Par GASPAR PAIX*
Préface au livre récemment paru d'André Queiroz
1.
J'ai rencontré André Queiroz en 2006 dans les couloirs de l'Université d'État de Rio de Janeiro (Uerj), couloirs qui servaient d'antichambre à l'événement « Art et philosophie brésiliens : essai ouvert Gerd Bornheim », au cours duquel André Queiroz a prononcé un discours. à propos de « Raduan Nassar et la volonté de ne plus être – allégories d’une autre pensée »[I], passant par les visées de la littérature et du cinéma.
Commence alors une amitié faite et refaite au gré des surprises et des rencontres fortuites. Je réalise maintenant que de la voix qui résonnait dans cet amphithéâtre d’Uerj, en fait, surgissait le magma d’une autre pensée, scénarisée selon le moment, comme dans une véritable répétition théâtrale, qui mettait l’autre au défi de dire quelque chose de plus.
Cette recherche du manque s'est en effet répandue tout au long de sa construction esthético-politique : que ce soit dans la poétique des écrits, ou dans les montages filmiques accompagnés d'images musicales incitatives (comme André Queiroz pense que ses scénarios basés sur le rythme et les instanciations sonores) ), que ce soit dans la pensée-autre, qui transgresse précisément cet aspect philosophique qui l'a (dé)formé et l'a poussé à transgresser (Foucault-Blanchot-Artaud, ses proches), que ce soit dans sa posture de professeur d'université qui ne se résigne pas au marché universitaire et se positionne dans la volonté d'imploser les bases dominantes pour remplacer la vitalité des masses populaires .
J'oserais dire que c'est cette inquiétude artistique qui a retenu l'attention du philosophe Benedito Nunes en préfaçant son premier livre de fiction, entrevoyant déjà le talent qui s'est depuis lors répandu à travers diverses perspectives d'action. Je voudrais à ce tour souligner les recherches menées en Amérique latine sur Rodolfo Walsh le mot définitif : écriture et activisme e Fernando Pino Solanas : cinéma, politique et libération nationale, qui a donné lieu à des livres publiés par l'éditeur Insular. En cinématographie, deux films se démarquent : Le village disparu e Araguaia présente!, et sont en phase de finalisation et de post-production, dont la diffusion est prévue prochainement, Parapet de Jean e Solanas expliqué aux enfants.
Je peux garantir, après avoir vu ces essais filmiques, qu’ils sont porteurs d’une poétique et d’une densité de problématisation très profondes. Il n'est pas surprenant que cette phase de la production mature de l'auteur de Rio de Janeiro passe désormais sur l'écran du cinéma et de l'écriture critique avec ce livre. Cinéma et lutte des classes en Amérique latine.
Dans les tests de Cinéma et lutte des classes On peut voir deux questions qui fonctionnent ostinato pour l’effet de levier réflexif de ces écrits rassemblés : les désirs et le protagonisme populaire dans la lutte des classes et le rôle politico-pédagogique de la dissidence. Dès ce début, le texte prend une intonation qui gagne en brise au fur et à mesure des questions en anaphore et des extensions d'adjectifs entre l'oubli, le fictionnel, les discussions sur la situation politique et l'indécision de la mémoire, qui finalement prend forme, non pas comme la science archivistique s'ennuie d'elle-même, non pas comme une protection contre la mort, mais comme le provoquait Gerd Bornheim : par l'inspiration de l'autre qui génère les torrents de la vie. Si dans les amphithéâtres académiques tout ce qui s'insinue a l'intention d'être publié et vite oublié, il ne reste que le « retour à la raison » au moment de la sirène, du sifflement aigu qui annonce le début du théâtre, la fin du théâtre. journée de travail.
Alors que les heures commencent, peut-être les heures pénibles dont nous parle André, on enlève la poussière d'une main avec l'autre, on ajoute aussitôt quelques vêtements qui pendent aux bretelles du sac, et on part vers le quotidien qui importe. . Le quotidien pensé et repensé en arrêts obligatoires pour de saisissants souvenirs alcoolisés. Et ainsi, comme d'un coup, tout se réfugie dans un « quand » drummondien, lorsque les peaux des textes se touchent, éprouvant le tâtonnement du regard sourd en quête de réponse dans le geste, dans la lecture labiale. André suit à la lettre le signal drummondien et banal, réalisant qu’« il est alors temps de tout recommencer, sans illusion et sans précipitation, mais avec l’entêtement d’un insecte qui cherche son chemin dans un tremblement de terre ».[Ii]
Le lecteur non averti, confronté à un tel entêtement, pourrait conclure à une intransigeance critique dans la manière dont André Queiroz aborde certains films de cette collection. En effet, l'ouverture de l'objectif filmique qu'il propose, dans différentes modulations, vise une plongée profonde pour se confronter à tous les débordements et dimensions pensables d'un film.
Ainsi, nous pouvons voir les luttes quotidiennes auxquelles il est confronté, en même temps, réarticulant les espaces-temps de la mémoire, les crises, les tensions et les joies du présent, pour surmonter les inévitables désagréments de la vie telle qu'elle est. Et c’est ainsi qu’il réinvente une dose renouvelée d’utopie comme une construction mature de la réalité tangible. Il veut savoir ce qui émeut, ce qui intrigue celui qui s'approche des images brutes, des images simples, des images sépia, des images qui font réfléchir.
2.
Ainsi, la distribution du texte Cinéma et lutte des classes se fait en couches. La première couche, comme prévu, est l'écriture poétique du texte, qui se compose à travers un récit d'images. Ce récit, au sens figuré philosophique et littéraire, s'adresse aux images/cadres qui sont, pour ainsi dire, la deuxième couche d'inflexion et de lisibilité du texte. Chaque photo contient une infinité d'instants du film que l'auteur met en valeur à l'écran, sur la page. Et il faut bien voir le positionnement des images sélectionnées par lui.
La troisième couche, dans cette polyphonie établie dans la scène, apparaît en marge de la page, comme s'il s'agissait de l'assemblage d'un texte parallèle, articulé à partir d'informations et de commentaires d'auteurs qui pensent à la contextualisation historique du Brésil, de l'Argentine et L'Amérique latine dans son ensemble. Il présente ainsi le tableau et la discussion de commentateurs attentifs au moment, montrant des idées et des éclairages peu abordés par les historiens de fauteuil.
Ce sont ces commentaires qui provoquent le frôlement de la peau essayiste, non pas avec des caresses, mais avec des affections qui ne cachent pas le désarroi et amènent les films sur un autre rivage, se nourrissant de l'aventure vécue et de la résistance aux maux des réalités latino-américaines. Parmi les auteurs couverts dans ces marges de la filmographie, on trouve, par exemple, Francisco Oliveira, Contes Ab'Saber, Celso Rocha de Barros, Eduardo Anguita, Martin Caparrós, Rodolfo Walsh, Paulo Arantes, Florestan Fernandes, Marx et André Queiroz lui-même, pour nommez-en quelques-uns.
Souvent, dans cette exfoliation des peaux textuelles, l’auteur provoque le récit filmique en y rapprochant les intertextes littéraires. Tantôt dans le texte de la première couche, tantôt dans la troisième, on retrouve les voix arides de personnages de la littérature du nord-est brésilien (Graciliano Ramos, José Lins do Rego...), ou l'archéologie mécanique des résidus d'un Carlos Drummond. de Andrade, ou encore la chanson de Luiz Gonzaga Jr, qui est placée dans le coin droit de la page en épigraphe pour commencer la saga du « Sucre amer du patron – notes entre cinéma, mémoire et politique » : « […] Je m'en remets au divin, l'idiot qui me tue dans la lignée des haricots, n'a aucune condition/ Je m'en remets au Seigneur, le médecin qui a mis fin à mon argent, toute l'année/ Je ne le remets tout simplement pas au diable, parce que je soupçonne que le diable est le seul diable d’un patron. Dans ces couches d'encre de sang sur le buvard de la critique kérosienne – le kérosène incendiaire des insurgés – on voit encore transparaître le propre cinéma d'André, dans nous En outre, les liens des couches filmiques susmentionnées de critique essayistique. Et c’est dans ce cadre que l’auteur choisit les films qui formeront la dialectique de la critique elle-même.
Il existe dix films qui dépeignent des scènes politiques en Amérique latine, en plus de deux films étrangers (un coréen et un français), qui soulèvent des questions aiguës et résonnantes dans le panorama latino-américain. Dans le tâtonnement du choix, du tamis, l'auteur tombe parfois dans le voyeurisme derrière les caméras « aux mains » d'un Glauber Rocha ou la filmographie argentine motivante ; d'autres fois, presque au hasard, il se laisse choisir par le film lui-même, comme s'il était un de ces figurants apparemment oubliés dans un coin de la scène, qui d'un instant à l'autre, comme sur un coup de tête, décide s'interroger sur les faux mouvements du cinéma et de la politique.
Il explique ces coups du sort en faisant un signe désinvolte au lecteur : « Par un après-midi très chaud de janvier, j'ai reçu dans un groupe WhatsApp une liste de recommandations pour les films les plus récents sur l'activisme politique ». Je suis allé vérifier ! J'imagine que cette liste comprenait au moins quatre des films analysés dans ce livre, dont la question sur la lutte populaire est suspendue. Ils sont La démocratie dans le vertige, par Petra Costa; Argentine, 1985, de Santiago Mitre; Bacurau, de Kleber Mendonça Filho et Juliano Dornelles ; et La Noche 12 ans, d'Álvaro Brechner, inspiré du livre Souvenirs du donjon, de Maurício Rosencof et Eleutério Fernández Huidobro.
3.
Ce n’est pas tant la manière dont tous les choix cinématographiques de ce livre ont été tissés qui importe, mais plutôt le cadre de réflexion que fournissent les films. En ce sens, André Queiroz se positionne comme une sorte de « perturbateur du statu quo», comme le disait Edward Said en faisant référence au rôle public de l’intellectuel, en « renversant toujours les stéréotypes et les catégories réductrices qui limitent la pensée et la communication humaines ».[Iii].
C'est avec cette inspiration et cette exploration que l'auteur de Araguaia présente problématise, dans les quatre films mentionnés ci-dessus, et dans l'intégralité des essais qui composent le livre, certaines questions sur la violence capitale. Il demande : « […] après tout, à quoi sert un coup d’État ? », « Comment un tel appareil répressif a-t-il été financé ? », « […] pourquoi créez-vous un film documentaire ? Ce que dit l’auteur, c’est que le cinéma n’est pas simplement une manière sage d’observer les choses, un dispositif.
Si l’on veut filmer la lutte des classes, il faut que le réalisateur et tous les acteurs de la chaîne de production d’un film (y compris les spectateurs) soient des acteurs actifs, bien plus que des spectateurs inconscients du quotidien de ces luttes. Il leur faudra forcément retrousser leurs manches et rejoindre le combat bec et ongles. C'est à ce moment-là, arraché aux heures, qu'André arrache, s'il le faut, la peau des films qu'il regarde, pour les réinscrire dans d'autres films. Et cela en changeant le focus, les notes, les accords, les paroles, mettant en lumière l'absence ressentie, comme un tango d'Artur Piazzolla.
C'est une invitation à regarder comme si c'était la première fois, ou du moins, à revoir des films aux expansions dialectiques, en complétant leurs thèmes et en relisant à travers eux les événements du quotidien. Cela peut déjà être vu en approfondissant un voyage sui generis que tout veut capturer poétiquement-littéralement-filmiquement-théâtralement, dans un désir de remplacer sans cesse la tâche difficile de voir ce qu'il y a derrière les événements, de les révéler.
Ces essais, développés à travers les sentiments et les lentilles de l'artiste, ont une maturité rarement vue, car ils évitent également les projecteurs du marché des biens et services, affichés sur les étagères du capital d'accumulation. On peut dire que ce qui s’accumule ici, ce sont les questions, la construction sereine d’une œuvre qui nécessite de la traverser dans sa globalité. Mais faisons un saut – puisqu'au cinéma tout est découpage et montage – pour accéder à la manière dont André déploie le focus des images.
4.
« Valentina nous propose des dessins de son enfance, des dessins de désormais. Valentina raconte qu'elle a découvert comment utiliser les pinceaux lors d'un test de texture et de forme. Peut-être servent-ils à imprimer la partition des gestes sur l'écran blanc. C'est juste que la main de Valentina borde les paysages, découpe les personnages, véhicule les odeurs et les contrastes sous l'explosion de la photographie. […] Parfois, la caméra tremble, rebondit, cadre mal et graine l'image. À d’autres moments, la caméra capture le vide comme s’il avait été oublié tandis que les choses du monde y évoluent avec indifférence. Il semble que le tableau sera toujours petit si l’on se confronte à la réalité, affectée par le primat de l’absence qui ne se laisse pas représenter. Sinon, ce ne sont que les restes – qui s'écoulent. Sinon, ce qui reste – et cela ne se traduit pas. Sinon pour ce qui manque – et il insiste pour ne pas revenir. Valentina ouvre les caisses, dénoue les nœuds aveugles, sourds et muets, comme quelqu'un qui retourne la terre striée par le temps qui a désactivé les récoltes et les destinations ; découvre des mots de passe d’entrée, des lettres qui ne le sont jamais, des mots en deux […]”
André Queiroz commence ainsi à dérouler la bobine de La maison d'Arguello, film de Valentina Llorens. On ne sait pas encore si les corps sont dans le coffre ou non, et on ne sent pas encore l'odeur des majordomes, mais le nez d'André sent quelque chose. Dans un fragment de la troisième couche du texte, il lâche l'indice : « Cela mettrait en évidence l'importance de penser la limite de la représentation, et dans ce cas, cette limite se présente dans le paradoxe : la représentation de l'absence, de la disparu, de traces effacées ».
Rembobinons la bande jusqu'à atteindre des fragments du premier documentaire, celui de Petra Costa. « Petra s'engage à raconter l'histoire d'une fracture… Des personnages immergés dans l'ambiance des caves de la dictature civilo-militaire brésilienne, reproduisant les mêmes slogans, les mêmes chants de guerre basés sur des syllogismes de valence changée… mais il est trop tard. Elle le sait. Personne d'autre ne l'a ressenti ? Aucun des sujets politiques, affectés aux tâches d'administration de l'appareil bureaucratique de l'État et de direction de l'exécutif depuis plus d'une décennie, ne l'a préfiguré ? Aucun des agents qui formulent des politiques économiques pour la transformation et la dynamisation du secteur d’investissement national basées sur la reprise vigoureuse du monde des affaires local grâce aux avantages des transferts de capitaux publics et des incitations fiscales n’était méfiant ?
Passons maintenant à un mouvement rapide, en déplaçant la bande d'avant en arrière pour accéder à un fragment de l'essai sur Argentine, 1985, où les liens entre l'argumentation d'André Queiroz se font sentir encore plus clairement.
« Le film oublie ou fait oublier ces acteurs politiques essentiels qu'un gouvernement actuel ne capterait pas et ne régulerait pas dans sa liturgie institutionnelle. Et de telle sorte qu'on peut affirmer catégoriquement que dans le film Argentine, 1985 Ce qui a complètement disparu, ce sont les couches populaires organisées et des segments considérables des secteurs moyens de la population argentine, protagonistes (qu’ils étaient et sont) des luttes non seulement contre la dictature militaire au service des intérêts monopolistiques internationaux et locaux ; ainsi que dans les épisodes quotidiens et très intenses de la lutte des classes contre le pillage des droits élémentaires et fondamentaux du peuple argentin au cours des gouvernements constitutionnels ».
On constate que, contrairement aux critiques qui exaspèrent le film, les spectateurs brésiliens rêvent d'une « justice » semblable à celle de l'Argentine et quittent le cinéma comme s'ils portaient un manuel de survie urbaine qui restera bientôt paisiblement sur la table. Dans le salon, André s'enquiert de son absence. Étudier, étudier et étudier l'Argentine, aller dans les cafés, consulter les cartes géographiques, lire toutes les lignes et notes de bas de page de l'histoire, écouter de la musique et des récits, parcourir des dossiers en 12 heures ininterrompues pendant des jours, des mois (jusqu'à ce que ces dossiers pullulent dans ses rêves), parle aux passants et aux militants historiques et se rend compte alors du manque de Solanas, du manque de ce que Solanas nous fait voir.
5.
Il y a des choses qui ne rentrent pas dans un film. André sait combien il est difficile de créer un scénario de film. Non seulement à cause du travail incessant qui consiste à séparer le bon grain de l'ivraie pour arriver à un bon montage, mais aussi parce qu'au cinéma, on a toujours affaire au montage. Et travailler avec le recadrage, c'est supprimer quelque chose du visible. Il s’avère que ce qui est visible dans le cas des films analysés par André est très symptomatique, car c’est ce qui est le plus important dans le processus politico-social en Amérique latine.
Le jeu de scène peut être mieux compris si l’on pense, par exemple, dans le domaine de l’éducation vis-à-vis de l’histoire et de la mémoire culturelle. Et lorsqu’il s’agit de politique brésilienne, ces circonstances me rappellent un commentaire de Marilena Chaui à propos de la défense de la théorie de la dépendance par Fernando Henrique à l’époque du Cebrap. Marilena Chaui souligne qu'il s'agit d'une théorie basée sur le capital étranger, la bourgeoisie nationale et l'État. La classe ouvrière est largement absente, exclue de toute considération.
André Queiroz utilise un raisonnement similaire lorsqu'il pense au cinéma latino-américain. Il s'indigne et dénonce ce qui disparaît volontairement, car il sait, comme Gramsci dans les années 1920, que « le capitalisme aujourd'hui, c'est la désorganisation, la ruine, le désordre permanent. Il n’y a pas d’autre issue pour la force productive que l’organisation autonome de la classe ouvrière, que ce soit dans le domaine de l’industrie ou de l’État » et encore « Le droit de la propriété est plus fort que tout sentiment difficile de philanthropie. La faim des pauvres, de ceux qui produisent la richesse des autres, n'est pas un crime dans une société qui reconnaît le principe de propriété privée comme sacré et inviolable : que les employeurs ferment des usines, réduisent les salaires des travailleurs, cela n'est pas illégal. qui régule la société capitaliste.[Iv]
André Queiroz sait aussi que la salle de cinéma, lieu de l'arrestation de Marighella,[V] dans les années 1960, sous la dictature brésilienne, elle ne doit pas être un espace d’oubli. André se rend compte qu'un cinéma comme Kuhle Wampe de Bertold Brecht dès 1933, en route pour l'exil, il n'oublie pas l'essentiel. Pour lui, « la parole angoissante de Paulo Martins, doubleur et personnage de Glauber Rocha dans ce film de 1967 (Terra em transe), semble traverser les murs invisibles et réfractaires du temps qui, de temps en temps, se présente à nouveau au modes de farce ou de tragédie.
Dans l'essai sur l'avenir de ce que nous sommes sous les fils de l'illusion développementaliste, André Queiroz récupère les pièces de l'usine et se demande, jusqu'à quand ? Et il répond dans l'entrelacs de la littérature et du cinéma une fois, deux fois, trois, inlassablement : « Il n'y aura pas moyen de recommencer et d'accepter. Il n’y aura pas de déserts à parcourir sur des jambes agiles. Il n’y aura pas de mémoire grasse et lourde qui marquera à jamais l’avenir à venir. Mieux vaut démanteler le rêve pacifique de ceux qui oppriment. Pedro semble le savoir. Après tout, c’est à vous de poser le geste final. Ne pas suivre quelqu’un devant l’incertitude et la défaite. Ne pas se diriger vers les montagnes dans une voiture empruntée en liaison directe. Pedro retourne à l'usine. Allez rencontrer vos compagnons. Tu sais que tu ne peux pas être seul. Pedro organisera le combat – qui ne cessera jamais d'être son défi et sa tâche.
Les engrenages durs et résistants, le sucre amer des luttes quotidiennes, les séquelles de la vie… Bref…
« N’est-ce pas ce que nous suggère Zé Lins do Rego dans ses romans Sugarcane Cycle ? Cette seule chose serait l'histoire de Carlinhos, petit-fils de Zé Paulino, propriétaire de nombreux moulins et de tous les mondes ; et Zé Lins nous raconteront l'effondrement de ce monde de monoculture foncière, et nous feront suivre les frayeurs et les assauts du temps transformant le processus de production en crises cycliques ; […] Dans un autre phylum, partant en pleine nuit des chacals, partira Ricardo, un gosse de bagaceira, quelqu'un qui ne joue plus et ne fait que travailler ; tisse, tisse, monte, descend, Sisyphe est opprimé pour produire le cachemire du propriétaire de ses mains calleuses, ou le « surplus de sa manne » en échange d'un morceau de viande malsaine du Ceará. Zé Lins nous raconte que Ricardo se rend à Recife, non pas pour atterrir dans des facultés de droit, mais pour se rendre au four chaud des tours et des banlieues, et Ricardo, lecteur des mains de Paulo Freire, verra peu à peu et se rendra compte que sa chance est tributaire de la gloire de ceux qui se réjouissent de lui, et Ricardo se rendra compte que sa boîte à lunch froide de salmonelles est l'extravagance végétalienne qui l'obstrue, le ratatine et le piétine. Et Ricardo s'organisera. Il cherchera à proximité d’autres personnes qui, comme lui, souffrent du talon de fer de l’ordonnance. Cela ne suffira pas à lui seul dans le cadre de directives méritocratiques. Vous ne voudrez pas que les projecteurs soient mis sur les heures supplémentaires et les primes de participation avec l'imposture d'avoir votre visage sur l'employé bon marché du mois imprimé. Et Ricardo s'organisera. Zé Lins do Rego nous apprend que bientôt les hommes du peloton viendront emmener Ricardo et ses compagnons pour une longue et infâme saison estivale à Fernando de Noronha. Ce n'est pas un complexe pour la visite des coraux tempérés et des requins marteaux. Mais à la prison à sécurité maximale où les rats et le froid flottent ne laisseront pas en contemplation tranquille une sorte de « telle dangerosité ». Zé Lins nous raconte aussi cette autre moitié de la trame des histoires. Comme quelqu’un qui déplace des pièces et déstabilise les certitudes de préparation.
6.
Là-bas, la lutte des classes et la dissidence se répartissent en commun. Revenons aux questions d'André Queiroz : après tout, à quoi sert un coup d'État ? Comment un tel appareil répressif a-t-il été financé ? Pourquoi créez-vous un film documentaire ? A la première question, il fait le commentaire suivant :
« À quoi servent les troupes armées à l’intérieur des casernes, sinon à déployer des astuces pour façonner un certain état de lutte des classes ?! Réorganiser la balance des paiements, imposer un régime de profit aux entreprises au prix d’énormes sacrifices imposés aux travailleurs – en réprimant leur droit d’organisation, en persécutant les dirigeants populaires, en interdisant les grèves et les assemblées, en réorganisant le corpus législatif même dans le cadre de la constitutionnalité libérale. » .
Quel est le coût, quel est le fardeau ? « D'où viendrait l'argent nécessaire aux mouvements terrestres, aériens et maritimes, au maintien d'un corps de commandement stratégique et technologique hautement spécialisé, à la mobilisation des troupes, au financement du ranch et des munitions, à l'installation de dispositifs de communication dans les véhicules les plus divers utilisant lui, y compris ses idéologues organiques répartis à travers les moyens de publicité et de propagande les plus divers qui, par euphémisme, s'appellent eux-mêmes médias ? Qui a payé cette facture indue ? Si l'on suit à la lettre le document militaire du Conseil de Défense, il est dit, de manière laconique mais très ponctuelle, que les coûts opérationnels sont garantis à l'article 7 du décret n° 2770/75 ».
Alors pourquoi fait-on du cinéma ? « Est-ce pour remplir l’écran de rapports sur l’histoire politique récente – nous fournissant des faits et des agents, des sujets collectifs et individuels, des lignes directrices et des programmes de lutte, ou le réseau complexe de contextes contradictoires à travers lesquels les hommes voyagent ? Est-ce pour contrecarrer un certain rapport hégémonique enchaîné de manière massive par les oligopoles de propagande (les soi-disant médias) dans le but de promouvoir une conscience fabriquée ?
La critique dialectique d'André Queiroz rouvre l'imposture des disparitions et permet de voir dans le film les facettes de la vie vécue. Les écrits que nous avons entre les mains nous incitent à repeupler, à réoccuper les accents de toutes les instances du film avec ce qui a disparu, exilé. Cinéma Solano, cinéma Andreano se développe dans les luttes quotidiennes de répulsion contre l'assaut oligarchique et les morts annoncées par les génocidaires.
Les personnes disparues, clé d'interprétation des essais, sont la clé commune pour entrer dans les portes si souvent enfoncées avec des bottes de combat. Dans cette obstination du dialogue, se démarquent les notes sur le rôle politico-pédagogique de la dissidence. Il n'est pas surprenant que ce thème apparaisse dans l'un des derniers essais avant les annexes (qui sont aussi des perles de la critique cinématographique). Il s’agit d’envisager la dissidence comme une ouverture de chemins, comme une prise de position, comme la construction d’un horizon moins évanescent et, de fait, plus palpable, même s’il ne se sépare pas complètement (car il y a de la place pour le désir) des habits du onirisme.
Pas une dissidence pour justifier des conciliations irréconciliables, pas une dissidence pour justifier des positions fastidieuses qui insistent spécieusement sur l’exclusion de ceux qui ne sont pas d’accord. En fait, le rôle de la dissidence ici est d’exposer le seuil de tout. Et tout cela se reflète dans des relations de travail ténues, qui ne reconnaissent pas ce qui manque. Et ce qui manque est écrit intégralement par André Queiroz dans la langue autochtone, ce qui manque au banquet immangeable, c'est ce qui résiste et est persécuté dans ses actions. La dissidence comme résistance à l’effacement de l’histoire et de la mémoire. El Pueblo, cadeau culturel, sans mâcher ses mots.
Avec une caméra d'images en tête, un tas d'idées entre les mains, André Queiroz filme, refilme, écrit, réécrit une autre pensée, avec les chaleureuses images-idées d'André Queiroz.
Gaspar Paz Il est professeur au Département d'art et de théorie musicale de l'Université fédérale d'Espírito Santo. Auteur du livre Interprétations des langages artistiques chez Gerd Bornheim (éduqués).
Référence

André Queiroz. Cinéma et lutte des classes en Amérique latine. Florianópolis, Insulaire, 2024, 228 pages.
[I] Essai publié dans le livre Art et philosophie brésiliens. Gerd Bornheim espace ouvert. Organisation Rosa Dias, Gaspar Paz et Ana Lúcia de Oliveira. Rio de Janeiro : UAPÊ, 2007.
[Ii] Carlos Drummond de Andrade. Autoportrait et autres chroniques. Rio de Janeiro : Dossier, 2018, p. 87.
[Iii] Édouard a dit. Représentations de l'intellectuel : les conférences Reith de 1993. Traduction de Milton Hatoum. São Paulo : Companhia das Letras, 2005, p. 10.
[Iv] Antonio Gramsci. Les dirigeants et les masses : écrits de 1921 à 1926. Sélection et présentation Gianni Fresu, traduction Carlos Nelson Coutinho, Rita Coutinho. São Paulo : Boitempo, 2023, p. 69.
[V] Carlos Marighella. Appel au peuple brésilien et autres écrits. Organisé par Vladimir Safatle. São Paulo : Ubu, 2019.
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