement l'abstinence sexuelle dans le sida) : la modalité de ce qu'on appelle la « distanciation sociale », une forme de coexistence que la raison civilisatrice cherche à faire prévaloir comme conseil parmi les peuples. Le confinement à domicile (ce que nous ignorions encore), les deux mètres de distance entre les corps, les masques couvrant les visages, le lavage obsessionnel des mains, l'emprunt d'objets personnels, le toucher de son propre corps (sur le visage) et autres expériences tactiles (sensuelles ou non) sont interdits .

A la genèse de ce discours se trouve la méthodologie désignée comme scientifique pour soutenir les initiatives publiques qui pointent vers la manière rationnelle de lutter contre la maladie. Il porte avec lui un savoir dans la bonne tradition des Lumières qui défend la vie contre l'obscurantisme magique et l'irrationalité. Il se bat contre le côté maléfique de la force qui est soudainement devenu plus présent, comme dans les mythologies archaïques de la pop culture actuelle.

Elle nous protège des ténèbres qui menacent notre préservation et de la politique de la mort, de la « nécropolitique » qui, bercée par les forces souterraines de Thanatos, a brusquement pris de la force et refait surface en trombe, toutes dents découvertes. La politique de la mort impressionne non pas parce qu'on la considère comme éteinte, mais parce qu'elle est tellement contemporaine, en phase avec les modes les plus avancés des nouvelles technologies qui ont définitivement réduit la planète et les forces de la nature à la taille de l'humain.

La politique de la mort est la grande métaphore du Covid. Elle va de pair avec l'exigence de distanciation physique et se double de l'intense sociabilité promue par le numérique formaté dans les réseaux sociaux. C'est de ce conflit que la maladie prend la figure de la mort comme force vitale pour le plus fort, celui qui, par hasard ou par force, résiste au Covid. La nécropolitique, en contrepartie, sert sur un plateau les émotions d'exaltation par l'extase religieuse ou messianique, transférées au grand chef.

La culture de la mort se perpétue en l'absence d'empathie, mot à la mode en ce moment. Un trope contemporain est l'idée de l'affirmation messianique de la masse sociale, par le sacrifice dans l'immunisation du troupeau. Vive la mort, l'horreur des hôpitaux surpeuplés, les cadavres entassés dans les couloirs et les chambres froides, les corps intubés mourant seuls, les malades allongés dans la rue attendant dans la file d'attente des hôpitaux, les charniers, à condition, bien sûr, qu'il n'affecte pas ma faction, ma famille, ma personne. Et si c'est le cas, la négation de l'évidence peut avoir lieu par l'extase, savourée au nom divin exerçant son pouvoir - et sert ainsi de plâtre à l'âme. La logique milicienne fait prévaloir ses valeurs dans un contexte plus large que celui du pur pouvoir sanguinaire.

La nécropolitique a aussi son côté suicidaire, car la force de la mort, dans les grands fléaux, échappe souvent au contrôle, comme elle échappe dans la logique de la « guerre totale » qui conduit les nazis à leur propre extermination. La spirale toujours ascendante finit par atteindre ceux qui, à hauteur de leur propre ego, font prévaloir la volonté de dominer dans la mort. La mort comme expérience dans la négation de l'autre est une affection qui cherche à s'affirmer, à travers l'extase d'être ravi dans le sacrifice de la vie.

Dans la projection identitaire, il se laisse emporter par l'intonation d'un discours messianique qui succède à des raisonnements non déductifs, conduisant à des îlots de catharsis collectifs. A elles correspondent la nomination d'opposants collectifs désignés comme altérité concrète particulière et qui occupent le champ symbolique dans le spectre du mal. Le résultat en lui-même importe peu à ceux qui apprécient l'expérience de la mort comme esthétique, même si, de l'extérieur, on distingue le joueur de flûte de Hamelin conduisant, au son de son instrument, des rats hypnotisés à la mort par noyade.

2.

Il y a une étonnante coïncidence dans les métaphores du Covid : l'interaction entre la forme intense de sociabilité qu'exigent et instaurent les médias numériques, au format « réseau social », et la possibilité, devenue historique, d'un isolement social et d'une distanciation physique, sans contact tactile ni expérience en face-à-face. La figure de la mort n'entre pas comme le grain ou l'huile, mais certainement avec un impact sur la machine de l'ultra-sociabilité numérique. Dans le ciel de l'idéologie numérique, l'horreur s'inscrit, comme cela est clair depuis un certain temps.

Dans les conférences de Pierre Lévy, qui en a ébloui plus d'un lors de ses passages dans les universités brésiliennes des années 1990, et plus tard dans une bonne partie de ses livres, il y a une pré-vision utopique de la socialité numérique, comme "universalité sans totalité" qui, dans les dernières siècle, semblait arriver. Cela s'appelait la « cyberculture ». S'il avait raison d'envisager les réseaux sociaux comme une idée, il avait tort de penser en rose que le potentiel technologique s'ouvrirait, en soi. C'était une vision sociale évolutionniste et la technique apporterait le « en soi » de la nouvelle société comme unicité.

Historiquement, il n'y a pas eu de convergence des médias ou des esprits. Les anciens médias comme le cinéma, la télévision, la radio, les principaux journaux imprimés anciens, sont forts et fermes dans leur unité, avec une concentration monopolistique évidente, traversés par la nouvelle technologie numérique qu'ils finissent par digérer et adapter sans traumatismes majeurs dans la forme. Les nouveaux médias qui se sont effectivement imposés au cours de ce siècle, Internet en étant le cœur, ont la diversité des applications articulées dans ce qu'on appelle les « réseaux sociaux ». Ils pénètrent partout comme une grosse pieuvre.

Il y a certes des échappatoires et des espaces alternatifs créatifs, mais de grands monopoles ont rapidement dominé et fléchi cet univers, en contradiction avec la vision utopique du premier moment des réseaux, marqué par la perspective évolutive précitée. Dans ce document, la fascination pour les machines et la technologie numériques s'exprimait sous la forme de l'ancienne idée du « nouveau », associée au concept de « technologie ».

L'« universalité sans totalité » et l'illumination recyclée de Lévy se sont révélées comme une particularité réifiée, avec une synthèse articulée dans un système de surveillance, visant à collecter des données personnelles avec la fonction d'exponentielle de la consommation et de la reproduction des marchandises. Ceci dans un schéma d'intégration quantitativement multiplié en série, qui ferait envie aux dispositifs panoptiques les plus créatifs évoqués par Foucault dans ses écrits des années 1960 qui fondaient sa pensée de dénonciation de l'humanisme autoritaire.

L'universalité linéaire du réseau s'est avérée être un fétiche qui cache de grands conglomérats, principalement d'origine nord-américaine, qui soutiennent son expansion. Ce sont essentiellement : « Amazon », avec distribution empirique d'objets/choses et production audiovisuelle ; « Facebook », avec des réseaux sociaux formatés pour le partage (Instagram, WhatsApp, Facebook lui-même et dérivés) ; « Apple », explorant matériel/logiciel et production/distribution de contenu audiovisuel ; Distribution de « Microsoft », de logiciels et de certains contenus audiovisuels ; 'Google', partage de messages et de vidéos (Gmail, Youtube) et distribution de contenu liés à un puissant moteur de recherche avec fonction de collecte de données ; 'Netflix', essentiellement axé sur la production de contenus audiovisuels.

Sa vraie valeur réside dans l'immense réseau mondial de contrôle que le système de collecte de données établit, intégré dans des services formellement gratuits, bien que la forme de la valeur et sa reproduction puissent également être liées au paiement mensuel, sous la forme d'abonnements imposés par le large horizontalité (cas de Netflix, Amazon, Apple, média « journal » en mode numérique, Spotify, etc.). Les grands conglomérats issus de la production audiovisuelle/cinématographique (Disney, Universal, Fox, Globo, etc.) évoluent également sans problème dans cette gamme, de plus en plus présente.

La sociabilité globale contemporaine, façonnée dans ce sens, a donc pour moteur principal le stockage à grande échelle de données, destiné à favoriser la planification rationnelle de la consommation de biens et qui, certes, peut être élargi aux fonctions foucaldiennes de surveillance et de contrôle. Elle constitue, de nos jours, le noyau du système de réalisation de la valeur et d'appropriation du travail dans les sociétés essentiellement capitalistes du monde entier, que ce soit dans sa forme libérale ou dans celles administrées de manière centralisée par l'État.

C'est dans cet univers social que les métaphores de la maladie à l'époque contemporaine sont insérées et interagissent, par la nouvelle figure du Covid. Son mode d'apparition a été celui d'une explosion soudaine à l'échelle mondiale. L'expérience de la densité d'objet comme virtualité, déployée en réseau, compose sa matière structurale. Virtuel non pas comme ce qui, en puissance, pourrait pointer vers l'avenir dans un mouvement affirmatif toujours renouvelé, échappant par la mémoire au moteur de la négation, mais comme une réalité présente qui détruit l'empirisme du corps, pour déléguer à la virtualité une l'ancre des affections qui se cache dans la matière diluée.

C'est l'altérité qui se dissout dans un « autre » qui est toujours le même que lui-même. L'écart entre corps et sens, comme expérience en présence de l'espace homogène et continu de la durée, avait déjà été noté comme contradiction entre pôles : intersubjectivité hypertrophiée par la demande d'un côté ; et, d'autre part, l'isolement physique de l'être dans l'expression phénoménale de son corps, l'être-là coupé de la circonstance et qui vit le temps écoulé dans une amplitude sensorielle virtuelle, avec des stimuli renouvelés en mode simulacre.

L'isolement social comme figure du Covid est constitué par le numérique en donnant du pouvoir à l'« être » déplacé dans un « là-pour-autrui », vidé de l'espace présent. La mise à distance des corps dans la figure de Covid est médiatisée par la technique et forme une dualité en interaction : le déni du toucher et de la peau comme expérience intersubjective (plus de sensation des choses dans le phénomène), et un hyperdimensionnement de la vision et de l'ouïe qui vient dominer perception et faire exploser les affections.

L'interdiction de proximité avec le corps d'autrui dans l'espace de la circonstance présente, se configure aussi dans l'interdiction d'extension dans la sociabilité, des événements sportifs ou musicaux, des espaces commerciaux et alimentaires (bars, restaurants), des transports en commun, voire des très nature urbaine (parcs, plages). Le déni du corps et sa transfiguration dans le virtuel retombe aussi sur ce qui lui est le plus propre, le déni de l'interaction dans sa matière charnelle comme corporéité objectale non objectivée d'autrui, dans l'acte sexuel.

3.

Les sensations et les sens du corps dans le « je » isolé, l'expérience Covid, trouvent donc leur détermination médiatisée par la machinerie numérique, le moyen technique qui les détermine. L'intersubjectivité face à face, déplacée, commence à habiter un univers fantomatique d'absence qui, contradictoirement, s'exprime dans des sentiments d'une intense charge affective. Bien que de qualité différente (proche des affects que déclenche la mimesis ?), elle provoque, à l'échelle quantitative, des commotions proches de celles qui se produisent dans l'espace de présence partagée.

Les affects de haine, de satisfactions narcissiques, les dilemmes de culpabilité, de honte, les satisfactions de compassion et de pitié, l'exaltation déjà évoquée dans l'identification messianique ou mythique – tous les sentiments humains, trop humains – se configurent dans une intensité semblable à celle de circonstance face à face. Des vagues de sentiments synthétisés dans des images, des phrases ou dans la nouvelle symbologie analogique (emojis), passent avec leur propre causalité et détermination dans une séquence accélérée qui a été qualifiée de « viralisante », car elle se propage par vagues sur de grandes parties de la population, en une courte période de temps.

Il a été écrit sur le domaine des passions tristes tel que défini par Baruch Spinoza, présent dans les nouvelles modalités d'intersubjectivité inaugurées dans les réseaux sociaux. Une tentative est faite pour récupérer la belle théorie des affections du philosophe afin de penser les affections qui, à vitesse numérique, atteignent la société de masse contemporaine dans des rayons horizontaux. Ces passions tristes, selon l'interprétation, sont le résultat, en premier lieu, de la maîtrise de la tristesse elle-même et s'enchaînent, dérivant de l'homogénéité de l'affection, dans laquelle elles pervertissent la vie elle-même dans sa puissance vers une ouverture dans action (ou danse) .

Les passions tristes flétrissent leur pouvoir et leur action par la haine, la culpabilité, l'envie, la jalousie, la moquerie, l'angoisse, la peur, la pitié, le désespoir, la honte. Ce qui pervertit la vie en tant que volonté, c'est surtout la haine, mais la « haine de soi », sous la forme tordue de la culpabilité. La culpabilité et l'expiation constituent le moteur nucléaire qui nourrit la civilisation occidentale dans son volet chrétien/juif.

Le péché et le pardon, le bien et le mal, l'espérance elle-même, main dans la sécurité, composent l'univers des affections tristes avec lesquelles les tyrans des âmes parviennent à nous lier. C'est la vision d'une certaine pensée contemporaine, post-structuraliste, inspirée de la revendication nietzschéenne. Dans leur emprise sur les dispositifs en réseau, les passions tristes montrent la prédominance des structures de soumission, désormais imbriquées et interagissant huilées à la nécropolitique.

Ainsi, ils contextualisent les actions, ou leur incapacité, dans la sociabilité contemporaine. La réplication intense des affections de réseau, à l'époque contemporaine, est encore surdéterminée par la structure récurrente mentionnée qui profite de sa rétroactivité pour collecter des informations et des données personnelles qui servent à déplacer les structures de réalisation de la valeur dans les biens, ayant une objectivité finaliste claire dans le système, dans sa manière de se reproduire dans son intégralité. Les métaphores du Covid, en tant que maladie, sont intrinsèquement incorporées par cette figuration de l'affection. Ils modulent notre quotidien et sont modulés par lui.

Les figures de la politique de la mort qui se sont propagées sur les réseaux sociaux préexistaient, mais elles interagissent avec l'imagerie de la maladie. La représentation contemporaine de l'exaltation de la mort est soutenue par la passion triste, en particulier la haine et la colère qui, en se soumettant à la négation et à l'autorétroaction du sentiment, flétrissent la puissance affirmative, prisonnière de la mauvaise conscience. Ils empêchent l'émotion d'être emportée par l'entendement et la raison, où la pensée de Spinoza est impliquée dans la passion.

L'émotion est une passion purifiée par la compréhension sans être louée comme une force en action. La tendance d'une certaine réflexion contemporaine, dans la seconde moitié du XXe siècle, était de nier la veine de la méthode et du discours et de souligner la puissance des passions heureuses - parmi lesquelles l'humour affirmatif et grossier, dionysiaque - qui ne pervertit ni la vie ni l'illustrent en réalité la conformité de la sujétion de l'esclave au tyran. Les passions tristes, ainsi vues, sont des affections de l'esclave qui les subit et les goûte dans l'initiation de son processus d'emprisonnement.

La sensibilité contemporaine qui, à notre époque moderne, s'est consacrée à explorer la mort comme « esthétique » (au sens littéral du terme, désignant l'expérience des sensations et de la perception) était le fascisme. Sous ses diverses formes, dont un certain futurisme, elle inaugure le monumentalisme comme ornement pour les masses, esthétisant la vibration exaltée dans le projet commun de purification (y compris ethnique) par la mort collective.

Dans la contemporanéité du nouveau millénaire, dans ses deux premières décennies, la sensibilité fasciste s'est densifiée pour resurgir et recycler sa puissance originelle, désormais adaptée aux nouvelles couleurs historiques ouvertes dans la sociabilité virtuelle.

Le proto-fascisme rend ses couleurs chargées par la distanciation en face-à-face de l'univers des réseaux sociaux. Il s'agit des affections intenses, que nous appelons rétroactives, de la virtualité numérique, ouvrant l'espace à l'établissement de modalités d'identification égoïque dans l'exaltation de l'identification messianique et dans l'affirmation extatique dans l'extermination d'autrui.

C'est ainsi que s'opère le partage universel de la commotion collective épurée dans la haine, qui se retourne contre des singularités marquantes, qu'elles soient ethniques ou de genre. La reproduction massive des affections par "viralisation", sous forme de quasi-absence (l'effet "troupeau") sert ainsi, ancrée dans la catégorie des affections "tristes", l'affection entretenue par la purification de la culpabilité dans la haine, dans l'envie refoulée, dans le mépris et la terreur.

Les métaphores Covid couplent donc la virtualité numérique avec les nouvelles modalités de distanciation sociale que la maladie a mises en place. Un vieil adage marxiste affirme que l'on pose aux hommes, dans le déni, des questions qu'ils savent résoudre. La synthèse est au cœur de la vision matérialiste dialectique de l'histoire dans laquelle les conditions de production déterminent les formations idéologiques qui correspondent aux forces sociales qui se déplacent, comme des plaques tectoniques, à la surface de l'histoire.

Si la grande métaphore du Covid, pour nous au Brésil, c'est la figure de la mort comme politique, l'optimisation brute des effectifs s'avère être sa base. Derrière l'idée d '«immunité collective», il y a, à la base, la compréhension de la mort comme l'inévitabilité de la productivité, dérivée sous le couvert de la pensée magique qui la réifie. Elle laisse la causalité contingente aux moins capables dans une sorte de « roulette russe » de l'espèce (dirigée vers une classe) où certains sont sacrifiés pour que le troupeau (censé accepter bovinement le principe de logique) survive. La construction de l'idée a été exposée dans chaque lettre par des dirigeants de l'extrême droite internationale (en particulier en Grande-Bretagne) et rapidement intégrée, sans retenue, dans le discours de la droite autoritaire brésilienne.

Le manque de soin dans l'énonciation de l'élégie de la mort est particulièrement choquant. Elle montre la brutalité de la droite proto-fasciste dans l'affirmation des figures de l'horreur – que ce soit dans la mort pour le travail, ou dans l'affirmation crue de la torture. Indépendamment d'une caractérisation historique plus fermée du fascisme, liant son idéologie au contexte social et idéologique particulier de la configuration des forces productives dans l'entre-deux-guerres, les parallèles sont clairs.

L'exaltation du « frisson » dans le tumulte de la violence, comme esthétique de la torture et du meurtrier, est suivie des vêtements qui le symbolisent, comme les armes à feu. Il y a d'autres ornements qui leur sont propres, comme des vêtements aux couleurs du deuil (la «camicia nere» du fascisme italien) ici représentés dans l'impact arrogant de la lueur jaune-vert. La logique de la milice se tourne vers la poursuite des plus faibles qui sont des cibles, comme la proie persécutée avec laquelle on les divertit avant la mort.

Harcèlement dispose d'un espace optimisé sur le réseau social. Dans notre cas, le mélange d'idéologie proto-fasciste est emballé dans une sorte de tenentisme autoritaire tardif, ou récurrent, dans ce qui a toujours eu une facette salutiste, imbibé d'un rationalisme administratif qui se voulait progressiste, chargé du culte de la personnalité et avec des difficultés à faire face aux réalités plus plates et plus prosaïques de l'alternance démocratique périodique.

Il ne faut pas oublier, après tout, que c'est un lieutenant (promu capitaine après son exclusion) qui gère en ce souffle les destinées de la nation et veut dicter, à l'ensemble de la société civile républicaine, les mœurs et principes de la caserne. . Un lieutenant qui, certainement sans répondre à la vague appellation historique, dans son admiration avouée pour les métaphores de la mort et de la torture, leur a ajouté une personnalité borderline persécutrice. Personnalité qui s'est avérée incontrôlable même parmi ses pairs, qui ont fini par préférer le voir en dehors de la communauté plutôt que d'avoir à faire face aux conséquences introduites par le déséquilibre de sa présence.

4.

Parmi les métaphores de la mort de Covid, il y a le côté « guérison » de la pièce de monnaie « maladie », qui échappe à l'empire de la compréhension par la raison dans la science, exprimée dans la distanciation sociale des corps. La figure des armes et les métaphores de la mort ont besoin d'un complément pour pouvoir servir, comme le dit le philosophe (Badiou) en pensant à notre moment, la "dissipation de l'activité de la raison qui conduit au mysticisme, à la fabulation, aux prophéties et aux malédictions" .

La ferveur d'exaltation, nécessaire à l'épuration des affections au point d'ébullition d'une « esthésie » de la mort, éprouve aussi le besoin de favoriser, dans le même état, le point de « cicatrisation » de la courbe, courant hors de « l'activité de de la raison » et de la connaissance, en la mettant en parallèle dans les fables magico-prophétiques. La guérison doit être configurée à l'opposé de la connaissance par la méthode et dans la totalité congruente. Ancrée dans la pensée magique, elle compense, par l'exaltation dans la croyance, le côté obscur de la métaphore de la mort.

Ainsi le mot magique est le pouvoir du 'nom'. Il crée l'être à la manière adamique, par désignation, en étant prononcé. Le curé a le pouvoir du nom qui rachète et qui inaugure lorsqu'il est prononcé. C'est la réalité de la vie dans laquelle il vit, une projection de ce qui n'est plus le sien dans sa force vitale. La parole veut la puissance de la parole divine nommant le monde avec sa puissance, étant l'équivalence de ce qui est incorporé dans le mythe comme la vérité de la création, ou la guérison établie par elle. Vérité qui est le soi de la désignation, se passant de médiation ou de connaissance. Ainsi, il devient objectif, sans la dualité symbolique d'une subjectivité sémiotique, et peut s'installer comme une parole de guérison qui nie la maladie en soi.

La synthèse de cette idée est la métaphore de la «chloroquine», qui fonctionne comme un nom thérapeutique pour le mythe lorsqu'il est énoncé dans la certitude de sa désignation. Elle rachète, par son autorité de guérison, en celui qui l'incarne. L'autorité du mythe est celle du saint qui administre le pansement. La chloroquine, synthétisant la métaphore de la guérison dans la figure du Covid, devient le domaine de la fabulation et de la prophétie messianique en choc avec la logique froide du savoir et de la méthode, apprenant de l'expérience en science.

Dans une image récente (5/5/2020), participant au cercle de prière extatique d'un pasteur, Bolsonaro s'agenouille dans la rue devant le religieux qui, dans un état proche de la transe, exerce le pouvoir de la pensée magique en nommant le remède par énonçant sa « déclaration » : « Je veux maintenant, au nom de Jésus, déclarer qu'au Brésil, il n'y aura plus de décès, il n'y aura plus de décès dus au virus corona ». L'idée d'« éloignement » social, grossière et prosaïque dans son empirisme, fait obstacle aux exaltations de la pensée magique. Le nom de chloroquine est le mot de la guérison, synthétisant l'expression de ceux qui ont besoin d'une béquille pour entrer dans la croyance aux affections irrationnelles.

D'autre part, que reste-t-il dans cette sorte d'intégration de l'histoire et de la tragédie à la force brute ? Ou qui l'a créée à la taille de sa compréhension ? Le Covid nous apporte un de ces moments chers à l'ange benjaminien où la tête de l'être céleste se retourne et de là il ne peut, et ne peut, détourner le regard - jusqu'à ce qu'un vent des profondeurs (le vent de l'Histoire) vienne le souffler loin en avant, le recouvrant dans ce mouvement des ruines d'un passé qui s'accumule et s'effondre sur lui-même, à mesure qu'il est poussé en avant avec force.

La distance dans le vide de l'étendue comme espace est une face de la médaille à double face qui figure la mort dans les métaphores cofides. Son visage "distanciant" rappelle les photographies d'Eugène Atget, montrant les rues et les places d'un Paris désert et fantomatique au XIXe siècle, semblables aux photos contemporaines de nos métropoles vides, englouties par le virus.

Benjamin disait des photos d'Atget qui, dans leur vide d'aura, semblaient dépeindre la banalité d'une scène de crime et que ce crime était un exemple d'un « futur décodage » de la culpabilité, dans lequel l'analphabète ne sait pas comment lisez l'image de la catastrophe dans la scène que vous avez faite. Nous ne voyons pas non plus, apparemment, l'envers de la scène déserte, composée de la misère et de la faim qui ont fait éclater les grains de l'image vide de l'humanité – et qui semblent maintenant grandir dans une vague gigantesque qui s'approche. Il faudrait, en lisant la photo du crime, la décrypter, un certain didactisme brechtien que Benjamin, en écrivant son essai sur la photographie (1931, « Petite histoire de la photographie »), venait de découvrir (aussi bien l'homme Brecht, que le travail) et qu'il parcourt encore comme une recette, avec un certain éblouissement dans l'attente de ses effets.

Mais, si du côté pair, le grain du visage est cet « éloignement », révélation d'une « aisthésis » de la mort et de la misère ; il est aussi du côté impair, dans l'expérience magique de l'exaltation des pulsions, dans sa manière de favoriser la catharsis dans la pulsion vers la réconciliation dans le Messie qui incarne l'expérience de la mort. On peut alors tristement conclure que les deux camps coïncident, occupant l'horizon de la contemporanéité comme grande métaphore du Covid.

Pour ceux qui ne savent pas lire, il reste l'expérience de la pulsion qui traverse la représentation et aboutit dans ce rocher qui l'entoure comme une île, assiégée sur les flancs et incompréhensible. C'est l'air du temps qui semble attendre de l'autre côté de la porte. Un esprit que, jusqu'à présent, nous n'avions fait qu'entrevoir – mais qui laisse déjà ses ombres dans l'espace entr'ouvert.

* Fernao Pessoa Ramos, sociologue, est professeur à l'Institut des Arts de l'UNICAMP. Auteur de Mais après tout… qu'est-ce qu'un documentaire exactement ? (Sénac).

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De CARLOS EDUARDO ARAÚJO : Réflexions sur le film réalisé par Davide Ferrario.
Le complexe Arcadia de la littérature brésilienne
Par LUIS EUSTÁQUIO SOARES : Introduction de l'auteur au livre récemment publié
Chronique de Machado de Assis sur Tiradentes
Par FILIPE DE FREITAS GONÇALVES : Une analyse à la Machado de l’élévation des noms et de la signification républicaine
Le consensus néolibéral
Par GILBERTO MARINGONI : Il y a peu de chances que le gouvernement Lula adopte des bannières clairement de gauche au cours du reste de son mandat, après presque 30 mois d'options économiques néolibérales.
Dialectique et valeur chez Marx et les classiques du marxisme
Par JADIR ANTUNES : Présentation du livre récemment publié de Zaira Vieira
Gilmar Mendes et la « pejotização »
Par JORGE LUIZ SOUTO MAIOR : Le STF déterminera-t-il effectivement la fin du droit du travail et, par conséquent, de la justice du travail ?
L'éditorial d'Estadão
Par CARLOS EDUARDO MARTINS : La principale raison du bourbier idéologique dans lequel nous vivons n'est pas la présence d'une droite brésilienne réactive au changement ni la montée du fascisme, mais la décision de la social-démocratie du PT de s'adapter aux structures du pouvoir.
Incel – corps et capitalisme virtuel
Par FÁTIMA VICENTE et TALES AB´SÁBER : Conférence de Fátima Vicente commentée par Tales Ab´Sáber
Le Brésil, dernier bastion de l’ordre ancien ?
Par CICERO ARAUJO : Le néolibéralisme devient obsolète, mais il parasite (et paralyse) toujours le champ démocratique
Le sens du travail – 25 ans
Par RICARDO ANTUNES : Introduction de l'auteur à la nouvelle édition du livre, récemment parue
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