Par LÉONARD AVRITZER*
Considérations finales sur la discussion avec Vladimir Safatle
Je conclus ma contribution à la discussion sur l'épisode de l'incendie de la statue de Borba Gato, à São Paulo, qui a conduit à une polémique avec Vladimir Safatle - combattu sur le site la terre est ronde –, répondant à une question fondamentale dans sa réplique : le problème de la violence dans l'espace public.
Je reprends mon argumentation. Je me suis basé sur Hannah Arendt, sur sa critique de la violence et sur ses discussions sur l'espace public, pour soutenir qu'il existe un danger réel que les formes de violence pour la destruction de l'ancien contaminent le nouveau. J'ai également mobilisé, pour mon propos, Judith Butler et son idée des corps dans l'espace public, abordée dans son livre Corps alliés et lutte politique (Buenos Aires, Paidos, 2015). Mon argument est que les formes d'action des mouvements sociaux et des acteurs politiques dans l'espace public devraient privilégier la construction de nouvelles formes du politique et qu'il existe une relation négative entre l'exercice de la violence et les formes politiques qui se forment après son utilisation. .
J'ai aussi établi une dynamique positive entre l'idée d'espace public chez Arendt et chez Butler, à travers l'occupation de l'espace public. Butler déclare : « Pour Arendt, l'action politique a lieu parce que le corps est présent. J'apparais devant les autres et ils apparaissent devant moi, ce qui veut dire qu'un espace permet notre apparition ». Il n'y a pas de politique sans corps et ce que Butler ajoute à Arendt, c'est l'expansion de la pluralité des corps qui permettra la réappropriation et la « reconfiguration des espaces matériels » (voir chapitre 2 les corps dans la politique d'alliance et de rue).
Dans cette veine, j'ai utilisé certaines interprétations du texte de Walter Benjamin sur la violence que Safatle considérait comme des sociaux-démocrates légers. Il y a, en fait, d'autres interprétations que le sorélien de l'USP pourrait préférer. Il convient de rappeler que Carl Schmitt lui-même a envoyé une lettre faisant l'éloge du texte, peut-être parce qu'il avait la même interprétation que Safatle (voir Jaques Derrida. la force de la loi,P. 71). Nous savons où mène ce chemin.
J'ai opposé l'analyse de Safatle aux manifestations répétées organisées au Chili autour de la statue du général Baquerano en 2019. En utilisant les occupations de la statue et le placement du drapeau mapuche sur son sommet, j'ai identifié la politique avec la forme institutionnelle de relation entre la re-signification de espace public et droit. J'ai lié ces manifestations à l'élection d'une femme autochtone mapuche à la présidence de l'Assemblée constituante du Chili, qui était liée à ce mouvement de démission. Non sans une certaine jubilation, Safatle m'a répondu en montrant que la statue du général Baquerano avait été incendiée le 05 mars de cette année, fait que j'ignorais et qui, selon lui, a été décisif pour son enlèvement par le gouvernement chilien. Autrement dit, les presque deux ans qui ont suivi les premiers actes d'occupation de la statue, les drapeaux et les corps qui la re-signifiaient n'ont servi à rien.
Il n'y a qu'un seul problème avec l'argument de Safatle : même si la statue a été incendiée, il est difficile d'établir un lien logique entre ce fait et l'élection de la femme indigène à la présidence de l'Assemblée constituante. Ou peut-être que ce qui est nouveau pour Safatle, c'est juste le monument sans statue et qui le satisfait. Il n'est pas clair dans l'argument de Safatle quelle nouvelle relation politique peut être instituée avec cet argument. En fait, il semble qu'il ait abandonné cet argument dans son premier article sans pouvoir expliquer au lecteur comment l'action collective, les corps dans l'espace public et l'institution d'un nouveau droit sont liés.
Je termine ma participation à cette polémique en plaçant les deux photos ci-dessous pour le lecteur, celle de la statue avec les corps qui l'occupaient sur une place publique et plaçaient le drapeau mapuche dessus et celle de la statue en feu. Je demande au lecteur de décider où se situe la politique : que ce soit dans les corps qui protestent et utilisent des symboles qui pointent vers l'avenir, ou dans la compréhension que le feu est la continuation de la politique par d'autres moyens.
*Léonard Avritzer Il est professeur au Département de science politique de l'UFMG. Auteur, entre autres livres, de Impasses de la démocratie au Brésil (civilisation brésilienne).
Note
[1] Voici la liste des articles, par ordre chronologique :
Vladimir Safatle, « La libération du passé » : https://aterraeredonda.com.br/a-liberacao-do-passado/]
Leonardo Avritzer, "Bastille et Borba Gato": https://aterraeredonda.com.br/bastilha-e-borba-gato/
Vladimir Safatle, "Veuillez faire une clause de non-responsabilité la prochaine fois": https://aterraeredonda.com.br/por-favor-da-proxima-vez-facam-uma-nota-de-repudio/
Leonardo Avritzer, « Entre le feu sur la statue et la note de chute : la resignification de l'espace public » : https://aterraeredonda.com.br/entre-o-fogo-na-estatua-e-soltar-uma-nota-a-ressignificacao-do-espaco-publico/
Vladimir Safatle, « De l'art de ne pas voir le feu ». https://aterraeredonda.com.br/da-arte-de-nao-enxergar-o-fogo/?doing_wp_cron=1628180853.4686450958251953125000