Par ALINE MAGALHÉS PINTO*
Préface du livre de Dominick LaCapra
Compréhension, justice et générosité : pour un ethos au-delà de l'humain
"Recommencer, recommencer (recommençons) - c'est risqué, parfois impossible, on le sait - comme on dit, le plus équitablement, le moins injustement possible." (Jacques Derrida, Nous).
"Tout autre est tout autre», dit Jacques Derrida, dans Donner la mort.[I]Le philosophe — avec qui Dominick LaCapra, tout au long de son œuvre, dialogue intensément — affirme que l'étrangeté provoquée par cette formule, à la fois extrêmement économique et profondément elliptique, vient du fait que le jeu de ses mots, loin de se constituer en tautologie , il renferme dans son langage crypté quelque chose que l’on devrait considérer comme s’il s’agissait du secret de tous les secrets.
Car, poursuit Jacques Derrida, dans cette formulation courte et puissante, la rencontre du pronom adjectif indéfini (vanter) avec l'adverbe de quantité (vanter) produit l’effet d’une hétérologie drastique : pas tout le monde, mais seulement certains qui sont d’autres. Seuls certains, et jamais tous les autres, sont totalement, absolument, radicalement et infiniment Autres. C'est parce que?[Ii] On peut dire que le mouvement que poursuit Dominick LaCapra dans le livre que nous avons entre les mains est condensé dans la formulation de l'hétérologie signalée par Jacques Derrida. À travers l’ensemble des textes rassemblés ici, nous nous engageons une fois de plus sur le terrain mouvant des relations entre identité et altérité.
Comprendre les autres, ne constitue cependant pas un geste spéculatif abstrait au nom du déchiffrement ou de la conservation de cette énigme anthropologiquement fondamentale. Se déplaçant avec dextérité entre pratique et théorie, la réflexion de Dominick LaCapra mobilise, de manière très particulière, les liens entre action et subjectivité, conscience et nature, pour indiquer, d'une part, la nécessité d'un changement de paradigme. de régulation des processus socio-historiques par lesquels certains, et pas tous, deviennent d'autres.
D'autre part, Dominick LaCapra souligne, à travers son travail, les éléments qui, à ses yeux, sont fondamentaux pour la construction d'un cadre de référence théorico-conceptuel pour une histoire intellectuelle des autres : d'autres peuples, d'autres temps et d'autres êtres. que les humains – comme le sous-titre du livre l’indique clairement. Cette histoire, prévient d’emblée l’auteur, ne peut ignorer les enjeux économiques, sociaux et écologiques (p. 37). Mais cela ne suffira pas. Pour pouvoir voir et faire voir les autres, nous devons devenir capables de reconnaître comment, même contre notre intention délibérée, dans nos recherches et nos études, nous sommes ouverts à la possibilité d’agir comme des « informateurs des pouvoirs » que nous servons.
Avec une certaine ironie, Dominick LaCapra affirme que « structurellement, les anthropologues sont ce que Jean-Paul Sartre appelait de manière révélatrice des fonctionnaires subalternes de la superstructure » (p. 181). Cette reconnaissance est le point de départ d’une position d’autoréflexion et d’autocritique concernant la limitation épistémologique des exigences d’objectivité et de neutralité, souvent associées – dans le cas de l’historiographie – aux archives et aux documents.
La nébuleuse complexe qui surgit entre nous, l’autre qui vit en nous et ceux qui deviennent autres, agit comme un phare qui guide Dominick LaCapra dans la composition de ce que j’ai mentionné précédemment comme sa « façon particulière » de penser. À cet égard, Comprendre les autres est un livre très intéressant pour connaître les spécificités de la production historiographique de l'auteur, car il propose une synthèse réfléchie de ses inspirations théoriques, de ses principaux objets et de sa manière de pratiquer l'histoire intellectuelle, qui, en général, vise à réélaborer modèles culturels selon différentes perspectives temporelles, psychiques et sociales.
Dominick LaCapra, depuis les années 1980, s’est révélé être un historien qui a pris position contre la naïveté empirique de ses pairs. Sa démarche théorique, en mettant en dialogue Bakhtine et Jacques Derrida, remet en question la position hégémonique de la pratique de l'historiographie professionnelle de l'époque, marquée par une conception dans laquelle le contexte prend la valeur d'un caractère ontologique privilégié. A travers l'exploration des notions de carnavalisation et de textualité, LaCapra a conçu sa recherche comme le tissage d'un réseau inter-relationnel entre lecteur, texte et contexte, mettant en lumière une problématique théorique : l'aporie d'un sens historique configuré de manière instable, toujours médiatisé. , jamais transparent, jamais discernable une fois pour toutes et qui, par là même, engendre une historiographie qui chemine entre le territoire du langage au sens dénotatif, conceptuel, sérieux et scientifique et les domaines de la métaphore et de la rhétorique.[Iii]
Bien que très stimulante, la vision de Dominick LaCapra n'a pas échappé aux vives critiques qui s'adressaient à ceux qui osaient porter, dans le champ historiographique, des développements théoriques extraits de la tournant linguistique.
À partir des années 1990, les thématiques liant éthique et mémoire apparaissent comme au centre des préoccupations de la recherche académique, en même temps que l'impact du post-structuralisme et du virage linguistique dans les cercles postuniversitaires nord-américains ont eu tendance à diminuer. Comme je l'ai analysé en détail à une autre occasion,[Iv] Les débats intenses qui ont eu lieu dans le monde intellectuel nord-américain à la fin des années 1980 ont fini par se transformer en la demande d’une historiographie théoriquement sophistiquée et éthiquement attentive, capable de refuser les interprétations fascistes du passé.
Dans ce contexte, Dominick LaCapra a repensé certaines conséquences éthiques d’un scepticisme linguistiquement orienté, en déplaçant ses efforts intellectuels vers de nouveaux objets et thèmes, en mettant l’accent sur le traumatisme, et en transformant la psychanalyse en une source privilégiée de dialogue théorique. Les résultats de ce changement dans les travaux de recherche de Dominick LaCapra sont visibles dans le livre Représenter l'Holocauste : histoire, théorie, traumatisme (1994) et dans les publications qui suivent, Histoire et mémoire après Auschwitz (1998) et Écrire l’histoire, écrire le traumatisme (2001).
Depuis lors, l'histoire intellectuelle de Dominick LaCapra, évoluant entre différents objets, reste une pratique d'investigation théoriquement menée de manière critique, interrogative et réflexive, qui se situe à partir d'une enclave entre une temporalité « inconsciente » liée à la mémoire, aux mythes et rituels et une temporalité proprement historique et conjecturale liée à la spécificité et à la singularité des événements.
Em Comprendre les autres, Dominick LaCapra réalise un exercice de réflexion critique sur la manière dont s'articulent, dans son œuvre, les différents concepts et notions qui sous-tendent sa vision historiographique. Le nom le plus approprié pour cet exercice est peut-être « vigilance auto-réflexive », expression forgée par l’auteur pour désigner l’attention qui doit être portée aux distinctions, aux concepts et aux investissements théoriques de la part de l’historien. Reprenant la problématisation encore nécessaire concernant la notion de contexte, LaCapra réaffirme l'importance de l'apport de Jacques Jacques Derrida au champ historiographique, faisant sortir son interprétation autour de l'œuvre du philosophe algérien du champ du textualisme strict.
Comme l'affirme Dominick LaCapra, la conception du texte dans la philosophie de Jacques Derrida est un opérateur qui permet à l'historien d'articuler les éléments synchroniques et diachroniques des temporalités spécifiques et multiples qui traversent l'expérience ; c’est-à-dire qu’il permet un travail historiographique sur les textes, les langues et les pratiques significatives moins naïf et plus critique à l’égard d’une conception dénotative-descriptive du langage. En tant que structure généralisée de traces de liaison mutuelle et asymétrique, traversée de forces étroitement liées, le texte, ou mieux encore, la « non-existence de quelque chose en dehors du texte »,[V] constitue, pour LaCapra, une manière de penser en contraste ou en déviation par rapport aux oppositions binaires qui, pour l’auteur nord-américain, alimentent le mécanisme du bouc émissaire – un expédient psychique, collectif et individuel à travers lequel l’angoisse et l’insécurité inhérentes au soi sont projetées vers l’extérieur. sur d’autres vulnérables qui, paradoxalement, sont craints comme une menace.
La figure du bouc émissaire et l’opposition binaire entre soi et l'autre (ou entre « nous » et « eux ») nous ramènent au « secret de tous les secrets » énoncé par Jacques Derrida et qui concerne, enfin, le fait que la conscience morale et politique reste marquée par la notion de sacrifice et de , finalement, à travers l’ombre de la violence : on ne fait que faire mourir certaines personnes ou on les laisse mourir, pas toutes. Cette illumination est à l’ordre du jour, car elle est au cœur des débats sur la nécropolitique.[Vi]
Le débat politique contemporain ne peut échapper au fait que le bon fonctionnement de l’ordre économique, politique et juridique des formes sociales hégémoniques semble lié au sacrifice des autres pour ne pas se sacrifier soi-même. D'une manière profonde, la réflexion de Dominick LaCapra nous amène à reconnaître dans les modes de vie techno-scientifiques-industriels la présence fondatrice du traumatisme, du trait sacrificiel et de la violence. Sa réflexion nous amène également à nous interroger sur la possibilité d'une histoire qui fonctionne (travailler à travers) cette présence au lieu de la réitérer (jouer).
Le trait sacrificiel, traumatique et violent est certainement une marque inconsciente qui participe à l’économie des relations d’altérité et d’identité, y compris de l’altérité qui réside en soi. soi, et est liée aux expériences de violence, de victimisation, de chagrin, de traumatisme et d’oppression. Mais paradoxalement, le sacrifice est aussi lié à l’offrande, au don, à la confiance, à la compassion, à la responsabilité et à ce qui devient sacré pour une communauté donnée. Dominick LaCapra ne cherche pas à diluer la complexité de ces relations. Il ne se contente pas non plus d’une réaffirmation mélancolique de son ambiguïté.
Tout au long du livre, dans un choc courageux avec le moment politique dans lequel le gouvernement de Donald Trump aux États-Unis a voulu manifester des problèmes tels que les préjugés, le racisme, la misogynie, l'ultranationalisme et le sentiment anti-immigrés, baignés dans un bouillon d'autoritarisme et de personnalisme politique. , Dominick LaCapra semble vouloir se dire et dire à nous tous qu'il faut mettre un terme à la réitération constante de la violence sacrificielle pour se lancer vers un projet d'avenir, un avenir nouveau, un avenir plus désirable ou, du moins, « un avenir plus supportable » (p. 268). Son œuvre incite donc délibérément à revoir les seuils à travers lesquels certains deviennent autres, séparant d’autres peuples, d’autres époques et d’autres animaux.
Certes, l’élaboration de cette perspective provient du bagage accumulé par les recherches qui ont abouti à L'histoire et ses limites : humaine, animale, violence, dans lequel Dominick LaCapra a identifié la configuration d'un traumatisme transhistorique ou structurel qui se joue plastiquement de différentes manières : comme péché originel, comme passage de la nature à la culture, comme séparation/perte de la mère, comme « entrée » dans le langage ou la conception. comme le réel lacanien. À partir de là, il a tenté d’élucider comment et dans quelle mesure les éléments de ce projet trans-historique traumatique s’insèrent dans des expériences historiques traumatisantes, telles que les atrocités de la guerre et du génocide. L'articulation théorique entre les plans transhistorique et historique ouvre un espace à une discussion anthropologique sur le traumatisme d'où émergent les limites non seulement de l'histoire, mais aussi de la relation entre l'humain et l'animal lui-même et, par conséquent, les limites entre raison et violence. .[Vii]
Em Comprendre les autres, on assiste à la reprise de la discussion sur un fond anthropologique et historique, désormais accompagnée d'un travail immersif de clarification de la notion de transfert, dont la centralité était déjà identifiée dans les livres précédents. Cette élucidation est décisive pour comprendre comment la notion de transfert surgit du champ strictement psychanalytique au champ historiographique et quel est son rôle dans la formulation d'une critique des coupures productrices d'altérité qui génèrent des identités assoiffées de soi en permanence.
Dominick LaCapra considère la psychanalyse comme une science sociale avec laquelle l’historiographie ne peut manquer d’interagir. Dans les travaux antérieurs, le dialogue avec Lacan était plus courant. Dans les textes qui composent Comprendre les autres, le dialogue avec le champ psychanalytique s'effectue avant tout avec la pensée freudienne. Comme le dit LaCapra, pour Freud, l’altérité est associée au rôle du transfert et concerne avant tout la relation père-fils, qui signale une implication mutuelle inhérente, mais différentielle, de soi dans les autres.
Dans un premier temps, Dominick LaCapra a sollicité le concept de transfert pour interroger les manières dont l'historien s'implique par rapport à son objet d'étude. Comprendre les autres présente une expansion de cet angle d’action conceptuel. En traitant le transfert comme un concept relationnel non limité à la psychologie individuelle, cette implication mutuelle de soi ce qui implique une tendance à la répétition et un investissement affectif, pour Dominick LaCapra, ne se limite pas aux personnes.
Cela se produit également dans les relations entre différentes communautés humaines, entre textes et entre animaux. Si Freud pensait que le transfert affectait toutes les relations humaines, Dominick LaCapra va plus loin et pense que le transfert, c'est-à-dire l'implication mutuelle de soi, cela se produit aussi dans les relations avec « des êtres autres que les humains » (p. 188).
L'implication transférentielle, telle que l'entend Dominick LaCapra, suppose la récupération des sens d'empathie et de compassion en opposition au sens d'identification. Comme le soutient l'historien, alors que l'identification menace l'altérité d'effondrement et d'assujettissement, l'empathie nécessite de se mettre à la place de l'autre, sans prendre sa place ou prendre la place de l'autre. lieu énonciation du discours de sa part. Autrement dit, insiste Dominick LaCapra, l'empathie n'est pas synonyme d'identification, puisqu'elle repose sur la reconnaissance, sous certaines conditions, de la possibilité de réaliser certaines actions ou certaines expériences – ce qui engendre une « conscience élargie », capable de rester éthiquement vigilant face à cette éventualité.
Face à la perpétration d'un acte atroce, la conscience vigilante comprend qu'elle pourrait également agir ainsi et devient donc capable d'intervenir elle-même, préventivement, pour empêcher que cette éventualité ne se produise. Du point de vue de Dominick LaCapra, l'empathie ou la compassion ne peuvent pas être confondues avec le fait de soutenir, d'accepter ou de pardonner la perpétration de violences et d'expériences traumatisantes. Ce serait presque le contraire. Ce sont des éléments fondamentaux qui ne suffisent cependant pas à une compréhension historique fondée et à une action sociale et politique viable (p. 88).
Le cadre conceptuel de Dominick LaCapra relie cette compréhension spécifique de l'empathie au caractère inéluctable de la tendance transférentielle. Individuellement ou collectivement, nous avons la propension à incorporer en nous des traits de l’autre ou à projeter sur lui certains traits qui nous appartiennent, même si « l’autre » est un objet de recherche. Ces « traits » sont des marques qui concernent nos propres convictions, visions du monde et désirs. Ainsi comprise, l’empathie est un outil important pour que l’implication transférentielle, qu’elle soit impliquée ou non dans une expérience traumatique, puisse déclencher un processus d’élaboration.
Em Écrire l’histoire, écrire le traumatisme, Dominick LaCapra a construit un modèle analytique sur les réponses au traumatisme historique, dans lequel il s'oppose au concept de résolution (travailler à travers) à la notion de jouer (qui peut être compris à travers les idées de réaction ou de manifestation dans le présent en réitérant quelque chose de précédemment configuré ou vécu). Dans ce livre, LaCapra affirme que la réaction caractéristique de jouer est liée à une compulsion ou une tendance à répéter, et ceux qui en souffrent se sentent « piégés » dans l’expérience traumatique, revécue de manière répétée, ce qui entraîne une survie douloureuse, souvent imprégnée d’un sentiment de menace constante qui génère une hypervigilance compulsive et un désir. pour la sécurité.
À son tour, travailler sur l’expérience traumatique est un type de réponse beaucoup plus difficile au traumatisme, car il ne succombe pas à la tentation, souvent justifiable, de diviser le monde entre le bien et le mal, la victime et l’auteur. Le processus de réflexion ne prescrit pas de réponses faciles ni une progression linéaire à travers la douleur, mais implique plutôt une auto-formation de la mémoire par l’autoréflexion et l’engagement critique.[Viii]
Em Comprendre les autres, Dominick LaCapra poursuit ses recherches sur le traumatisme et ses zones d'ombre (terme emprunté à Primo Levi[Ix]), élargissant considérablement l'horizon d'action des concepts d'élaboration (travailler à travers) Et jouer. Ne se limitant plus à l'expérience traumatique, la portée des deux concepts concerne désormais la conception élargie du transfert comme implication personnelle, implication affective et tendance à la répétition, qui régit les relations entre les personnes, les communautés, les textes, les connaissances et les animaux.
Comme l’explique Dominick LaCapra, l’élaboration implique un travail (au sens psychanalytique) qui opère sur le soi et sur les processus sociaux, nécessitant une co-implication transférentielle qui modélise la répétition afin de résister à la contrainte et de s’en écarter. Autrement dit, travailler « implique d’ouvrir le soi à considérer et respecter les autres, et au moins à une compréhension limitée des autres en tant qu’autres, sans les réduire à leurs propres identifications narcissiques projectives ou incorporatives » (p. 29). À son tour, le jouer caractérise le mode de transfert totalement immergé dans des répétitions compulsives qui produisent des identifications et des projections réactives et défensives, qui, à leur tour, ne sont pas seulement présentes en réaction à une expérience traumatique.
Par jouer On entend également la projection d'angoisses, de faiblesses et d'insécurités déposées en soi, qui réagit alors contre tout réinvestissement et remodelage qui pourraient, dans le présent, produire des ouvertures pour l'avenir. Ce mode d'action renforce les préjugés et l'élection de boucs émissaires, dans un cycle de Réactions qui sert d’instrument pour générer ou renforcer des oppositions insultantes, voire des gestes de violence.
La référence faite par Dominick LaCapra au comportement de l'ancien président des États-Unis est particulièrement opportune pour interpréter cette manière élargie d'appréhender le jouer. LaCapra affirme que Donald Trump « apparaît parfois comme un cas paradigmatique de «jouer« avec peu ou pas de tentatives pour « résoudre » des problèmes difficiles ou des propensions douteuses » (p. 46). Tout au long du livre, des caractéristiques sont soulignées qui nous aident à réfléchir à ce que serait un tel paradigme.
L’ancien président, dit Dominick LaCapra, ment et répète compulsivement son mensonge jusqu’à ce qu’il commence à fonctionner entièrement à son propre bénéfice. « De manière hypocrite et oppressive, [Trump] utilise le ridicule et le sarcasme cinglant pour intimider et humilier ceux qu'il considère comme boucs émissaires, en comptant sur la naïveté ou la duplicité de ses partisans » (p. 243). Ou encore : « S’il est offensé par les critiques, il ne riposte pas dans la même mesure, mais par une overdose massive de ce qu’il projette ou imagine voir en elles. Au mieux, il dispose d'un « mécanisme » d'autocensure et de contrôle de soi qui fonctionne gravement mal » (p. 242).
Autrement dit, en analysant les positions, postures et comportements de Donald Trump, qui, comme le montre Dominick LaCapra, sont motivés par des tactiques de pivot et de projet, nous pouvons entrevoir ce que représente la forme la plus radicale et la plus extrême de jouer. Pour le lecteur brésilien, il sera inévitable d'identifier la similitude morbide entre les traits et les actions de Trump décrits et analysés par LaCapra et la figure indigeste de notre ancien président Jair Bolsonaro.
Le chemin ouvert par Comprendre les autres elle est à l’opposé du « sentiment du monde » représenté par ces figures. Le pari du livre repose sur l’espoir que le phénomène Trump, et, par extension, pour nous, le bolsonarisme, nous a rendus plus sensibles aux déficiences et aux limites des approches, des pratiques et des postures ancrées dans des identités animées par un désir compulsif. , résultant d’une certaine fixation anthropocentrique (p. 177). En ce sens, le lecteur trouvera dans l’ouvrage des problématisations sur différents types d’altérité : les humains et les autres animaux, les peuples occidentalisés et les autres peuples, l’histoire et la fiction, l’histoire et la mémoire, les sciences humaines et les sciences exactes et technologiques.
Dans chaque cas, ces coupures d’altérité sont traitées de manière attentive aux détails, à partir de cadres de référence façonnés selon des questions spécifiques qui s’ouvrent à l’enquête théorique et, bien sûr, au débat critique. Parallèlement, la réflexion de Dominick LaCapra permet de formuler un « nœud » fondamental : en tant que point de non retour, les dissensions entre passé et futur, et même la possibilité d'un avenir pour les humains, sont peut-être liées à la formation d'un génie cela n’attribue aucune dominance ou exception à notre espèce.
Mais dans ce cas, et c’est ce qui peut être inquiétant, les implications nous obligent à nous demander : qui et au nom de qui pourrait être juste, généreux et compréhensif ?
*Aline Magalhães Pinto est professeur de littérature à la Faculté des Arts de l'UFMG.
Référence
Dominick LaCapra. Comprendre les autres : les gens, les animaux, le passé. Traduction: Luis Reyes Gil. Révision de la traduction : Mariana Silveira. Belo Horizonte, Autêntica, 2023, 286 pages. [https://amzn.to/3yyUMp9]

Bibliographie
JACQUES DERRIDA, Jacques. Donner la mort. Paris : Galilée, 1999.
JACQUES DERRIDA, Jacques. Grammatologie. 2e éd. São Paulo : Perspectiva, 2004.
LaCAPRA, Dominick. L'histoire et ses limites : humaine, animale, violence. Ithaca, New York : Cornell University Press, 2009.
LaCAPRA, Dominick. Repenser l'histoire intellectuelle : textes, contextes, langage. Ithaca, New York : Cornell University Press, 1983.
LaCAPRA, Dominick. (2001). Écrire l’histoire, écrire le traumatisme. Baltimore : Presse universitaire Johns Hopkins, 2014.
LÉVI, cousin. Les noyés et les survivants. São Paulo : Paz et Terra, 2004.
LIMA, Luiz Costa. Jacques Derrida ou l'Amazonie de l'écriture. In: La fiction et le poème. São Paulo : Companhia das Letras, 2012. p. 66-95.
MBEMBE, Achille. nécropolitique: biopouvoir, souveraineté, état d'exception et politique de mort. São Paulo : éditions n-1, 2018.
PINTO, Aline Magalhães. Dominick LaCapra : textualité, empathie, traumatisme. In: BENTIVOGLIO, Julio; AVELAR, Alexandre de Sá (org.). L'avenir de l'histoire: de la crise à la reconstruction des théories et des approches. La victoire:
Milfontes, 2019. v. 1, p. 155-178.
notes
[I] DERRIDA, Jacques. Donner la mort. Paris : Galilée, 1999. p. 114.
[Ii] DERRIDA. Donner la mort, P 114.
[Iii] Voir LACAPRA, Dominick. Repenser l'histoire intellectuelle : textes, contextes, langage. Ithaca, New York : Cornell University Press, 1983.
[Iv] PINTO, Aline Magalhães. Dominick LaCapra : textualité, empathie, traumatisme. In: BENTIVOGLIO, Julio; AVELAR, Alexandre de Sá (org.). L'avenir de l'histoire: de la crise à la reconstruction des théories et des approches. Vitória: Milfontes, 2019. v. 1, p. 155-178.
[V] "Il n'y a pas de hors-texte» est une expression devenue célèbre à la fois pour identifier et disqualifier la déconstruction derridienne. Comme l'explique Derrida, dans Grammatologie, et LaCapra le répète, la perspective de la déconstruction suppose qu’« il n’y a pas de hors de texte», ce qui ne veut pas dire que toutes les références sont suspendues ou niées, ni que tous les points de vue sont légitimés dans une sorte de « tout est permis ». "Il n'y a pas de hors-texte» signifie que chaque point de référence, toutes les réalités ont la structure d’un fonctionnalité différence, ils sont textuel, et on ne peut se référer à cette réalité que dans une expérience interprétative qui se déroule, ou ne prend sens, que dans un mouvement différentiel. Voir DERRIDA, Jacques. Grammatologie. 2e éd. São Paulo : Perspectiva, 2004. Pour une perspective critique, voir LIMA, Luiz Costa. Derrida ou l'Amazonie de l'écriture. In: La fiction et le poème. São Paulo : Companhia das Letras, 2012. p. 66-95.
[Vi] Selon Achille Mbembe, la nécropolitique se caractérise par la confluence de trois notions qui participent à la pratique de la souveraineté comme double processus d'auto-institution et d'autolimitation : la biopolitique, l'état d'exception et l'état de siège. L’auteur cherche à démontrer comment le pouvoir (et pas nécessairement le pouvoir d’État) fait continuellement référence et fait appel à l’exception, à l’émergence d’une fracture (nous et les autres) qui configure l’altérité comme un ennemi. Le pouvoir est, à la limite, le pouvoir sur la vie des autres, et, pour l'exercer, il faut opérer ce mouvement par lequel les uns deviennent les autres, une différence qui, dans les situations extrêmes, marque la division entre les personnes qui doivent vivre et ceux qui doivent mourir. Voir MBEMBE, Achille. nécropolitique: biopouvoir, souveraineté, état d'exception et politique de mort. São Paulo : éditions n-1, 2018.
[Vii] LaCAPRA, Dominick. L'histoire et ses limites : humaine, animale, violence. Ithaca, New York : Cornell University Press, 2009. p. 1-36.
[Viii] LaCAPRA, Dominick. (2001). Écrire l’histoire, écrire le traumatisme. Baltimore : Presse universitaire Johns Hopkins, 2014.
[Ix] Voir LÉVI, Cousin. Les noyés et les survivants. São Paulo : Paz et Terra, 2004.
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