Critique de la raison Tupiniquim

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Par NILDO VIANA

Considérations sur le livre de Roberto Gomes

Critique de la raison Tupiniquim, publié en 1977, dans sa première édition, présente une réflexion intéressante sur la « philosophie brésilienne ». Le livre n’a pas reçu la reconnaissance qu’il méritait. L'importance du thème (surtout pour les philosophes brésiliens, mais qui dépasse le cadre des questions philosophiques et entre dans la problématique de la culture brésilienne), l'originalité de l'approche, son sens critique face à ce qu'il appelle la « dépendance », entre autres aspects, révèlent certains de ses mérites. Il est donc important de sauver ce travail et de mener une réflexion critique à son sujet.

Roberto Gomes est un intellectuel producteur d'œuvres littéraires et de réflexions philosophiques, membre de l'Academia Paranaense de Letras. Il a présenté une réflexion très intéressante sur la « raison Tupiniquim ». Malheureusement, ce travail est négligé ou négligé par beaucoup. Cela limite sa portée, son influence et sa diffusion, ainsi que les réflexions ou développements critiques qui pourraient suivre le débat autour de lui. Peut-être que votre refus d’un certain type de « sérieux » est une des déterminations de ce processus, même si ce n’est pas la plus importante.[I]

La principale raison pour laquelle son œuvre n'est pas reconnue réside dans sa critique de diverses productions culturelles, ainsi que dans sa critique de la raison affirmative et de la raison ornementale, qui continuent de prédominer dans la société brésilienne, même sous d'autres formes. En outre, il révèle les liens entre ce processus et ce qu’il appelle la « dépendance », ce qui ouvre la voie à une critique générale de la culture brésilienne que beaucoup veulent éviter.

Le problème d’une « philosophie brésilienne »

L'œuvre de Roberto Gomes réfléchit sur la possibilité d'une « philosophie brésilienne », ou d'une « raison Tupiniquim ». Roberto Gomes constate qu'il n'y a pas de « raison brésilienne » et aborde la question de l'originalité et ses obstacles dans le cas brésilien. Il affirme que dans le contexte brésilien, marqué par le culte des étrangers et le formalisme, une réflexion à mener porte sur « les conditions de possibilité d'un jugement philosophique brésilien » et la complète par la question : « la philosophie, dans un costume et cravate, tu penses ?

Roberto Gomes arrive à cette question sur la base de certaines hypothèses, notamment que la philosophie est une « raison qui s'exprime » et que son objectif est la « révélation de soi », ou la «strip-tease culturel". C'est, selon cet auteur, ce qui a accompli la philosophie grecque. La découverte est toujours la découverte de soi : « en effet, se découvrir, c'est se retrouver, pour le simple fait qu'il n'y a pas d'autre que je dois découvrir – dès le début c'est moi qui est en question. La découverte est donc un phénomène primordial : une re-connaissance » (Gomes, 1994, p. 19). Gomes relie ainsi philosophie et réalité.

Contrairement à ce que l’on croit communément, ce n’est pas la séparation du lieu et du temps qui donne de la profondeur à une pensée, comme par exemple celle de Platon. Son grand mérite est d’être l’expression réalisée de l’esprit grec à un moment donné – car cet homme était, sans aucun doute, grec. On comprend mal ce qu'il dit si l'on veut préserver de son œuvre ce qui n'est pas « mêlé » impur aux tribulations de son temps. La conscience aiguë et hautement différenciée de la raison grecque d’alors était la racine de sa profondeur et la nature de son enseignement.

Sa pensée devient incompréhensible si l'on ne prend pas en compte le lien intime qui existe entre politique et philosophie, cette dernière étant éclairée par la première, dans la mesure où il y réfléchit. L'échec politique en Sicile, les conditions politiques inquiétantes, la mort de Socrate l'ont conduit au postulat fondamental de son idéalisme : le monde matériel doit être modifié – c'est-à-dire : nié – sur la base des vérités obtenues dans l'intuition des idées. Ainsi, en postulant la réforme de la ville, le « monde des idées » se présente comme le non-être déni du courant, la synthèse de sa critique de son temps. Et c’est seulement alors, vu dans son essence indéniablement politique, que cela prend tout son sens. Autrement, cela ressemblera à une construction vide et « platonique » – ce qui en fait n’a jamais été le cas (Gomes, 1994, p. 19-20).

La conception de Roberto Gomes est en partie vraie et en partie fausse. Sans aucun doute, aucune conception philosophique ne surgit, et ne pourrait surgir, en dehors du lieu et de l’époque où elle est née. C'est vrai. Il est également vrai que Platon a exprimé, sous une forme philosophique, les problèmes et les enjeux de son époque et de sa société. De même, il est juste de dire que si nous voulons comprendre Platon, nous devons le contextualiser socialement et historiquement.

Il semble donc qu'il n'y ait rien de mal dans les déclarations de Roberto Gomes. Cependant, il faut comprendre que dans ce bref extrait se confond le lien entre la philosophie et la réalité, son caractère expressif (elle exprime sous une forme spécifique certaines relations sociales historiquement constituées), avec son mérite et le sens de la pensée philosophique. Si Platon avait un mérite, c’était d’aller au-delà de « l’esprit grec ».. Pendant que sur La république (1974), il justifie et légitime la société esclavagiste et propose un changement de gouvernement, qu'il faut attribuer aux philosophes, il était un homme de son temps, mais il n'a généré qu'une idéologie, au sens marxiste du terme, c'est-à-dire , un système de pensée illusoire (Marx ; Engels, 1982 ; Viana, 2017).

Et ici nous trouvons un autre problème pour Roberto Gomes, qui imprègne toute son œuvre, c'est sa compréhension de la réalité, car il ne remarque jamais l'existence des classes sociales et de leurs luttes, ni d'autres divisions sociales, et comment cela affecte la philosophie. Lorsque Roberto Gomes oppose « monde matériel » et « monde des idées » en disant que pour Platon le premier doit être « modifié », il n'en comprend pas pleinement le sens, même si, lorsqu'il évoque la « réforme de la ville » ( le polis grec), voit qu’il s’agit de réformer et non de transformer (au sens de révolutionner).

Ce qu’accomplit Platon n’est pas un déni radical et total de la société grecque mais plutôt une opposition modérée et partielle qui profite au groupe social auquel il appartient, les philosophes. Platon ne nie pas l’esclavage mais le justifie et le légitime. Et, dans ce contexte, la valorisation du « monde des idées » n’est pas une expression de « l’homme grec » ni de la « société grecque » mais d’un groupe social spécifique en son sein. Son refus est « platonique » dans le sens où il n’a développé aucune action visant à réaliser son idée, il l’a seulement proposée. La célèbre « Allégorie de la Caverne » exprime ce processus idéologique, car elle désigne donc la raison, ses porteurs, les philosophes, comme ceux qui devraient légitimement gouverner et le fait en apportant la « lumière », allégorie des idées, à ceux qui vivent dans le monde des ténèbres,doxa ».

L’idée est de changer un aspect de la société pour la préserver dans sa totalité, au profit des philosophes. Aristote a également justifié et légitimé la société esclavagiste et son mérite ne résidait pas dans sa production idéologique, mais plutôt dans le fait qu'il traitait de questions plus abstraites, plus éloignées de l'époque et moins « contaminé » par son époque et sa société, à l'exception de , par exemple, de sa thèse des « quatre causes » (Chauí, 1992). Cependant, sa réflexion sur les catégories, entre autres, même si elles ne peuvent être acceptées dans leur intégralité, sont des contributions à la réflexion sur la réalité et son lien avec le temps et le lieu était plus restreint.

De cette conception problématique de la philosophie découle son idée d’« originalité ». Selon l’auteur, une pensée originale n’est pas celle qui dépasse sa situation, qui serait selon lui « impossible », « mais justement parce qu’elle donne forme et consistance à cette époque et présente une revue critique des enjeux de son époque ». temps, ayant ainsi une origine » (Gomes, 1994, p. 21). Le problème de l’originalité, selon Gomes, renvoie au problème de l’origine, de la racine. L’idée d’originalité ne renvoie pas à la question de savoir d’où elle vient mais plutôt de ce qu’elle génère.

Une idée est originale non pas parce qu’elle est enracinée dans un certain temps et dans un certain lieu, mais parce qu’elle donne naissance à une idée nouvelle. C’est ce qu’exprime Merleau-Ponty (1989) avec l’idée de « penser l’impensé ». Sans aucun doute, cela se réalise dans un certain temps et dans un certain lieu et ce sont généralement ses éléments de motivation, mais l'originalité réside dans le fait, à partir de cette réalité, de lui apporter un éclairage nouveau, de révéler ce qui était caché. Ces problèmes n'enlèvent toutefois pas les mérites de l'œuvre de Roberto Gomes et c'est pourquoi il vaut la peine d'analyser le reste de l'œuvre dans son ensemble.

Roberto Gomes part de cette conception de la philosophie et de l'originalité pour réfléchir au thème clé de son œuvre, la philosophie brésilienne. Selon lui, « si nous exigeons que la philosophie ne soit pas seulement quelque chose entre nous, mais que la philosophie brésilienne,[Ii] Il est clair que nous assumons une originalité, la nôtre. Une erreur serait donc de s’accrocher à une réponse étrange, qui n’est pas née ici » (Gomes, 1994, p. 21). En ce moment, Roberto Gomes remet en question, à juste titre, bien que partiellement, la recherche d'une pensée étrangère (internationale) pour penser la réalité brésilienne, ce qui, selon lui, rend impossible une « philosophie brésilienne ».

Ainsi, la philosophie serait liée à une « position ». Toute philosophie pointe vers une position et une vérité dérivée de cette position. « L'originalité de la philosophie consiste à se découvrir dans une certaine position, à l'assumer par réflexe » (Gomes, 1994, p. 23). Il établit un lien entre « position » et « vérité » : « si votre affirmation fondamentale est la vérité, il convient de rappeler qu'elle n'a de sens que si elle est la mienne » (Gomes, 1994, p. 23). Cette conception subjectiviste de la vérité est problématique, mais nous y reviendrons plus tard. Ainsi, « une philosophie brésilienne n’aura les conditions d’originalité et d’existence que lorsqu’elle sera découverte au Brésil. Être au Brésil pour pouvoir être brésilien. Et cela ne s’est pas produit. Notre pensée a toujours été étrange, dispensée à l'étranger » (Gomes, 1994, p. 23).

Traiter les questions importantes et urgentes dans lesquelles se trouve le philosophe est la condition de possibilité de toute philosophie, selon cet auteur. Ce qui est étranger ne prend de l’importance que lorsqu’il devient « notre problème ». « Il n'y a donc pas de 'problème' pour la Raison brésilienne qui nous attend. Il est plutôt urgent de l’inventer dans l’acte même d’inventer une philosophie brésilienne. Notre strip-tease culturel » (Gomes, 1994, p. 24). Mais, prévient l’auteur, cette invention « ne se produit pas en vase clos » et cite comme exemples Thales, Hegel et Marcuse, qui ont produit une « conscience réflexive » des problèmes de leur temps.

Roberto Gomes fait la distinction entre science et philosophie. La science évolue par rapport à « l'objet », qui a une existence indépendante du scientifique, ayant, en même temps, un caractère pragmatique et mesurant sa valeur en termes de technique. La philosophie aurait une attitude différente envers l'univers. Elle remet l'existence en question, elle ne sélectionne pas un « objet », mais elle l'invente. La philosophie n’a d’importance que lorsqu’elle n’est pas utilisée pour justifier des attitudes, car dans ce cas elle devient « idéologie ». L’importance de la philosophie apparaît lorsqu’elle « nie la conscience ». La philosophie signifie « dire le contraire ».

Ce fut le cas, entre autres, de Thalès, Socrate, Platon et Aristote. Socrate nie la philosophie antérieure, Platon nie Socrate et Aristote nie Platon.[Iii] Toute philosophie apparaît comme un déni, une pensée essentiellement critique. Cependant, c’est une position et, en ce sens, elle exprime un temps et un lieu. C'est un strip-tease culturel. Cela diffère du « mythe de l'impartialité » qui existe au Brésil, dans lequel on a tendance à chercher à éviter le « choc des idées » et la « prise de position ». Le « juste milieu » est recherché, mais « au milieu se trouve le médiocre ». Roberto Gomes conclut en disant qu'« en n'assumant pas notre position, la pensée brésilienne devient impossible » (Gomes, 1994, p. 31). C'est impossible si nous n'acceptons pas de « détruire le passé qui nous a été imposé », « en refusant d'assumer sa condition fondamentale : qu'il est le nôtre, en niant celui des autres » (Gomes, 1994, p. 31).

Ces déclarations de Roberto Gomes pointent vers des questions intéressantes et certains moments de vérité, mais elles comportent aussi des points problématiques et des moments de mensonge. Lorsqu’il dit que « parmi nous » (quand il fait référence aux Brésiliens) il y a le mythe de l’impartialité, comme dans d’autres cas, il y a une certaine généralisation. A côté d'une généralisation identifiée comme existante, comme l'adoption du « mythe de l'impartialité » (et d'autres comme la « voie brésilienne », la « cordialité », etc.), qui est critiquée, apparaît une autre généralisation, l'idéal, qui dit ce que devraient être les Brésiliens et la philosophie brésilienne. Nous reviendrons sur ce point plus tard.

La misère de la raison brésilienne

À partir de ces points, Roberto Gomes commence à critiquer le « mythe de l'impartialité », l'éclectisme (chapitre 05) ; au « mythe de la concorde », le chemin (chapitres 06 et 07) ; à la « philosophie entre nous » (chapitre 08) ; à la « raison ornementale » (chapitre 09) ; à la « raison affirmative » (chapitre 10), pour clôturer l'ouvrage par un chapitre sur « la raison dépendante et la négation ». Ces chapitres sont les plus intéressants de l'ouvrage et nous y voyons un diagnostic lucide et vrai de la production philosophique brésilienne (et pas seulement philosophique, mais culturelle en général) et de ses problèmes. Nous ne pourrons cependant pas procéder à une analyse détaillée de chacun de ces chapitres, ni en procéder à une critique plus approfondie. Nous présenterons seulement brièvement quelques aspects que nous considérons comme les plus importants et ferons quelques considérations synthétiques pour arriver au dernier chapitre et, après cela, réaliser une analyse totalisante de l'œuvre.

La critique de l’éclectisme commence par l’observation de son existence ancienne dans la société brésilienne. Roberto Gomes reprend Victor Cousin, un « philosophe mineur », et son éclectisme, qui aurait les caractéristiques les plus importantes : (i) la méfiance à l'égard des systèmes de pensée, qui limiterait « l'esprit » ; (ii) l’idée de vérité serait le résultat d’une mosaïque qui rassemblerait plusieurs penseurs ; (iii) l’idée narcissique et immature selon laquelle cela signifierait « non-dogmatisme », « esprit ouvert » ou « illumination ». Cet éclectisme s'est répandu dans la pensée brésilienne, issu de la dépendance culturelle à laquelle le Brésil est soumis et qui génère le « mythe brésilien de l'impartialité ».

L’auteur affirme qu’« entre nous », nous cherchons souvent à « dissoudre les oppositions », juxtaposant « subjectivisme et objectivisme, matérialisme et idéalisme, rationalisme et empirisme », sans nous rendre compte qu’il y a un prix à payer pour une telle position. « De cette façon, nous nous falsifions, n’étant rien. Et on n'assimile rien. La condition minimale pour l’assimilation est l’existence préalable d’une structure qui assimile » (Gomes, 1994, p. 37). Une « assimilation neutre » n’est pas possible, « dans laquelle seule compte l’objectivité brute de ce qui est connu. La présence du facteur générateur de la connaissance est requise : la position du sujet » (Gomes, 1994, p. 37). Il est naïf, selon l’auteur, de « vouloir tout assimiler », de dissoudre les oppositions et de tenter d’extraire le « meilleur » de chacun. Pour réaliser une telle « extraction », une sélectivité est nécessaire, ce qui suppose un critère. "Le vide n'assimile rien."

Ces déclarations de Roberto Gomes sont intéressantes et nous ne pouvons pas procéder à une analyse plus profonde et plus détaillée de tout ce que cela implique. Il est cependant nécessaire de souligner certains aspects. L’idée de « dissoudre les oppositions », prise en elle-même, est problématique, mais le maintien des oppositions l’est aussi. Au fond, les oppositions citées par Roberto Gomes (matérialisme/idéalisme ; rationalisme/empirisme ; subjectivisme/objectivisme) sont des antinomies de l'épistémè bourgeoise (Viana, 2018) et il n'est pas question de les maintenir (ce que l'on peut déduire de sa critique de celles-ci). qui veulent les dissoudre).

Ainsi, les antinomies de la pensée bourgeoise doivent être critiquées et surmontées, et non « dissoutes » par leur union éclectique ou leur maintien ou leur prise de parti par rapport à un camp. Le rationalisme comme l’empirisme sont problématiques et limités, ils constituent des obstacles à une appréhension de la réalité. Ce n'est pas en unissant ces deux positions, comme peut le faire l'éclectisme, ni en prenant parti pour l'une d'elles, comme le soutient Roberto Gomes, que l'on résoudra le problème, mais plutôt par une analyse critique de ses fondements, de ses caractéristiques et de ses problèmes et en allant au-delà eux et appréhender le réel qu'ils cachent, car c'est ainsi que nous pouvons avancer.

Dans ce contexte, Roberto Gomes aborde la question de l'assimilation (et contredit d'autres passages dans lesquels il utilise ce terme de manière péjorative). C'est l'une des parties les plus intéressantes de son œuvre. Elle est présente dans votre reprise de la discussion sur l’anthropophagie. Sans aucun doute, toute conception peut assimiler des éléments d’une autre conception, à condition : (a) qu’elle le fasse efficacement ; (b) en être conscient (et ne pas confondre assimiler et « interpréter », car alors vous attribuez au discours d'autrui ce qui est le vôtre) ; et (c) promouvoir une véritable transformation de ce qui a été assimilé (sinon il y a un risque d'éclectisme). Et cela pose la question de ce que l’auteur appelle des « critères » d’assimilation. Et la question, selon lui, est de savoir quel est ce critère, ce qui révèle encore un autre point problématique dans l'argumentation de Roberto Gomes, comme nous l'expliquerons plus tard.

Sachant que le vide ne peut rien assimiler et déterminer ce qui est « le meilleur », un critère est nécessaire et Roberto Gomes affirme que « la position du sujet est ce qui organise la sélectivité ». Il est ici possible de s'interroger sur l'usage de cette abstraction : « le « sujet ». Que signifie « sujet » ? Qui est le « sujet » ? Fondamentalement, Roberto Gomes reprend une construction de episteme une bourgeoisie abstraite qui réfléchit à la question de l'assimilation et qui se perd ainsi.[Iv] Mais au-delà de cela, l’auteur insiste sur la nécessité d’une « conscience claire des critères retenus » pour sortir de la neutralité et permettre l’assimilation. « Si certains critères sont présents dans l'éclectisme, celui-ci cesse d'être de l'éclectisme, devenant une position caractérisée par les critères existants » (Gomes, 1994, p. 38).[V].

Et l’auteur affirme qu’il s’agit là d’une position naïve et que « l’éclectisme est impossible ». Or, si l’éclectisme est impossible, il n’existe pas. S’il n’existe pas, à quoi bon le critiquer ? L'auteur tente de résoudre cette contradiction en affirmant qu'il y aura toujours, aussi obscur soit-il, un critère. L'éclectisme, au Brésil, serait une « philosophie folle » qui ne se connaît pas, c'est-à-dire ne connaît pas ses critères. « Nous n’utilisons pas nos critères, nous sommes leurs victimes » est une affirmation curieuse et contradictoire. Et la question qui reste pour l’auteur est : quels sont les critères ? Il esquisse une réponse qui permettrait de surmonter le « paradoxe ».

Un pays sans mémoire ne peut pas attendre qu’un passé tombe du ciel : il doit le construire, car même un passé se construit – quand je le fais moi-même. Et le paradoxe se dissout : on construit un passé en se tournant vers le futur, en choisissant un projet, un point de vue. Notre position (Gomes, 1994, p. 39).

Il serait possible de remettre en cause l’idée selon laquelle un passé est « construit », notamment en raison de son caractère subjectiviste.[Vi]. Les idées de projet et de « notre position » sont intéressantes, mais imprécises et nous suivrons l'auteur jusqu'au bout pour voir s'il révèle enfin de quelle position, critères, projet il s'agit.

Un autre élément de la pensée « tupiniquim » critiqué par l'auteur est le « mythe de la concorde », la « voie ». L’épigraphe du chapitre est « nous cédons le chemin », dont la paternité est attribuée au « peuple ». L'auteur poursuit en disant que « je crois que l'élément constitutif de la voie est la non-radicalisation », qui se combine bien avec « l'impartialité » déjà critiquée et évite le « fanatisme ». Ainsi, l'auteur reproduit l'idée de la « voie brésilienne ». Pour ce faire, il présente le principe de la bureaucratie, la méfiance, ainsi que son formalisme, et comment les Brésiliens y échappent (« l'opérateur de l'ascenseur trouve un moyen et ne voit pas la cigarette que j'ai allumée. Le gardien de la route trouve un moyen si mon "L'examen de la vue est expiré. Je fais des inscriptions conditionnelles, l'institutionnalisation très bureaucratique du chemin"). Ainsi, le « mythe de la concorde » s'instaure dans un pays dans lequel « il n'y a rien de plus semblable à un saquarema qu'une Luzia au pouvoir », citant l'auteur de Les racines du Brésil, Sérgio Buarque de Holanda, qui reprend la phrase évoquée par Holanda Cavalcanti.

« Le mythe de la concorde » conduit à l’intolérance, c’est-à-dire à son contraire. « La différence est un crime. Être en désaccord est une subversion. Demander est déjà un acte de désobéissance. Nous sommes au pays du jeitinho, de l'homme cordial, du carnaval éternel » (Gomes, 1994, p. 47). La cordialité et la politesse engendrent « l’intolérance, le sectarisme, la partisanerie stérile, la répression, la censure – un champ fertile pour l’action d’une autorité irrationnelle et pour les régimes qui en font usage » (Gomes, 1994, p. 47). Dans ce contexte, la philosophie au Brésil a refusé de remplir sa mission, elle n'a pas cherché à être le centre de la conscience critique et du déni des falsifications, devenant inexpressive.

Roberto Gomes aborde également la question de la raison conciliante présente dans la philosophie produite au Brésil. Cela combine conciliation et répression. Aux discours conciliants s’ajoute l’attaque répressive. Cette raison ne porterait pas sur la réalité, mais sur les idées, car elle est une conciliation éclectique de pensées.

Il existe deux possibilités pour défendre cette raison aliénée : soit la concilier, soit la supprimer. Les expressions de son abandon de la réalité, de sa conciliation et de sa suppression ne se font pas en relation avec les choses environnantes, mais avec des théories qui traitent de la réalité. La raison conciliatrice porte sur des raisons du réel préalablement données et non sur le réel en tant que tel. Le pôle qui centralise notre raison sont les théories comme verbalisations, puisque le réel dont elles traitent est l'étranger (Gomes, 1994, p. 52).

Roberto Gomes affirme que la suppression de la philosophie, comme le montre le thomisme et le néopositivisme, qui ont longtemps réussi dans les cercles intellectualisés de la société brésilienne, montre que la conciliation ne permet pas « l'originalité ». Ceci, dit l'auteur, est étranger à l'attitude philosophique. La conciliation des idées, tenue pour acquise, est une attitude non philosophique et toute tentative en ce sens est au service de la « raison ornementale ».

L'auteur aborde la question de la philosophie brésilienne au chapitre 08. Il présente un débat sur cette question mené entre certains auteurs et présente ensuite sa position. Ce qui nous intéresse ici, c'est la position de Roberto Gomes. Il déclare que l’affirmation selon laquelle la philosophie n’a ni pays, ni géographie, ni histoire est absurde.[Vii] Roberto Gomes affirme que « ce n'est qu'à travers une réflexion critique sur notre manière d'exister, notre langage, nos falsifications existentielles et historiques que nous pourrons atteindre les limites de notre propre philosophie » (Gomes, 1994, p. 61).

Une philosophie brésilienne, selon lui, comme il l'avait déjà dit, ne peut exister que lorsqu'elle est enracinée et répond aux problèmes brésiliens. Dans ce contexte, il remet en question les objections présentées à l’existence d’une philosophie brésilienne. La première objection affirme que les Brésiliens n'ont pas un « esprit capable de philosopher » et la seconde affirme que la langue portugaise est incapable d'exprimer de manière adéquate une expression philosophique. Il cite Álvaro Lins comme représentant, mais pas directement, de cette première objection et reprend l'affirmation de l'auteur selon laquelle l'héritage portugais est peut-être « la cause de l'absence de philosophe au Brésil ». Les Luso-Brésiliens ne semblent pas habitués à l’usage des facultés spéculatives et abstraites, ni au « don » d’une « étude patiente, désintéressée et introspective ».

Pour Roberto Gomes, cette conception est problématique. Premièrement, affirme-t-il, toute connaissance est intéressée. Ce qu'il faut, c'est faire la distinction entre « un intérêt sérieux » et un « intérêt sérieux ». Deuxièmement, le caractère introspectif comme condition de la réflexion est discutable, puisque, selon l'auteur, Marx et Aristote sont des extravertis presque à l'état pur.[Viii] Troisièmement, ce qui peut être de la patience et de l’ordre pour un individu peut ne pas l’être pour un autre. Sans aucun doute, Roberto Gomes a partiellement raison dans les deux premiers cas, mais dans le troisième, il tombe déjà dans le subjectivisme et démontre qu'il ne comprend pas ce que signifie « étude patiente ». L'auteur affirme que le Portugal n'a pas vraiment laissé un riche « héritage philosophique », mais tente d'échapper à cet obstacle en affirmant que la philosophie n'est pas héritée.

Roberto Gomes aborde également la question de la langue portugaise. Ce serait considéré comme un obstacle qui éloignerait des thèmes considérés comme « élevés » en philosophie, ayant une faiblesse inhérente. Cela expliquerait l’absence d’une « philosophie brésilienne ». C'est un véritable drame pour les professeurs de philosophie[Ix] la traduction d'expressions allemandes, françaises et latines vers le portugais. Cela favoriserait une « avalanche de citations » et un « hermétisme imbécile ». Ce qu'Álvaro Lins oublie, affirme Roberto Gomes, c'est que ces expressions sont originales et enracinées, liées aux problèmes et aux urgences du lieu et du temps, et c'est pourquoi leur traduction est « une chose impossible ».

Il s’agit d’un problème d’interprétation pour Roberto Gomes, dont la focalisation sur les nations l’empêche de voir l’universel. Sans aucun doute, Aristote, Kant, Hegel portent la marque de leur époque et de leur société, mais ce n'est pas l'intégralité des œuvres de ces auteurs, qui comportent des éléments qui dépassent ce contexte social et historique. La discussion de ces trois auteurs sur les catégories (quantité, qualité, temps, espace, etc.) peut apporter des marques de temps et de lieu, mais elle amène aussi des réflexions qui dépassent ces limites et peuvent être assimilées dans un sens qui va au-delà d'eux, reconnaître ce qui est singulier et ce qui est universel. Ces penseurs n’exprimaient pas seulement ce qui était étranger, mais aussi ce qui était commun.

Cependant, Roberto Gomes soulève une question importante en citant la solution de Mário de Andrade : « au lieu d'imaginer que nous n'avons pas de pensée à cause du manque de langage, pourquoi ne supposons-nous pas que nous n'avons pas de langage à cause du manque de langage ? pensée?" (Gomes, 1994, p. 68). Cependant, Roberto Gomes revient sur le problème national, car, selon lui, nous pouvons enrichir notre langue si nous partons de « notre importance et urgence » vers la langue au lieu de ceci et de cela.

La question de la langue portugaise soulève deux questions. Sans aucun doute, il y a des limites dans la langue portugaise (ainsi que dans d'autres langues, notamment l'anglais, mais ces limites ont été partiellement surmontées grâce à la production de réflexions). La limite formelle peut toutefois être surmontée par la créativité. Il ne s’agit pas de l’étranger du thème/phénomène, mais plutôt de la détermination formelle de la langue. S'il existe une détermination formelle négative, il s'agit de la surmonter en développant le langage sur le plan noosphérique (philosophique, scientifique, théorique, etc.). La solution, cependant, ne consiste pas à partir seulement des problèmes brésiliens, mais des problèmes réels en général (des plus universels aux plus spécifiquement brésiliens), à mesure qu'émerge le besoin d'un langage abstrait en portugais et d'un ensemble de concepts et de notions qui expriment. les besoins de la société brésilienne, unissant l'universel et le singulier.

Roberto Gomes termine en critiquant la confusion entre « les auteurs parmi nous » et la « philosophie brésilienne », qui génère l'idée de l'incapacité des Brésiliens à penser par eux-mêmes et la justification de celle-ci par une prétendue insuffisance de la langue portugaise, qui amène le Il faut « détruire ces idées fausses ». Il passe ensuite à son analyse de la « raison ornementale ».

Raison ornementale, raison affirmative et raison dépendante

Le motif ornemental est un attribut brésilien, dit Roberto Gomes en s'inspirant de Sérgio Buarque de Holanda.[X] Une phrase de Roberto Gomes résume ce qu'il entend par « raison ornementale » : « le type d'intelligence qui nous plaît est celui qui sait briller à travers les mots. Ne jamais avoir prononcé de slogan, voilà l'erreur qu'un intellectuel brésilien ne commettra jamais » (Gomes, 1994, p. 73). Cependant, il est « dosé de quelques astuces sages », car « le héros brésilien est le plus intelligent » (Gomes, 1994, p. 73). Nous pouvons résumer cette idée dans l'affirmation selon laquelle « les intellectuels brésiliens sont des Macunaímas de lettres ». Roberto Gomes ajoute que les intellectuels brésiliens doivent adhérer à une mode, quelle qu'elle soit. Le langage hermétique est la clé de l'initiation de l'intellectuel brésilien.

Pour lui, l'adhésion frénétique à un courant, une étiquette ou un cliché constitue la mort de la pensée. À l’origine, toute pensée est critique et négation, et la limite de sa vitalité s’identifie à la limite de sa systématisation et de sa validité. C’est à cela qu’il faut veiller : une pensée doit avoir une validité, pas nécessairement une validité, car celle-ci lui est généralement donnée à partir du moment où elle commence à mourir (Gomes, 1994, p. 74).

La critique de Roberto Gomes contre les modes, l'asservissement intellectuel à la culture étrangère, est complétée par cette critique de l'adhésion inconditionnelle à l'hégémonique. Et il ajoute que nous « confondons » la pensée originale avec la pensée « nouvelle ». Pour justifier cela, Gomes fait une distinction entre l’original et le nouveau. Le nouveau n’est qu’un simple « accident » de l’original. Ce qui est original, c'est ce qui remonte aux origines et non ce qui perdure dans le temps. L'intellectuel brésilien s'accroche à la nouveauté, pensant se rapprocher de la vérité, ce qui signifie qu'il manque d'originalité. « C'est pourquoi l'étiquette de « dépassé » est une pure erreur » (Gomes, 1994, p. 74). « À une structure mentale et sociale fermée et conservatrice, nous superposons une ornementalité de nouveauté, comme si la vérité était, lors d’une vente aux enchères, quelque chose que celui qui a fait la dernière enchère peut s’emparer de celui-ci » (Gomes, 1994, p. 74).

L'auteur revient à Álvaro Lins pour compléter sa discussion. Lins affirme que la littérature brésilienne est pratiquée comme « si nous étions une banlieue littéraire de la France, de l'Angleterre et des États-Unis d'Amérique » (apud. Gomes, 1994, p. 74). Cet auteur exprime le caractère colonisé de la culture brésilienne, dans laquelle les étrangers, aussi mauvais qu'ils soient, sont assurés de réussir, tandis que les Brésiliens, aussi bons qu'ils soient, ne sont pas reconnus.[xi].

De ces éléments, Roberto Gomes tire quelques caractéristiques de la pensée brésilienne : la dépendance économique est généralisée à toutes les zones, faisant des Brésiliens un « colonisé par excellence » ; être cultivé dans la société brésilienne signifie avoir une érudition sur quelque chose d'étranger ; la raison ornementale engendre une suppression de ce qui est brésilien au profit de ce qui est étranger ; Ce que Lins dit de la littérature est encore plus vrai de la philosophie produite au Brésil.

Ce colonialisme culturel est complété par un provincialisme, car on regrette de ne pas être reconnu par les étrangers. Ainsi, « l’intellectuel tupiniquim » se tourne vers l’extérieur et attend de lui une reconnaissance. Dans ce contexte, Roberto Gomes affirme que « nous devons être ce que nous sommes » et c'est seulement alors que nous pourrons être reconnus. La raison ornementale n’a aucune intentionnalité et n’est pas attachée à la vérité. C’est inconciliable avec la philosophie. La philosophie cherche à lever le voile qui cache le réel et la raison ornementale a pour essence une « sorte de voile superposé au réel ».

Le diagnostic de Roberto Gomes est le suivant : la raison brésilienne est aliénée du fait que l'intellectuel brésilien refuse d'assumer sa propre identité. Il a peur de « notre brésilianité » et se réfugie « dans une constellation de concepts vides et de paroles bruyantes » qui l’exorcisent. Le cas de la critique d'Oswald de Andrade et d'Antonio Cândido clôt cette discussion en revenant sur la question du sérieux (question posée par le second et niée par le premier), car le premier, selon Gomes, chercherait à inaugurer une nouvelle raison, distincte de l'européen et son sérieux. .[xii]

La raison ornementale produit une réalité à part et se perd dans son « univers verbeux », générant des intellectuels rancuniers qui s’estiment victimes et malheureux, des citoyens sensibles à « leurs propres callosités ». Ils ne critiquent « le système » que lorsqu’il les rejette. L'intellectuel brésilien est un individualiste qui accepte de tout remettre en question, sauf ce qui est actuel (hégémonique). Elle produit une pensée servile liée à l’éclectisme, à la prédominance du positivisme, etc.

Incapable de penser, exigeant de briller, la raison ornementale conduit à la fuite dans les modes, dans le dernier cri culturel, la vente aux enchères des idées. C’est ainsi qu’on comprend le suicide récent que représente la mode structuraliste, refuge d’une intelligentsia qui cherche sa place quelque part dans le monde de la technobureaucratie. Et l’on comprend aussi le succès absurde et sans but du néopositivisme et de ses cours obtus sur les études de logique et de théorie de la connaissance pour contaminer les universités brésiliennes – qui d’ailleurs éblouissent tout le monde. Ah, les réalisations autochtones (Gomes, 1994, p. 83).

L’arsenal de certitudes présenté par le simplisme et le formalisme de la philosophie brésilienne ne dérange personne. La synthèse du débat sur la raison ornementale se résume en une phrase : « la pensée peut exister parmi nous à condition de ne pas penser » (Gomes, 1994, p. 83).

De la raison ornementale on passe à la raison affirmative. C'est la « raison qui dit oui ». Le positivisme, dans la société brésilienne, « n'a pu être accepté qu'en raison des intérêts actuels et de la reproduction des classes dominantes » (Gomes, 1994, p. 85). La philosophie brésilienne aurait la prédominance de deux conceptions, l'éclectisme et le positivisme. Même le « caboclo marxisme » en a été contaminé. Au Brésil, le positivisme a une longue histoire, depuis la proclamation de la république et son lien avec le militarisme jusqu'à nos jours (qui remontent ici aux années 1970, époque à laquelle Roberto Gomes a écrit son ouvrage).

« Et l’intellectuel brésilien – qui a réussi à être le prototype de nos défauts les plus choquants – a assumé, dans sa fascination pour le passé européen, le rôle d’être dépendant » (Gomes, 1994, p. 90), car il ne doit pas faire un examen critique et plutôt être un « assimilateur » (au sens que Gomes attribue à ce mot). Il doit « dire oui ». Dans ce contexte, une philosophie brésilienne est devenue impossible, puisque la certitude a été choisie et que la vérité est l'héritage de quelqu'un d'autre et que nous ne pouvons que « assimiler ». Mais la philosophie n’est pas la certitude, elle nie la raison, qui produit la destruction et le doute. Mais, de l’éclectisme au positivisme, il n’y a pas de création dans la philosophie brésilienne, seulement la reproduction de certitudes venues de l’étranger.

Une raison affirmative est la même chose qu’une raison déraisonnable. Complément désespéré au sens irréfléchi de la raison éclectique. Cela équivaut à s’accrocher au donné avec l’intention de le perpétuer, alors que la fonction radicale de la pensée est de détruire la positivité du donné. Si la raison éclectique se perdait dans une indifférenciation amorphe et dépersonnalisée, la raison affirmative tend à sacraliser le passé, source de toutes les certitudes – certitudes dont on ne sait plus qu’elles sont des vérités obsolètes. Et tous deux trouvent dans la raison ornementale la forme appropriée à leur expression : la pensée impensée, allégorique. Cela ne dérange ni ne risque. Pensée anesthésique et stérilisée (Gomes, 1994, p. 95).

Enfin, Roberto Gomes évoque la question de « la raison dépendante et la négation », titre du dernier chapitre de son œuvre. Il commence le chapitre en citant la prétendue révolution promue par le modernisme :

Si la fonction de la conscience est de faire exploser un monde, on peut dire que la Semaine de l’Art Moderne, en 1922, a fait une première tentative d’indépendance culturelle réelle face au passé européen et aux modèles étrangers. Avec exagération – cela nous suffit – nous avons réalisé une évidence : autour de nous il n’y avait pas de brouillard, de la neige ou des châteaux médiévaux – mais des bananiers, des cocotiers, des maisons caboclo et des gens au gros nez et aux lèvres épaisses. Le Parnass ultra raffiné, les traits doux des Madones, le bon goût officiel s'écroulèrent ; nos artistes ont enlevé de leurs épaules le fardeau d'un passé étranger qui pesait sur eux. Il est devenu possible de créer. Le résultat fut une révolution. De Mário et Oswald à Drummond et João Cabral de Mello Neto, nous parcourons soudain les chemins de l'émancipation artistique. Les pieds immenses des personnages de Portinari révèlent : ils ont trouvé un terrain sur lequel se tenir (Gomes, 1994, p. 98).

Il y a sans aucun doute une exagération de la part de Roberto Gomes, qui le reconnaît en partie. Cependant, nous n'allons pas commenter le sens du modernisme et son caractère purement culturel, ainsi que les limites de son originalité, ce que d'ailleurs Roberto Gomes lui-même reconnaît (en citant l'influence de l'italien Marinetti, mais qui va bien au-delà). Roberto Gomes dit avoir changé d'esprit et d'attitude. Selon Roberto Gomes, « le modernisme brésilien était fondé sur le signe de la négation » (Gomes, 1994, p. 99). Oswald de Andrade apparaît avec sa contribution, comme lorsqu'il affirme que « j'ai fait la révolution moderniste contre moi-même » et que Gomes considère qu'il s'agissait d'une recherche de destruction des conditions de dépendance (« internes et subjectives »). Il faudrait donc lutter contre nous-mêmes, car l'esclave porte en lui le maître, ou l'Europe idéalisée.

Mário de Andrade présenterait trois principes du mouvement moderniste : la recherche esthétique comme droit permanent ; la mise à jour de la production artistique nationale ; « la stabilisation d'une conscience créatrice nationale ». Cet auteur n'aurait cependant pas complètement surmonté la raison éclectique, affirme Roberto Gomes, ce qui n'enlève rien à ses mérites. De même, Mário de Andrade avait une conscience critique du modernisme lui-même. S'appuyant sur la réflexion de Roland Corbisier, Roberto Gomes affirme que la révolution culturelle du modernisme n'a pas trouvé d'écho en philosophie.

Enfin, Roberto Gomes cherche à faire une réflexion qui explique les caractéristiques de la pensée brésilienne et se réfère aux « particularités de notre formation historique ». Dans ce contexte, la colonisation portugaise et sa spécificité gagnent en importance explicative. « Mercantilisme sauvage » ; la « saudade » (des Portugais par rapport au Portugal) ; la « force de la métropole » ; l'« esprit du bandeirante » (activité extractive, prédatrice et désintéressée) ; la centralité de l’outre-mer ; entre autres aspects, ils montrent les conditions externes et internes de la dépendance. D’où la transplantation culturelle et la formation d’une culture transplantée. Le Brésil passe d’un pays colonisé à un pays formellement libre (et toujours nostalgique) et la dépendance économique et culturelle s’est déplacée (y compris envers les États-Unis, « une partie de l’Europe », spirituellement parlant, selon Gomes). Dans les dernières générations, ajoute Gomes, il y a un désir d’être nord-américain. Ainsi, soumis au colonialisme culturel, les Brésiliens nient être ce qu’ils sont. Les Américains ont affirmé culturellement qu’ils étaient un « nouveau monde ».

Ainsi, Roberto Gomes reprend le sociologue Octávio Ianni pour affirmer que le problème est externe et importé à la fois à la sociologie (abordée par le sociologue de São Paulo) et à la philosophie. Cela se traduit par la difficulté d'appliquer des concepts importés à la réalité brésilienne, ainsi que par le prestige intellectuel des sociologues latino-américains lié à l'information sur les dernières nouvelles sociologiques étrangères.[xiii] « La pensée latino-américaine, et en particulier la pensée brésilienne, se trouve liée à des importances et des urgences qui ne sont ni importantes ni urgentes, sauf pour les Européens et les Nord-Américains – c'est pourquoi la raison entre nous s'est perdue dans les allégories de l'ornementation » (Gomes, 1994, p.106).

Cette « philosophie allégorique » correspond aux intérêts du maintien de la dépendance. Cela implique la nécessité de libérer la société brésilienne des pressions économiques et culturelles et du rôle introjecté de dépendant et d’assimilateur. Il ne s’agit pas de défendre, dit Roberto Gomes, l’isolement culturel mais plutôt de mener « l’exercice d’une anthropophagie impitoyable ».

Ce qui empêche l’émergence de notre pensée, c’est le refus implicite d’affronter quelque chose de brésilien. Si les modèles de vision que nous assimilons sont ceux d'un autre, nous ne nous voyons que de manière déformée et sans parvenir à nous accepter théoriquement et pratiquement. Nos sujets sont rejetés parce qu’ils n’ont pas une odeur aussi raffinée que les questions européennes. Notre manière spécifique d’aborder la réalité, en la rendant importante, est oubliée.

La même chose se produit avec les problèmes que nous devrions effectivement problématiser, car ils ne rentrent pas dans ceux que nous pouvons penser avec « exemption », « distance », de manière « neutre ». C’est-à-dire : ils ne sauraient faire l’objet d’une philosophie stérilisée sans la contaminer, la contraindre à assumer parmi nous son rôle historique. Contaminée, cette Philosophie deviendrait très inconfortable, ne permettant plus une conciliation sans fin. Cela n’est pas recommandé, ni du point de vue de la situation actuelle – et ce qui est courant parmi nous, c’est la dépendance – ni du point de vue des facilités que nous fournissons pour nous apporter la certitude (Gomes, 1994, p. 110). .

Roberto Gomes ajoute que cette philosophie (stérilisée, aseptique, raffinée, ornementale) est la « voix du propriétaire ». Elle évite de s’engager et de se salir les mains, se limitant au « pur jeu formel ». Il est tout de même étrange que Gomes consacre la quasi-totalité de son œuvre à montrer la « dépendance » culturelle (dérivée de la dépendance économique) et, en même temps, affirme que « notre manière spécifique d’aborder la réalité » est oubliée. Or, il a lui-même prouvé qu’un tel « mode spécifique » n’existe pas. Et cela ne devrait pas exister, tout comme il n’existe pas de voie spécifique française, allemande, italienne, russe, américaine, chinoise, puisque l’approche de la réalité n’est pas une question nationale.[Xiv]

En fait, Roberto Gomes revendique une philosophie brésilienne, mais il ne l'oppose pas à une autre philosophie nationale mais à la culture européenne, qui est continentale et non nationale. Cet élément suffirait à remettre en question (n'est-ce pas un attribut de la philosophie souligné par Gomes ?) l'opposition entre « l'européen » et le « brésilien ». Mais nous y reviendrons plus tard.

Gomes termine son livre avec la solution au problème auquel il a été confronté tout au long de son travail. Pour qu’une philosophie brésilienne existe, il faudrait qu’elle détruise les « conditions subjectives et objectives de dépendance », générant une conscience critique et un déni du rôle des « assimilateurs » et une « critique sévère du passé », en relisant notre histoire. Dans ce contexte, il faut, affirme l’auteur, « inventer les conditions de notre avenir », c’est-à-dire notre importance et nos urgences, à condition de nous débarrasser de « tout contexte dépendant », sans « autre » pour tenir sur, générant une pensée engagée (« sérieusement ») opposée à toute raison ornementale et essentiellement négatrice.

Apprenons deux choses. Qu'à ce stade des événements, il est plus important de donner un coup de poing violent et fort sur la table que de connaître la validité de jugements synthétiques a priori et que, du point de vue de la pensée brésilienne, Noël Rosa a plus à nous apprendre que toi Emmanuel. Kant, puisque la philosophie, comme la samba, ne s’apprend pas à l’école (Gomes, 1994, p. 112).

C'est la déclaration finale qui termine le livre. D'une certaine manière, il résume en un seul paragraphe un ensemble d'erreurs de l'auteur. C’est une déclaration nationaliste et dénuée de sens. Noel Rosa enseigne peu de choses sur la réalité brésilienne et mondiale et on peut en dire autant de Kant. Cependant, philosophiquement, Kant fournit plus d’outils intellectuels que Noël Rosa, ainsi que d’autres éléments.

Noel Rosa peut soulever des questions et signaler des problèmes, mais pas d'outils ni de réponses. La déclaration n’est pas très « sérieuse », au sens positif du terme. Noel Rosa contribue à la culture brésilienne de la manière dont il a décidé de contribuer et selon les conditions dont il disposait. Kant est un penseur extrêmement important, même si nous sommes largement en désaccord avec lui. Un chanteur de samba et un philosophe ne peuvent être comparés, car ils n'ont pas les similitudes fondamentales qui permettent la comparaison.

Critique de la Critique de la raison Tupiniquim

Après cette synthèse de l'œuvre de Roberto Gomes, un bilan général et une analyse critique s'imposent. Nous avons sans doute esquissé plusieurs éléments de critique, mais en relation avec des problématiques plus spécifiques. Le moment est venu d'adopter une approche plus générale Critique de la raison Tupiniquim. Il convient de souligner, dans un premier temps, les mérites du travail.

Roberto Gomes fait preuve d'audace et de criticité, deux éléments généralement absents de la culture et de la société brésilienne, surtout dans un sens plus large et plus original. Il critique ce qui s'est produit dans la société brésilienne en termes de culture et, surtout, de philosophie, en soulignant à la fois des cas individuels et le problème général de la production philosophique dans notre pays. Un autre mérite est son originalité, ce qui, comme il le souligne lui-même, est rare au Brésil. L'originalité apparaît davantage dans les critiques et les exigences qu'il formule, et même si ces éléments, surtout dans le deuxième cas, sont discutables, il s'agit néanmoins d'un mérite incontestable.

La question de la raison ornementale et de la raison affirmative, l’analyse de l’éclectisme et du positivisme, sont importantes pour comprendre l’évolution et les caractéristiques de la philosophie au Brésil, même si nous sommes en désaccord avec certains aspects plus spécifiques. La discussion sur la production intellectuelle au Brésil et ses limites est fondamentale et l'auteur ne manque pas de le faire de manière critique. Roberto Gomes présente un portrait de la culture brésilienne, réalisant l'une des analyses les plus intéressantes sur ce sujet, contrairement aux lieux communs répétés dans plusieurs ouvrages existants sur le sujet.

La nécessité d'une production intellectuelle autonome et indépendante, comme le demande l'auteur dans le cadre de la philosophie, est un autre aspect fondamental, même si l'on peut être en désaccord avec les bases sur lesquelles l'auteur demande que cela se réalise. La reproduction des modes étrangères qui accompagnent l'histoire de la production intellectuelle brésilienne est un problème sérieux et le surmonter est une nécessité (même si ce n'est pas le cas pour tous les Brésiliens, car il faut reconnaître que la société brésilienne n'est pas homogène mais divisée en classes sociales aux besoins contradictoires). et intérêts).

D’autres mérites pourraient être soulignés, notamment certains plus spécifiques. Cependant, nous pensons avoir jusqu’à présent inclus les principales et les plus larges. Nous pouvons conclure sur le mérite de discuter de la culture et, principalement, de l'objet du livre, du problème de la production philosophique au Brésil, et, plus encore, d'un point de vue critique. Même si quelques « célébrités intellectuelles » au mérite douteux émergent périodiquement (et, comme le dit Roberto Gomes, ne font que reproduire des modes étrangères), cet auteur n’est ni cité ni travaillé dans les universités brésiliennes, sauf de rares exceptions. Il n’est ni recommandé ni lu, et ne fait pas non plus l’objet de débats.

Le débat qu'il lance est pour le moins stimulant et apporte les réflexions nécessaires sur la culture brésilienne, qu'on soit d'accord avec lui ou non. Mais, comme le disait Wright Mills (1982), et Karl Marx (1988) en avait déjà souligné la manifestation dans son cas particulier, le silence est la première manière de marginaliser un penseur divergent et cela explique le peu de résonance du silence. Critique de la raison Tupiniquim. En ce sens, même si l’ouvrage a été initialement publié en 1977 (et après cela de nouvelles modes sont apparues, même si l’éclectisme reste fort et a volé de l’espace à d’autres idéologies), il reste d’actualité.

Sa pertinence se voit dans le fait qu'il aborde des « sujets » qui ne sont généralement pas abordés dans les universités brésiliennes. Il est surprenant de constater à quel point le caractère subordonné de la culture brésilienne reste sa principale caractéristique, même lorsqu’elle produit des idéologies qui vocifèrent contre « l’eurocentrisme », le « colonialisme », etc. La critique de l’eurocentrisme a une origine « eurocentrique »,[xv] qui révèle, désormais, ses limites.

Cependant, il y a des éléments problématiques dans la conception de Roberto Gomes qui doivent être soulignés. Les principaux problèmes de Critique de la raison Tupiniquim Ils découlent d’une problématique fondamentale qui traverse toute l’œuvre : le nationalisme. Fondamentalement, la préoccupation fondamentale de Roberto Gomes est la non-existence d'une philosophie brésilienne et la défense de la nécessité de sa production, de même que sa solution est la formation d'une philosophie nationale (visée, comme il le dit, à ses « importances et urgences »). Cela crée plusieurs autres problèmes. Abordons ces problèmes et revenons ensuite à la question du nationalisme.

L'une des limites de l'œuvre de Roberto Gomes est l'absence de classes sociales. Sans aucun doute, dans certains passages, le terme « classes sociales » est utilisé, comme dans un passage sur la « classe dominante ». Cependant, les classes n’apparaissent pas avec leur importance sociale et explicative, leurs contradictions et leurs intérêts antagonistes. De même, bien qu’il traite largement de « dépendance », de « colonisation » et de termes associés, la réalité concrète n’apparaît pas, car l’impérialisme et les relations internationales ne sont pas abordés. Et cela permet de remplacer les problèmes sociaux et d’exploration internationale par une question purement culturelle. Ainsi, le plus gros problème est l’eurocentrisme (même sans utiliser ce terme) et même les États-Unis semblent être « spirituellement » européens.

L’eurocentrisme n’a plus de sens aujourd’hui. La suprématie culturelle de l'Europe a été ébranlée depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et est passée aux mains des Américains, les Russes étant les principaux concurrents mondiaux pendant la période de la « guerre froide ». Sans aucun doute, les pays européens sont impérialistes et disposent encore d’une grande force culturelle au niveau mondial, mais celle-ci est aujourd’hui bien inférieure à l’influence de l’Amérique du Nord et d’autres pays (Chine, Japon, etc.).

La philosophie européenne a encore de la force, mais elle vient en grande partie de l’héritage historique (il n’est pas possible d’enseigner la philosophie sans les Grecs anciens, les Lumières, la philosophie allemande de Kant et Hegel, entre autres). Cependant, la philosophie est aujourd’hui un vestige culturel sans grande popularité et beaucoup moins connue que la K-pop (musique populaire coréenne). En fait, les dernières idéologies philosophiques françaises et européennes en général ont collaboré à cela, en s’enfonçant dans le paradigme subjectiviste et les idéologies irrationalistes et relativistes.

Roberto Gomes appelle à la création d'une philosophie brésilienne, mais ne définit pas exactement ce que cela signifie. Il est entendu qu'il s'agirait d'une philosophie authentiquement brésilienne, enracinée dans la société brésilienne avec ses problèmes et ses urgences, et en tirant son langage et son originalité. Qu’est-ce que cela signifierait dans le contexte de la philosophie ? Serait-il possible, par exemple, d'avoir une logique brésilienne ? Ou est-ce l'idée selon laquelle la philosophie cesse d'être une pensée spéculative et réflexive et devient une pensée concrète à laquelle réfléchit le Brésil ? Serait-ce de la philosophie ?

L'approche de Roberto Gomes n'est pas dialectique[Xvi], ce qui se remarque dans sa démarche intellectuelle et dans plusieurs déclarations. Le rapport entre l'universel et le singulier lui échappe, car il est incapable de percevoir l'universel dans la culture européenne (de différents pays européens) et dans la culture brésilienne, ainsi que de penser que le singulier (dans ce cas, ce qui serait original à Brésil) sans l'universel[xvii].

Une philosophie brésilienne est une impossibilité, à moins que le terme ne soit utilisé de manière descriptive, désignant la production philosophique réalisée au Brésil par les Brésiliens. La philosophie allemande est une enfant de l’époque et de la société allemandes, mais c’était là son problème, comme le soulignait Marx (Marx ; Engels, 1982), et, plus encore, sa prétention à l’universalité. Cependant, Hegel et surtout Marx ont dépassé le temps et la société en développant la dialectique, qui est un élément universel. En ce sens, plus une « philosophie brésilienne » serait liée au Brésil, plus elle serait pauvre. Gomes critique le provincialisme, mais finit par s'y laisser prendre. Plus une idée est universelle, plus elle est valable.

Cependant, cela ne signifie pas ignorer des problèmes et des enjeux singuliers, car il n’est pas possible de les comprendre sans accéder à l’universel. Et c’est pourquoi lire Aristote, Kant, Hegel, Feuerbach est bien plus important pour comprendre la réalité que d’écouter une samba de Noël Rosa. En fait, une chose n’empêche pas l’autre, mais si l’objectif est de comprendre théoriquement (ou « philosophiquement », comme dirait Gomes) la réalité brésilienne, alors écouter de la samba n’y parviendra pas.

Un autre problème de Critique de la raison Tupiniquim c'est l'absence de la société brésilienne. Il est intéressant de noter que Gomes demande un enracinement dans la réalité nationale et, comme ceux qu’il critique, il n’y parvient pas. Les seuls éléments qui apparaissent sont des éléments de la culture brésilienne, des lettrés, des philosophes, des intellectuels, mais les relations sociales concrètes de la société brésilienne apparaissent très peu et seulement historiquement. La société brésilienne des années 1970, dans laquelle il a vécu et écrit, n’apparaît pas.

Le régime militaire et ses contradictions, la composition des classes sociales, les divisions régionales, les conditions sociales de la production culturelle, les universités, la condition sociale des intellectuels brésiliens, la position du Brésil dans la division internationale du travail, le sens des moyens de communication oligopolistiques, entre autres. plusieurs autres éléments qui aideraient à comprendre la culture brésilienne n'apparaissent pas. Comprendre le capitalisme subordonné brésilien et sa position dans la division internationale du travail serait fondamental pour comprendre la reproduction de la subordination culturelle aux pays impérialistes.

Cet ensemble de problèmes dans l'œuvre de Roberto Gomes coexiste avec ses mérites. Et pourtant, le titre de son œuvre sert autant à ceux qu'il critique qu'à lui-même, car une « raison Tupiniquim » est quelque chose d'aussi problématique que la culture subordonnée existante actuellement (et qui émerge avec le processus historique de colonisation et de subordination de la société brésilienne. ).

Réflexions finales

Ainsi, pour conclure, il faut revenir sur la question de l'absence des classes sociales et de leurs luttes dans l'approche de Roberto Gomes. L'absence d'une philosophie brésilienne, à de nombreux moments de son œuvre, semble être un échec des philosophes qui vivent ici. La lutte des classes, au niveau mondial et national, n’est pas présente et, même à une époque de régime militaire, où la censure et la répression étaient actives et, même en considérant les périodes antérieures, il y avait d’autres dictatures, populismes, etc. ce qui ne peut être compris que dans la dynamique de la lutte des classes, ainsi que dans l’hégémonie bourgeoise au niveau mondial avec la suprématie européenne et nord-américaine, en plus de celle « soviétique ».

Cependant, l'absence de classes se manifeste également dans le silence de Roberto Gomes sur qui sont les agents et quelle est la perspective qui permettrait le développement d'une pensée critique et innovante au Brésil (c'est-à-dire non d'une philosophie brésilienne mais d'une production intellectuelle indépendante). et autonome). La bonne volonté et la plongée dans les « racines brésiliennes » suffiraient-elles pour que de tels agents émergent ? La perspective serait-elle nationaliste ?

Et on retrouve ici le fondement de la pensée de Roberto Gomes : le nationalisme. Le nationalisme de Gomes allait au-delà de la raison ornementale, de la raison affirmative et de la raison dépendante. Cependant, il n’a pas franchi l’étape suivante, fondamentale : critiquer la raison nationaliste. S’il avait approfondi son analyse de la société brésilienne et du capitalisme subordonné dans son ensemble, Gomes aurait découvert que le nationalisme est une illusion pour les pays soumis à l’impérialisme. Si j’avais analysé la composition de classe de la société brésilienne, ses divisions et ses intérêts, j’aurais réalisé qu’il n’existe pas de bourgeoisie nationale autonome et indépendante, ce qui rend impossible une culture et une philosophie également autonomes et indépendantes.

En revanche, il aurait compris que l'autonomie et l'indépendance, dépassant le national et reprenant l'universel de l'humanité, ne peuvent se produire qu'à travers la lutte du prolétariat et des classes populaires, comme l'intérêt à dévoiler le voile, comme il l'identifiait , présuppose l’existence d’un intérêt à cet égard. Ainsi, l'agent qui peut réaliser le développement d'une production intellectuelle autonome et indépendante dans la société brésilienne est le prolétariat et ses représentants intellectuels, ainsi que la perspective qui lui est liée, exprimant les conceptions, les sentiments, les valeurs et les intérêts correspondant au mouvement ouvrier révolutionnaire.

Les limites de Roberto Gomes sont celles du nationalisme qui servent de base à ses critiques. Il s’agit sans aucun doute d’un nationalisme contestataire, produit dans un capitalisme subordonné (et qui, par conséquent, perçoit partiellement la subordination), mais tout comme le vieux « tiers-mondisme », en restant dans des horizons nationaux étroits, il ne comprend pas la totalité du monde capitaliste. et l’impossibilité de l’autonomie et de l’indépendance nationales dans ce contexte, ainsi que le piège de l’idéologie nationaliste. L’aspect critique est vivant et présent, mais il a des limites. L’aspect propositionnel est volontariste et n’a pas de réelle portée.

Malgré cela, l'approche de Roberto Gomes sur le problème de la philosophie et de la culture brésiliennes est l'une des plus intéressantes écrites à ce jour. D’un point de vue critique, même s’il y a des limites, il montre que la philosophie brésilienne est « en conserve », tout comme Guerreiro Ramos parlait déjà de la sociologie brésilienne. Et il pointe les problèmes de la culture brésilienne et de la production philosophique dans notre pays, dévoilant les artifices de la raison ornementale et de la raison affirmative. En ce sens, Roberto Gomes apporte bien plus que plusieurs auteurs canonisés et succès saisonniers et devrait donc être lu et discuté davantage, car il constitue un bon point de départ pour interroger les problèmes culturels de la société brésilienne.

*Nildo Viana c'est pprofesseur au Département de sociologie de l'Université fédérale de Goiás (UFG). Auteur, entre autres livres, de Hégémonie bourgeoise et renouveau hégémonique (CRV).

Référence


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notes


[I] L'auteur lui-même distingue et explique différentes formes de sérieux. L’un est « l’homme sérieux », formel et apparent, l’autre « prend quelque chose au sérieux », ce qui dénote de la profondeur. Dans le premier cas, nous avons le formalisme, la ritualisation, etc. Dans la seconde, nous avons la réflexion et l’approfondissement. Nous reviendrons à cela plus tard.

[Ii] De nombreuses questions pourraient être posées ici. Que serait une « philosophie brésilienne » ? Serait-ce une philosophie du Brésil (qui dirait ce qu’est le Brésil) ? Une philosophie de la société brésilienne (créée dans cette société et liée à elle) ? Une philosophie au Brésil ? Une philosophie originale faite par des Brésiliens ? Une philosophie à l’origine « brésilienne » ?

[Iii] Nous considérons que la question est plus complexe et qu'il serait nécessaire de réfléchir sur la nature du déni et sa signification, ainsi que sur les bases historiques et sociales de ce processus. Au fond, ce que ces philosophes accomplissent, c’est une supersession – conservation et altération – et non une supersession – c’est-à-dire une abolition sans conservation, car, dans la façon dont ils ont été formulés, il n’est pas possible de percevoir le processus de développement, qui conserve et altère simultanément.

[Iv] Il ne sera pas possible d'approfondir cette question et c'est pourquoi nous recommandons un ouvrage (Viana, 2019) dans lequel nous effectuons une analyse critique de l'utilisation du terme « sujet » afin que vous puissiez mieux comprendre ce que nous sommes. interrogatoire.

[V] Le critère est un élément abstrait de la pensée et il est donc problématique de traiter de l'assimilation. La question est plus complexe. Si je veux discuter d'un critère pour réaliser l'assimilation, je mène une discussion plus abstraite sur ce processus et non sur quelque chose de concret, comme le suggère la discussion sur la « philosophie brésilienne » et, à ce niveau d'abstraction supérieur, il suffit de exiger « le critère ». Mais concrètement, chaque théorie, idéologie, etc. réalise le processus d'assimilation de différentes manières ou, pour reprendre le terme problématique de Gomes, chacune a ses propres critères.

[Vi] Le passé n’est pas « construit », car il est déjà passé et caractérisé par de véritables relations sociales. Ce qui se passe, c’est qu’on s’en souvient de différentes manières et qu’il est alors possible de créer des « versions » sur le passé, mais il a déjà été et reste intact (Viana, 2020). Si la version dominante de la guerre du Paraguay au Brésil est que Duque de Caxias était un héros, il existe la version de Chiavenatto (1983) selon laquelle il était un « voleur de mulets » et un individu non héroïque, tout comme il existe d'autres versions et aucun d'entre eux ne changera ce qui s'est réellement passé et ce que cela signifie réellement, même si l'un peut être fiable ou au moins plus proche de la réalité, tandis que d'autres peuvent être très lointains, même lorsque les intérêts de secteurs puissants de la société pointent vers des versions élaborées d'événements historiques.

[Vii] En principe, quiconque est d’accord avec le matérialisme historico-dialectique devrait être d’accord avec une telle position. Toutefois, la question est plus complexe. Et nous ne pouvons pas le développer ici, mais seulement faire de brèves considérations. Une chose est la racine sociale, les déterminations sociales et historiques d’une certaine production philosophique (donc particulière, concrète), une autre est de savoir ce qu’est la philosophie et si elle peut être nationale. Dans ce cas, la philosophie est une forme de pensée et se situe donc au-dessus des divisions nationales. Or, ses manifestations concrètes dans chaque pays et ses spécificités existent et ne sont compréhensibles que dans le sens historique et social, mais cela est différent d'avoir affaire à une « philosophie nationale ».

[Viii] Une affirmation problématique, comme affirmer que les deux étaient extravertis, peut avoir une certaine base informationnelle (plus difficile dans le cas d'Aristote), mais à l'état pur, c'est déjà une exagération. Un autre problème est la confusion entre « introverti » (un élément du tempérament) et introspectif (un processus mental).

[Ix] Gomes affirme que Lins a raison de placer les « professeurs de philosophie », car « nous avons des professeurs de philosophie et non des philosophes », ce qui est en partie vrai, car il ne s'agit pas seulement d'un problème brésilien, car l'histoire de la philosophie montre la diminution quantitative et l'approche qualitative. à la production philosophique et au remplacement des philosophes (en tant que penseurs originaux) par des professeurs et des historiens de la philosophie.

[X] « Pour correspondre correctement au rôle que nous lui donnons, même sans le savoir, l'intelligence doit être un ornement et un don, et non un instrument d'action et de connaissance » (Holanda, apud. Gomes, p. 72).

[xi] « En effet, il n'y a pas d'auteur étranger de second ordre qui ait du succès, pas de petit mouvement de Saint Germain-des-Prés ou du boulevard Saint-Michel, pas de petit essai d'un critique anglais ou d'exercice insignifiant pour les étudiants d'une université nord-américaine. critique américain –, il n’y a rien, de tout cela, qui ne reçoive une large nouvelle ici, dans nos revues et nos journaux, alors que tant d’œuvres d’auteurs nationaux, parfois de valeur équivalente ou même de meilleure catégorie, restent dans l’ombre, sans publicité et sans répercussions » (Lins, apud. Gomes, 1994, p. 75).

[xii] Gomes affirme que l'humour est lié à une conscience éveillée, critique, etc. et déclare qu'il ne voit aucun antagonisme entre la philosophie et l'humour. Cependant, il faut se rendre compte que l’humour et l’humour peuvent être utilisés pour beaucoup de choses, y compris la critique (et il faut ensuite discuter de quelle forme de critique). Associer humour et critique (dans un sens contestataire) sans cette perception est une erreur. En revanche, le sérieux n’est pas forcément lié au fait d’être conservateur. Bien sûr, Gomes distingue les types de sérieux (qu'il ne nomme pas, mais on pourrait les appeler formels et substantiels), mais il faut quand même différencier le sérieux lui-même auquel il attribue un sens positif, car la profondeur ne le fait pas. signifie toujours la véracité. Et, chose inhabituelle, Gomes ne distingue pas, comme il le faisait avec sérieux, les formes d'humour.

[xiii] Il est inattendu que Ianni (1971) non seulement l’ait reconnu mais l’ait mis en pratique, comme on peut le voir dans ses travaux sur la « mondialisation », étant un pionnier sur les terres brésiliennes dans la diffusion d’idéologies étrangères sur ce sujet (1992 ; 1996 ; 1997).

[Xiv] Cela ne veut pas dire qu’il n’existe pas de spécificités culturelles nationales, mais il ne s’agit pas de « manières spécifiques d’aborder la réalité ».

[xv] Au fond, il s’agit d’une critique idéologique qui cache ses propres bases idéologiques, comme si le problème était la culture « occidentale » ou « européenne », et non le contexte social et historique, les relations internationales concrètes, les intérêts existants, certaines idéologies (y compris celles qui sont censées remettre en question la prédominance européenne), etc.

[Xvi] Ce qui signifie ici qu’il n’utilise pas la méthode dialectique.

[xvii] Les catégories de la dialectique sont peu développées, car Marx en a utilisé plusieurs, mais y a réfléchi. Cette lacune est généralement comblée par un retour à Hegel ou par un appel aux idéologues de l'ex-Union soviétique, voire à l'un ou l'autre philosophe spécifique. Cependant, il est possible, à partir de l'ensemble des contributions existantes, de comprendre que le singulier est une manifestation de l'universel, en plus d'être une catégorie relative, comme le singulier dans un autre contexte peut être universel et vice versa.

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