Par OSVALDO COGGIOLA*
Considérations à l'occasion du 100ème anniversaire de la mort de Lénine
1.
Em L'âge des extrêmes, Eric Hobsbawm a défini Lénine comme « l'homme qui a eu le plus grand impact individuel sur l'histoire du XXe siècle ». L’homme, on le sait, fut le principal (mais pas le seul) leader de la Révolution d’Octobre, dont l’ombre planait et plane encore sur le monde. Son mythe a inspiré le fantôme qui a hanté le siècle, celui de la « révolution communiste mondiale », utilisé pour justifier des guerres et des massacres sans précédent dans l’histoire.
En Russie, berceau du « fantôme communiste » et « pays au passé imprévisible », c’est sous la plume des mêmes auteurs que l’on retrouve des interprétations diamétralement opposées de Lénine. C’est le cas de Dimitri Volkogonov, qui a soutenu, au fil des années, la version « officielle » soviétique, présentant le bolchevisme comme un « bien absolu », surgi de la tête de Lénine. De l'autre, Léon Trotsky était présenté comme l'incarnation du mal, ennemi de Lénine du début à la fin (mais le cachant pendant une brève période), et ennemi du socialisme à cause de l'impérialisme.
Dans une trilogie consacrée aux personnages les plus importants de l'histoire de l'URSS,[I] Dimitri Volkogonov a complètement changé de camp : le bolchevisme était désormais le « mal absolu », issu du génie (démoniaque) de Lénine. Quant à Staline et Trotsky, ils étaient des « frères ennemis » ; le premier était un fils légitime de Lénine. Volkogonov interprétait tendancieusement des phrases dans lesquelles « note pour note, lettre pour lettre, Lénine, le demi-dieu vénéré pendant 62 ans, y compris par moi, apparaît non pas comme le guide magnanime de la légende, mais comme un tyran cynique, prêt à tout pour prendre le pouvoir ». et préserver le pouvoir". « Demi-dieu vénéré » : telle était la qualité de Lénine dans « l’histoire officielle » de l’URSS. Un praticien occidental de l'histoire en série, dans le sillage de la réaction anticommuniste post-soviétique, a intitulé l'une de ses œuvres « Lénine, la cause du mal ».[Ii]
Le « léninisme » a été créé à l’occasion de la mort de Lénine comme une doctrine supposée infaillible, capable de garantir, par son « application », la victoire de la révolution socialiste. Un siècle plus tard, sur le terrain exploré et aussi dévasté par les révolutions victorieuses et vaincues, par les guerres et les contre-révolutions sanglantes, il convient de s'attarder sur les conditions qui ont forgé l'homme, et aussi sur celles qui ont présidé à la doctrine qui a inspiré la telle -appelé « mouvement communiste international ». Boukharine a résumé : « Marx a principalement donné l'algèbre du développement capitaliste et de l'action révolutionnaire ; Lénine y ajouta l'algèbre des nouveaux phénomènes de destruction et de construction, ainsi que leur arithmétique. Il a déchiffré les formules de l’algèbre d’un point de vue concret et pratique.[Iii]
Ceci dans un pays où, selon le résumé de Trotsky, « la chute de la monarchie était depuis longtemps la condition indispensable au développement de l'économie et de la culture russes. Mais il leur manquait la force de mener à bien cette tâche. La bourgeoisie était terrifiée par la révolution. Les intellectuels ont tenté d'organiser la paysannerie autour d'eux. Incapable de généraliser ses efforts et ses objectifs, le moujik n'a pas répondu aux appels de la jeunesse. L'intelligentsia s'est armée de dynamite. Une génération entière a été consumée dans ce combat. Parmi eux figurait le frère aîné de Lénine, Alexandre Oulianov, un populiste, exécuté par le régime tsariste pour complot contre le monarque, sans qu'aucune tentative ne soit menée contre lui.
Membre de la prochaine génération révolutionnaire, Lénine a commencé sa carrière au sein du RSDLP (Parti social-démocrate des travailleurs de Russie) en combattant, dans le vieux populisme russe (y compris son aspect dynamite), sa voie spécifique, « orientale » vers le socialisme, basée sur sur la survie de la communauté agraire russe (la mir). Il était erroné de soutenir la possibilité de mener une Socialisme russe basés dans la communauté rurale, tout comme les populistes, puisque le développement capitaliste avait créé une différenciation sociale au sein des communautés rurales. Le village était en train de se dissoudre, laissant la place, d'une part, à la propriété agraire capitaliste et, d'autre part, aux ouvriers agricoles. Son diagnostic de dissolution de l'ancienne communauté rurale (confirmé par des recherches historiques ultérieures),[Iv] exposé dans plusieurs ouvrages, notamment dans Le développement du capitalisme en Russie, a suivi les traces de la lutte politique de Plekhanov contre le populisme, résumée dans Nos désaccords.[V]
Lénine a ajouté une évaluation différente du mouvement paysan, qui pointait vers le point nodal de la stratégie révolutionnaire, l’alliance ouvrière-paysanne. Au Programme agraire de la social-démocratie, a déclaré : « L’erreur de certains marxistes consiste dans le fait qu’en critiquant la théorie des populistes, ils perdent de vue son contenu historiquement réel et légitime dans la lutte contre la féodalité. Ils critiquent, à juste titre, le « principe de travail » et l’« égalitarisme » en les qualifiant de socialisme petit-bourgeois arriéré, réactionnaire et oublient que ces théories expriment un démocratisme petit-bourgeois avancé et révolutionnaire ; Ces théories servent de drapeau à la lutte la plus déterminée contre la vieille Russie, la Russie féodale. L'idée d'égalité est l'idée la plus révolutionnaire dans la lutte contre l'ancien ordre de choses de l'absolutisme en général et contre l'ancien régime foncier féodal et foncier en particulier. L’idée d’égalité est légitime et progressiste chez les paysans petits-bourgeois, car elle exprime l’aspiration à la répartition.»
Pour Lénine, « la question agraire constituait la base de la révolution bourgeoise en Russie et déterminait la particularité nationale de cette révolution ».[Vi] Les objectifs qu'il fixait pour la révolution bourgeoise étaient : une république démocratique, une assemblée constituante et un gouvernement révolutionnaire provisoire sous le régime de la dictature démocratique des ouvriers et des paysans. Le moyen d’atteindre ces objectifs serait une insurrection populaire armée. Selon Lénine, le parti devait promouvoir une révolution des ouvriers et des paysans, et celle-ci, en menant la révolution démocratique, bien que préparant le terrain pour la révolution socialiste, ne pouvait échapper, au moins pour un certain temps, au sort d'une révolution bourgeoise. .
Trotsky, membre de la génération suivante, a compris que le prolétariat devrait chercher le soutien des paysans, mais il ne pouvait pas s'arrêter là : une fois la révolution bourgeoise achevée, le prolétariat serait inévitablement amené à mener sa propre révolution. sans solution de continuité. La question déjà controversée du programme de la révolution recoupe celle de l'organisation, qui a donné naissance au bolchevisme, identifié à Lénine.
Le rôle politique de Lénine au tournant du siècle fut de jeter les bases de l'organisation d'un parti ouvrier unifié, après la dispersion des groupes participant au congrès fondateur du RSDLP en 1898. Une sorte d'unité existait à travers la référence aux socialistes en exil. , dirigé par Plekhanov. Mais « jusqu'alors, le groupe de Plekhanov s'était principalement préoccupé du problème de l'orientation théorique, car il n'existait aucun parti politique qui s'identifiait à la théorie de Marx et cherchait à diffuser cette doctrine parmi les masses populaires ».[Vii]
Em Notre tâche immédiate, dès 1899, Lénine définissait que « le parti n'a pas cessé d'exister ; il s'est simplement replié sur lui-même, pour rassembler ses forces et affronter la tâche d'unifier tous les sociaux-démocrates russes sur un terrain solide. Réaliser cette unification, élaborer des formes appropriées, mettre définitivement de côté le travail localiste fragmenté : telles sont les tâches les plus immédiates et les plus essentielles des sociaux-démocrates russes.» Comment, dans ces conditions, le bolchevisme, la grande créature politique de Lénine, a-t-il émergé ?
Contre cette interprétation anhistorique, il a été souligné qu’« il existe trois organisations généralement désignées comme le « parti bolchevique » : (i) le RSDLP, entre 1903 et 1911, dans lequel de nombreuses factions se disputaient la direction ; (ii) la fraction bolchevique au sein de ce même parti ; (iii) le RSDLP (bolchevique) finalement fondé en 1912, qui recevra d'importants renforts, notamment celui de « l'organisation interdistricts » de Petrograd avec Trotsky, avant d'être le parti bolchevique victorieux en octobre ».[Viii]
Le bolchevisme était un courant né de conflits idéologiques et politiques, de scissions et de fusions, mais avec continuité. C'est Lénine qui fut responsable, très tôt, de la relativisation des principes politiques et organisationnels du Ce qu'il faut faire? (à partir de 1902), considérait (à tort) la charte fondatrice du bolchevisme, comme étant celle d’un « nouveau type » de parti. Le terme « bolchevique » avait initialement le sens de majorité (du IIe Congrès du RSDLP en 1903). En écrivant en 1907 une préface à la réédition de ses œuvres, Lénine critique les exégètes de Ce qu'il faut faire?, qui « séparent complètement ce travail de son contexte dans une situation historique définie – une période définie depuis longtemps dépassée par le développement du parti », précisant qu’« aucune autre organisation que celle dirigée par le parti » Iskra On aurait pu, dans les circonstances de la Russie de 1900-1905, créer un parti ouvrier social-démocrate comme celui qui a été créé... Ce qu'il faut faire? est un résumé des tactiques et de la politique organisationnelle du groupe. Iskra en 1901 et 1902. »
Cette tactique et cette politique n'étaient pas considérées comme originales, mais comme une version, dans les conditions russes (répression sévère, absence de libertés démocratiques et de démocratie politique), des principes de la IIe Internationale, en particulier du SPD allemand, dont en 1883 le chef du la police allemande, que « les partis socialistes à l’étranger le considèrent comme l’exemple à imiter sous tous ses aspects ».[Ix] Lénine proposait une organisation de révolutionnaires, conspiratrice et centralisée, qui serait en même temps une organisation ouvrière, avec un large champ de débat interne, mais avec une pleine unité d'action. Si le premier aspect a été souligné, c’est parce qu’il se heurtait aux partisans d’un parti « laxiste », que les bolcheviks ne jugeaient pas adapté aux conditions russes.
Pour Lénine, le révolutionnaire « ne doit pas avoir pour idéal le secrétaire du syndicat mais le tribun populaire, qui sait réagir contre toute manifestation d'arbitraire et d'oppression, où qu'elle se produise, quelle que soit la classe ou la couche sociale touchée, qui sait généraliser ». tous les faits pour dresser un tableau complet des violences policières et de l'exploitation capitaliste, qui sait profiter de la moindre occasion pour exposer ses convictions socialistes et ses revendications démocratiques, pour expliquer à chacun la portée historique de la lutte émancipatrice du prolétariat ».
Bref, un parti ouvrier et aussi professionnel. Cette idée serait maintenue tout au long de toutes les phases du bolchevisme, y compris les changements de programme. À partir de là, combiné à des circonstances particulières, le bolchevisme a émergé comme un courant politique différent au sein des courants socialistes, y compris internationaux, au-delà des intentions de ses fondateurs. Lénine a changé, non pas une, mais plusieurs fois, son évaluation de la nature de la révolution russe, mais jamais l'idée selon laquelle son protagoniste central serait le prolétariat industriel, élaborée dans les années 1890 dans une polémique contre la révolution russe. populistes (populistes) : « La classe ouvrière est l’ennemi cohérent et déclaré de l’absolutisme, et ce n’est qu’entre la classe ouvrière et l’absolutisme qu’aucun compromis n’est possible. L’hostilité de toutes les autres classes, groupes et couches de la population à l’égard de l’autocratie n’est pas absolue : leur démocratie regarde toujours en arrière.»
C'est pour et avec cette classe ouvrière que le bolchevisme a proposé de construire un parti. C’est grâce à son efficacité dans ce domaine que le bolchevisme s’est établi et a prévalu. Au début, il est probable que les compagnons de Lénine n'aient pas compris le sens profond de ses propositions. Sa conception de l'organisation et de la discipline constituait cependant une politique efficace dans la tâche d'unification des comités socialistes clandestins, dont le nombre augmentait rapidement en Russie, sous la direction de Iskra, implanté à l'étranger. De nombreuses commissions s’y sont opposées. La « question du parti » (et de ses fractions) est née du désaccord entre Lénine et Martov, au IIe Congrès du RSDLP, concernant le premier article du statut. Martov a proposé : « Est membre du RSDLP toute personne qui accepte son programme et soutient le parti, matériellement ou par le biais d'une coopération régulière développée sous la direction d'une de ses organisations ». Ce à quoi Lénine répondit : « Est membre du parti toute personne qui accepte son programme et soutient le parti, matériellement ou par sa participation personnelle aux activités d'une de ses organisations. » La divergence, apparemment, est minime.
Au Congrès social-démocrate de 1903, le « deuxième », la majorité bolchevique était en réalité minoritaire dans les votes qui précédèrent et suivirent immédiatement le vote des statuts : « La formulation plus élastique de Martov, qui, en opposition à Lénine, ne considérant que la « collaboration » devait constituer une exigence dans une organisation du Parti, elle fut acceptée par 28 voix contre 23. Après le retrait de sept délégués, Lénine parvint à constituer une majorité de 24 contre 20, de sorte qu'il parvint à admettre sa propre « collaboration » liste des candidats au Comité central… La victoire fut de courte durée, car le résultat fut la division de la direction du Parti en deux factions [bolcheviks et mencheviks].
Les positions de leadership du Iskra ils revenaient à des hommes devenus des opposants idéologiques à Lénine, qui rejoignirent bientôt Plekhanov. Lénine a préparé les bases de son propre périodique ; Période V (Avante) fut libéré fin 1904. »[X] Les bolcheviks constituèrent leur faction et convoquèrent leur propre congrès sous le nom de IIIe Congrès du RSDLP (Londres, 1905). Il s’avère que le bolchevisme est né d’une série de crises et de bouleversements politiques, et non d’un projet préexistant achevé.
2.
Un dictionnaire politique publié considérait cependant le léninisme comme « l’interprétation théorico-pratique du marxisme, dans une perspective révolutionnaire, élaborée par Lénine dans et pour un pays industriellement arriéré, comme la Russie, où les paysans représentaient l’énorme majorité de la population ». en attribuant à la « théorie du parti » de Lénine des « racines populistes claires » et en la situant simultanément comme une variante « de gauche » du révisionnisme bersteinien.[xi]
La controverse organisationnelle dans la social-démocratie russe masquait une divergence sur quel type de parti (parlementaire ou révolutionnaire) pour quel type d'activité (électorale ou révolutionnaire), pour quel type d'époque (pacifique ou révolutionnaire). Ce qui semblait initialement être une différence quant aux méthodes de construction d'un parti ouvrier en Russie, a fini par se révéler comme une divergence quant au programme et à l'époque historique mondiale, qui diviserait le mouvement ouvrier international, avec Lénine et le bolchevisme comme pivot. de la scission.
Lénine fut le principal organisateur du IIe Congrès du RSDLP, considéré comme le véritable congrès fondateur du parti. C'était le résultat d'une série de victoires politiques antérieures : « Lors de la tenue du Congrès en 1903, trois batailles idéologiques avaient déjà été livrées et résolues, qui constituaient la base du programme du parti adopté à l'unanimité par le Congrès. Devant populistes, le RSDLP considérait le prolétariat et non les paysans comme l'agent de la révolution future ; devant les « marxistes légaux », il prêchait l’action révolutionnaire et niait tout engagement envers la bourgeoisie ; devant les « économistes », il a souligné le caractère essentiellement politique du programme du parti ».[xii] La lutte contre les économistes¸ résumée par Lénine dans Ce qu'il faut faire?, était un héritage commun du parti, y compris des futurs opposants au supposé ultra-centralisme contenu dans ce texte.
Non Ce qu'il faut faire?Lénine avait déclaré que « le développement spontané du mouvement ouvrier marche précisément vers sa subordination à l'idéologie bourgeoise, parce que le mouvement ouvrier spontané est syndicaliste (…) Tout ce qui s'incline devant la spontanéité du mouvement ouvrier, tout c'est-à-dire diminuer le rôle de "l'élément conscient", le rôle de la social-démocratie, signifie renforcer l'influence de l'idéologie bourgeoise sur les travailleurs.» Mais, en même temps, il définit que « l’élément spontané n’est rien d’autre que la forme embryonnaire de la conscience. Et les émeutes primitives reflétaient déjà un certain éveil des consciences.»
Ou encore : « La classe ouvrière tend spontanément vers le socialisme, mais l'idéologie bourgeoise, la plus répandue (et sans cesse ressuscitée sous les formes les plus diverses) est celle qui s'impose le plus spontanément aux ouvriers ». Le texte et ses conséquences ont suscité une polémique qui résonne encore aujourd’hui. Il proposa une nouvelle fondation (seulement partiellement anticipée par Kautsky) pour le parti politique ouvrier.
En 1904, Rosa Luxemburg utilisa sa plume contre « l’ultra-centralisme » léniniste en XNUMX. Questions d'organisation de la social-démocratie russe: « Ce n'est pas en partant de la discipline que lui inculque l'État capitaliste, avec le simple passage du bâton de la main de la bourgeoisie à celle d'un comité central social-démocrate, mais en brisant, en extirpant cet esprit de servilité. discipline, que le prolétariat puisse être éduqué à la nouvelle discipline, l'autodiscipline volontaire de la social-démocratie. Ajoutant que « l’ultracentralisme prôné par Lénine nous paraît, dans toute son essence, porteur, non pas d’un esprit positif et créatif, mais de l’esprit stérile de la garde de nuit. Leur souci consiste avant tout à contrôler l’activité du parti et non à la féconder, à restreindre les mouvements et non à la développer, à la harceler et non à l’unifier.» Dans la conception luxembourgeoise, « la social-démocratie n'est pas liée à l'organisation de la classe ouvrière : elle est le mouvement de la classe ouvrière elle-même ».[xiii]
La réponse de Lénine[Xiv] était simple : les critiques de Rosa recevaient une réponse polie, une à une, en précisant que « ce que l'article de Rosa Luxemburg, publié dans La Nouvelle Zeit, fait prendre conscience au lecteur qu’il ne s’agit pas de mon livre, mais d’autre chose », et en disant, en substance, que « ce que je défends tout au long du livre, de la première page à la dernière, ce sont les principes élémentaires de toute organisation de parti imaginable ; (pas) un système d’organisation contre un autre. Lénine ne s’est donc pas proclamé l’inventeur du « centralisme démocratique ».
En 1904 également, Trotsky publia une brochure (Nos tâches politiques) dans lequel, à côté d'une remarquable série d'attaques personnelles contre Lénine (inaugurant une pratique inconnue des socialistes russes : Trotsky se justifiera plus tard en évoquant son « immaturité » – des témoins de l'époque, comme Angélica Balabanova, affirment qu'il n'y avait pas de affinité personnelle entre les deux hommes)[xv] il accusa également le bolchevisme d'avoir l'intention d'établir « la dictature du parti sur la classe ouvrière », du comité central sur le parti et du chef sur le comité central.
Parallèlement aux astuces controversées, Trotsky évitait également les exercices futurologiques : « Les tâches du nouveau régime seront si complexes qu'elles ne pourront être résolues que par la compétition entre différentes méthodes de construction économique et politique, par des « conflits » prolongés, par une lutte systématique non résolue. seulement entre les mondes socialiste et capitaliste, mais aussi entre de nombreuses tendances au sein du socialisme, qui émergeront inévitablement dès que la dictature du prolétariat apportera des dizaines de nouveaux problèmes. Aucune organisation forte et « dominante » ne sera en mesure d’étouffer ces controverses. Un prolétariat capable d’exercer sa dictature sur la société ne tolérera aucune dictature sur lui-même. La classe ouvrière aura dans ses rangs quelques poignées d’invalides politiques et beaucoup de vieilles idées dont elle devra se débarrasser. À l’époque de votre dictature, comme aujourd’hui, vous devrez nettoyer votre esprit des fausses théories et des expériences bourgeoises, et purger vos rangs de charlatans politiques et de révolutionnaires qui ne savent que regarder en arrière. Mais cette tâche complexe ne peut être résolue en plaçant une poignée de personnes élues au-dessus du prolétariat, ou en plaçant une seule prise de pouvoir.»
Trotsky avait rompu avec Lénine au Congrès de 1903. Rétrospectivement, il présentait cette rupture comme « subjective » et « morale », liée à un sujet qui n'impliquait aucun principe politique. Lénine proposa de réduire le nombre de rédacteurs du Iskra de six à trois. Ce devaient être Plekhanov, Martov et lui-même. Axelrod, Zasulich et Potresov doivent être exclus. J'aimerais que le travail éditorial de Iskra était plus efficace qu’il ne l’avait été ces derniers temps ; " à " Trotsky, cette tentative d'éliminer, de Iskra, Axelrod et Zasulich, deux de ses fondateurs, lui semblaient un sacrilège. La dureté de Lénine a suscité sa répugnance.»[Xvi]
Au Congrès, Trotsky s'est prononcé contre Lénine uniquement sur deux points de l'ordre du jour : le paragraphe 1 des statuts du parti et l'élection des organes centraux du parti. Trotsky ne s'est pas opposé aux thèses du programme du parti préparé par Lénine. Au contraire, il défendait Lénine sur ce point.[xvii] Dans son autobiographie, Trotsky ne fait pas référence à son tract de 1904 ; après le Congrès de 1903, il fut momentanément lié aux mencheviks, avec lesquels il rompit plus tard. Au cours de la décennie suivante, il fut partisan de la « conciliation » des factions (non sans quelques succès, eux aussi éphémères) qui alimenta la légende d'un Trotsky « anti-bolchevique », bien qu'il se rapproche du bolchevisme en étant tout autant membre de le RSDLP sous le nom de Lénine, à une époque où la division formelle du parti n'était pas consommée.
Contre Trotsky, Lénine déclarait qu'« il avait oublié que le Parti ne devait être qu'un détachement de l'avant-garde, le chef de l'immense masse de la classe ouvrière, qui dans son ensemble (ou presque) travaille « sous le contrôle et la direction » de la classe ouvrière. Des organisations du Parti, mais qui n’entrent pas entièrement et ne devraient pas entrer dans le « Parti » »[xviii] (les guillemets – ironique – viennent de… Lénine). Le parti, l’avant-garde ouvrière et la classe ouvrière ne s’identifiaient pas les uns aux autres (comme ils l’étaient, selon Lénine, Trotsky et Rosa Luxemburg), bien qu’ils s’influencent mutuellement. En 1905, le bolchevisme était un parti da avant-garde ouvrière, sa composition était de près de 62% d'ouvriers (et près de 5% de paysans)[xix]: C'était le parti des « révolutionnaires professionnels ».
Trois gloses plus tard, Lénine se moquait de ses critiques : « Affirmer que Iskra (de 1901 et 1902 !) exagérer l'idée d'une organisation de révolutionnaires professionnels revient à dire, après la guerre russo-japonaise, que les Japonais avaient une idée exagérée des forces militaires russes, et qu'ils étaient trop inquiets , avant la guerre, dans la lutte contre ces forces.[xx]
Beaucoup ont vu dans Nos tâches politiques une prophétie sur le sort du bolchevisme et de la révolution. Pour Isaac Deutscher, qui a critiqué les attaques personnelles de l'ouvrage, il était également « étonnant » de contenir de « grandes idées » et un « aperçu historique subtil ».[Xxi] Pour E. H. Carr, « le processus (futur) a été prédit de manière très détaillée par Trotsky, qui, dans un brillant pamphlet publié en 1904, annonçait une situation dans laquelle « le parti est remplacé par l'organisation du parti, l'organisation par le comité central et enfin le parti ». comité central par le dictateur'».[xxii] Pierre Broué a critiqué le « pédantisme » de Nos tâches, ses invectives contre « Maximilien Lénine », affirmant que Trotsky considérait plus tard l'ouvrage comme « un document terriblement ennuyeux à propos duquel il observait la plus grande discrétion », et se demandait pourquoi, dans les circonstances de sa publication (rupture de Trotsky avec le menchevisme) il « n’a pas renoncé à sa publication ».[xxiii]
Lénine répond à la comparaison avec Robespierre en affirmant que « le jacobin indissolublement lié à l'organisation du prolétariat et conscient de ses intérêts de classe, est précisément le social-démocrate révolutionnaire ». [xxiv] Les critiques les plus virulentes concernaient le fait que Lénine avait soutenu que l'intelligentsia révolutionnaire jouait un rôle particulier dans le mouvement révolutionnaire, en lui conférant une perspective socialiste que les travailleurs ne pouvaient pas réaliser seuls. Trotsky voyait dans cette opinion un déni des capacités révolutionnaires de la classe ouvrière et de l’aspiration de l’intelligentsia à maintenir le mouvement ouvrier sous sa tutelle. Le socialiste polonais Makhaïvski avait un point de vue similaire sur le « socialisme russe » en général.[xxv]
Trotsky a déclaré qu'au Congrès, « tout mon être a protesté contre la répression impitoyable des anciens combattants. L'indignation que j'ai ressentie venait de ma rupture avec Lénine, qui s'est produite en quelque sorte pour des raisons morales. Mais ce n'était qu'une apparence. Au fond, nos divergences avaient un caractère politique qui se manifestait dans la question de l’organisation.»[xxvi] Nos tâches politiques il était « dédié à Pavel Axelrod ». Aujourd’hui, il semble clair que « Trotsky et Luxemburg ont été injustes envers Lénine lorsqu’ils ont retiré les positions du Parti communiste ». Ce qu'il faut faire? de leur contexte historique concret et leur attribue un caractère universel ».[xxvii]
Trotsky parlera, bien plus tard, de son œuvre « maudite », sans regret : « Dans une brochure écrite en 1904, dont les critiques contre Lénine manquaient souvent de maturité et d'équité, il y a cependant des pages qui donnent une idée très fidèle de la manière dont penser à komitetchiki de cette époque (…) La bataille que Lénine soutiendra un an plus tard, au congrès [IIIe Congrès, avril 1905], contre le komitetchiki des déclarations arrogantes confirment pleinement cette critique.»[xxviii] C'est cet aspect qu'explorent les historiens qui affirment que « (en 1903) Lénine était déjà convaincu que c'était le révolutionnaire professionnel, et non les masses, qui détenait la clé de la victoire du socialisme ».[xxix]
La position de Lénine, qui a conduit à l'émergence des factions, n'avait rien à voir avec une impulsion soudaine : c'était la continuité d'une lutte politique et idéologique dont il était le protagoniste depuis les années 1890. La lutte contre le populisme, la Ce qu'il faut faire?, la délimitation du menchevisme, était ses différentes phases, non fondées sur un fétichisme statutaire : Lénine accepta, au Congrès de Réunification (bolcheviks + mencheviks) de 1906, la formulation menchevik de l'article 1o des statuts…
Cet épisode et d'autres nous permettent de remettre en question la vision rétrospective du bolchevik Zinoviev : « En 1903, nous avions déjà deux groupes clairement séparés, deux organisations et deux partis. Le bolchevisme et le menchevisme, en tant que tendances idéologiques, étaient déjà formés avec leur profil caractéristique, qui s'est manifesté plus tard dans la tempête révolutionnaire ».[xxx] Au congrès de Londres de 1905 (bolchevique), Lénine mena la bataille pour le recrutement et la promotion d'ouvriers qui n'étaient pas des « révolutionnaires professionnels », mais de simples militants ouvriers : indice d'un conflit avec le pouvoir. komitetchiki, les « hommes du comité ».
Nadezha Krupskaïa, l'épouse de Lénine, a raconté dans ses mémoires la bataille entre Lénine et Rykov, porte-parole de la « clandestinité » : « La komitetchiki c'était un homme plein de sécurité… il n'admettait aucune démocratie au sein du parti… il n'aimait pas les innovations ». Selon elle, Lénine pouvait à peine se contenir « d'entendre qu'il n'y avait pas d'ouvriers capables de faire partie des comités ». Il a proposé l'inclusion obligatoire d'une majorité de travailleurs dans les comités. L’appareil du parti était contraire ; La proposition de Lénine a été rejetée, un fait que Pierre Broué a lié à « l'esprit de secte qui a laissé les bolcheviks loin du premier ». soviets, dans lequel beaucoup d’entre eux craignaient une organisation adverse ».
La révolution de 1905, déjà en cours, avait vu la formation de conseils ouvriers, élus par les travailleurs sur leurs propres lieux de travail. Les délégués étaient à tout moment révocables par leurs électeurs. Syndiqués ou non, politiquement organisés ou désorganisés, les prolétaires de Pétersbourg, Moscou, Kiev, Kharkov, Toula, Odessa et d'autres agglomérations industrielles ont créé une nouvelle forme d'organisation de masse, qui apparaît à l'opposé des assemblées parlementaires avec lesquelles la bourgeoisie occidentale exerçait ses activités. leur domination de classe. Sa transformation en organismes gouvernementaux n’était cependant pas encore le projet d’un quelconque courant politique.
La tradition révolutionnaire de la classe ouvrière russe a eu un poids décisif dans la révolution de 1905 ; La grève de janvier 1905 est étroitement liée au déclenchement d'une autre grève générale en 1904 à Bakou, dans le Caucase. Celle-ci fut à son tour précédée par d’autres grèves majeures qui eurent lieu entre 1903 et 1904, dans le sud de la Russie, et qui eurent pour prédécesseur la grande grève de 1902, à Batum. On peut identifier le début de cette série de grèves dans celle entreprise par les ouvriers du textile de Saint-Pétersbourg entre 1896 et 1897.
Depuis la fin du XIXe siècle, la Russie était devenue l'épicentre de la révolution européenne : le RSDLP, lors de son congrès de 1903, adopta un programme « dans lequel, pour la première fois dans l'histoire des partis sociaux-démocrates, figurait le mot d'ordre de la dictature ». du prolétariat, défini comme la conquête du pouvoir politique par le prolétariat ».[xxxi] La lutte des classes en Russie a acquis son propre profil d’avant-garde sur la scène internationale ; La social-démocratie russe n’était pas la simple projection du socialisme européen dans des « terres sauvages ».
Lors de la révolution de 1905, le problème des soviets toucha toutes les factions du RSDLP : « Sans tenir compte de la coopération de nombreux ouvriers bolcheviques dans les conseils, la position de principe des organes dirigeants bolcheviques variait entre un rejet radical et une acceptation quelque peu dégoûtée. de ces « corps » étrangers à la révolution. La position des bolcheviks à l'égard des soviets différait d'un endroit à l'autre et subissait des transformations ; Lénine lui-même n'est pas parvenu à un jugement définitif sur son rôle et son importance, bien qu'il soit le seul parmi les bolcheviks à s'efforcer d'examiner en profondeur ce nouveau phénomène révolutionnaire et de l'ajouter à sa théorie et à sa tactique révolutionnaires.
Lors de la grève d'octobre, les ouvriers bolcheviks participèrent à la formation du Conseil des députés ouvriers de Pétersbourg, tout comme d'autres ouvriers. Dans les premiers jours de l'existence du soviet, alors qu'il agissait comme un comité de grève et que personne ne savait vraiment quel rôle il jouerait à l'avenir, les bolcheviks s'y opposaient avec bienveillance. Mais cela a changé quand, à la fin de la grève d’octobre, le soviet est resté debout et a commencé à évoluer vers un organe de direction politique de la classe ouvrière. La plupart des bolcheviks exprimèrent ouvertement leur opposition au soviet ; Ils ont rédigé, au sein des comités fédératifs formés par des représentants des deux factions du RSDLP, une résolution dans laquelle il recommandait l'acceptation officielle du programme de la social-démocratie, car des organisations indépendantes de type conseil ne pourraient pas guider une direction politique claire et seraient nuisibles.» .[xxxii] Le parti qui voulait se projeter dans le monde comme l’avant-garde du « pouvoir soviétique » s’est d’abord opposé à la fonction dirigeante ou gouvernementale du soviet. Il n’y avait pas de « génie Lénine » pour empêcher cela.
3.
Pour la plupart des historiens marxistes, il existait un lien entre Ce qu'il faut faire? et le « sectarisme bolchevique ». Paul Le Blanc affirme que « le potentiel sectaire que (Rosa) Luxemburg avait remarqué dans les conceptions de Lénine s'était clairement manifesté depuis 1905 ».[xxxiii] Pour Ernest Mandel « il est évident que Lénine a sous-estimé, au cours du débat de 1902-1903, les dangers pour le mouvement ouvrier qui pouvaient découler du fait de l'instauration d'une bureaucratie en son sein ».[xxxiv] L’épreuve de la révolution et sa défaite ont produit de nouvelles crises et de nouveaux réalignements politiques.
Lors de la réaction d'après 1905, bolcheviks et mencheviks se divisèrent chacun en trois fractions : les « liquidateurs » (Potressov, Zasulich), le centre (Martov, Dan) et les « mencheviks du parti » (Plekhanov) parmi ces dernières ; les « vpériodistes » (Bogdanov), les « léninistes » et les « conciliateurs » ou « parti bolcheviks » (Rykov, Nogin), parmi les premiers. Si 1903 n’a pas été la « date magique » du bolchevisme, 1906 (congrès de réunification) n’a pas été la grande heure de la conciliation perdue (Lénine déclarait que « jusqu’à la révolution sociale, la social-démocratie présentera inévitablement une aile opportuniste et une aile révolutionnaire ») ; les bolcheviks maintenaient un « centre clandestin » au sein du parti unifié ; Enfin, 1912 (lorsque les bolcheviks se séparèrent définitivement des mencheviks) ne fut pas le « parti final », car avant 1912 Lénine se réconcilia avec Plekhanov et forma un bloc au sein du RSDLP avec le « Parti mencheviks » contre les « liquidateurs », dans le but de de maintenir un appareil clandestin. C’est sur cette position qu’a été créé le RSDLP (bolchevique), avec une aile révolutionnaire et une aile « opportuniste »…
Entre crises et conflits acharnés entre factions, les problèmes politiques de la social-démocratie russe étaient à un niveau plus élevé que ceux des autres sections de la IIe Internationale, imprégnées de réformisme et d’électoralisme. Sa particularité n’a pas à voir avec une théorie supposée sur le « Parti, avec une majuscule, (qui) constitue la grande et ambiguë contribution russe à l’histoire contemporaine », aussi appelé « le Parti : une entité méta-politique totalement différente de tout ce qui s'était vu jusqu'alors dans la scène variée des mouvements socialistes européens », considérée comme la naissance d'une nouvelle variante anthropologique : la homo bolchevique! [xxxv]
Il est facile de pointer du doigt la confusion entre bolcheviks et mencheviks sur le rôle des Soviétiques ; leurs propres dirigeants en étaient confus : « Même au deuxième congrès (des soviets), le 28 octobre, aucun membre de cette assemblée ne connaissait très bien leur fonction, s'ils constituaient un comité central de grève ou un nouveau type d'organisation. semblable à un organisme d’auto-administration révolutionnaire ».[xxxvi]
L'évolution de Lénine a été décrite ironiquement par Moshe Lewin : « Depuis son œuvre écrite en exil sibérien, Lénine avait tendance à voir le capitalisme derrière chaque charrette russe. La révolution de 1905 l'a amené à modifier ses idées : le capitalisme était encore faiblement développé, les forces libérales étaient embryonnaires et timides ».[xxxvii] Néanmoins, pour Lénine, la révolution restait « bourgeoise dans le sens de son contenu économique et social.
Cela signifie que les tâches de la révolution qui se déroule en Russie ne dépassent pas le cadre de la société bourgeoise. Même la victoire la plus complète de la révolution actuelle, c'est-à-dire la conquête de la république la plus démocratique et la confiscation de toutes les terres des propriétaires par les paysans, n'ébranlera pas les fondements de l'ordre social bourgeois.» Mais de cette thèse, Lénine n’a pas tiré la conclusion que le principal moteur de la révolution serait la bourgeoisie, comme le voulaient les mencheviks, car la révolution s’est produite à une époque où « le prolétariat avait déjà commencé à prendre conscience de lui-même comme d’un prolétariat ». classe particulière et s’unissent dans une organisation de classe autonome ».
En septembre 1905, lors de la « première révolution russe », Lénine affirmait que « de la révolution démocratique nous commencerons bientôt à passer, dans la mesure de nos forces, des forces du prolétariat conscient et organisé, à la révolution socialiste. Nous sommes pour une révolution ininterrompue. Nous ne nous arrêterons pas à mi-chemin. Lénine, cependant, a limité la portée immédiate de la révolution à l’horizon démocratique bourgeois. Selon Trotsky, il « voulait laisser entendre que, pour maintenir l'unité avec la paysannerie, le prolétariat serait contraint de renoncer à l'attribution immédiate de tâches socialistes lors de la prochaine révolution. Mais cela signifiait pour le prolétariat renoncer à sa propre dictature. Par conséquent, la dictature était, par essence, celle de la paysannerie, même si les ouvriers y participaient.»
Citons les paroles confirmatives de Lénine, prononcées au congrès du POSDR à Stockholm (1906), en réponse à Plekhanov : « De quel programme parlons-nous ? D'un programme agraire. Qui est censé prendre le pouvoir avec ce programme ? Les paysans révolutionnaires. » Lénine a-t-il confondu le gouvernement du prolétariat avec le gouvernement des paysans ? « Non » – dit-il en se référant à lui-même – « Lénine différenciait nettement le gouvernement socialiste du prolétariat du gouvernement démocratique bourgeois des paysans ».
Trotsky défendait déjà la révolution permanente, dont la perspective était que « la victoire complète de la révolution démocratique en Russie ne peut être conçue que sous la forme de la dictature du prolétariat, soutenue par les paysans. La dictature du prolétariat, qui mettrait inévitablement sur la table non seulement des tâches démocratiques mais aussi des tâches socialistes, donnerait en même temps une vigoureuse impulsion à la révolution socialiste internationale. Seule la victoire du prolétariat occidental pourrait protéger la Russie d’une restauration bourgeoise, lui donnant la sécurité nécessaire pour achever la mise en œuvre du socialisme. »
Il s’agissait d’une divergence de portée stratégique : « Le bolchevisme n’a pas été infecté par la croyance dans la puissance et la force d’une démocratie bourgeoise révolutionnaire en Russie. Dès le début, il a reconnu l'importance décisive de la lutte de la classe ouvrière dans la révolution à venir, mais son programme s'est limité, dans la première époque, aux intérêts des grandes masses paysannes, sans qui – et contre lesquelles – la révolution pourrait se réaliser. n’ont pas été réalisés par le prolétariat. D'où la reconnaissance provisoire du caractère démocratique bourgeois de la révolution et de ses perspectives.
L’auteur [Trotsky] n’appartenait donc, à cette époque, à aucun des deux principaux courants du mouvement ouvrier russe.» Pour lui, « le prolétariat, une fois au pouvoir, ne doit pas se limiter au cadre de la démocratie bourgeoise mais doit employer la tactique de la révolution permanente, c'est-à-dire éliminer les limites entre le programme minimum et maximum de la social-démocratie, en s'orientant vers des réformes toujours plus grandes. des mouvements sociaux plus profonds et recherchant un soutien direct et immédiat dans la révolution d’Europe occidentale ». [xxxviii]
Au fur et à mesure que les positions évoluent, une convergence est apparue depuis le Cinquième Congrès (à Londres) du RSDLP : « Le fait le plus marquant du congrès a été l'isolement des mencheviks face à la convergence des positions de Lénine, Rosa Luxemburg et Trotsky. Il s’agissait d’une convergence objective, sans aucun accord, et non sans divergences considérables, entre Lénine et les bolcheviks, d’une part, et Rosa et Trotsky, de l’autre.»[xxxix]
L’historiographie soviétique post-Gorbatchev a eu tendance à minimiser les désaccords pré-révolutionnaires entre Lénine et Trotsky (tout comme le stalinisme, auparavant, les avait exagérés jusqu’à en faire de purs mensonges) : « Ces désaccords n’ont pas beaucoup de signification lorsque nous les considérons d’un point de vue historique. Cela comprend la question de la révolution permanente qui a toujours pris des proportions exagérées après la mort de Lénine. En fait, après 1916, Lénine n’a plus jamais souligné cette question. » Le même auteur souligne que « les articles de Trotsky étaient publiés dans des revues dirigées par Lénine ».[xl]
Les divergences stratégiques se sont poursuivies. Ils se sont intensifiés après le « Bloc d'Août » (bloc « pour l'unité du RSDLP », dirigé par Trotsky, avec participation menchevik) de 1912, lorsque les bolcheviks se sont engagés sur la voie de la construction d'un parti indépendant. Pendant 15 ans, Lénine et Trotsky se sont injuriés par écrit (« médiocre », « avocat de second ordre », disait Trotsky à propos de Lénine ; « calomniateur bon marché », « joueur de balalaika», « feint », « ambitieux », celui-ci a riposté), que Trotsky, rétroactivement, attribuait à l'immaturité et à la « chaleur » de la lutte entre factions.
En pleine période de réaction, Trotsky précise l'ampleur des divergences : « Si les mencheviks, partant de la conception suivante : 'notre révolution est bourgeoise', arrivent à l'idée d'adapter toute la tactique du prolétariat à la conduite de la bourgeoisie libérale jusqu'à la conquête du pouvoir pour la même raison, les bolcheviks, partant d'une conception non moins abstraite, « la dictature démocratique mais non socialiste », arrivent à l'idée d'une autolimitation du prolétariat , qui détient le pouvoir, à un régime de démocratie bourgeoise. Il est vrai qu'entre mencheviks et bolcheviks il y a une différence essentielle : même si les aspects anti-révolutionnaires du menchevisme se manifestent dès aujourd'hui, dans toute leur ampleur, ce qu'il y a d'anti-révolutionnaire dans le bolchevisme ne nous menace pas - mais la menace n'est pas réelle. moins grave - mais en cas de victoire révolutionnaire.»[xli] Ce qui admet une double lecture : (1) Trotsky place le bolchevisme sur un plan historique et politique plus élevé que le menchevisme ; (2) il ne manquait pas non plus de croire qu'il y avait des aspects anti-révolutionnaires dans le bolchevisme, ce qui n'était pas une mince affaire.
4.
Nous nous concentrons ici sur la controverse Lénine-Trotsky en raison du rôle des deux dirigeants dans la Révolution d’Octobre et dans l’histoire qui a suivi. Avant cela, pendant plus d'un quart de siècle, Lénine avait participé à des polémiques avec de nombreux courants du socialisme russe et international (même le socialiste argentin Juan B. Justo critiquait la théorie léniniste de l'impérialisme) et était sans aucun doute le pivot de l'impérialisme. débats politiques au sein du mouvement syndical de son pays. Les différences programmatiques entre bolcheviks, mencheviks et « trotskystes » sont devenues clairement évidentes avec la révolution.
Pour Rudi Dutschke, « seule la compréhension de la révolution bourgeoise de 1905 permet d'approcher, à travers les conceptions économiques de Lénine, les racines du centralisme démocratique comme type de parti ».[xlii] Dans la mesure où, au départ, toutes les fractions étaient d'accord sur le caractère bourgeois de la révolution russe, les divergences n'apparaissaient pas clairement. Initialement, la révolution de 1905 et sa répression par le tsarisme ont rapproché les bolcheviks et les mencheviks : tous deux croyaient à la nécessité d’une étape « démocratique bourgeoise » avant la révolution socialiste. Cependant, il s'est révélé, entre 1907 et 1908, que tandis que les mencheviks croyaient que la bourgeoisie pouvait diriger et achever cette étape, les bolcheviks affirmaient que seuls le prolétariat et les paysans pouvaient remplir la tâche de l'étape démocratique bourgeoise.
Les différences n’ont pas été complètement surmontées dans la pratique (la Révolution d’Octobre a été identifiée aux noms de Lénine et de Trotsky) et grâce à l’assimilation politique de cette pratique. Penser les divergences politiques comme une anomalie, et l’homogénéité comme un idéal à atteindre, revient à nier la pensée elle-même et son moteur (la contradiction). Sans la révolution, il est probable que certaines de ces controverses se seraient propagées à l'infini.
Dans son autobiographie, Trotsky se montre très sobre à ce sujet : « Je suis arrivé à Lénine plus tard que les autres, mais par mon propre chemin, après avoir croisé et réfléchi sur l'expérience de la révolution, de la contre-révolution et de la guerre impérialiste. Grâce à cela, je suis venu vers lui avec plus de fermeté et de sérieux que ses « disciples » » (notez les guillemets). Ce à quoi l'historien stalinien Léo Figuères répond : « Il convient de se demander si Trotsky aurait pu rejoindre le bolchevisme en 1917 si tous ses disciples (sic, sans guillemets) avaient suivi sa voie, abandonné et combattu Lénine après le IIe Congrès. » .[xliii] Si une telle chose s’était produite, le bolchevisme n’aurait pas existé. Figuères, en bon stalinien, considérait le bolchevisme comme une chaîne de « disciples » de Lénine, c'est-à-dire en termes religieux.
Sur le plan international, rien n'est plus contraire à la vérité que la légende inventée par Staline en Fondamentaux du léninisme: que les bolcheviks avaient agi, depuis 1903, en faveur de la scission avec les réformistes de l'Internationale Socialiste. C'est au prix d'une grande lutte que Lénine parvient à être reconnu comme représentant du RSDLP (avec Plekhanov) depuis 1905, au Bureau Socialiste International (BSI), poste qu'il conservera jusqu'à la Première Guerre mondiale. C'est dans ce contexte qu'eut lieu le « Congrès de l'Unité » russe de 1906. En 1907, au Congrès socialiste international de Stuttgart, la motion sur l'attitude et le devoir des socialistes en cas de guerre (« utiliser la crise provoquée par la guerre pour précipiter la chute de la bourgeoisie »), a été présentée conjointement par Lénine, Rosa Luxemburg et le menchevik Martov.
Lorsqu'en janvier 1912 la conférence (bolchevique) de Prague consomma la rupture avec les mencheviks, Lénine ne la présenta pas au BSI comme la rupture entre réformistes et révolutionnaires, mais entre les défenseurs du « vrai parti ouvrier » contre les « liquidateurs ». (partisans d'un parti simplement « légal ») et défendant « le seul parti existant, le parti illégal » (rapport de Kamenev, représentant de Lénine, au BSI de novembre 1913).
En 1912, les bolcheviks se sont battus pour s'affirmer comme représentants du RSDLP au Congrès socialiste international de Bâle. Déjà en 1914 (avant la guerre), en raison de l'isolement international des bolcheviks (y compris par rapport à l'aile gauche de l'Internationale Socialiste, dont la dirigeante Rosa Luxemburg s'était alliée aux mencheviks et au « Bloc d'Août » dirigé par Trotsky), les bolcheviks ont admis une nouvelle et infructueuse « conférence d’unification ». Lénine était déjà conscient de la portée internationale de la « scission russe » et, après la capitulation des principaux partis de l’Internationale Socialiste face au déclenchement de la guerre en août 1914, il proclama dès la fin de cette année-là la lutte pour la Russie. une nouvelle Internationale, la Troisième.[xliv] Trois ans plus tard, en 1917, en Russie, le bolchevisme était le point de ralliement des révolutionnaires.
Lénine, en pleine guerre impérialiste (fin 1915), accusait Trotsky, bien qu'ils appartiennent tous deux à la soi-disant « gauche de Zimmerwald », la fraction internationaliste ultra-minoritaire du socialisme international : « La théorie originale de Trotsky emprunte aux bolcheviks l'appel pour une lutte révolutionnaire décisive et pour la conquête du pouvoir politique par le prolétariat et, pour les mencheviks, pour la négation du rôle de la paysannerie. Celui-ci, semble-t-il, était divisé, différencié et serait de moins en moins capable de jouer un rôle révolutionnaire.
En Russie, une révolution « nationale » serait impossible, « nous vivons à l'époque de l'impérialisme » et « l'impérialisme n'oppose pas la nation bourgeoise à l'ancien régime, mais le prolétariat à la nation bourgeoise ». Voici un exemple amusant des jeux auxquels on peut jouer avec le mot « impérialisme ». Si, en Russie, le prolétariat est déjà opposé à la « nation bourgeoise », alors il est à la veille d’une révolution socialiste. Dans ce cas, la « confiscation des grandes propriétés » (posée par Trotsky en 1915) est fausse et il ne s’agit pas de parler d’« ouvriers révolutionnaires », mais de « gouvernement ouvrier socialiste ». Le degré de confusion de Trotsky peut être vu dans sa déclaration selon laquelle le prolétariat dirigera les masses populaires non prolétariennes ! Trotsky ne pense même pas que si le prolétariat parvient à conduire les masses non prolétariennes à la confiscation des grands domaines et au renversement de la monarchie, ce sera la réalisation de la « révolution nationale bourgeoise », de la dictature démocratique-révolutionnaire de le prolétariat et la paysannerie.
Et Lénine de conclure que « Trotsky aide en fait les politiciens ouvriers libéraux qui, niant le rôle de la paysannerie, refusent de conduire les paysans à la révolution ». À la lumière de l'œuvre de Trotsky, on peut dire que l'accusation de Lénine était fausse, même si elle reposait sur des éléments encore faibles de la formulation de la « révolution permanente », que Trotsky se chargerait de clarifier dans ses travaux ultérieurs (sans compter que En fait, la Russie se trouvait « à la veille d’une révolution socialiste »). La guerre elle-même a donné lieu à d’autres divergences : sur le « défaitisme révolutionnaire » (que Trotsky, ainsi que plusieurs bolcheviks, n’ont pas accepté), sur les « États-Unis d’Europe »…
Mais un travail internationaliste commun au sein de la gauche de Zimmerwald n’a pas manqué de créer les éléments d’une future unité politique. La convergence qui s’est opérée en 1917 était d’abord politique, la lutte pour construire l’instrument de la révolution, le parti. Pourtant, toujours au moment de l’unification, Trotsky écrivit un document qui comprenait une « phrase par laquelle il soulignait, en matière d’organisation, « l’esprit de cercle étroit » des bolcheviks…. Les ouvriers inter-districts entretenaient une grande méfiance envers le comité de Petrograd (du bolchevisme). J’écrivais alors que « l’esprit de cercle existe toujours, héritage du passé, mais pour qu’il diminue, il faut que les interquartiers cessent d’exercer une activité isolée » ».[xlv]
Des années plus tard, il écrivait que « sans appartenir à l'une ou l'autre faction pendant l'émigration, l'auteur a sous-estimé le fait fondamental que dans les divergences d'opinion entre les bolcheviks et les mencheviks, il y avait en fait, d'un côté, un groupe de révolutionnaires inflexibles et, de l’autre, un autre groupe d’éléments de plus en plus désagrégés par l’opportunisme et le manque de principes. Lorsque la révolution éclata en 1917, le parti bolchevique représentait une organisation centralisée forte, qui avait absorbé les meilleurs éléments parmi les ouvriers progressistes et l'intelligence révolutionnaire.[xlvi]
A la veille de la révolution russe, Lénine, dans une conférence donnée en Suisse, à l'occasion de l'anniversaire du « Dimanche sanglant » de 1905, déclarait que seules les générations futures pourraient peut-être être témoins de la victoire révolutionnaire, de même que celui qui a amené le bolchevisme à moins de pouvoir. Un an plus tard…[xlvii] Trotsky réaffirmait que « le désaccord le plus important entre Lénine et moi au cours de ces années résidait dans mon espoir qu'une unification avec les mencheviks propulserait la majorité d'entre eux sur la voie révolutionnaire. Lénine avait raison sur cette question fondamentale. Mais il faut reconnaître qu’en 1917 les tendances à l’« unification » étaient très fortes parmi les bolcheviks.»[xlviii]
5.
La Révolution d’Octobre 1917 a été précédée par la Révolution de Février, qui n’était le fruit de la conspiration d’aucun parti politique. 1917 a été qualifiée par le président français Poincaré d’« année terrible », la troisième de la Guerre mondiale, après un hiver européen rigoureux. Pour des millions d’hommes, c’est la fin des illusions patriotiques de 1914, transformées en massacres de combattants lors d’« offensives » qui coûtent des centaines de milliers de vies ; des difficultés d’approvisionnement, avec de fortes hausses de prix, affectant les travailleurs de tous les pays ; la « paix civile », défendue par les syndicats et les partis ouvriers des pays belligérants, avait abouti à la remise en question de tous les acquis ouvriers (rythmes de production, horaires, conditions de travail, droits de revendication) ; L'usure du matériel, des machines et de l'appareil économique a provoqué une crise dans tous les pays.
La Russie est le pays qui, de loin, a subi les pires conséquences de la guerre, rendant ses contradictions historiques plus aiguës et insupportables. La Révolution de Février provoqua la chute du tsarisme et ouvrit une période de crises politiques qui se termina par le « coup d'État » d'octobre qui porta au pouvoir les bolcheviks, alors déjà majoritaires parmi les ouvriers, les soldats et les paysans. " les soviets. Lénine, comme l'historiographie l'a déjà abondamment exposé, était au centre de ces événements, qui constituèrent le point culminant de sa carrière politique et qui changeèrent le destin du monde, justifiant en soi l'affirmation initialement citée de Hobsbawm.
Le parti bolchevique qui prend le pouvoir en octobre 1917 est le prolongement du parti né en 1912 et de la fraction d'après 1903. Il est cependant également diversifié. Dans les mois de crise politique aiguë, elle avait largement recruté parmi les jeunes générations d'ouvriers, de paysans et de soldats : l'organisation clandestine, qui comptait 25.000 80.000 membres en janvier, en comptait près de 200.000 XNUMX à la conférence d'avril, et XNUMX XNUMX au VIe Congrès bolchevique, en août : les vieux bolcheviks et les komitetchiki ils représentaient une minorité de 10 %.
Ses membres comprenaient des groupes ouvriers non définis par rapport aux factions et aux querelles d'avant-guerre : l'Organisation interdistricts, qui ne comptait pas plus de 4.000 1917 membres, avait trois de ses membres élus au Comité central. Le congrès d'août XNUMX constate la convergence de plusieurs organisations ou groupes ; sa base solide était le RSDLP (bolchevique) de Lénine, dans lequel affluaient les « courants révolutionnaires » auxquels Radek faisait référence.[xlix] Deux ans après la Révolution d’Octobre, Lénine écrivait : « Au moment de la conquête du pouvoir, lorsque fut créée la République des Soviets, le bolchevisme attirait tout ce qu’il y avait de meilleur dans les tendances de la pensée socialiste la plus proche. »[l]
Lénine a convergé avec la théorie de Trotsky[li] de sa propre théorie. Dans le Thèses d'avril, le programme historique du « tournant », Lénine est parti de la « conclusion de la phase bourgeoise de la révolution ». Si ce qui a empêché le prolétariat de prendre le pouvoir en février 1917 était seulement son insuffisance de conscience et d’organisation, cela signifie qu’il n’y a pas eu de « révolution nationale » séparée par une étape historique de la révolution prolétarienne. Le bolchevisme fut, grâce à cela, l’instrument politique de la « deuxième étape » de la révolution.
C'était Trotsky, en Cours d'octobre (à partir de 1924), qui dressait un bilan nécrologique critique de la formule léniniste de « dictature démocratique » : « Entièrement révolutionnaire et profondément dynamique, la pose du problème par Lénine était radicalement opposée au système menchevik, selon lequel la Russie ne pouvait qu'entendre répéter l’histoire des peuples avancés, avec la bourgeoisie au pouvoir et la social-démocratie en opposition. Cependant, dans la formule de Lénine, certains milieux de notre parti n'ont pas mis l'accent sur le mot « dictature », mais sur le mot « démocratique », par opposition au mot « socialiste ». Cela signifierait qu’en Russie, pays arriéré, seule une révolution démocratique pourrait être conçue. La révolution socialiste doit commencer à l’Ouest et nous ne pouvons rejoindre le courant du socialisme qu’en suivant l’Angleterre, la France et l’Allemagne.»
Le « tournant programmatique » du bolchevisme était clair dans l’évaluation faite par Lénine lui-même, quelques années après la victoire d’octobre 1917 : « Pour consolider pour le peuple russe les acquis de la révolution démocratique bourgeoise, nous devions aller plus loin et c'est ce que nous avons fait. Nous résolvons les problèmes de la révolution démocratique bourgeoise dans le processus, en tant que « sous-produit » de nos activités socialistes révolutionnaires fondamentales et véritablement prolétariennes. Nous avons toujours dit que les réformes démocratiques – nous l’avons dit et démontré par les faits – sont un sous-produit de la révolution prolétarienne, c’est-à-dire socialiste. C'est le rapport entre la révolution démocratique bourgeoise et la révolution prolétarienne socialiste : la première se transforme en la seconde. Le second résout au passage les problèmes du premier. Le second consolide les travaux du premier. Le combat, et seul le combat, détermine dans quelle mesure le second peut l’emporter sur le premier.[lii] Le « nouveau bolchevisme » dominait le Congrès (août 1917), qui matérialisait la fusion et avait la présidence d'honneur de Lénine et Trotsky (absent en raison de la répression de juillet), ce dernier étant élu au CC avec 131 voix sur 134 possibles.
L’entrée de Trotsky et de ses partisans, ainsi que d’autres groupes, fut décisive pour provoquer le « tournant historique » du bolchevisme, qui prit son nom définitif de parti communiste. La convergence politique s'est produite à une époque où, selon le mémoriste menchevik Soukhanov, « les masses vivaient et respiraient avec les bolcheviks, elles étaient entièrement entre les mains du parti de Lénine et de Trotsky ».[liii]
Rétrospectivement, Trotsky a rappelé que : « De violents affrontements ont eu lieu entre Lénine et moi, parce que dans les cas où je n'étais pas d'accord avec lui sur un problème grave, j'ai mené le combat jusqu'au bout. Ces cas, bien entendu, ont été enregistrés dans toutes les mémoires, et les épigones en ont beaucoup écrit et parlé plus tard. Mais il y a cent fois plus de cas où nous nous sommes compris à demi-mots et où notre solidarité a fait en sorte que la question passe sans débat au Politburo. Lénine a grandement apprécié cette solidarité.»[liv]
Une fois la révolution victorieuse, le bolchevisme, face à des circonstances particulières (une guerre civile sanglante, entretenue par l'intervention de 14 puissances étrangères et l'isolement international du pays) n'était pas le « parti unique de la révolution ». Pendant la Révolution d'Octobre, quatre anarchistes étaient membres du Comité militaire révolutionnaire. Un marin anarchiste de Cronstadt dirigeait la délégation qui dissout l'Assemblée constituante. Mais en même temps, l’hégémonie bolchevique était évidente. Les comités d'usine apparurent partout, devinrent rapidement forts et furent dominés par les bolcheviks.
Du 30 octobre au 4 novembre, la première Conférence russe des comités d'usine s'est tenue à Petrograd, où 96 des 167 délégués étaient des bolcheviks.[lv] Pourtant, « au cours de la première semaine de décembre 1917, des manifestations eurent lieu en faveur de l'Assemblée constituante, c'est-à-dire contre le pouvoir des soviets. Des gardes rouges irresponsables ont ensuite tiré sur l'un des cortèges et tué plusieurs personnes. La réaction à cette violence stupide fut immédiate : en douze heures, la constitution du soviet de Petrograd fut modifiée ; plus d'une douzaine de députés bolcheviks ont été limogés et remplacés par des mencheviks… Malgré cela, il a fallu trois semaines pour calmer le ressentiment de l'opinion publique et permettre le rappel et la réintégration des bolcheviks.»[lvi]
Trotsky a explicitement reconnu la supériorité du rôle de Lénine dans la révolution : « Si je n'avais pas été à Pétersbourg en 1917, la Révolution d'Octobre se serait déroulée de la même manière – conditionnée par la présence et le leadership de Lénine. Si ni Lénine ni moi n'avions été à Pétersbourg, il n'y aurait pas eu de Révolution d'Octobre : la direction du parti bolchevique l'aurait empêchée… Si Lénine n'avait pas été à Pétersbourg, je n'aurais eu aucune chance d'obtenir la révolution bolchevique. des hauts pour résister. La lutte contre le « trotskisme » (c'est-à-dire contre la révolution prolétarienne) serait ouverte à partir de mai 1917, et l'issue de la révolution aurait été un point d'interrogation. Mais, je le répète, avec la présence de Lénine, la Révolution d’Octobre aurait de toute façon remporté la victoire. Bref, on peut dire la même chose de la guerre civile.»[lvii]
À propos du parti, Trotsky faisait référence à d’anciennes questions d’organisation dans des termes qui répétaient, presque point pour point, les termes que Lénine avait utilisés pour le critiquer trois décennies plus tôt : « La direction n’est pas un simple « reflet » d’une classe, ni le produit d’une classe. de sa libre création. La direction se forge au fil des affrontements entre les différentes couches d’une classe donnée. Une fois qu'elle assume son rôle, la direction s'élève au-dessus de sa classe, étant exposée à la pression et à l'influence des autres classes... Un facteur très important dans la maturité du prolétariat russe, en 1917, fut Lénine, qui n'est pas tombé du ciel. Il personnifiait la tradition révolutionnaire de la classe ouvrière. Pour que ses postulats puissent ouvrir la voie parmi les masses, il fallait qu'il y ait des cadres, même limités ; Il devait y avoir une confiance de la part du personnel en sa direction, une confiance basée sur toutes les expériences passées.[lviii]
Le bolchevisme n'était pas seulement le produit d'un groupe d'individus, de leurs luttes politiques et idéologiques, mais de l'histoire du mouvement ouvrier et de la révolution, à travers une gigantesque confrontation d'idées, de programmes, de tactiques, d'organisations et d'hommes. Dans les premières années de la révolution, le bolchevisme n'a eu aucun problème à admettre son tournant en 1917, comme le démontre un article de Molotov (qui deviendra plus tard un homme de l'appareil stalinien aux plus hautes fonctions de l'État) de 1924 : « Il faut le dire ouvertement : le parti n'avait ni la clarté de vision ni l'esprit de décision requis par le moment révolutionnaire. Il ne les avait pas parce qu'il n'avait pas une attitude claire et directrice à l'égard de la révolution socialiste. En général, l'agitation et toute la pratique du parti révolutionnaire manquaient de bases solides, car la pensée n'était pas encore parvenue à la conclusion audacieuse sur la nécessité d'une lutte immédiate pour le socialisme et la révolution socialiste.[lix]
La victoire de la révolution soviétique signifiait le naufrage de tous les partis qui avaient parié, contre l'absolutisme, sur les régimes bourgeois, depuis une monarchie constitutionnelle (le parti constitutionnel, KDT) jusqu'à une démocratie parlementaire (presque tous les partis socialistes, à l'exception du bolchevisme). ). C’est surtout de Lénine que sont venus les efforts pour préserver, dans ces conditions, un cadre politique multipartite. Dans une situation instable, un rameau d’olivier a été tendu aux partis socialistes exclus du pouvoir. Les mencheviks convoquèrent une conférence de cinq jours à Moscou fin octobre 1918. Le déclenchement de la guerre civile et la menace contre le régime soviétique les conduisirent sur la voie du compromis. La conférence a approuvé une série de thèses et de résolutions reconnaissant la Révolution d'Octobre comme « historiquement nécessaire » et comme « un gigantesque ferment qui avait mis le monde entier en mouvement », renonçant à « toute coopération politique avec des classes hostiles à la démocratie ». Les tentatives de collaboration avec les anarchistes (que Lénine en est venu à définir comme « nos meilleurs alliés », ayant même eu un entretien amical avec leur célèbre leader ukrainien Néstor Makhno) ont échoué au milieu des hauts et des bas de la guerre civile, qui a vu de violents affrontements entre les partis politiques L’armée ukrainienne et « l’Armée noire » ukrainienne.
6.
La politique de conciliation n'a pas résisté à l'épreuve des événements, dans un contexte de contre-révolution interne et d'intervention extérieure, toutes deux violentes. La guerre civile a d'abord transformé les bolcheviks en un « parti de gouvernement unique », avec l'attaque des SR (Socialistes révolutionnaires), de gauche, qui ont participé au gouvernement soviétique, contre Lénine (même si Fanny Kaplan, son auteur, a insisté sur le fait d'avoir agi pour son propre compte) et les meurtres d'Uritsky et Volodarsky, dirigeants bolcheviks : « Les événements de l'été 1918 ont laissé les bolcheviks sans rivaux ni amis en tant que parti dominant dans l'État ; et avait dans Tchéka un organe de pouvoir absolu. Cependant, une forte réticence persistait à utiliser ce pouvoir sans restrictions. L’heure n’était pas encore venue de l’extinction définitive des partis exclus. La terreur était, à cette époque, un instrument capricieux et il était normal de voir des partis contre lesquels les anathèmes les plus violents avaient été prononcés et les mesures les plus drastiques prises, continuer à survivre et à jouir de la tolérance. L'un des premiers décrets du nouveau régime avait autorisé la Sovnarkom fermer tous les journaux qui prêchaient « la résistance ouverte ou la désobéissance au gouvernement ouvrier et paysan » et la presse bourgeoise cessa d’exister. Le journal menchevik de Petrograd, Novy Luch, fut supprimé, en février 1918, pour sa campagne contre le traité de Brest-Litovsk. Il réapparaît cependant en avril, à Moscou, sous le nom de Vpered et a poursuivi sa carrière pendant un certain temps sans interférence. Des journaux anarchistes ont été publiés à Moscou longtemps après l'action de la Tcheka contre les anarchistes en avril 1918.[lx] La guerre civile a balayé tous les compromis entre le bolchevisme et son opposition politique.
Lénine s'est opposé à considérer cette situation comme idéale, évoluant dans son appréciation de la nature du pouvoir soviétique établi en Russie. En 1918, il écrivait : « La lutte contre la déformation bureaucratique de l'organisation soviétique est garantie par la solidité des liens entre les Soviétiques et le peuple, par la flexibilité et l'élasticité de ces liens. Les pauvres ne considèrent jamais les parlements bourgeois comme leurs institutions, même dans la république capitaliste la plus démocratique du monde. Les soviets, au contraire, sont leurs institutions, qui ne sont pas étrangères aux masses ouvrières et paysannes.»[lxi]
Déjà en 1921, lors de la controverse sur les syndicats, Lénine qualifiait l'État soviétique de « État ouvrier avec la particularité que dans le pays ce n'est pas la population ouvrière qui prédomine, mais les paysans et, en second lieu, un État ouvrier ». avec une déformation bureaucratique ».[lxii] Le passage de la déformation à la dégénérescence bureaucratique était un processus politique et social, résumé par Christian Rakovsky : « La situation d’une classe qui lutte pour le pouvoir et celle d’une classe qui détient le pouvoir est différente [. .. lorsqu'une classe prend le pouvoir, une partie d'elle devient un agent de ce pouvoir. Dans un État socialiste, où l’accumulation capitaliste est interdite, cette différence commence comme fonctionnelle, puis devient sociale. »[lxiii]
Cinq ans après la Révolution d'Octobre, l'isolement de la révolution, les difficultés économiques, la lassitude des masses populaires et le vidage des soviets s'accompagnaient inévitablement de la différenciation d'une couche bureaucratique privilégiée du parti, à l'époque la seule parti de l’État. . La lutte contre la bureaucratisation de l’État et du parti fut aussi « le dernier combat [et raté] de Lénine ».[lxiv]
Dans la crise provoquée par la question nationale géorgienne (contre la politique le chauvin grand-russe de la bureaucratie naissante, et Staline en particulier, lui-même géorgien) et dans le testament politique de Lénine (qui proposait de destituer Staline du poste de secrétaire général du parti ) a dévoilé les grandes lignes de ce combat. Trotsky accepta de former avec Lénine un bloc politique contre la bureaucratisation, ce qui ne signifiait pas que ce bloc était assuré d'avance de sa victoire, en raison du poids du prestige des deux dirigeants.[lxv]
Trotsky a écrit dans son autobiographie : « Seuls Lénine et moi connaissions l’idée de former un « bloc » Lénine-Trotsky contre la bureaucratie. Les autres membres du Bureau politique n'avaient que de vagues soupçons. Personne ne savait rien des lettres de Lénine sur la question nationale ni de Volonté. Si j'avais commencé à agir, on aurait pu dire que je commençais une lutte personnelle pour prendre la place de Lénine. Je ne pouvais pas y penser sans la chair de poule. Je pensais que, même si je gagnais, le résultat final serait pour moi une telle démoralisation que cela me coûterait cher. Un élément d'incertitude entra dans tous les calculs : Lénine lui-même et son état de santé. Peut-il exprimer son opinion ? Aurez-vous du temps pour cela ? Le parti comprendra-t-il que Lénine et Trotsky se battent pour l’avenir de la révolution, et non que Trotsky se bat pour la position d’un Lénine malade ? La situation provisoire persiste. Mais ce retard a favorisé les usurpateurs, puisque Staline, en tant que secrétaire général, a naturellement dirigé tout l'appareil d'État pendant l'interrègne.»
Lénine a tenté de rendre publique sa rupture avec Staline dans les derniers jours de 1922, peu avant d'être mis à l'écart pour cause de maladie. En tant que commissaire aux nationalités, Staline avait imposé un gouvernement soumis à la Géorgie. militairement, l’envahissant en février 1921 et renversant le gouvernement menchevik dirigé par Noah Jordan, non seulement contre la volonté de la majorité de la population, mais aussi contre la volonté des bolcheviks géorgiens. Lénine s'exprimait dans une « Lettre au Congrès » : « Je pense que, dans cet épisode, l'impatience de Staline et son goût pour la coercition administrative, ainsi que sa haine contre le fameux « social-chauvinisme », ont exercé une influence fatale. L’influence de la haine sur la politique en général est extrêmement néfaste. Notre cas, celui de nos relations avec l’Etat de Géorgie, constitue un exemple typique de la nécessité de faire preuve de la plus grande prudence et de faire preuve d’un esprit conciliant et tolérant, si nous voulons résoudre la question de manière authentiquement prolétarienne.»
Et, se référant directement à Staline : « Le Géorgien qui méprise cet aspect du problème, qui lance sans vergogne des accusations de social-nationalisme (alors qu'il est lui-même un véritable social-nationaliste et aussi un vulgaire bourreau grand-russe), ce Géorgien , en fait, viole les intérêts de la solidarité de classe prolétarienne. Staline et [Félix] Dzerjinski [créateur et chef de la Tchéka] doivent être politiquement identifiés comme les responsables de cette campagne.» La question géorgienne marque la transformation de l’URSS, créée en 1922, d’un projet de fédération libre de républiques socialistes (avec un droit explicite à la séparation) en une « prison des peuples », qui explosera 70 ans plus tard.
7.
Lénine mourut en janvier 1924, après une année de complications de santé croissantes – résultant en partie de l'attentat contre sa vie en 1919 – et d'un retrait presque total de la politique active. Au cours des derniers mois de sa vie, ses inquiétudes, consignées dans son « Testament », provoquèrent l'embarras lorsqu'elles furent lues au Comité central ; la réunion à la veille du XIIIe Congrès qui a décidé de ne pas destituer Staline a également décidé de divulguer le document uniquement à certains délégués. S'ensuivit une série de provocations et d'insultes contre Trotsky, tendant à polariser la scène politique : l'objectif était de proposer une incompatibilité entre « léninisme » et « trotskysme ».
Avec la mort de Lénine, Staline commença rapidement à se présenter comme l'héritier légitime de ce « léninisme », défini comme un ensemble de doctrines, vaguement définies, mais infaillibles, qui distingueraient la « ligne officielle » du parti des « hérésies ». de ses critiques. La pensée ouverte et changeante d’une méthode révolutionnaire s’est transformée en un système fermé et immuable d’intérêts conservateurs et contre-révolutionnaires.
L’adjectif (« théorie léniniste de… ») a été remplacé par le nom (léninisme) utilisé, initialement, contre Trotsky et l’Opposition de gauche (créée fin 1923) et, plus tard, comme doctrine officielle de l’URSS et de l’Internationale communiste. En quelques années, le grand prêtre du nouveau système unique de « pensée » et, surtout, de coercition politique, a naturellement ajouté le « stalinisme » au canon doctrinal des nouvelles Saintes Écritures. L'ennemi de tous les projets et idées définitifs, Lénine, a été déformé et présenté comme le père fondateur du Grand Projet Définitif, au même moment où son corps était obscènement embaumé, comme une relique religieuse, pour être exposé au public, un fait qui survit jusqu'à le présent.
Les partis communistes ont été « bolchevisés », bureaucratiquement disciplinés, pour être transformés en un dispositif d’intégration de la nouvelle bureaucratie dans l’ordre mondial, ce qui a précipité le monde, une fois de plus, dans un scénario dominé par des contradictions inter-impérialistes qui a conduit à la plus grande catastrophe. dans l'histoire de l'humanité.
Divinisée dans un « monde socialiste » aux pieds d'argile, la figure de Lénine a été qualifiée, après la fin de ce « monde », de plus grand méchant de l'histoire de l'humanité, par des publicistes recrutés dans les rangs des anciens déificationnistes, recyclés en représentants du l'anticommunisme hystérique des idéologues d'un capitalisme sûr de lui, plus sauvage que jamais. Alors que cette confiance en soi fond à la lumière de la crise historique du capital, la trajectoire de Lénine réapparaît, cent ans plus tard, dans sa véritable dimension : non pas celle de créer un « isme » pour la consommation et la légitimation de « la gauche ». « sectes conservatrices », mais celle d'un moment incontournable de pensée critique et dialectique, seule base de l'action révolutionnaire, contre un monde dans lequel le déploiement croissant de la barbarie, néolibérale, fondamentaliste, éco-destructrice et néo-fasciste, ne laisse que le socialisme comme alternative viable pour la survie de l’humanité. Dans notre contexte historique, il est nécessaire de présenter la pensée et l'action de Lénine comme un moment exemplaire, et jusqu'à présent inégalé, de la transformation des idées révolutionnaires en force matérielle.
*Osvaldo Coggiola Il est professeur au département d'histoire de l'USP. Auteur, entre autres livres, de Théorie économique marxiste : une introduction (Boitetemps) [https://amzn.to/3tkGFRo]
notes
[I] Dimitri Volkogonov. Le Vrai Lénine. Paris, Robert Laffont, 1995 ; Staline. Paris, Robert Laffont, 1994 ; Trotsky. L'éternel révolutionnaire. New York, The Free Press, 1996. Volkogonov va plus loin : « Lénine est le véritable père de la terreur rouge, pas Staline » – une déclaration évidente : lorsque la terreur a été adoptée comme méthode de lutte transitoire par le pouvoir soviétique, Staline était encore secondaire. caractère politique.
[Ii] Paul Mourousy. Lénine. La cause du mal. Paris, Perrin, 1992.
[Iii] Nicolas Boukharine. Lénine marxiste. Barcelone, Anagramme, 1976.
[Iv] Dorothée Atkinson. La fin de la commune foncière agraire. Stanford, Presse universitaire de Stanford, 1983.
[V] Samuel H. Baron. Plékhanov. Le père du marxisme russe. Stanford, Presse universitaire de Stanford, 1963.
[Vi] Luciano Gruppi. La pensée de Lénine. Rio de Janeiro, Graal, 1979.
[Vii] Christophe Colline. Lénine. Buenos Aires, CEAL, 1987.
[Viii] Pierre Broué. Observations sur l'histoire du parti bolchevique. Dans : Maximilien Rubel et al. Parti et révolution. Buenos Aires, Rodolfo Alonso, 1971.
[Ix] Georges Haupt. Parti-guide : le rayonnement de la social-démocratie allemande. L'Historien et le Mouvement Social. Paris, François Maspero, 1980.
[X] Léonard Shapiro. Bolcheviks, dans : C. D. Kernig. Marxisme et démocratie. Madrid, Rioduero, 1975.
[xi] Dominique Settembrini. Léninisme. Dans : Norberto Bobbio et al. Dictionnaire politique. Brasília, UnB, 1986. La thèse de l'origine terroriste-populiste de la conception léniniste du parti est largement diffusée : Alain Besançon. Les origines intellectuelles du léninisme. Madrid, RIALP, 1980 ; René Cannac. Netchaïev, du Nihilisme au Terrorisme. Aux sources de la révolution russe. Paris, Payot, 1961. Il est évident que l'action politique d'un pays ne peut se passer de ses traditions politico-culturelles : Ce qu'il faut faire? Il tire son titre d'un roman de Nikolai Tchernishevski, écrit en 1862 alors que son auteur était emprisonné dans la forteresse Pierre et Paul de Saint-Pétersbourg. Selon Orlando Figes, « le roman de Tchernychevski a converti plus d'hommes à la cause de la révolution que toutes les œuvres de Marx et d'Engels réunies (Marx lui-même a appris le russe pour pouvoir lire le livre) ».
[xii] Edward H. Carr. Etudes sur la Révolution. Madrid, Alliance, 1970.
[xiii] Rosa Luxembourg. Fête de masse ou fête d'avant-garde. São Paulo, Ched, 1980.
[Xiv] Dans un article envoyé à Kautsky pour être publié dans La Nouvelle Zeit, organe de la social-démocratie allemande, fut rejeté et rendu public seulement en 1930.
[xv] Angélique Balabanova. Ma vie rebelle. Barcelone, Martinez Roca, 1974.
[Xvi] Isaac Deutscher. Trotski. Le prophète armé. Mexique, ERA, 1976.
[xvii] AV Pantsov. Voprossy Istorii. Moscou, 1989, 7/10 ; Brian Pearce (éd.). Procès-verbal du deuxième congrès ordinaire du RSDLP (1903). Londres, New Park, 1978.
[xviii] VI Lénine. Oeuvres, vol. VI, Paris, Éditions Sociales, 1964.
[xix] David Lane. Les racines du communisme russe. Une étude sociale et historique de la social-démocratie russe 1898-1907. Mexique, Siglo XXI, 1977.
[xx] V. I. Lénine. Pré-faites tous les « Na 12 Let ». Dans: Che Fare ? Turin, Einaudi, 1971.
[Xxi] Isaac Deutscher. Trotsky, cité.
[xxii] Edward H. Carr. La révolution d'octobre. Avant et après. New York, Alfred A. Knopf, 1969.
[xxiii] Pierre Broué. Trotsky. Paris, Fayard, 1988.
[xxiv] Sur le « jacobinisme » léniniste, voir : Jean Pierre Joubert. Lénine et le jacobinisme. Cahiers Léon Trotsky, No 30, Paris, juin 1987.
[xxv] Jan Waclav Makhaïski. Le Socialisme des Intellectuels. Paris, Points, 1979.
[xxvi] Léon Trotsky. Ma vie. Paris, Gallimard, 1973.
[xxvii] Ernest Mandel. Trotsky comme alternative. São Paulo, Chaman, 1995.
[xxviii] Léon Trotsky. Staline. Biographie. São Paulo, Livraria da Physique, 2012.
[xxix] Adam B.Ulam. Les bolcheviks. Rio de Janeiro, Nouvelle frontière, 1976.
[xxx] Grigori Zinoviev. Histoire du Parti bolchevique. Des débuts à février 1917. Londres, New Park, 1973.
[xxxi] Pierre Broué. Le Parti bolchevik. Paris, Minutes, 1971.
[xxxii] Oskar Anweiler. Les Soviétiques en Russie 1905-1921. Madrid, Zéro, 1975.
[xxxiii] Paul LeBlanc. Lénine et Rosa Luxemburgo sur l’organisation révolutionnaire. Cahiers d'Étude et de Recherche no 14, Paris, 1990.
[xxxiv] Ernest Mandel. La théorie léniniste de l'organisation. São Paulo, à part, 1984.
[xxxv] Enzo Bettiza. Le mystère de Lénine. Barcelone, Argos-Vergara, 1984.
[xxxvi] Avraham Yassour. Leçons de 1905 : Parti ou Soviétique ? Le Mouvement Social no 62, Paris, janvier-mars 1968. Peu après la révolution, Trotsky écrivait déjà que « le conseil des députés ouvriers est né pour atteindre un objectif : créer au cours des événements une organisation qui représente l'autorité, libre de toute tradition, un une organisation qui peut embrasser toutes les masses désagrégées sans imposer d'obstacles organisationnels, une organisation qui peut unir les courants révolutionnaires au sein du prolétariat et contrôler une initiative par elle-même de manière compétente et automatique et, ce qui est plus fondamental, une organisation à laquelle pourrait donner la vie en 24 heures.
[xxxvii] Moshe Lewin. Illusion communiste ou réalité soviétique ? Le Monde Diplomatique. Paris, décembre 1996.
[xxxviii] Léon Trotsky. Trois conceptions de la révolution russe. Dans: Equilibre et perspectives. Buenos Aires, El Yunque, 1974.
[xxxix] Vittorio Strada. La controverse entre bolcheviks et mencheviks sur la révolution de 1905. Dans : Eric J. Hobsbawm (org.). Histoire du marxisme. Vol.3, Rio de Janeiro, Paz e Terra, 1984.
[xl] Vladimir I. Billik. Dans: Komsomolskaïa Pravda. mo 33, Moscou, août 1989.
[xli] Léon Trotsky. Nous différons. Dans: 1905, Paris, Minuit, 1969.
[xlii] Rudi Dutschke. Lénine. Tentatives de remettre Lénine sur pied. Barcelone, Ikaria, 1976.
[xliii] Léo Figueres. Le Trotskysme, cet Antiléninisme. Paris, Éditions Sociales, 1969.
[xliv] Georges Haupt. Lénine, les bolcheviks et la IIè Internationale. L'Historien et le Mouvement Social. Paris, François Maspero, 1980.
[xlv] Léon Trotsky. Conférences d'octobre. D'Octubre Rojo à mon Destierro. Buenos Aires, Baires, 1973.
[xlvi] Léon Trotsky. Résultats et perspectives, cité.
[xlvii] Voir le texte de la conférence dans : V. I. Lénine. 1905 : Journées révolutionnaires. São Paulo, Histoire, 1980.
[xlviii] Léon Trotsky. Autobiographie. Dans: Le testament de Lénine. Buenos Aires, El Yunque, 1983.
[xlix] Karl Radeck. Les voies et les forces motrices de la révolution russe. Madrid, Akal, 1976.
[l] Lors d'une conférence tenue en 1932 à Copenhague, Trotsky résuma l'histoire du parti ouvrier en Russie : « En 1903 eut lieu la scission entre les mencheviks et les bolcheviks. En 1912, la faction bolchevique devient définitivement un parti indépendant. Il nous a appris pendant douze ans (1905-1917) à reconnaître les mécanismes de classe de la société dans les luttes et les grands événements. Il a formé des cadres capables, à la fois d'initiative et de discipline. La discipline de l'action révolutionnaire reposait sur l'unité de la doctrine, les traditions de luttes communes et la confiance dans une direction expérimentée. Tel était le parti de 1917. Alors que « l’opinion publique » officielle et des tonnes de journaux de la presse intellectuelle le méprisaient, le parti s’orientait en fonction du cours du mouvement de masse. Le formidable levier que ce parti exerçait fermement fut introduit dans les usines et les régiments. Les masses paysannes se tournèrent de plus en plus vers lui. Si par nation on entend non pas les privilégiés, mais la majorité du peuple, c'est-à-dire les ouvriers et les paysans, le bolchevisme est devenu, au cours de 1917, le parti véritablement national russe.
[li] C'est ce qu'Abraham Ioffé, dirigeant soviétique suicidé en juin 1927, en pleine montée du stalinisme, affirmait dans sa lettre d'adieu à la vie : « Pendant plus de vingt ans nous avons lutté ensemble, depuis la révolution permanente, mais je J'ai toujours pensé qu'il vous manquait l'inflexibilité, l'intransigeance, la détermination de Lénine à rester seul, si nécessaire, dans sa position, en prévision de la future majorité, alors que tout le monde avait reconnu la justesse de la voie qu'il avait choisie. Vous avez toujours eu raison politiquement, et j'ai déjà dit que j'avais entendu Lénine reconnaître à plusieurs reprises qu'en 1905, ce n'était pas lui, mais vous, qui aviez raison.»
[lii] VI Lénine. Œuvres complètes. Tome XXXV, Buenos Aires, Cartago, 1968.
[liii] Nikolaï N. Soukhanov. La révolution russe 1917. Un record personnel. New Jersey, Presses universitaires de Princeton, 1984.
[liv] Pour Jean-Jacques Marie (Staline. Paris, Seuil, 1967), y compris lorsque « Lénine demande (dans son Volonté) que Staline soit éliminé du poste de secrétaire général, il ne remet en question que son caractère, pas sa valeur ».
[lv] Y.M. Gorodetsky. La révolution bolchevique. Dans : AAVV. Histoire du 20ème siècle, São Paulo, Avril Culturel, 1976.
[lvi] John Red. Dix jours qui ont secoué le monde. São Paulo, Companhia das Letras, 2010.
[lvii] Léon Trotsky. Journal d'exil. São Paulo, éditions populaires, 1980.
[lviii] Léon Trotsky. Classe, parti et leadership. Buenos Aires, El Yunque, 1974 [1940].
[lix] Dans : Ernest Mandel. À propos de l’histoire du mouvement ouvrier. Barcelone, Fontamara, 1978.
[lx] Edward H. Carr. La révolution bolchevique 1917 – 1923. Lisbonne, Afrontamento, 1977, vol. 1.
[lxi] V. I. Lénine Six thèses concernant les tâches immédiates du pouvoir soviétique (mars 1918). https://www.marxists.org/portugues/lenin/1918/04/26.htm
[lxii] V. I. Lénine. La crise du parti (19 janvier 1921). Œuvres complètes, vol.32, Moscou, Progreso, 1983.
[lxiii] Christian Rakovsky. Les dangers professionnels du pouvoir (août 1928). Traduction : Marcio Lauria Monteiro https://www.marxists.org/portugues/rakovski/1928/08/06.htm
[lxiv] Moshe Lewin. Le Dernier Combat de Lénine. Paris, Minutes, 1980.
[lxv] V. V. Juravlev et N. A. Nenakorov. Trotsky et l'affaire géorgienne. Cahiers Léon Trotsky n° 41, Paris, mars 1990.
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