Par RÉMY J. FONTANA*
Retracer le nazisme à partir de l'autobiographie de Stefan Zweig et ses résonances au Brésil aujourd'hui
Stefan Zweig, l'un des écrivains les plus importants (biographe, essayiste, romancier, librettiste, dramaturge, scénariste) de la première moitié du XXe siècle, fut un observateur privilégié et l'une des nombreuses victimes des terribles événements de l'époque : deux guerres mondiales, pandémie, crise économique de 29, montée du nazi-fascisme, exils, parmi tant d'événements malheureux. La description exquise de ce dont il a été témoin, à travers une expérience directe de ces horreurs, constitue un ensemble de connaissances, et d'alertes, qui se prêtent à conférer, par analogies et approximations, intelligibilité et pertinence aux processus régressifs et perturbateurs en cours, y compris et malheureusement dans notre pays.
Le Brésil, pays du futur
Plus connu, ou simplement connu de beaucoup comme l'auteur de l'expression « Brésil, pays du futur », titre de son livre de 1941, que pour l'ensemble de son œuvre littéraire remarquable, ou pour le fait qu'il s'est exilé en Brésil, où il a tragiquement mis fin à ses jours, avec sa femme Lotte, en 1942, lorsqu'il a vécu pendant 5 mois à Petrópolis[I]. Au demeurant, l'expression précitée est si répandue, elle a pénétré si profondément dans la conscience collective des générations, se prêtant à des interprétations variées, depuis le sens originel que l'auteur lui prêtait, comme promesse d'un avenir radieux pour le pays jusqu'à, pendant des décennies, il a prévalu une compréhension sceptique, quelque peu désespérément cynique ou ironique d'un avenir peu prometteur qui n'arrive jamais réellement. Elle ne parvient jamais à surmonter ses structures archaïques, ses failles ancestrales, ses blessures sociales, son statut répété d'avant-garde du retard. Dans la synthèse inversée de Millôr, le pays a encore un immense passé devant lui.
Ses écrits sur le Brésil ont suscité une intense controverse, ont reçu de vives critiques pour avoir dépeint le pays d'une manière quelque peu vantarde, une circonstance aggravée par la validité de l'Estado Novo, qui a semblé à certains recevoir de l'auteur, avec cet ouvrage, une approbation tacite. Sous la censure, comme cela arrive souvent dans les situations autoritaires, il y a quelque chose comme une couverture et une fusion entre les notions de pays, d'État, de régime et de gouvernement dans la perception de beaucoup, ce qui implique que parler bien ou mal d'une de ces instances finit par se répercuter dans d'autres.
Cependant, l'enthousiasme de Zweig pour le Brésil est antérieur à l'Estado Novo, car il avait traversé le pays en 1936, lors d'un séjour de 12 jours entre Rio, São Paulo et Santos, en route pour Buenos Aires, où il se rendait, en tant que invité, pour participer au Congrès du PEN Club International. En fait, il était enchanté des deux pays, plus encore du Brésil il est vrai, soit à cause de l'accueil chaleureux de ses interlocuteurs, soit à cause des facilités de rencontres avec des intellectuels et des écrivains, soit à cause de ce qu'il pouvait voir de ces pays de le « nouveau monde », surtout pour le contraste de la paix qui régnait en eux à ce moment-là, avec le roulement des tambours de guerre que l'on pouvait entendre dans leur Europe.
D'autre part, il est déraisonnable d'imaginer qu'un auteur aussi sophistiqué, d'une telle projection internationale, avec une œuvre vaste et reconnue ait eu besoin de flatter un dictateur en poste dans un pays périphérique, écrivant de temps en temps un pamphlet, au nom de qui sait quoi, compromettant sa réputation. Il est plus raisonnable de supposer que, quels que soient les mérites ou les défauts contenus dans le livre, cela n'a à voir qu'avec son enthousiasme légitime pour le Brésil, avec l'impact qu'il lui a causé, soit en raison de ses propres caractéristiques, soit en opposition à sa vieille Europe, dans un moment particulièrement triste, la montée des nazis et le déclenchement de la guerre.
Venu de New York en route vers l'Amérique du Sud, ce voyage permettra aussi à l'écrivain d'élargir sa vision du monde, de sa dynamique, de son histoire, de son devenir. Il se rend compte, et il esquisse ici une critique de l'eurocentrisme si endurci par les habitants de l'ancien monde, qu'ils devraient «ne plus penser uniquement aux dimensions de l'Europe, mais aussi au reste du monde - ne plus s'enterrer dans un passé mourant, mais participer à sa renaissance”. Le Brésil lui apparaissait comme l'un des lieu privilégié, où « (…) l'homme n'était pas séparé de l'homme par des théories absurdes du sang et de l'origine, là on pouvait encore… vivre en paix, il y avait de la place pour l'avenir dans une abondance incommensurable… ».
C'est un fait que dans son livre sur le Brésil cette fascination semble parfois glisser dans le simplisme, dans une légère appréhension des racines historiques et des contradictions sociales qui prévalent ici, mais dans la préface l'auteur ne manque pas d'émettre des réserves, pointant des lacunes dans recherche et besoin d'une plus grande expérience pour dresser un portrait plus pertinent de ce qu'il a vu et compris du pays. Il écrit, "Il ne m'est pas possible de passer des conclusions définitives, des prédictions et des prophéties sur l'avenir économique, financier et politique du Brésil", entre autres réparations et mises en garde.
Le sérieux et la cohérence de ses écrits sont également attestés dans un passage de son autobiographie, qui apparaît plutôt comme une indication de sa méthode : « Toute prolixité, toute indulgence, tout ce qui est vaguement élogieux (sic), indéfini, peu clair, tout ce qui retarde superflu dans un roman, une biographie, un débat intellectuel, m'irrite. Seul un livre dont chaque page maintient le rythme et ravit le lecteur jusqu'à ce que la dernière page me procure un délice complet. (...). Nécessairement [cette attitude] J'ai dû passer de la lecture des œuvres des autres à l'écriture de la mienne, en m'éduquant avec un soin particulier ».
La critique du livre a fini par atténuer le fait de la large diffusion du pays qu'il a promu, car il a été traduit dans près de 10 langues simultanément. Et, pour l'auteur, attristé par l'accueil critique négatif, un élément de plus pour approfondir sa dépression. Bien qu'il soit impossible d'estimer à quel point cela l'a affecté, il est plausible de supposer que cela a contribué à son suicide six mois plus tard.
La relative méconnaissance de l'œuvre de Zweig parmi nous a été atténuée, notamment par l'engagement d'Alberto Dines, qui a coordonné la publication de près d'une douzaine de titres de l'auteur à Zahar, et par son dévouement en tant que fondateur et président de Casa Stefan Zweig, inauguré en 2012 à Petrópolis, dans le but d'honorer et de préserver la mémoire de l'écrivain autrichien. Selon Dines, écrivant en 2014, il y avait un « (…) Renouveau, véritable 'zweigmania' mondiale (…) », qu'il considère moins comme une réhabilitation que comme un culte mondain, comme s'il réduisait l'auteur à un personnage de ses propres romans, que de le considérer dans certains de ses attributs essentiels.
Quiconque connaît un tant soit peu sa trajectoire sait que ce qui lui manquait le moins, ce sont des attributs, notables, et des tribulations, dramatiques. Tous deux sont bien documentés et commentés dans diverses publications et, en particulier sur leurs adversités, afflictions et tourments, dans leur autobiographie, objet de quelques considérations ci-dessous.
Zweig et Maraï
Permettez-moi d'abord de faire un petit parallèle, en raison de certaines similitudes intrigantes entre l'Autrichien Stefan Zweig (1881-1942) et le Hongrois Sándor Márai (1900-1989). Tous deux écrivains d'une œuvre abondante, sujets de l'Empire austro-hongrois, qu'ils ont vu disparaître en 1918 à la suite de la défaite de la Première Guerre.
Dans l'entre-deux-guerres, Zweig était déjà devenu un écrivain à succès dans toute l'Europe, l'un des plus lus et traduits en plusieurs langues, dont le russe, dont l'édition complète de ses œuvres avait une préface de Máximo Górki. Depuis 1930, Zweig a fait publier des ouvrages au Brésil et des lecteurs jusqu'à la décennie suivante; submergé pendant un certain temps, relancé à partir des années 1980.
Sándor Márai, deux décennies plus jeune, écrivait principalement dans sa propre langue, ce qui rendait sa diffusion plus difficile, n'étant « redécouvert » qu'en Occident, avec des éditions en anglais et en français dans les années 1990 ; sa première œuvre sortie au Brésil, Les braises, est une édition de 1999 de Companhia das Letras (une précieuse recommandation que m'a donnée Fábio Konder Comparato, en 2004). D'une douzaine de titres publiés par Cia. das Letras, il convient de souligner la surprenante Verdict à Canudos, une description remarquable de l'épisode, par un auteur qui n'était jamais allé au Brésil, mais qui était fasciné par la lecture des « Sertões » en version anglaise '' (...) il s'est approprié l'essentiel afin de faire une coupe sur le sens profond de la communauté de Canudos », comme l'a observé Milton Hatoum, dans le pli de couverture de l'édition 2001. Ou comme le dit Márai lui-même, «Un jour, j'ai commencé à écrire sur ce que je croyais avoir été laissé 'en dehors' du livre d'Euclide da Cunha – cela avait été omis, mais 'ça aurait aussi pu être comme ça' ».
Deux des auteurs les plus importants de la première moitié du XXe siècle ; vécu deux guerres, exilés, à moitié oubliés, sauvés et finalement massacrés par une angoisse éternelle, se sont suicidés. Compte tenu de ces trajectoires, il est quelque peu surprenant qu'un auteur comme Zweig, si proche de ses pairs à cette époque, n'ait pas eu de contact avec Márai ; c'est ce que l'on peut déduire de son autobiographie, dans laquelle il n'est fait aucune mention du hongrois.
Mais revenons à Stefan Zweig. La circonstance d'avoir lu certains de ses ouvrages ces dernières années, apprécié son style épuré, la finesse de ses recherches, la perspicacité de ses observations et la profondeur avec laquelle il capte et dessine le profil psychologique des personnages, d'une part, et d'autre part la redécouverte de son œuvre, étaient des stimuli plus que suffisants pour apprendre de lui-même quelque chose sur l'auteur.
Si la motivation de revoir son autobiographie tenait, outre la fascination pour son écriture et sa trajectoire, à son récit des périodes de crise sociale, d'éclatements guerriers, de tensions et de conflits de société, dont les matrices structurelles, la typification des acteurs, ses moyens d'action et de conséquences dramatiques, que ce soit dans le sort des peuples, dans la dégradation des institutions ou dans la ruine des nations, suggèrent de sinistres similitudes avec notre époque et, singulièrement en ce qui concerne la chorégraphie fasciste, avec notre propre pays dans son moment bolsonariste.
Humaniste, cosmopolite, pacifiste
Dans la vie et l'œuvre de Stefan Zweig sont inextricablement liés des situations aussi extrêmes, aussi dramatiques que deux guerres, l'exil dans plusieurs pays, le bannissement de lui-même et de ses livres ; un érudit qui avait pour amis et interlocuteurs une pléthore de personnalités les plus expressives dans le domaine des arts, de la littérature et de la musique, en particulier[Ii].
Humaniste, pacifiste, européiste, Zweig croyait au pouvoir des idées, à la création artistique, notamment littéraire, au raffinement culturel comme moyen privilégié d'entente entre les peuples, de réconciliation entre les nations[Iii], à une époque où l'intolérance, la xénophobie et le nationalisme extrême étaient sur le point de se projeter au centre du pouvoir de certaines nations, les conduisant, et avec elles toutes les autres, à l'hécatombe des guerres mondiales.
Cette orientation morale basée sur l'esthétique ne l'a pas conduit à un plus grand engagement politique, bien qu'il ait vécu et subi directement et dramatiquement les impacts de l'exacerbation des conflits qui se sont produits. Cette posture, évitant tout militantisme dénonçant la barbarie qui se répandait, étant déjà une figure de proue du monde des lettres et dont la voix pouvait amplifier celle de tant d'autres dans la résistance au bellicisme et au nazisme, était réclamée de temps à autre.
Même en évitant de prendre directement parti ou de faire des déclarations sans équivoque contre la barbarie (ce qui a particulièrement choqué son ami de décennies Romain Rolland), il n'a pas manqué de la décrire dans toute sa misère, sa truculence et ses aberrations. Alors qu'il était encore en Autriche et dans ses pérégrinations en Europe à la veille du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, il s'efforça néanmoins d'exorciser ces menaces avec la délicatesse d'un lettré averti, estimant que la valeur morale d'une culture raffinée et humaniste suffirait , ou du moins il pourrait contenir les aspects les plus effrayants de ce qui allait arriver. Une crédulité incohérente et des attentes illusoires telles qu'elles étaient, péniblement et désespérément, réalisant.
Son attitude humaniste-pacifiste, articulée autour d'un caractère presque sacré de l'art et de la littérature, que face à une telle réalité on pourrait peut-être qualifier de « morale des premiers secours », s'est donc révélée insuffisante. Il a répondu à ces demandes et à la réalité à laquelle elles se référaient, avec une angoisse croissante, un désespoir et une dépression qui l'ont finalement conduit à mettre fin à ses jours.
En tout cas, bien que son pacifisme ne se traduise pas par une action proprement politique, il s'attache à le promouvoir dans le cadre de son métier. Dans certains ouvrages, notamment dans son autobiographie, il décrit avec beaucoup d'emphase les contextes belliqueux qui se dessinaient, pointant du doigt les hésitations diplomatiques, l'incohérence et l'inertie des gouvernants, la cruauté et le cynisme des fabricants de munitions, l'inattention ou la perplexité du peuple commun. Il décrit aussi, à partir de ce qu'il observe avec un malaise grandissant, les premières escarmouches des gangs nazis, à leur naissance à Munich, comment ils ont agi avec aisance face à la condescendance incrédule de tant de personnes qui n'identifiaient pas un danger immédiat, ou voire un risque pour la démocratie. , ou encore plus une menace mortelle pour la civilisation elle-même.
Elle s'appuie sur ce qu'il rapporte sur le contexte d'émergence des nazis, sur la façon dont ils définissaient les contours de leur nature, leur origine, composaient leur identité en tant que personnalité, groupe, leadership et mouvement, et d'autre part, sur la façon dont ils ont été vus, avec indifférence, avec une sympathie qui soutient presque certains, ou avec des peurs et des peurs presque sans résistance de la part des autres, c'est que nous apprenons à connaître et à comprendre le phénomène qui allait bientôt anéantir la démocratie, détruire raisonner, se moquer des valeurs civilisatrices, déclencher la guerre.
Nazisme et bolsonarisme[Iv]: contextes et approches
Une précaution/réserve élémentaire lorsqu'on entreprend une comparaison d'époques, de contextes culturels, de régimes politiques différents, d'échelles d'événements, est une démarche de prudence élémentaire. Mais en prenant ces précautions, il est possible d'établir des similitudes de processus, des comportements typiques des acteurs concernés, des impacts sur les destins personnels ou sur les sociétés et les pays.
En ce sens, je propose une sorte de scénario pour rendre compte du contexte d'émergence, des pratiques et des processus qui ont façonné et configuré le fascisme, à savoir sa version allemande, le nazisme, tels qu'ils apparaissent dans ce livre de mémoires de Zweig. Au moyen d'indications et d'indicateurs caractérisant le phénomène, des citations de l'auteur sont liées, laissant au lecteur le soin de faire des approximations possibles avec les événements, faits, actions et événements qui colorent de plus en plus le paysage sociopolitique de la contemporanéité de notre pays, depuis la première moitié des années 2010, avec une incidence particulière et brutale depuis le processus électoral qui a conduit Bolsonaro au gouvernement fédéral.
Deux moments, deux pays, deux régimes et autres différences n'invalident ni n'atténuent la perception que dans le plan historique à long terme, nous sommes face à des mouvements qui circonscrivent le destin des peuples du sceau de la tragédie. Au centre de l'Europe nazie, avec une situation entièrement configurée qui se déroule en guerre totale; ici, à l'heure où il y a encore des tentatives, des avancées graduelles, des expérimentations et des répétitions quelque peu désordonnées, mais qui s'inquiètent toujours de leurs possibles effets de désagrégation et de leurs conséquences désastreuses, que ce soit au niveau du régime politique, ou en termes de politique, de culture l'action et bien d'autres qui embrassent la vie en société.
Il y a donc, ici parmi nous et ailleurs, quelque chose comme une mise à jour de ces processus d'autoritarisme, respectant les mises en garde précitées concernant le contexte, l'échelle et les régimes politiques.
Comme on le sait, le fascisme est antérieur au nazisme, bien qu'en tant que phénomène politique, surtout après la Seconde Guerre mondiale, on ait tendance à les associer pour désigner des idées, des mouvements, des partis, des dirigeants ou des régimes politiques totalitaires de droite. Si nous devions dater son émergence, du moins de manière explicite, comme le note Robert Paxton, le mouvement a commencé le dimanche matin 23 mars 1919, lors d'un rassemblement appelé par les partisans de Benito Mussolini à Milan, "pour déclarer la guerre au socialisme ”. ”.
Depuis lors, il a corrodé les démocraties et provoqué le chaos et la destruction sous différentes latitudes et réapparu ici et là, dans les pays avancés et arriérés, entremêlé de causes ou de dommages collatéraux des crises successives du capitalisme, jusqu'à ce que nous arrivions à nos jours avec le figures notoires du bouffon -mor, Trump, et de son adepte caricaturé et grossier, mais non moins nuisible, Bolsonaro, entre autres amenés par la marée montante mondiale de l'extrême droite.
Il est vrai que ces chiffres déplorables appartiennent à cette sinistre tradition autoritaire, mais cela ne nous dispense pas d'élaborer une analyse plus précise pour les dévoiler dans leurs particularités, actualisant, nuancé et précisant d'éventuelles analogies avec la matrice du phénomène. C'est une tâche de grande envergure qui ne peut être entreprise ici.
Dans le cadre de ces considérations, je ne peux, à partir du texte de Zweig, faire qu'un aperçu de l'atmosphère, des contextes et des traits qui ont façonné le nazisme originel, et comment nous pouvons explorer des similitudes formelles, mais aussi des équivalences réelles et des résonances socio-historiques avec et de notre situation préoccupante ces dernières années.
Nazisme/fascisme – éléments caractéristiques
Les chercheurs sont prodigues dans la liste des caractéristiques du fascisme nazi, mais il existe des traits consensuels, tels que ceux qui suivent, recueillis directement et textuellement dans le livre de Zweig. Pour chaque élément d'identification que j'énumère, avec de brèves descriptions, les citations correspondantes suivent :
1 – Incrédulité et mépris face à l'émergence du phénomène
La plupart, hommes politiques, journalistes et intellectuels des pays où le fascisme nazi est devenu une dure réalité, ont hésité à reconnaître ses signes, résisté à lui donner de l'importance ou du pouvoir politique, se fiant à l'expressivité de sa culture et de ses traditions, à la solidité des institutions, à la la capacité de dirigeants responsables de la nation, dont la population pense que sa liberté et ses droits garantis par la Constitution sont garantis.
C'est une loi incontournable de l'histoire qu'elle interdit aux contemporains d'identifier immédiatement les grands mouvements qui déterminent leur époque.
[Face à la résurgence d'Hitler, quelques années après l'échec putsch de 1923, au milieu d'une vague ascendante d'insatisfaction],
(…) on ne s'est toujours pas rendu compte du danger. Les quelques écrivains qui ont réellement pris la peine de lire le livre d'Hitler se sont moqués du style pompeux de sa prose plutôt que de s'occuper de son programme.
Au lieu d'avertir, les grands journaux démocrates rassuraient chaque jour leurs lecteurs en disant que ce mouvement, qui n'a en réalité financé qu'à grand effort son énorme agitation avec les ressources de l'industrie lourde et des dettes audacieuses, s'effondrerait inévitablement demain ou après-demain. .
(...) Je dois avouer qu'en 1933 et encore en 1934, nous, en Allemagne et en Autriche, ne croyions pas un centième ou un millième à la possibilité de ce qui éclaterait quelques semaines plus tard.
A la veille de l'invasion de l'Autriche par Hitler, Zweig, déjà exilé à Londres, rend une dernière fois visite à sa mère à Vienne. Lorsqu'il évoque son inquiétude à ses amis face à une telle imminence, ils se moquent de lui.
Mais tous ceux à qui j'ai parlé à Vienne étaient vraiment indifférents. Ils s'invitaient à des réunions en smoking ou en queue de pie (sans imaginer qu'ils allaient bientôt revêtir des uniformes de détenus des camps de concentration)...
2 – Rapports de classe et politiciens disqualifiés. L'ascension sociale des masses est perçue comme une menace. La petite bourgeoisie rancunière.
Les dirigeants fascistes sont des enveloppes du bas clergé politique, que les bourgeois cultivés ne laissent entrer dans leur salon que lorsqu'ils en ont besoin pour écraser les socialistes, ont tendance à être des ordures de la classe moyenne inférieure, mentalement instables et avec des casiers judiciaires. Sa plus grande motivation et son objectif est d'éliminer la gauche.
L'industrie lourde est débarrassée de sa peur des bolcheviks et voit en Hitler l'homme au pouvoir qu'elle a secrètement financé ; et en même temps toute la petite bourgeoisie appauvrie, à qui il avait promis (…) la « rupture de la servitude d'intérêt », poussait un soupir de soulagement et d'enthousiasme.
Leader habile et populiste, (…) il s'est approprié ce mécontentement et cette inquiétude. (...), entraîné avec lui toute la petite bourgeoisie et la classe moyenne insatisfaite, dont l'envie des riches était bien moindre que la peur de passer de la bourgeoisie au prolétariat. C'était exactement la même couche effrayante qu'Adolf Hitler a ensuite rassemblée autour de lui.
3 – Le poison de la haine et la volonté d'anéantissement
« La haine d'un pays à l'autre, d'un peuple à l'autre, d'une table à l'autre ne nous assaillait pas encore tous les jours à la une des journaux, elle ne séparait pas encore les gens des gens (...) ; cette notion de troupeau, de simple masse, n'avait pas encore une si dégoûtante puissance dans la vie publique (...) ; la tolérance était encore vantée comme une force éthique et non, comme elle l'est aujourd'hui, méprisée comme une faiblesse ».
4 – Vulgarisation et brutalisation du politique
C'était un nouveau pouvoir qui voulait dominer (…), un pouvoir qui aimait et avait besoin de la violence et pour qui tous les idéaux que nous suivions et vivions – la paix, l'humanité, la conciliation – étaient des faiblesses démodées.
5 – Identification des ennemis. Le bouc émissaire comme cause unificatrice
Les masses sont mobilisées dans une frénésie patriotique pour éliminer les menaces ou perçues comme telles : minorités ethniques, raciales, communistes, marxistes, socialistes, etc.
Après quelques avancées et positions conquises par les nazis :
(...) la brutalité n'avait plus besoin de déguisements moraux ; ne servaient plus de prétextes hypocrites comme l'extermination politique des « marxistes (…) ».
- Naturalisation des monstruosités et des barbaries. Une grande partie de la population accepte « les choses telles qu'elles sont ». "Méthode »
(...) dans toute sa technique de tromperie sans scrupules, il a évité de dévoiler toute la radicalité de ses objectifs avant d'habituer le monde. (…) sa méthode : une dose à la fois et après chaque dose une pause. Toujours un seul comprimé et puis attendre un peu pour vérifier si ce n'était pas trop fort, si la conscience du monde tolérait cette dose.
7 – Perplexité face aux déboires
(…) combien ils savaient peu que la vie peut être excès et tension, une surprise continue et hors de tous paramètres ; Combien peu, dans leur touchant libéralisme et leur optimisme, imaginaient-ils que chaque jour qui se lève devant la fenêtre pourrait détruire nos vies.
8 – Le mensonge, comme moyen de manipulation et de mobilisation des masses. Dans son pragmatisme émoussé, la vérité est ce qui lui sert à nourrir ses acolytes et à exciter la masse de ses partisans.
(…) depuis qu'Hitler a fait du mensonge naturel et de l'anti-humanisme une loi (…).
Le peuple se trompait tout le temps en disant qu'Hitler voulait seulement attirer des Allemands des territoires limitrophes de l'Allemagne, qui seraient alors satisfaits et, en reconnaissance, extirperaient le bolchevisme ; cet appât a fonctionné à merveille.
Dans plusieurs parties du livre, on trouve de nombreuses mentions qui caractérisent les nazis-fascistes, composant un panel d'horreurs, dont nous reconnaissons ici et maintenant les contours dans notre propre réalité :
– pratiquer une politique anti-politique, mettant l'accent sur l'unité de la nation plutôt que sur les distinctions de classe ; préjugés enracinés sur le débat idéologique; et course contre la raison ;
– un appel au patriotisme, dont le sens est mieux saisi par la « tirade canonique » de Samuel Johnson comme le dernier refuge des scélérats ;
– la suprématie militaire, y compris dans les fonctions civiles, indique une dictature militaire ;
– sexisme, machisme, homophobie ;
– religion et gouvernement entremêlés dans une rhétorique manipulatrice ;
– les intérêts des grands groupes économiques sauvegardés et promus ; droits et intérêts du monde du travail annulés, restreints ou dégradés ;
– mépris, intimidation et persécution du monde intellectuel et artistique, hostilité envers la science et l'université ;
– obsession du crime et du châtiment, avec une législation répressive abusive, atteinte aux libertés et aux droits civiques ;
– le clientélisme et la corruption rampante ;
– aux idées, il préfère les mythes ; ils ne pensent pas, ou s'ils le font, c'est moins avec le cerveau qu'avec le sang ou le foie ;
– se voient comme des croisés contre un vieil ordre déchu, qui veulent le régénérer, ou comme des créateurs d'un nouvel ordre plus pur ;
– brouiller la répartition des courants idéologiques, entendant brouiller les positions de gauche et de droite dans l'échiquier politique ;
– lancer une guerre culturelle contre la démocratie et les droits de l'homme ;
– lorsque l'agenda libéral peine à se mettre en place, le recours au fascisme apparaît comme la caractère générique, le joker, mais dans la séquence le carte obtenir juste le sauvage, la sauvagerie;
– contient un projet génocidaire.
Toute approximation de ces traits fascistes avec la situation brésilienne de ces dernières années est ici explicitement suggérée.
garder espoir
Même dans leurs nuits les plus sombres, ils n'ont pas rêvé à quel point l'homme peut devenir dangereux, ni à quelle force il dispose pour surmonter les dangers et surmonter les épreuves.
La prise de conscience que nous sommes dans cette situation difficile proto-fasciste ou para-fasciste, ou lorsque nous entrons dans le fascisme, devrait nous alerter sur ses possibles accroissements et, dans ce cas, sur une résistance militante, si notre engagement est envers la démocratie, les droits et civilisation.
Comme nous le rappelle Zweig, commentant les tentatives de Chamberlain de négocier avec Hitler pour éviter la guerre ; Je ne suis pas allé à Munich pour lutter pour la paix, mais pour la demander. Vos tentatives de apaisement et "essayez et réessayez" échoué lamentablement. Son message optimiste de quelques jours avant «Paix pour notre temps », s'éteignit dans les jours suivants par le triomphe du nouveau amoralité consciente et cynique des nazis.
Dans notre cas, nous n'avons d'autre alternative que celle contenue, en épigraphe, dans l'autobiographie de Zweig, tirée de Shakespeare, Cymbaline: « Il est urgent d'affronter le temps tel qu'il nous cherche ».
Cette citation pourrait être complétée par une autre, du même auteur, si l'on était plus déterminé à affronter l'ancien capitaine et la pléthore de mésaventures déjà suffisantes pour le priver d'un pouvoir qui souille éthiquement et légalement au quotidien : «Sofoule une morve au ciel clair sans tempête» [« Un ciel si sombre ne peut être éclairci que par un orage » (Shakespeare, Vie et mort du roi Jean).
*Rémy J. Fontana, sociologue, est professeur à la retraite à l'Université fédérale de Santa Catarina (UFSC).
Références
Stéphane Zweig, Autobiographie : Le Monde d'hier : Mémoires d'un Européen. Río : Zahar, 2014.
- Dîners, Stefan Zweig au pays du futur - la biographie d'un livre. Rivière : 2009.
- Dîne, Mort au paradis - La tragédie de Stefan Zweig.Rio : 1981.
Stéphane Zweig, Le Brésil, pays du futur. Rio : Editora Guanabara, 1941.
Sylvio Retour Nicolas Oneill, – Lost, les derniers jours de Stefan Zweig au Brésil. Visite bilingue. Rio : Imago, 2007.
Sylvio Backfilm Zweig perdu.
Editeurs de Zweig au Brésil depuis les années 1930, Ed. Guanabara, Delta (travaux complets), Nova Fronteira, Zahar.
notes
[I]Il a vécu au Brésil pendant 15 mois, du 21 août 1940 jusqu'à son suicide le 23 février 1942.
[Ii] Parmi les amis, interlocuteurs et relations avec une certaine proximité, on peut citer : Theodor Herzl, Paul Valéry, Rodin, Romain Rolland, Thomas Mann, James Joyce, S. Freud, Richard Strauss, A. Toscanini, Ravel, Bartók, M.Górki, Lunatcharski, Salvador Dalí, Bernard Shaw, HGWells, Rainer Maria Rilke, Hugo von Hofmannsthal, Arthur Schnitzler, B. Croce, Pirandello, Anatole France, Walther Rathenau, Conde Keyserling, A. Gide.
[Iii] Ce n'est pas par hasard qu'il constate que « l'art atteint généralement son apogée lorsqu'il devient un enjeu vital pour tout un peuple ».
[Iv] Juste pour la commodité de l'expression, nous pouvons nommer le « bolsonarisme » comme un courant politique ; elle est encore loin d'acquérir une densité suffisante pour le faire, encore moins pour recevoir l'empreinte d'un concept d'analyse politique. Dans les conditions actuelles, cependant, il n'est plus une expression diffuse des secteurs de la société, car il a déjà produit des résultats électoraux significatifs et atteint des positions de pouvoir. Alors que la tête du mouvement a peu de cohérence programmatique, d'énergie politique créative ou de rhétorique vibrante, sa vulgarité politique obtuse et son obscénité trouvent une résonance troublante. Si, malgré ces lacunes et ces incohérences, une telle figure et ce qu'elle représente continue de faire avancer son programme régressif, nous aurons en effet de sérieux problèmes devant nous. Ce qui est exposé dans mes commentaires, basés sur Zweig, est, d'une part, un pari de résistance efficace et réussi face à de telles possibilités, et d'autre part, comme en témoigne le texte, un avertissement clair que le pire rôde, s'appuyant sur l'inattention des uns et la passivité des autres, pour couvrir le processus politique d'horreurs et d'aberrations dont les contours se dessinent déjà clairement devant nous.