A l’assaut du ciel – la Commune de Paris

Barricade tenue pendant la Commune de Paris
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Par RONALD LEÓN NUÑEZ*

La brève expérience qui a marqué le début de l’ère de « l’expropriation des expropriateurs »

« Et voici, le philistin allemand fut de nouveau saisi d’une saine terreur à l’expression : dictature du prolétariat. Eh bien, messieurs, voulez-vous savoir à quoi ressemble cette dictature ? Regardez la Commune de Paris. Telle était la dictature du prolétariat.»
Friedrich Engels, Introduction à la guerre civile en France, 1891.

L'existence de la Commune de Paris fut brève, du 18 mars au 28 mai 1871, lorsque la résistance des roturiers elle fut noyée dans le sang par la répression conjointe des bourgeoisies française et allemande, qui se moquaient peu du fait qu'elles étaient en guerre quelques mois auparavant. Mais sa portée politique est énorme. Il y a 153 ans naissait la première expérience de gouvernement ouvrier de l’histoire, une tentative sublime de prendre d’assaut le ciel.

Ses succès comme ses défaites sont devenus une référence pour les luttes d’émancipation sociale. La Commune n'a pas péri avec la dernière barricade de la rue Ramponneau, car ses enseignements ont de la valeur en eux-mêmes ; « La grande mesure sociale de la Commune, observa Marx, était sa propre existence productive ».[I].

À la fin des années 1860, le régime despotique de l’empereur Napoléon III, bâti sur la défaite de la révolution de 1848, était considérablement affaibli. Pour surmonter la crise, « Napoléon le Petit » décide de se lancer dans une nouvelle aventure militaire. Engels explique que « le Second Empire fut l'appel au chauvinisme français, l'exigence de la restauration des frontières du Premier Empire perdues en 1814 ou, du moins, de celles de la Première République. […] D’où la nécessité de guerres brèves et d’expansion des frontières. Mais aucune expansion des frontières n’a autant ébloui l’imagination des chauvins français que celle de la rive gauche du Rhin.»[Ii].

En juillet 1870, à la suite de différends diplomatiques sur la succession au trône d'Espagne, la France déclare la guerre à la Prusse. Le chancelier Bismarck profita à son tour de l’attaque française pour accélérer le processus d’unification nationale de ce qui était alors la Confédération de l’Allemagne du Nord. La guerre franco-prussienne commence.

La bataille de Sedan marque le désastre militaire français. Le 2 septembre, sur décision du haut commandement, environ 83.000 4 soldats capitulent face aux Prussiens. Napoléon III lui-même est fait prisonnier. Le Second Empire français s'effondre avec son armée. Le XNUMX septembre, la Troisième République est proclamée à Paris et un Gouvernement provisoire de Défense nationale est formé, dirigé par Louis-Jules Trochu. La République décide de poursuivre la guerre.

Cependant, l’avancée prussienne était imparable. Dès le 19 septembre, Paris est bombardée et soumise à un siège qui dure quatre mois. La faim s'empare de la capitale. Le 27 octobre, à Metz, 173.000 18 Français capitulent sous le commandement du maréchal Bazaine. Bismarck s'est lancé dans une guerre de conquête. La bourgeoisie française a fait preuve de désespoir et a voulu capituler. Le 1871 janvier 28, le « Chancelier de fer » scelle l’unification par la proclamation de l’Empire allemand rien de moins que dans la galerie des Glaces du château de Versailles. Le XNUMX janvier, l'armistice est signé[Iii]. La France perd les provinces d'Alsace et de Lorraine, en plus de devoir payer de lourdes réparations de guerre aux vainqueurs. En février, les élections pour une nouvelle Assemblée nationale ont donné la majorité aux factions monarchistes. Le 17 février, l'instance connue sous le nom d'« assemblée rurale » nomme Louis Adolphe Thiers président provisoire.

La guerre a précipité la révolution. La capitulation humiliante devant la Prusse a exacerbé le mécontentement à Paris. La Garde nationale, milice populaire chargée de défendre la capitale pendant la guerre, arrive sur les lieux. Elle comptait environ 300 XNUMX hommes armés, pour la plupart ouvriers, artisans et secteurs en ruine de la petite bourgeoisie.

Début mars, les bataillons ont élu un Comité central de la Fédération de la Garde nationale. De nouveaux statuts furent adoptés, stipulant « […] le droit absolu de la Garde nationale d’élire ses dirigeants et de les révoquer dès qu’ils perdent la confiance de leurs électeurs ». Ce corps démocratiquement structuré prend en charge l'organisation de la défense de Paris face à la désertion de la bourgeoisie française, à l'entrée de l'armée prussienne et au grave danger d'une restauration monarchique.

Après l'accord avec les Prussiens, la priorité de Thiers devient la liquidation de la Garde nationale. Il essaya de le disperser, de le réduire, de supprimer ses salaires et surtout de le désarmer. Le principal obstacle à l'objectif de la bourgeoisie de faire payer aux travailleurs le coût de la crise – et les réparations de guerre – était la dualité du pouvoir dans le capital. Ainsi, entre les 17 et 18 mars 1871, le gouvernement républicain tente de confisquer 271 canons et 146 mitrailleuses que la Garde avait placés sur la butte Montmartre. Cependant, le prolétariat, dirigé par les comités de femmes, arrêtait les troupes régulières. Les femmes ont convoqué la foule. Le peuple entourait les soldats envoyés par Thiers et les exhortait à désobéir aux ordres de leurs supérieurs. Ceux-ci non seulement fraternisent avec les Parisiens, mais exécutent les généraux Lecomte et Clément-Thomas. L'insurrection et la guerre civile commencent. Le Comité central occupe les centres stratégiques de la ville et est installé dans l'Hôtel de Ville, jusqu'alors siège du gouvernement. Thiers et son cabinet s'enfuient à Versailles, où l'Assemblée rurale était auparavant installée. Ainsi commença le premier gouvernement ouvrier de l’histoire.

La proclamation du 18 mars déclarait : « Les prolétaires de la capitale, au milieu des échecs et des trahisons des classes dirigeantes, ont compris que le moment était venu de sauver la situation en prenant la direction des affaires publiques. […] Il a compris que c'était son devoir impératif et son droit absolu de prendre en main son destin et d'assurer son triomphe en conquérant le pouvoir ». A quoi il a ajouté l’engagement de lutter pour « l’abolition une fois pour toutes du système d’esclavage salarié ».

La direction de la Garde nationale, empreinte de préjugés légalistes, n'a pas tardé à convoquer des élections municipales pour transférer le pouvoir.[Iv]. Le 28 mars, la Commune de Paris est officiellement installée[V].

Marx résume la composition et le caractère démocratique du nouveau pouvoir : « La Commune était composée de conseillers municipaux des différents districts […], choisis au suffrage de tous les citoyens, responsables et révocables à court terme. La majorité de ce corps était naturellement composée d'ouvriers ou de représentants reconnus de la classe ouvrière. Ce n’était pas un organe parlementaire, mais un organe de travail, à la fois exécutif et législatif. Les agents de police, au lieu d'être des agents du gouvernement central, devaient être des serviteurs de la Commune, devant, comme les fonctionnaires de tous les autres départements de l'administration, être choisis et toujours remplaçables par la Commune ; Tous les fonctionnaires, comme les membres de la Commune elle-même, devaient faire leur travail pour un salaire d’ouvrier. »[Vi].

En fait, le premier décret de la Commune fut d'abolir l'armée permanente et de la remplacer par l'organisation du peuple armé. En pratique, cela signifiait l’effondrement de l’État bourgeois. S'ensuivit une série de mesures qui, bien qu'on n'ait pas eu le temps de les mettre pleinement en œuvre, ne laissent aucun doute quant à leur signification de classe : suspension du paiement des loyers ; interdiction de vendre des biens mis en gage par les pauvres de Montepio ; confirmation en fonction de tous les élus étrangers, puisque « le drapeau de la Commune est le drapeau de la République universelle » ; séparation définitive entre l'Église et l'État, mise en œuvre par des décisions telles que la suspension de tous les paiements publics à des fins religieuses, la nationalisation des biens ecclésiastiques, la laïcisation de l'enseignement, la déclaration de la religion comme « affaire privée ». Le 12 avril, la Commune ordonne la démolition de la colonne de la place Vendôme – ordre qui ne sera exécuté que le 16 mai – car elle constitue un symbole du chauvinisme français. Le 16 avril, un moratoire de trois ans sur toutes les dettes et la suppression des intérêts ont été instaurés. Le même jour, la réquisition des usines abandonnées et leur réorganisation sous le contrôle des coopératives ouvrières sont approuvées. Le 20, le travail de nuit des boulangers est supprimé ; dix jours plus tard, tous les prêteurs sur gages étaient fermés. Le 25 avril, des maisons vides ont été confisquées pour loger des familles sans abri. Le 5 mai, le Chapelle Expiatoire, construit pour purger l'exécution de Louis XVI, est démoli. Le 11 mai, la maison de Thiers est démolie et ses biens confisqués.

Cependant, dans une ville assiégée, ces mesures pouvaient difficilement être mises en pratique. Début mai, l'armée régulière à Versailles était prête pour l'offensive finale. Thiers a conclu un autre accord avec Bismarck, qui a libéré quelque 60.000 XNUMX prisonniers français pour accroître les forces de la contre-révolution. Marx dénonçait que « l'armée conquérante et l'armée vaincue fraternisent dans le massacre commun du prolétariat […] La domination de classe n'est plus capable de se déguiser sous un uniforme national ; les gouvernements nationaux sont un contre le prolétariat ![Vii] ».

Depuis avril, les Versaillais encerclaient Paris, la soumettant à des bombardements constants. Le 21 mai commença l’offensive finale pour mettre fin à la Commune. Toi roturiers Ils résistèrent courageusement, mais furent progressivement repoussés à l’est de la ville. La défaite est survenue le 28 mai. La « semaine sanglante », orgie d’atrocités commises par la bourgeoisie française « civilisée », s’est terminée par le meurtre d’environ 30.000 XNUMX Parisiens, dont beaucoup de femmes et d’enfants. Des mitrailleuses ont été utilisées pour accélérer les travaux. Les tas de cadavres, après avoir été exposés, ont été jetés dans des fosses communes. Le bain de sang a été suivi de persécutions, de déportations, de cinq années de loi martiale et de décennies de calomnies. La basilique de Sacré Coeur, actuellement une destination touristique recherchée, a été construite pour « expier les péchés » de roturiers.

Selon les mots d'Engels : « Ce n'est qu'après huit jours de combat que les derniers défenseurs de la Commune furent vaincus sur les hauteurs de Belleville et Ménilmontant, puis le meurtre d'hommes, de femmes et d'enfants non armés, qui se produisit pendant une semaine entière sur un plan progressiste. échelle , a atteint son échelle maximale. […] Le « mur des fédérés », au cimetière du Père-Lachaise, où a eu lieu le dernier massacre, demeure aujourd'hui comme un témoignage muet et éloquent de la sauvagerie dont la classe dirigeante est capable dès que le prolétariat ose pour vous lever, défendez vos droits »[Viii].

Le 17 avril, Marx écrivait à son ami le Dr Kugelmann : « Grâce à la Commune de Paris, la lutte de la classe ouvrière contre la classe capitaliste et contre l'État qui représente ses intérêts est entrée dans une nouvelle phase. Quelle que soit l’issue immédiate, cette fois-ci, un nouveau point de départ a été atteint, ce qui est important pour l’histoire du monde entier.»[Ix]. Cela nous aide à comprendre la férocité de la répression. La bourgeoisie avait besoin de liquider ce « point de départ » d’importance historique.

La transcendance de la Commune de Paris était qu'elle était une révolution contre l'État capitaliste : « C'est le véritable secret de la Commune : c'était essentiellement un gouvernement de la classe ouvrière, le produit de la lutte de la classe productrice contre la classe appropriatrice. , la forme politique en somme, la découverte pour réaliser l’émancipation économique du travail”[X]. Il s’agit de la première révolution moderne qui ne s’est pas contentée de simplement prendre le contrôle de l’appareil d’État et de l’utiliser à ses propres fins, mais qui l’a démoli, liquidant des institutions clés telles que l’armée, la police, le clergé et le système judiciaire. Cette action, que Marx qualifiait de « condition préalable à toute véritable révolution populaire sur le continent »[xi], représentait l’embryon d’un pouvoir prolétarien. Depuis, l’étude théorique de cette expérience est devenue indispensable pour les processus futurs.

La période historique dans laquelle s'est produite la Commune ne pouvait qu'anticiper des éléments des grandes crises du XXe siècle. La guerre franco-prussienne préfigurait le massacre déclenché en 1914 ; La Commune de Paris annonce la révolution prolétarienne qui triomphera pour la première fois en Russie en 1917.

Les dirigeants de la Commune, principalement blanquistes et Proudhoniens[xii], commettèrent de graves erreurs politiques, typiques de leurs doctrines respectives, comme de ne pas avoir marché contre Versailles avant que la contre-révolution ait pu réorganiser et encercler Paris ; s'étant limité à emprunter à la Banque de France au lieu de l'exproprier[xiii]; ou encore la mauvaise préparation militaire face à l'attaque imminente de Thiers. L'analyse de ces limites, expressions d'une condescendance excessive et d'une propension à l'arrêt après les premières conquêtes, fait partie d'un bilan historique qui s'est avéré extrêmement utile pour forger la direction bolchevique qui a conduit à la prise du pouvoir en 1917 et, bien sûr, continue jusqu'à aujourd'hui.

La Commune de Paris a malgré tout inauguré l’ère de « l’expropriation des expropriateurs ». Elle a ouvert un nouveau chapitre dans la tradition de l’internationalisme prolétarien en l’incorporant à sa cause ; 65 ans avant la révolution espagnole de 1936, se distingue la tradition des brigades ouvrières internationales, parmi lesquelles se distingue une brigade belge et une brigade franco-américaine. Versailles est connu pour avoir fait plus de 1.700 XNUMX prisonniers étrangers.

La cause de la Commune est la cause de la révolution sociale. La cause de tous les humiliés et offensés. Un drapeau de la nouvelle société sans exploitation ni oppression. Cela la rend immortelle. « Leurs martyrs, écrivait Marx, sont gravés dans le grand cœur de la classe ouvrière. Quant à leurs exterminateurs, l’histoire les a déjà enchaînés à cet éternel pilori, dont toutes les prières de leurs clercs ne serviront à rien pour les racheter. »[Xiv]. Vivez la Commune!

*Ronald Léon Nunez il est titulaire d'un doctorat en histoire de l'USP. Auteur, entre autres livres, de La guerre contre le Paraguay en débat (Sundermann). [https://amzn.to/48sUSvJ]

Traduction: Marcos Margarido

Version étendue de l'article initialement publié dans Supplément culturel du journal ABC Color. notes


[I] MARX, Carl. La guerre civile en France. São Paulo : Ed. Boitempo, p. 64.

[Ii] ENGELS, Friedrich. Introduction. Dans : MARX, Karl. UN guerre civile en France..., P 190.

[Iii] Le 26 février 1871, l'accord de paix préliminaire est signé. Le traité final fut signé à Francfort le 10 mai, quelques jours seulement avant l'écrasement de la Commune.

[Iv] La convocation des élections, selon Marx, fut une « erreur décisive » qui détourna le Comité central de l’organisation urgente d’une marche sur Versailles alors sans défense : « Puis, dans les mairies de Paris, ils purent échanger des paroles affables. de conciliation avec leurs conquérants très généreux, tandis qu'ils ruminaient dans leur cœur des projets solennels pour les exterminer au moment opportun. », MARX, Karl. La guerre civile en France…,P. 53.

[V] 86 représentants furent élus à la Commune, dont 25 ouvriers.

[Vi] MARX, Karl. UN guerre civile en France…, p. 172

[Vii] MARX, Karl. UN guerre civile en France…, p. 95-96

[Viii] ENGELS, Friedrich. Introduction…, p. 193.

[Ix] Lettre de Marx à Kugelmann, 17/04/1871 :https://www.marxists.org/espanol/m-e/cartas/m17-4-71.htm>.

[X] MARX, Carl. La guerre civile en France…, p. 59

[xi] Lettre de Marx à Kugelmann, 17/04/1871 :https://www.marxists.org/espanol/m-e/cartas/m17-4-71.htm>

[xii] Engels écrivait : « Il est clair que les Proudhoniens étaient les principaux responsables des décrets économiques de la Commune, tant pour leurs aspects louables que condamnables, tout comme les Blanquistes étaient principalement responsables de leurs actions et omissions politiques. » ENGELS, Friedrich. Introduction…, P 194.

[xiii] La Commune, soucieuse de payer les troupes de la Garde nationale, reçut de la Banque de France la somme de 20.240.000 9.400.000 XNUMX francs d'avances, dont XNUMX XNUMX XNUMX francs appartenaient à la ville de Paris. La banque, située sur le territoire contrôlé par roturiers, entretenait d’immenses réserves d’argent, d’obligations, de bijoux et de lingots d’or. Versailles, à son tour, reçut 257.637.000 XNUMX XNUMX francs, ressources destinées directement à payer la répression de la Commune.

[Xiv] MARX, Karl. UN guerre civile en France..., P 79.

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