Sciences humaines : pour qui ?

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Par RAFAËL LOPES BATISTA & WEINY CÉSAR FREITAS PINTO*

Réflexions sur une critique (néo)libérale de l'université aujourd'hui

Dans l'édition du 22 juin 2020, le journal La Gazette du Peuple publié l'article Pourquoi les sciences humaines ont perdu leur prestige dans la société libérale et comment le regagner[I], de Jean Marcel Carvalho France. L'argument que l'auteur produit pour défendre sa thèse centrale - l'existence d'une crise entre les sciences humaines et la société libérale - nous semble assez fragile, d'un point de vue logique, et extrêmement partiel, d'un point de vue idéologique, des raisons pourquoi nous voudrions proposer ici une critique des positions de França[Ii].

En premier lieu, nous ferons un exposé synthétique des idées principales à partir desquelles l'auteur construit ses considérations, commentant certaines d'entre elles et traçant ainsi la structure argumentative de son texte. Ensuite, nous problématiserons les postulats de l'auteur, et enfin, par un débat direct, nous chercherons à remettre en question chacune des raisons qui, selon França, seraient les causes de l'échec des humanités : 1) l'incapacité à délivrer ses « produits » ; 2) le « ressentiment » des intellectuels ; 3) la vaste « offre » académique d'idées illibérales – pseudothéories, « conspirations ».

présentation générale

Selon França, il y a deux maximes qui sont très évidentes aujourd'hui, à savoir : qu'il y a une crise de légitimité dans le rapport entre les Universités et les sociétés libérales et que les sciences humaines, en particulier, ont perdu de leur pertinence face à ces mêmes sociétés . L'auteur fait un bref historique des origines du lien entre la société libérale et l'Université moderne, comparant, dans une certaine mesure, la position de cette dernière à celle de l'Université médiévale, ce qui nous amène à penser que même dans les Universités du Moyen Âge, il serait possible de détecter la présence de « traits » qui, de manière résiduelle, prouvent leur relation fructueuse avec la société libérale, sans toutefois indiquer précisément quels seraient ces traits restants. Pour l'auteur, le lien étroit entre les deux domaines - Université et société libérale - a été avantageux pour les deux, surtout entre les XIXe et XXe siècles, lorsque d'une part, l'Académie a gagné en autonomie et en liberté de recherche, tandis que d'autre part de l'autre, la société (toujours libérale !) profite des innovations et des avancées scientifiques et/ou culturelles.

Après cela, França commence essentiellement à exposer les raisons qui, selon lui, ont conduit à la crise entre les sciences humaines et la société, raisons qui seraient liées à la condition moderne de l'Université en tant qu'institution, selon son analyse, un environnement qui s'est massifiée, qui a de plus en plus adopté le régime de la spécialisation et du cloisonnement des savoirs et qui s'est laissé gouverner par une bureaucratie excessive. Cette caractérisation de l'Université moderne constitue, dans une large mesure, la base des arguments de França ; et, cependant, il semble ignorer complètement le caractère hautement controversé qu'il porte, puisque ces caractéristiques sont sources d'innombrables critiques et désaccords, puisqu'il n'y a pas le moindre signe de consensus, et encore moins d'évidence, à admettre, par exemple , que la question de la massification est quelque chose qui nuit à la qualité de la recherche scientifique et à la relation entre l'Université et la société.

En effet, pour justifier le malaise entre l'Université et la société, França fonde son argumentation sur trois axes principaux : 1) l'échec des sciences humaines à remplir leur fonction sociale, ou, pour reprendre le vocabulaire de l'auteur, l'échec de ces sciences à délivrer de ses « produits » à la société ; 2) l'existence d'une sorte de refoulement de la part des intellectuels qui composent les soi-disant humanités, c'est-à-dire que ces professionnels seraient, pour la plupart, pris d'un certain « ressentiment » envers le système capitaliste ; 3) la présence, ou plutôt la forte offre, au sein du milieu universitaire, d'idéologies « complotistes », qui seraient critiques du monde libéral/capitaliste et facilement absorbées par le public académique, c'est-à-dire les intellectuels des sciences humaines ne rien faire d'autre que «d'endoctriner» les étudiants avec des «visions du monde» qui ne sont rien de plus que de simples «complots». Nominalement, França cite deux « conspirations » dominantes : l'une, avec un parti pris marxiste, et l'autre, avec un parti pris nietzschéen.

Enfin, si le titre de l'article affirme ou, du moins, implique qu'il proposera des solutions pour restaurer le prestige des humanités, malheureusement le lecteur est déçu de constater que le "comment le récupérer" (partie du titre) est rien de plus qu'un demi-paragraphe d'idées génériques et énigmatiques. En évoquant, en conclusion du texte, un « nouveau monde qui se dessine », et en insistant sur la nécessité pour les humanités de renouveler leur « portefeuille d'idées et de services », l'impression qui subsiste est que l'auteur défend une vision idéologique totale. l'alignement de l'Université, non pas sur un « nouveau monde », mais sur l'ancien monde (néo)libéral. Maintenant, que signifie exactement « renouveler le portefeuille d'idées » ? Difficile de répondre rigoureusement, mais, selon la teneur générale du texte de França, cela représenterait la « solution » à la question du discrédit social des sciences humaines, qui passerait impérativement par l'abolition de la critique du système actuel, le capitalisme. Concrètement, la proposition de França transpire un appel aux intellectuels à admettre que le système libéral-capitaliste est la meilleure alternative possible pour l'organisation socio-économique, puis à orienter leurs efforts théoriques et pratiques vers des recherches qui corroborent cet idéal.

Le problème des hypothèses

França travaille tout au long de son argumentation avec des hypothèses fragiles, qui nécessitent une vérification supplémentaire quant à leur adéquation à la réalité. Par exemple : l'affirmation même qu'il y a une crise entre l'Université et les sociétés libérales et que cela discrédite les sciences humaines est un raisonnement trop vague, se passant ainsi d'un fondement plus objectif. Des secteurs politiques ou des couches spécifiques de la population ne peuvent pas correspondre à la société en général. Il faudrait identifier quantitativement et qualitativement quels groupes sociaux se sentent insatisfaits de l'institution universitaire. Parler de « sociétés libérales » est exagérément générique, il faudrait ici « nommer un cheval ». Contre qui exactement les sciences humaines ont-elles perdu leur prestige ? Aux conglomérats d'affaires et de communication de masse ? Aux politiciens conservateurs et réactionnaires ? Aux élites économiques ? Face aux salariés ? Aux dirigeants populaires ? Si l'on entend résoudre la supposée crise des sciences humaines, il faut d'abord clarifier quels agents sont impliqués, leurs intérêts, leurs priorités.

Néanmoins, il est indéniable que dans l'esprit de notre temps, un certain sentiment d'obsolescence plane sur les sciences humaines, cependant, analyser sérieusement ce problème nous oblige à réfléchir à un plus grand nombre de facteurs complexes, tels que : l'avancement de la technologie dans toutes les sphères de la vie humaine, la sacralisation du profit et le culte de l'entrepreneuriat, la sécularisation à outrance du savoir, etc.

Une autre question très discutable est l'insistance de l'auteur sur la séparation rigide entre l'Université et la société libérale. Une telle séparation est fragile et artificielle, car il ne semble pas raisonnable de croire que les institutions académiques ont une vie autonome, indépendante, sans corrélations objectives avec la société dans laquelle elles s'insèrent. La manière dont l'argumentation de França appréhende la relation entre Université et société libérale est trop simpliste, puisqu'elle consiste en la simple opposition de sphères sociales (Université x société), comme si les deux sphères étaient guidées par des intérêts souverains et autosuffisants. De même que les Universités médiévales, évoquées par notre auteur, étaient le résultat d'un temps historique spécifique, marqué par des idéologies, des croyances et un agencement concret du monde, l'Université actuelle est aussi un résultat, c'est un dispositif de production et de reproduction de son historique, contexte politique, social et économique ; bref, l'Université aujourd'hui est aussi déterminée et déterminante de son contexte, elle est le reflet de la société, et il n'est pas possible de simplement dissocier l'un de l'autre. En séparant de manière si statique l'Académie et la société, l'auteur ne tient pas compte de l'influence mutuelle et des interconnexions entre les deux parties. C'est donc une dissociabilité fausse, erronée. De plus, la pluralité des idées et des critiques qui circulent dans le milieu universitaire est quelque chose de naturel et de légitime, puisqu'une telle institution est précisément insérée dans un système libéral, et, par conséquent, de reprocher ou de vouloir abolir cette pluralité, comme elle semble le suggérer França, ce serait contradictoire, incompatible avec les principes très élémentaires du libéralisme.

Il y a encore une autre hypothèse fragile qui traverse tout le texte de França : la conviction moralisatrice que l'organisation libérale-capitaliste de la société est la meilleure et/ou la seule possible. L'auteur laisse entendre qu'une telle vision du monde est indéniablement supérieure à toute autre et qu'elle devrait être universellement valable. Cependant, pour mettre à l'épreuve la supériorité morale du libéralisme, on pourrait, à titre illustratif, rappeler à ses apologistes la complaisance des libéraux-capitalistes à l'égard des régimes esclavagistes et colonialistes (il ne fait pas de mal de rappeler : l'Angleterre et la Hollande, jusqu'au milieu du XNUMXème siècle, ont colonisé des pays d'Afrique et d'Asie !)[Iii]. La liberté et la suprématie de l'individu sur l'État sont des principes libéraux qui, tout au long de l'histoire, n'ont été valables que pour de petites portions de la société. Les populations autochtones, les Noirs, les pauvres, les femmes et les autres minorités n'étaient pas considérés comme des citoyens, et dans certains cas, même pas comme des personnes. On peut également mentionner le soutien ouvert des libéraux, y compris leur noyau intellectuel, aux dictatures latino-américaines au siècle dernier (le cas le plus éloquent est peut-être celui de la fameuse « école de Chicago », qui, remarquable pour former des théoriciens libéraux, a ouvertement soutenu la régime de Pinochet au Chili). Autrement dit, quand la France parle de « principes de civilité », cela peut même sonner comme de la dissimulation et une certaine perversité. Des millions de personnes, des nations entières ont saigné et ont été subjuguées, des personnes massacrées et condamnées au travail jusqu'à la mort, la décimation des groupes ethniques indigènes, tout cela au nom du progrès et de l'expansion économique. Qu'y a-t-il de « civilisé » dans cette histoire du libéralisme, qui mérite tant d'être vénérée par l'Académie ?

Contestation

Sciences humaines et logique de marchandisation

En lisant attentivement, on peut constater que França cherche à expliquer le discrédit social des humanités, fondant toujours ses analyses sur des critères de marché, allant même jusqu'à assimiler les systèmes philosophiques à la marchandise ! Bien que cette équation devienne plus perceptible dans le troisième élément qui justifie la crise entre sciences humaines et sociétés libérales (les théories marxiste et nietzschéenne comme les deux grandes conspirations qui dominent l'Université), elle est présente tout au long de son texte, car lorsqu'il dit que la les sciences humaines n'ont pas livré leurs produits et services (premier élément justificatif), et même lorsqu'elle affirme que les intellectuels ont du ressentiment envers le système libéral-capitaliste (deuxième élément justificatif), la France finit par réduire tout le problème à des catégories économistes. C'est un fait très pertinent, car il expose la partialité et l'implication idéologique de l'auteur avec le système néolibéral.

Selon França, les sciences humaines ont échoué dans leur engagement social en ne délivrant pas ce qu'on attendait d'elles, selon leurs propres mots, essentiellement deux « produits » : 1) « la sagesse pour mener sa propre vie », et 2) « les principes de civilité ». qui rendent la coexistence humaine dans la société moins conflictuelle et plus cohérente ». Bien que nous considérions cette vision de l'auteur quelque peu romancée et non critique, notre objectif n'est pas ici de discuter la question de la pertinence ou non d'attendre de tels résultats. Ce qui retient notre attention, c'est l'énorme effort de l'auteur pour cadrer ces résultats dans une perspective qui ne veut que corroborer le caractère supposé indépassable des relations mercantiles dans la société libérale, pour qui seul ce qui est un « produit » a de la valeur.

Dans les sociétés de marché, l'idée prévaut que le savoir doit être instrumentalisé, il doit avoir une application pratique. La connaissance contemplative et abstraite n'a pas d'espace, pas de valeur en soi. Que le chercheur, qu'il soit en sciences humaines ou non, doive soumettre ses études à la pression d'intérêts extérieurs (principalement économiques et marchands) est déjà une prémisse artificielle, pour ne pas dire fortement idéologique. Assimiler le savoir à un « produit », une simple « marchandise », est le symptôme grave d'un système qui subjugue tout aux intérêts du pouvoir économique et du marché. De plus, même en admettant le postulat d'utilité pratique, l'affirmation selon laquelle les sciences humaines échouent dans leur engagement social est manifestement fausse, voir les résultats surprenants récemment publiés dans le rapport CHSSALA[Iv].

Si le bon sens ne perçoit pas l'importance, les apports et les effets décisifs des sciences humaines pour le développement du pays, ce n'est pas un problème de valeur des humanités, c'est un problème d'une autre nature, un enjeu culturel, de perception de l'opinion publique , et pour le résoudre, ou du moins le minimiser, il faut réfléchir à d'autres modèles de projet civilisationnel. En effet, cela impliquerait, à tout le moins, la généralisation de l'accès aux niveaux d'éducation les plus élémentaires et les plus élevés, la garantie de conditions matérielles de vie, des conditions élémentaires pour l'ensemble de la population, l'engagement des citoyens dans le débat politique et l'implication dans affaires publiques, en offrant des possibilités de temps libre, afin que les gens puissent profiter des productions culturelles, artistiques, intellectuelles, etc. ; enfin, semble-t-il, seule une transformation de cette nature suffira pour que la société dans son ensemble prenne enfin conscience de l'indispensabilité des sciences humaines. Il s'agit vraiment de faire émerger un « nouveau monde ».

Les intellectuels ne sont-ils que des critiques rancuniers ?

Passons maintenant à la thèse sur le prétendu ressentiment des intellectuels vis-à-vis des sciences humaines. S'appuyant sur une hypothèse de Robert Nozick, Jean França soutient que l'explication du deuil des intellectuels, dirigé contre le capitalisme, trouve son origine dans les rapports élève/école, ou élèves/professeurs, étant donné que dans le milieu scolaire certains élèves se tiendraient dans les activités qui impliquent le langage et la production d'idées, et auraient donc leur reconnaissance garantie dans cet environnement. Toujours dans cette hypothèse, lorsque le moment de l'intégration dans la « société marchande » (différente de la « société scolaire ») arrivera, l'élève décrit ci-dessus n'aurait plus le même niveau de reconnaissance et d'attention qu'il avait à l'école, ce qui lui causent un sentiment négatif envers cette société compétitive. En bref, c'est le cœur de l'interprétation de França de la question du « ressentiment » par les intellectuels en sciences humaines. Si l'on prend au sérieux l'hypothèse de Nozick répliquée par França, on peut se demander : quels pays étaient à l'horizon de Nozick lors de l'élaboration de ce raisonnement ? A-t-il tenu compte du système éducatif et des caractéristiques brésiliennes ? Autrement dit, compte tenu de nos spécificités, serait-il possible d'appliquer un tel raisonnement à notre contexte ? Des questions essentielles, mais sans la moindre précision de la part de notre auteur. En ce sens, l'argument ne peut être soutenu, car il ignore tout simplement une série de facteurs et d'accidents de toute nature (subjectifs, familiaux, socio-économiques, politiques, etc.), qui influencent et déterminent concrètement les choix et les limites des individus. De tels facteurs et mésaventures sont présents dans la vie de chaque individu, en particulier au Brésil, un pays avec tant d'adversités pour ceux qui ont l'intention de se consacrer à une carrière universitaire ; c'est donc une grave erreur de les ignorer.

Mais même ainsi, laissons tout cela de côté et, hypothétiquement, supposons par avance que la majeure partie du monde académique liée aux domaines des sciences humaines est antilibérale ou anticapitaliste. Cela s'expliquerait-il uniquement par les aspects subjectifs et sentimentaux ? Ne s'agirait-il pas d'une explication exagérément réductionniste, psychologique ? Or, n'y aurait-il pas des conditions objectives qui, dans une certaine mesure, contribueraient au sentiment d'aversion envers le système actuel ? Voyons.

S'il y a une sorte de « grief » envers le capitalisme, c'est sûrement parce qu'il y a aussi une base objective à cela, et sur quelle base est-ce ? Les contradictions mêmes d'une société de marché. D'une manière générale, notamment dans certains sous-domaines plus spécifiques, les chercheurs en sciences humaines sont directement confrontés au fonctionnement des sociétés, ils analysent et décomposent les mécanismes d'organisation sociale, politique et économique, ils sont conscients de la diversité et de la complexité des organisations culturelles , leurs valeurs et principes, comprendre l'influence du passé sur le présent et sur l'avenir, voir le dynamisme du mouvement historique ; enfin, le philosophe, l'anthropologue, le sociologue, l'historien, etc., sont beaucoup plus capables de comprendre scientifiquement la société que les professionnels d'autres grands domaines. Dans une certaine mesure, cela est naturellement compréhensible et a pour conséquence évidente que les chercheurs en sciences humaines sont davantage au contact des incohérences et des drames de la société dans laquelle ils sont insérés, et puisque cette société est libérale, il est logique que le libéralisme est celui qu'il faut critiquer.

A titre d'exemple, prenons l'analyse d'un problème spécifique. L'historien Luiz Marques, professeur à l'UNICAMP, dans son livre Capitalisme et effondrement environnemental (2015)[V], défend l'incompatibilité de concilier le maintien et le fonctionnement du système de marché industriel avec la survie écologique de la planète, qui signifie en définitive la survie humaine. Une analyse de ce type de problème est essentielle à notre époque et a été réalisée par quelqu'un qui a une très solide formation en sciences humaines. Serait-il alors légitime, du fait des critiques produites, de l'accuser d'être « rancunier » ou « envieux » ? Cela semble ridicule ! Supposer que quelqu'un consacre quatre, cinq ans de travail de recherche, publie un livre cohérent, plein de données et d'analyses rigoureuses, avec l'objectif principal d'obtenir une reconnaissance et un prestige socio-économique, est intellectuellement appauvrissant. Le cas de notre exemple, loin de caractériser le ressentiment ou l'envie, reflète bien plus la prise de conscience urgente que les signes d'épuisement sur la planète sont déjà évidents. La doctrine capitaliste défend l'augmentation de la production et de la richesse, ainsi que la jouissance infinie des biens matériels, en fait, ils le prêchent comme si c'était quelque chose de vraiment réalisable pour tout le monde, mais, imaginez si toute la population mondiale consommait aux mêmes niveaux comme les États-Unis, par exemple, le représentant maximum du libéralisme mondial, eh bien, ce serait catastrophique. Les principes les plus élémentaires du capitalisme ne sont pas compatibles avec les équilibres environnementaux, il est impossible de les soutenir sur le long terme. C'est une contradiction objective fondamentale du système libéral-capitaliste. Bref, comprendre la logique du capital permet d'exposer ses inégalités intrinsèques. Il n'y a pas de juste milieu : pour qu'une région de la planète se permette le luxe de gaspiller, d'autres doivent subir les privations les plus essentielles. Et pourtant, la plupart des ardents défenseurs du capitalisme hésitent à admettre que la Terre a une limite physique et que celle-ci n'est peut-être pas si éloignée.

Eh bien, même si l'on accepte le « ressentiment » des intellectuels comme une hypothèse, étant donné ce qui précède, ne serait-il pas vraiment légitime de développer une sorte d'aversion ou de ressentiment envers le capitalisme ? Notre position sur les contradictions objectives du système capitaliste, brièvement présentée ici, démontre au moins une plus grande fécondité que les raisons présentées par França dans son texte, celles-ci ayant un caractère excessivement psychologique, sans lestage avec la dynamique concrète de la réalité. En fait, contrairement à la thèse de França, il est plus plausible d'affirmer que c'est le capitalisme qui a un fort ressentiment, une certaine antipathie, envers les intellectuels et les sciences humaines en général, car ceux-ci sont, dans une large mesure, responsables de l'élaboration de les critiques les plus virulentes à son encontre. Lorsque l'irrationalité et les contradictions de la société de marché sont dénoncées, il est évident que ses apologistes les plus radicaux s'y opposent et créent une certaine aversion moralisatrice envers leurs détracteurs.

Le complot marxiste-nietzschéen

Une autre justification qui expliquerait la destruction des bonnes relations entre les sciences humaines et la société libérale serait, selon França, la propagation des théories marxistes et nietzschéennes au sein de l'Université. L'auteur semble suggérer que de telles perspectives théoriques ne sont que des pseudo-théories, c'est-à-dire qu'elles n'ont aucun fondement scientifique critique et seraient facilement absorbées par le grand public, car elles adoptent le principe du complot.

C'est-à-dire que pour la France, les idées d'inspiration marxiste et nietzschéenne ne représentent rien d'autre qu'un double complot, les idées marxistes, forgées pour convaincre à tort les gens que leur vie est dominée par ceux qui détiennent le plus de pouvoir économique et politique ; Les idées de Nietzsche, formulées pour perturber la vie ordinaire des sujets, leur faisant croire à tort que dans l'univers de leurs microrelations, l'univers des petites puissances, il y a toujours une personne ou un groupe qui domine, exerce une influence sur un autre.

Autrement dit, selon notre auteur, les personnes qui détiennent le plus grand pouvoir économique et politique n'exercent pas de domination sur la vie des personnes ayant moins de pouvoir, c'est une «conspiration» marxiste. De même, selon França, la micro dimension de nos relations, de notre quotidien ordinaire, est pleinement harmonieuse et juste, c'est pourquoi supposer qu'il y a des rapports de force, c'est « conspirer » à la manière nietzschéenne contre le paix naturelle de notre routine. . Eh bien, maintenant nous sommes convaincus : Marx et Nietzsche sont vraiment deux simples conspirateurs et rien de plus !

Pour clore en beauté sa thèse sur les théories du complot, França soutient que la diffusion de telles idées est précisément due au fait qu'il s'agit de conspirations, car le bon sens serait enclin à intégrer ce type de théorie. À ce stade, nous dirons seulement qu'une conception du « sens commun » plus « sens commun » que celle-ci ne nous serait pas possible d'imaginer.

Il faut aussi rappeler à la France que Marx et Nietzsche sont tous deux des penseurs de l'Occident libéral-capitaliste, et pas seulement, leurs spéculations et théories sont corrélées et, d'une manière ou d'une autre, influencées par la tradition libérale. C'est une grave erreur de vouloir homogénéiser l'histoire de la pensée occidentale, comme le fait notre auteur. La manière dont la notion de société est abordée par lui suggère que le développement de toute la pensée moderne et contemporaine s'est constitué exclusivement à travers un seul genre d'idées, celui du libéralisme, alors qu'en fait, d'autres courants philosophiques se démarquaient tant théoriquement, comme dans le domaine pratique. Le positivisme, le romantisme, le socialisme, l'existentialisme, ainsi que d'autres, sont tous, à l'origine, des mouvements philosophico-culturels occidentaux qui se sont développés dans les États libéraux-capitalistes et qui ont résonné et résonnent encore dans la culture libérale, l'affectant à des degrés et mesures différents, mais ne manquant jamais de provoquer une sorte d'impact. Ce que nous voulons dire avec cela, c'est que le libéralisme, comme toute autre perspective culturelle et philosophique, n'est pas homogène, libre d'interférences ou d'influences extérieures.

Surtout en ce qui concerne Karl Marx, il convient également de noter qu'en 2019, l'Association nationale des études supérieures en philosophie (ANPOF) a réalisé une enquête dans laquelle une très faible quantité de recherches sur Marx a été trouvée dans les universités brésiliennes, contredisant ainsi la croyance paranoïaque qu'il existe un « marxisme culturel » complotant, de l'intérieur de l'Académie, pour prendre le pouvoir dans toutes les sphères sociales. Sur les 47 programmes d'études supérieures en philosophie qui faisaient alors partie de l'ANPOF, 46 ont été analysés, et parmi ceux-ci, il y en avait 34 qui n'incluaient même pas Marx dans leurs références bibliographiques.[Vi]. Cette enquête est importante car elle révèle, dans une certaine mesure, à quel point le milieu universitaire brésilien en sciences humaines est pluriel, composé à la fois de personnes opposées à l'idéologie libérale-capitaliste et de personnes qui lui sont favorables.

Il y a là une mise en garde, certes évidente, mais importante : tous les individus, intellectuels, chercheurs en sciences humaines ou non, qui critiquent le libéralisme ne sont pas nécessairement illibéraux ou anticapitalistes. Il y a ceux qui adoptent des positions réformistes, dont les désaccords sont ponctuels, ne défendant même pas le dépassement du modèle capitaliste. En ce sens, il est naïf de penser que chaque personne ou groupe qui s'oppose éventuellement au libéralisme a une inspiration marxiste. Les marxistes plus radicaux postulent le dépassement total du capitalisme, la transformation radicale de la société par la révolution. Maintenant, en ce sens, nous convenons que le scénario actuel, non seulement au Brésil, mais dans le monde, ne nous permet même pas de corroborer de loin la thèse de França selon laquelle les idées marxistes sont largement incorporées par le grand public. Si tel était vraiment le cas, il serait probablement déjà possible de visualiser l'ébullition d'une révolution socialiste. Dans les circonstances géopolitiques internationales actuelles, un argument lucide serait-il même capable de soutenir une telle croyance ?

Enfin, l'importance de la pensée de Marx est indéniable, ses apports théoriques vont bien au-delà du champ philosophique, résonnant aussi dans l'histoire, l'économie, la science politique, l'anthropologie, la sociologie, etc. Toute cette gamme de connaissances est-elle simplement endoctrinée par un complotiste pendant plus d'un siècle et demi ? Un tel argument est insoutenable et l'accepter reviendrait à sous-estimer grandement l'intelligence et la capacité de discernement de nombreuses générations de chercheurs et d'universitaires.

Décryptage des « solutions »

Pour tout cela, nous comprenons que les positions de França sont marquées par des généralisations et des simplifications excessives, qui non seulement ne permettent pas de dimensionner réellement la querelle existante entre les sciences humaines et la société (en particulier la société libérale-capitaliste), mais la déforment idéologiquement.

Bien sûr, comme nous l'avons dit, il n'est pas dans notre intention de nier qu'à l'heure actuelle, face à une société très informatisée et pragmatique, les sciences humaines connaissent une certaine usure et que le sentiment de leur obsolescence n'est pas réel. Comprendre un tel phénomène demande des efforts théorico-analytiques qui, menés avec sérieux, on le sait, dépassent le cadre d'un article journalistique, cependant, il est déraisonnable de prendre en compte un diagnostic soutenu sur des bases aussi fragiles, comme le présente le texte de França et moins il est encore possible de croire à la promesse de son titre d'apporter des solutions au problème.

Comme déjà mentionné, afin de récupérer du prestige et de surmonter la crise entre l'Université et la société, l'auteur choisit comme stratégie le renouvellement du «portefeuille d'idées et de services» offert par la communauté universitaire liée au domaine des sciences humaines. . Inutile de dire que c'est extrêmement vague. Cependant, nous allons essayer ici de décrypter les insinuations de notre auteur. Tentons notre chance.

L'expression « la roue a tourné » suggère en quelque sorte une célébration de l'arrivée d'un nouveau gouvernement au pouvoir.

Dans cette autre phrase, les guillemets indiquent une critique ironique de ceux qui s'opposent au gouvernement : « C'est vrai qu'on peut 'résister', on peut accuser les 'temps sombres' et on peut même rêver que l'on lutte contre un dictature renouvelée.

La position pro-gouvernementale de l'auteur est claire, ou du moins une volonté de s'aligner complètement favorablement sur l'administration politique actuelle du pays.

Deuxième point : le gouvernement actuel a, on le sait par ses positions et ses politiques publiques, deux caractéristiques fondamentales : 1) néolibéral dans l'économie (il suffit de voir les projets de Paulo Guedes et son équipe) et 2) conservateur voire réactionnaire dans les mœurs , (pour cela, il suffit de regarder des personnalités comme Damares Alves, les anciens ministres de l'éducation et les déclarations du président lui-même, en plus d'innombrables exemples qui pourraient encore être cités).

Quelqu'un serait-il assez fou pour nier ces deux caractéristiques centrales du gouvernement actuel ? Peu probable. Maintenant, en observant le vocabulaire de notre auteur, n'est-il pas clair son alignement avec ces caractéristiques ? Tout à fait crédible.

Enfin, nous n'avons pas trouvé dans les conclusions de l'auteur des propositions claires et concrètes pour résoudre l'impasse entre l'Université (les sciences humaines) et la société, et donc, quiconque lit la publication de França dans l'attente d'envisager des jours meilleurs pour les sciences humaines et pour la société , il doit régler ses comptes avec une double frustration : politique et intellectuelle.

* Raphaël Lopes Batista Il est professeur de philosophie dans le réseau de l'éducation publique du Mato Grosso do Sul.

*Weiny César Freitas Pinto est professeur de philosophie à l'Université fédérale du Mato Grosso do Sul (UFMS).

 

notes


[I] Voir https://www.gazetadopovo.com.br/educacao/por-que-as-ciencias-humanas-perderam-prestigio-na-sociedade-liberal/

[Ii]Le texte de Jean França nous a servi de point de départ pour mener à bien une tâche dont nous ne nions pas l'urgence et l'importance, à savoir : défendre et promouvoir la valeur existentielle, sociale et épistémologique des humanités. La publication de França présente, de manière plus ou moins systématique, une partie des croyances qui sous-tendent l'opinion des détracteurs des sciences humaines, et dans un véhicule de communication de taille moyenne, un fait qui augmente considérablement le nombre de personnes atteintes. D'une manière générale, c'est ce qui a motivé la rédaction de ce texte, dont le contenu a bénéficié des suggestions d'Igor Matela, que nous remercions.

[Iii] Voici une petite référence, qui peut servir de moyen d'introduire le sujet : https://diplomatique.org.br/prezar-a-liberdade-defender-a-escravidao.

[Iv]Rapport de recherche sur la situation, au Brésil, des sciences humaines, des sciences sociales appliquées, de la linguistique, des lettres et des arts (CHSSALLA). L'enquête a été réalisée par le CGEE (Centre d'Etudes Stratégiques et de Gestion), à la demande du MCTI (Ministère de la Science, de la Technologie et de l'Innovation). Le rapport vient d'être publié sous forme de livre et peut être trouvé ici: https://www.cgee.org.br/documents/10195/734063/CGEE-2020-CHSSALLA.pdf

[V]MARQUES, L. Capitalisme et effondrement environnemental. Campinas, SP : Éditeur d'UNICAMP, 2015.

[Vi] Disponible en: http://www.anpof.org/portal/index.php/pt-BR/artigos-em-destaque/2132-levantamento-feito-pela-anpof-indica-baixa-presenca-de-ensino-de-marx-nas-pos-graduacoes-em-filosofia-no-brasil.Consulté le 12 août 2020.

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