Par RODOLPHO VENTURINI*
Il est possible de concevoir une expression distincte de l'autoritarisme qui fonctionne en dispersant et en multipliant les instances dans lesquelles la « forme autoritaire » se manifeste.
j'ai publié un article sur le site la terre est ronde dans lequel j'ai fait la suggestion que le sens du gouvernement Bolsonaro pourrait être capturé à partir de l'idée d '«autoritarisme micropolitique». Avec ce terme, je voulais pointer le fait qu'il est possible qu'il y ait une forme autoritaire de gestion de la vie sociale, une forme autoritaire d'exercice du pouvoir politique, qui ne passe pas forcément, comme on l'imagine habituellement lorsqu'il s'agit de « autoritarisme », par la simple concentration du pouvoir. Au contraire, il est possible de concevoir une expression distincte de l'autoritarisme qui fonctionne en dispersant et en multipliant les instances dans lesquelles la « forme autoritaire » se manifeste.
La formulation de cette hypothèse avait pour principal objectif de suggérer que la concentration du pouvoir par Bolsonaro, notamment en ce qui concerne la police et les forces armées, ne serait pas la seule et peut-être pas la principale menace représentée par son mode opératoire. Si cette concentration autoritaire est toujours un risque, à l'inverse, la dispersion autoritaire est aussi un risque. Cette dispersion s'opère, très clairement, par exemple, par l'accroissement de l'autonomie des formes de police, par la multiplication des milices et par l'organisation de mouvements de vigilance et de justice. C'est-à-dire que la dispersion autoritaire apparaîtrait comme un processus de multiplication et de prolifération d'organisations qui agissent ou commencent à agir systématiquement de manière autoritaire et violente à un niveau micro, une sorte d'autoritarisme "niveau de la rue ».
Je voudrais revenir sur cette hypothèse d'autoritarisme micropolitique pour faire quelques observations. Premièrement, je précise que je pars du postulat que, pour comprendre le bolsonarisme comme modèle autoritaire, il est indispensable de prendre en compte les expériences historiques du fascisme et du nazisme. Cependant, il me semble qu'avant d'essayer de savoir si l'autoritarisme d'aujourd'hui relève bien du concept général de « fascisme », s'il peut être classé comme une forme ou une dérivation du fascisme, il semble plus intéressant de recourir à cette comparaison pour essayer de comprendre ce qui, en fait, différencie ces formes, de sorte qu'il est possible de saisir les traits spécifiques de la forme actuelle. Et il en va de même pour la réflexion sur sa relation avec l'expérience historique brésilienne. Lorsque l'on prend en compte la relation entre le bolsonarisme et la dictature militaire, même s'il existe un lien évident, il est plus important de comprendre en quoi le bolsonarisme diffère en tant que modèle spécifique de vie nationale endommagée que de simplement affirmer qu'il s'agit d'un vestige idéologique de modèles anciens autoritaires.
Deuxièmement, ce que j'appelle l'autoritarisme micropolitique ne doit pas être confondu avec l'autoritarisme social caractéristique de la société brésilienne, la personnalité autoritaire nationale. Que cette société ait de forts traits autoritaires ne semble pas remis en cause. La question, en fait, est de comprendre les raisons pour lesquelles cet autoritarisme social trouve un mode d'expression politique particulier, et pas un autre, à un moment donné. Autrement dit, avec l'hypothèse d'un autoritarisme micropolitique, il ne s'agit pas de réaffirmer la thèse que la société brésilienne est historiquement autoritaire, mais de poser l'hypothèse qu'actuellement, cet autoritarisme social semble trouver une forme particulière d'expression politique. Selon cette hypothèse, l'autoritarisme social qui caractérise aujourd'hui la société brésilienne trouverait son expression dans une forme politique que j'appelle autoritarisme micropolitique.
Il est certainement possible d'affirmer que les processus de dispersion de la forme autoritaire et de concentration du pouvoir dans un noyau centralisé peuvent être considérés comme un seul et même processus. Les séparer complètement n'aurait pas de sens. Il existe une rétroaction entre la dispersion des instances d'administration sociale violente et la concentration du pouvoir politique par un noyau centralisé. Il ne fait aucun doute que les régimes nazi et fasciste sont nés et se sont renforcés précisément à cause de cette rétroaction. Dans ces régimes, il semble pourtant légitime d'affirmer que les processus de dispersion sont captés par les processus de concentration, de sorte que le sens ultime du processus dans son ensemble est donné par le noyau qui dirige le pouvoir politique, une logique générale de centralisation dans cette concentration est comme l'équilibre général. Cette direction de la flèche est évidente quand on regarde le processus de formalisation et d'incorporation des groupes paramilitaires armés dans le corps de l'État. Le SS est un cas paradigmatique. De garde personnelle d'un chef de parti, la SS est devenue peut-être l'organisation la plus importante de l'administration nazie lorsqu'elle a été incorporée à l'État et est devenue l'organe officiel responsable de la gestion violente de la vie sociale. Autant les choses sont trop ambiguës, autant le mouvement actuel au Brésil semble être le contraire. La flèche semble aller dans la direction opposée. On assiste à un processus de détachement des institutions de gestion violentes, qui commencent à s'articuler avec des organisations non étatiques et même à se financer par des moyens « alternatifs ».
Avant la nationalisation caractéristique des régimes dits totalitaires, ce qui semble se produire ici est une accélération du processus d'autonomisation des organes de contrôle social qui agissaient auparavant au nom de l'État. Un processus de décomposition et de démantèlement qui est à l'opposé de la composition et de la construction modernisatrice du Troisième Reich. En résumé, on peut dire qu'au Brésil, avant la politisation des milices et des factions, comme ce fut le cas avec les SS, nous avons une milice et une factionnalisation de la police. Après tout, cette distinction est peut-être, en fait, subtile et ambiguë, mais je suggère que son sens mérite peut-être d'être exploré si nous voulons comprendre la forme unique de gestion sociale dont le modèle bolsonariste semble être l'expression. Il s'agit en définitive d'un phénomène de « déstatisation » naissante de l'administration de la violence, d'un processus de dissolution du supposé monopole de l'usage légitime de la force et de relégitimation de la violence privée. Après la redémocratisation, nous avons une démocratisation de la violence et une participation à la gestion violente de la vie. La multiplication des copropriétés fermées et des sociétés de sécurité privées était déjà le premier moment de ce processus de déconstruction.
Le bolsonarisme et le gouvernement Bolsonaro ne sont certes pas à l'origine de la dispersion autoritaire, mais ils opèrent selon leur logique et comme des accélérateurs de ce processus, sans doute lié au déclin de la légitimité étatique et à la lutte pour les biens rares dans un contexte de crise. Dans un tel contexte, nous avons une multiplication et une intensification des conflits sociaux à un niveau micro. ajouté à l'affaiblissement d'une médiation institutionnelle qui permettrait une résolution non violente de ces mêmes conflits. Sans cette médiation, la force et la violence remplissent cette fonction. Autrement dit, ce que je suggère, c'est que l'autoritarisme micropolitique est une réponse à un processus de décomposition économique et institutionnelle. C'est une forme d'autogestion de la vie sociale pour un temps où la gestion n'est pas possible.
Pour essayer de le dire peut-être trop directement, il n'y a pas d'argent au Brésil pour construire un appareil de contrôle centralisé à l'image de l'image que l'on se fait des régimes totalitaires. Si quelque chose comme une forme de totalitarisme périphérique émerge du bolsonarisme, ce « totalitarisme » ne pourra être soutenu que par une démocratisation de la violence, une dispersion des mécanismes violents de gestion sociale qui constituera un archipel très mal connecté d'organisations et de groupes opérant à grande échelle .mesurés indépendamment les uns des autres, selon leurs propres intérêts, et non dirigés par la volonté d'un noyau central qui serait le visage et le cerveau de la direction tandis que ces groupes en seraient les armes. De même que la gestion sociale pacifique a quitté les mains de l'État pour être prise en charge par une infinité d'organisations indépendantes, ONG, associations de quartier, etc. Ce que l'on voit dans un régime d'autoritarisme micropolitique, c'est pourtant ce même processus, désormais face à la gestion violente du social. L'essentiel, cependant, est que tout indique que ce phénomène transcende le gouvernement actuel, qu'il veuille ou non faire un coup d'État, qu'il veuille être réélu ou non.
*Rodolphe Venturini est doctorante en philosophie à l'UFMG.
notes
Cela s'explique peut-être fondamentalement par le fait que de tels régimes sont guidés par un projet de construction nationale et étatique, un projet de modernisation porté par une économie favorable.
Au point que de tels conflits ne semblent pas pouvoir s'exprimer aujourd'hui à un niveau macro.
Et peut-être que l'effondrement financier des UPP est révélateur de ce fait.
La soi-disant « guerre hybride » n'est pas une tactique centralisée, mais une hypothèse lâche qui vise à mettre de l'ordre dans un processus qui est en réalité chaotique. La « guerre hybride » brésilienne est une « guerre civile » pour des ressources rares dans laquelle plusieurs acteurs s'arrogent la tâche de « mettre de l'ordre » dans les choses de manière autoritaire et violente.