Par SERGIO CARDOSO*
Le populisme est devenu une ressource pour disqualifier les discours et pratiques politiques ou même simplement pour embarrasser et embarrasser les opposants.
Mon intention initiale était de faire ici un parallèle entre le phénomène de démagogie (et de sophisme) dans la démocratie ancienne et les figures du populisme moderne, dont les sociologues et les politologues ont identifié le paradigme classique dans les régimes latino-américains du milieu du XXe siècle (années 1930). -50), qui, plus tard, par vagues successives, se serait déployée jusqu'à nos jours, contaminant aujourd'hui les pays de l'hémisphère nord, à la surprise et à l'inquiétude des intellectuels et des analystes politiques.[I]
J'avais donc l'intention de commencer mon parallèle, antiquité/actuel, avec des figures de grande importance dans la vie intellectuelle et politique de l'Athènes classique : le grand sophiste Protagoras – personnage central des dialogues de Platon et, comme nous l'a montré Francis Wolff, d'une manière générale. occasion similaire ceci,[Ii] le véritable penseur de la démocratie athénienne ; ou encore des figures de démagogues célèbres, comme Alcibiade, fils d'un citoyen très riche (Clíneas), éduqué dans la famille de Périclès et proche de Socrate. De lui, d'Alcibiade, un important historien de cette époque dit qu'il était « la personnalité la plus brillante d'Athènes à cette époque », représentatif d'un type de politiciens motivés principalement par le prestige personnel, un personnage pour qui « la démocratie d'Athènes était le scène dans laquelle il jouait le rôle de star [et que] personne n’avait le droit de l’éloigner des projecteurs.[Iii]
J'avais aussi l'intention d'évoquer la figure de Cléon, chef du parti démocrate, nouveau riche, abhorré des aristocrates et ridiculisé par Aristophane dans la pièce comique Les chevaliers. Ce personnage, dit Plutarque, fut « le premier à crier dans des discours au peuple, à déchirer ses vêtements, à se frapper les cuisses et à courir d'un côté à l'autre en parlant ; de sorte que le profit [personnel] et le mépris de la bienséance qui s’emparèrent peu après de toute la vie politique, il les inspira à d’autres hommes politiques. De tels chiffres, j'ai voulu observer, manifestent une sorte de paradoxe de la démocratie : le régime de iségorie (de la parole publique, ouverte à tous et de confiance dans l'efficacité de la persuasion rhétorique) qui, à un moment donné, semble en être venue à compromettre l'égalité ; compromettre le poids de l’égalité des voix et des délibérations par la démagogie, une maladie congénitale, semble-t-il, des démocraties.
Mais je ne pourrai pas développer mon parallèle. Je dois rester dans le champ des affrontements conceptuels et appréciatifs que soulève le populisme, à droite comme à gauche.[Iv] Il a dit « reconnaissant » ; il faudrait dire « désobligeant » ; car, comme on le sait, le terme jouit en général d’une réputation malheureuse, peut-être regrettable. Le populisme est devenu une ressource pour disqualifier les discours et les pratiques politiques ou même simplement pour embarrasser et embarrasser les opposants, car il en est venu à connoter non seulement la démagogie, mais aussi l'opportunisme, les retards et les pratiques contraires ou nuisibles à la démocratie.
Pour le bon sens et le commentaire politique, le terme s’est imposé comme le contrepoint aux principes, idéaux et procédures de la démocratie représentative, que le populisme déformerait et défigurerait. D’un côté, nous aurions un régime sain, respectueux des libertés du marché, jaloux des institutions de représentation, responsable et ouvert à la coopération internationale et à l’avenir. De l’autre, l’indigence de dirigeants arriérés, souvent redistributeurs irresponsables, étatistes (toujours souverainistes) et conflictuels, piégés dans la vieille logique du « nous contre eux » et de la souveraineté des États-nations. Le populisme est aujourd’hui l’ombre menaçante des bonnes pratiques de la démocratie libérale ou néolibérale.
Ne restons pas pour autant dans ce registre plus actuel et idéologique de l’usage du mot. Considérons quelques repères sociologiques et historiques de ce concept, notamment à partir du moment où, à partir des années 1950-60, il a commencé à être référé aux mouvements et régimes politiques des pays d'Amérique latine. Il convient cependant de rappeler au préalable – ce qui n’est pas sans importance – que, dans la littérature sociologique, le mot populisme (après son utilisation dans différents mouvements sociaux depuis la fin du XIXe siècle) s’impose dans un premier temps aux études nord-américaines liées aux traits idéologiques et les bases sociales du maccarthysme, dans les ouvrages classiques de sociologie, comme ceux de Talcott Parsons[V], Seymour Lipset[Vi] et d'autres encore.
Dans les années 1960, le populisme s'est orienté vers les études sur les transformations politiques dans les pays sortant du colonialisme (colonisés et sous-développés) et a acquis, dans les années 1960-70, son champ de références le plus fertile et le plus stable dans les travaux sur les mouvements et régimes politiques latino-américains, qui sont alors devenus les grands paradigmes du concept. C'est dans ce domaine, comme nous le savons, que le terme a acquis une cohérence sociologique au sein des théories de la modernisation et de la dépendance, largement créées – il faut le rappeler – dans notre Faculté de Philosophie de l'USP et développées dans les œuvres classiques de Fernando Henrique Cardoso, Octavio Ianni, Francisco Weffort, Guita Debert et autres.
Selon ces théories, le populisme apparaît comme le résultat d’un processus rapide d’urbanisation et d’industrialisation dans les pays en retard et, pour les théoriciens de la dépendance, comme une conséquence de l’incorporation de ces pays périphériques dans le système capitaliste international, dans une transition – tant au niveau des économies et dans les relations, les structures sociales et les formes d’autorité – ce qui produit de l’instabilité et un vide politique. La fragile réarticulation des classes (à la fois populaires et celles émergentes vers l’hégémonie) ouvrirait, à ce moment-là, la porte aux actions des dirigeants personnalistes et aux alliances de classes instables des régimes populistes. Il s’agirait donc de phénomènes transitionnels d’une phase historique de développement dépendant, dans laquelle la structure socio-politique ne serait pas consolidée, dans laquelle la forme libérale de la société civile ne serait pas bien enracinée. Ce serait la nature des populismes.
Je n’entrerai certainement pas ici dans les critiques larges et acerbes auxquelles sont confrontées ces théories : le déterminisme (passage immédiat des conditions socio-économiques aux conséquences politiques) ; réductionnisme (vision simpliste des masses comme objets de manipulation), démarcation historique étroite du phénomène, etc. Je ne veux cependant pas manquer de souligner l’intérêt (et l’intelligence) de cette approche du populisme en termes génétiques et historico-sociaux, en termes de relations structurelles entre les classes et leurs oppositions politiques.
Il est vrai que ces théories de la modernisation dépendante ont inoculé dans la littérature sur le populisme l’idée persistante d’anomalie, d’irrationalité et d’incohérence politique et idéologique des régimes visés. Cependant, lorsque l'on a voulu, à juste titre, sortir du contexte économiste de ces analyses, interroger la rationalité de l'action politique elle-même, les caractéristiques institutionnelles et les conditions particulières d'émergence de ces phénomènes populistes (le discours mobilisateur ; sa réception ; les formes d'organisation et action collective des mouvements), elle s'est vite glissée, je crois, dans un simple répertoire de traces et de caractéristiques analytiques de leurs pratiques, jusqu'à arriver à la réduction de ces éléments à une certaine manière (générique) d'acquérir et de conserver le pouvoir. Un moyen, parmi d'autres ; une manière caractéristique (déterminée de manière descriptive) d'obtenir le pouvoir. Bref, une sorte de « méthode » ou de « stratégie » politique.
Ainsi, à partir d’un concept relatif aux types de formation sociale et de régime politique, le populisme en vient, dans la littérature plus récente, à désigner un profil de comportement sur la scène publique, un « style populiste », avec une négligence notable quant à ses racines historiques et économiques. et sociale. Un vide de concept qui permet de dire, par exemple, qu'un homme politique est populiste, comme le serait un enseignant ou un gestionnaire d'immeuble, pour avoir agi « de manière populiste ». L'opération est similaire à celle qui réduit le Príncipe de Machiavel à un manuel de conduite politique, en passant par un traité sur le machiavélisme. Mais il est également vrai, malgré ces observations critiques, qu’un consensus assez large a été atteint dans cette voie sur les caractéristiques identitaires les plus générales des populismes.
Je ne les développerai pas ici, mais je peux les énoncer : (i) la mobilisation d'une base sociale hétérogène : les masses, le peuple, les secteurs marginalisés de la population (par opposition aux élites), les exclus de la visibilité dans l'espace public – ils ne mobilisent pas de classes socio-économiques spécifiques ; (ii) le mépris des procédures de démocratie représentative et, en général, des médiations institutionnelles républicaines – exigence donc de démocratie directe, voire d'hyperdémocratie (manifestations, référendums, plébiscites, etc.) ; (iii) un leadership personnaliste (et souvent paternaliste), généralement représenté par étrangers de la scène politique ; (iv) rhétorique démagogique : antiétablissement et anti-élitiste ; polarisation dualiste (nous/eux) ; (v) une idéologie amorphe, raréfiée et incohérente ; ressources publicitaires vides.[Vii]
Or, si l’on y regarde de plus près, on verra que la réduction du concept à de tels traits révèle clairement que sa configuration se construit directement par antithèse par rapport aux procédures de la démocratie libérale-représentative, que le populisme déformerait et corromptait. Pour le libéral, le populisme est la maladie infantile de la démocratie : il présuppose ses procédures (vote, décisions majoritaires, etc.), mais les exacerbe (pousse à l'extrême l'idée de souveraineté populaire) ou les affaiblit et les contourne (s'en prend à au Parlement, défie la Justice) et les vide toujours, faisant du peuple « visible » et de sa volonté actuelle, et non des procédures démocratiques elles-mêmes, l'instance de légitimation du pouvoir et des institutions politiques.
Le populisme exige des procédures démocratiques, mais semble impatient à l’égard de la démocratie. Il piétine, dit-on, les processus (parlementaires par exemple) de construction de l’unité, au profit de quelque chose comme un consensus préalable et supérieur, représenté par la volonté immédiate et affirmée d’un « peuple » présupposé. En fin de compte, comme le concluent Nadia Urbinati et Maria Paula Saffon, le populisme : (a) nie les différences au lieu de les surmonter ; (b) remet en question le pluralisme et les conflits qui justifient le procéduralisme démocratique ; (c) subordonne la liberté à l’unité, qui s’obtient à travers ou dans la figure d’un leader.[Viii]
Le populisme ne serait donc en fin de compte rien d’autre qu’un recours à la démagogie pour briser « les appareils inconfortables des consultations démocratiques », une sorte de voie rapide employés par les nouvelles élites pour accéder au pouvoir.[Ix] Rien de plus, donc, qu’un mécanisme de remplacement des élites politiques – une voie qui, dans les pays arriérés, approfondit l’autoritarisme, affaiblit les institutions et retarde la construction de la démocratie.
Permettez-moi d'insister. Le populisme est ici évalué et rejeté comme une forme de procédure politique, précisément en vue d’une compréhension également procédurale de l’ordre politique démocratique – la définition ancrée dans le bon sens et dans les institutions néolibérales de notre temps – telle que cette conception, appelée « minimaliste ». » , de la démocratie, entendue simplement comme un mode de prise de décision collective qui s'opère par des accommodements et des compromis d'intérêt et par le choix des représentants par vote, selon la règle de la majorité ; une méthode qui prévaudrait dans des contextes de pluralisme d’opinions et de valeurs et de conflits d’intérêts antagonistes.
Les régimes légitimement démocratiques ne seraient donc rien d’autre que l’institutionnalisation de cette méthode – je cite Joseph Schumpeter – « par laquelle les individus acquièrent le pouvoir de décider à travers une lutte compétitive pour le vote du peuple ».[X] Ou, pour parler franchement : une méthode permettant de sélectionner les élites politiques et, ainsi, de produire des décisions qui regroupent les préférences et les intérêts des individus. Tout est très simple !
Mais il n’est pas difficile de comprendre pourquoi, et dans quel contexte « idéologique », le populisme a été réduit à une méthode – fallacieuse, évidemment – de remplacement des élites politiques. Il est important de souligner que dans cette conception de la démocratie, la légitimité vient de l'égalité formelle des citoyens réalisée par les procédures électorales et consultatives, ces procédures que le populisme mépriserait et contournerait, évoquant, en plus de cette unité formelle-électorale, un peuple substantiel. . C’est pourquoi le populisme n’apparaît pas seulement comme dépolitisant ; mais en tant que contre-politique.
Cependant, nombreux sont ceux qui me rappelleront certainement que ce diagnostic rigoureux et acerbe du populisme n’émane pas que des libéraux. Marilena Chaui, par exemple, dans ses études pointues sur le populisme brésilien, assumerait également avec fermeté cette évaluation critique. Oui, mais il faut ajouter : pour des raisons tout autres. Car, il creuse profondément dans les populismes brésiliens (pas toujours, bien sûr, en attribuant le terme aux mêmes personnages que les libéraux), ses racines historiques et culturelles dans une conception théologico-politique de l'État et dans une représentation absolutiste du pouvoir, persistante dans notre histoire.
Elle montre que l'État, chez nous, se représente comme séparé de la société, avant elle, apparaissant ainsi comme le sujet historique par excellence de la nation. Nous sommes donc liés à une formation sociale oligarchique, hiérarchique et autoritaire, dans laquelle les « détenteurs du pouvoir » interagissent avec la société non pas sous forme de représentation démocratique, mais sous forme de tutelle et de faveur. Le populisme, chez nous, n’est donc pas une ressource ou une stratégie d’agents politiques qui viennent compromettre les règles du jeu démocratique ; elle est issue d'une formation sociale incompatible avec les médiations institutionnelles démocratiques et républicaines : personnaliste (sous la forme seigneuriale ou celle de la « compétence » du spécialiste, du technocrate), absolutiste et salutiste ; par conséquent, la matrice théologique – transformée, acclimatée, sécularisée, modernisée – continue de sous-tendre nos relations sociales et politiques. C’est pourquoi, selon Marilena Chaui, notre populisme est contre-politique.[xi]
Revenons maintenant aux affrontements théoriques de la réflexion politique actuelle sur notre sujet, en cherchant à tracer un axe d'orientation dans ce débat, qui a pour horizon la logique de la démocratie, les conditions de réalisation d'un gouvernement du peuple (ni de l'un ni de l'autre). ni de beaucoup; de tous) et cherche donc à comprendre ce qu'est un peuple politique, celui qui donne un nom au demola folie. Parce que ces personnes ne se manifestent pas comme un phénomène empirique, ni comme une entité sociologique ; il est politiquement constitué. Il est donc nécessaire de clarifier les conditions de cette constitution.
La première étape de notre voyage est certainement la conception minimaliste et procédurale de la démocratie, à laquelle nous avons déjà fait référence, la conception assumée par le « marché » et qui se généralise de plus en plus dans notre monde néolibéral. Essayons de formuler directement votre réponse à notre question. Qu’est-ce que le peuple, dans cette perspective procédurale – qu’est-ce que le peuple démocratique ?
Hans Kelsen, dans Essence et valeur de la démocratie[xii] répond déjà, dans les termes les plus clairs, à cette question. Il observe que l'unité d'un peuple est une construction idéale, sans autre incorporation sociologique que la soumission de tous les citoyens aux lois, créées à travers les engagements d'intérêt opérés par le vote. Car, il n'y aurait qu'une seule manière de surmonter les antagonismes des individus (leurs intérêts et leurs valeurs) sans violer leur liberté : la compétition électorale pour le pouvoir, dans des conditions d'égalité, selon les règles formelles et procédurales du jeu démocratique – ceci étant entendu, ensuite, comme seule source possible de production et de légitimité de lois, qui, à leur tour, représentent la seule incorporation sociologique possible de l’unité d’un peuple. Soulignons-le : un peuple n’est un peuple que par ses lois, fondées sur ses lois, et celles-ci sont telles en fonction des règles formelles de la démocratie représentative – la raison politique qui opère dans les sociétés démocratiques.
En nette opposition à cette conception, on voit celle du philosophe argentin Ernesto Laclau – ancien professeur dans l'Essex et interlocuteur de nombreux intellectuels brésiliens, décédé il y a quelques années ; aujourd'hui surtout connu comme une référence importante du groupe de gauche français La France Insoumise. Il propose une autre raison politique démocratique – justement qualifiée de « populiste ». Ici l'unité du peuple n'est plus une extraction formelle (provenant des procédures de détermination d'une volonté collective) ; c'est symbolique. Essayons donc de comprendre ce mode de constitution politique. Et osons, imprudemment, contourner les références lacaniennes et linguistiques de la théorie pour esquisser quelle serait la réponse lacanienne à notre question.
Pour notre auteur, il n’existe pas de personnes données et substantielles, comme celles que l’on prétend habituellement dans le populisme. Son unité vient, selon Ernesto Laclau, de l'acte de sa constitution en tant qu'acteur historique, en tant que sujet politique d'une revendication.[xiii], d’une revendication d’extension universelle (de tous, populaire), qui incorporerait une pluralité de revendications socio-économiques hétérogènes (« primordiales et irréductibles »), devenant ainsi politique, en dépassant la particularité de ces revendications élémentaires. Ainsi, pour lui, tout l’enjeu est de comprendre ce processus de transformation, ou mieux encore, de synthétiser la constellation de revendications particulières en cette revendication d’envergure politique universelle, moteur d’une action proprement populaire.
Or, à proprement parler, il ne semble pas y avoir beaucoup de mystère dans cette transformation (dans cette « transsubstantiation », comme ironise Žižek).[Xiv]). Il faut, observe Ernesto Laclau, qu'une certaine revendication particulière (d'un groupe, d'un secteur social, d'une classe) assume le rôle, ou se substitue à l'universel, qui figure l'ensemble des revendications particulières, nommant le universel, lui conférant une présence discursive. Car l’universel ne peut se manifester que par la médiation du particulier : « l’incarnation dans le concret [dans la particularité d’un symbole du tout] est la seule voie par laquelle peut s’atteindre la plénitude de l’universel », puisque, « Faute de l'universel comme moyen de représentation directe, il ne peut obtenir qu'une présence « empruntée », par le moyen biaisé de son investissement dans un certain particulier.[xv]. Il conclut donc également que « l’incarnation de l’universel dans le particulier est inhérente à la construction de toute identité politique ».[Xvi] (et d’ailleurs, « toute identité politique est nécessairement populaire »[xvii]).
Mais comment se déroule cette opération d’identification (ou de fusion) du particulier et de la totalité ? Ou, pour le dire autrement (puisque tout se passe dans le registre du langage) : comment s'opère le passage de l'énergie des revendications particulières à celle universelle, dans laquelle s'engage l'identité sociale ? C'est la question qui nous amène au cœur de la théorie d'Ernesto Laclau, à ses principaux concepts (« équivalence », « hégémonie » et autres, pour ceux qui connaissent sa pensée). Voyons alors ! Comment s’effectue le passage des revendications particulières aux revendications universelles, le processus d’unification des revendications socio-économiques primaires en une revendication proprement politique ?
Le processus est dû, dit Ernesto Laclau, à l'apparition de la frustration d'une série de revendications spécifiques, provoquant l'affaiblissement de leur force, l'atténuation de leur affirmation positive, créant alors entre ces demandes des « relations d'équivalence » (si l'on veut). veulent les laclaunais : « relations métonymiques équivalentes de contiguïté »[xviii]), équivalences produites avant tout par leur opposition commune à un pôle antagoniste, identifié comme cause de frustrations et, ainsi, investi comme ennemi.
C’est la production de cette « équivalence » entre revendications face à un adversaire qui permet à l’une d’elles – du fait d’événements contingents et historiques – de devenir hégémonique et de s’élever à la position d’« équivalent général », ou d’équivalent universel, de toutes. d'eux (pars totalis), apportant une nomination ou une figuration symbolique à un universel politique dans lequel toutes les revendications s'identifient, forgeant ainsi un sujet politique général et populaire.
Il faut souligner que ce processus de construction d'une identité « populaire », symbolisée par une revendication spécifique, est indissociable, selon Ernesto Laclau, de la construction d'un ennemi (le Juif, le capital financier international, les immigrés, peu importe), le ennemi sur lequel est projetée la responsabilité de la pluralité des frustrations. D'autre part, ce processus est également indissociable de la fonction identificatoire d'un leader, d'un « nouveau prince » (ici la base machiavélo-gramscienne d'Ernesto Laclau), dont le leadership émerge identifié à la revendication hégémonique, qu'il figure et vocalise, favorisant ainsi une masse hétérogène de groupes sociaux à leur affirmation (exigeante, exigeante) en tant que « peuple ».
Cas paradigmatique pour Ernesto Laclau : le « peuple polonais » qui, en 1980, surgit soudain sous les symboles des dockers de Gdansk, dirigés par Lech Wałęsa – tous rassemblés autour du signifiant « Solidarité », vidé de leur particularité (les revendications primaires, les dockers ) et a fait un « équivalent universel » de toutes les revendications frustrées des Polonais. Le symbole « Solidarité » montre la plénitude (absente) du peuple polonais dans les années 1980.[xix]. Dans ces mouvements populistes, selon Ernesto Laclau, on voit à la loupe ce qui se passe dans toutes les formes de politique. Toute politique, estime-t-il, peut être englobée dans ce paradigme populiste : « le populisme est le moyen de comprendre quelque chose à propos de la construction ontologique de la politique en tant que telle ».[xx]. Le populisme est la voie royale pour comprendre sa logique : après tout, toute politique est populiste.
On voit donc, comme nous l'avons déjà souligné, que dans cette étape laclaunienne de notre voyage, nous passons à une constitution de l'unité du peuple, non plus de nature formelle et procédurale, mais symbolique. L'unité/identité se manifeste dans la particularité d'un symbole (discursif) rendu capable de nommer l'universel politique, en raison d'un vidage de sa propre énergie particulière et de son élévation à une position hégémonique parmi des revendications particulières frustrées.
Je cite Ernesto Laclau lui-même : « Toute mon analyse repose sur l’affirmation selon laquelle tout champ politique discursif se structure toujours par un processus réciproque par lequel le vide affaiblit la particularité d’un signifiant concret, mais, en retour, la particularité réagit en donnant un corps à l’universalité. , nécessairement incarné »[Xxi] – incarné dans le symbole, mais aussi dans la figure du leader qui lui donne la parole, qui vocalise la « demande universelle » d’un « peuple ». People-One s'investit dans cette revendication, sans distance d'elle-même, incarnée et pleinement nommée par son signifiant hégémonique et son leader.
Ici donc, le pouvoir n’émane d’aucun fondement transcendant (Dieu, Nature, Raison) dont le dirigeant serait représentatif, ni d’un peuple présupposé, étayé ou même légalement constitué par sa soumission à des lois positives. Pour Ernesto Laclau, il s’agit effectivement d’un « pouvoir populaire immanent », car il coïncide avec l’institution politique du peuple. Peut-être pourrait-on dire plus précisément : parce qu'elle coïncide avec l'institution imaginaire de ce peuple, vocalisée par le leader et identifiée par une revendication « symbolique ».
Cependant, mon intention n'est pas d'exposer ou de débattre la pensée d'Ernesto Laclau, mais seulement, comme je l'ai dit au début, de partager avec lui un chemin d'investigation. Passons donc à la dernière station de notre itinéraire. Comme on pouvait peut-être le prédire, on passe enfin à la conception lefortienne de la démocratie et à sa compréhension des conditions de l'identité sociale, également pensée comme « symbolique ». Et l'on peut prendre comme point de départ des réflexions de Claude Lefort précisément l'affirmation de l'impossibilité de figurer l'unité et l'identité sociales dans le registre du positif, sa dénonciation de l'illusion de donner à ce « lieu de l'universel » une détermination positive.
Mais Claude Lefort nous fait voir que, si une telle « place » ne peut être déterminée et comblée (elle reste vide), si elle est « inoccupable », elle l'est, « de telle sorte que cette impossibilité de l'occuper se révèle constitutive ». du processus de socialisation. Elle [la place de l’universel] est absente de notre champ [social], mais c’est une absence qui compte, qui l’organise »[xxii]. En fin de compte, son absence – le vide de l’universel, du Droit – a justement la vertu de baliser, au-delà de la multiplicité des intérêts, un espace commun, qui serait pleinement social, le social « réalisé ».
Et c’est par le pouvoir que se manifeste ce « commun », le sentiment des hommes d’appartenance à un même collectif : « c’est par le pouvoir [que] ce lieu du dehors est indiqué. comme absent ».[xxiii] Dans une autre formulation : « l’instauration d’une transcendance radicale du Droit, de l’Universel [dans laquelle se réaliserait l’unité d’un peuple], est un corrélat de la prise de position (…) entreprise[xxiv] pour le pouvoir sous leurs emblèmes »[xxv]. Dans les démocraties, le pouvoir politique marque ce « lieu » de l’unité sociale, le lieu de l’universel, sans pouvoir l’occuper proprement, sans pouvoir l’incorporer, en restant toujours à distance ; en le gardant vide.
Ainsi, cette présence symbolique et indéterminée du Droit et du Droit, à travers lesquels se produit et existe un espace social, empêche l'identification et la fixation imaginaire de la société avec ses lois positives mais aussi avec les pouvoirs établis et ouvre la vie politique à l'indétermination, pour un processus toujours ouvert. remise en question du Droit et du Droit, pour le travail du temps et de l'histoire. Claude Lefort nous montre que cette dimension symbolique du Droit et du Droit est clairement marquée et évidente dans les procédures démocratiques-électorales qui régulent l'occupation temporaire et alternée de la place du pouvoir et de la connaissance de la société sur elle-même, procédures qui soulignent précisément cette place du Pouvoir et de la Loi comme vide – vidée à chaque fois, à chaque élection, pour être occupée par une autre, indéfiniment, puisque cette division de la société par rapport au Droit et à la Loi, par rapport à « elle-même », est insurmontable.
Ainsi, selon Claude Lefort, à travers leurs rituels électoraux, les sociétés démocratiques modernes mettent en scène leur distance par rapport à elles-mêmes, par rapport à leur identité, par rapport à un Droit mis en lumière sous tous les angles, qui serait capable d'harmoniser et d'unir ses membres dans la même et entière communauté. Enfin, le rituel électoral démocratique périodique marque la place du Droit et du Pouvoir et lui donne un occupant provisoire, affirmant tacitement qu’il est impossible « d’occuper » la place de l’identité sociale, la gardant vide, marquant son statut symbolique.
La démocratie apparaît donc ici comme cette formation sociale qui conçoit son unité (et la Loi qui la réaliserait) comme une référence purement symbolique, la référence qui l'institue comme une interrogation sociale sur la Loi, qui suscite et soutient le mouvement de création. histoire des lois et des droits. Sans une telle référence symbolique, les conflits sociaux n’atteindraient pas leur dimension politique ; ils resteraient dans l’arène de la simple confrontation/opposition et de la composition possible des intérêts, confortant les interprétations libérales de la démocratie (comme méthode simple de rapprochement des intérêts et de résolution des conflits).
Observons cependant l'énorme différence entre le statut et la fonction du symbolique dans le populisme politique de Laclau et dans cette conception lefortienne de la démocratie. Chez Ernesto Laclau, le symbolique est l'élément de fusion des revendications particulières en une revendication universelle ; c’est le lieu et le moyen d’identifier l’occupant particulier du pouvoir avec l’universel représenté par la « demande populaire » (la politique), la demande rendue hégémonique et symbolique de l’ensemble hétérogène des revendications socio-économiques. Le symbole « Solidarité », par exemple, est l’élément d’identification entre le peuple polonais, l’union de Gdansk et Lech Walesa, qui occupe alors la place du Pouvoir. Chez Lefort, le statut symbolique du Droit, au contraire, est précisément ce qui permet de bloquer cette identification imaginaire de l'occupant du pouvoir à l'universel, au Droit et au Droit ; c'est l'antidote à la tentation qui entoure à chaque instant les occupants provisoires de la place du pouvoir de représenter eux-mêmes l'universel, d'incarner une société unique et indivise contre leurs ennemis.
Enfin, ici, le symbolique n'est pas promoteur de l'identification du pouvoir et du peuple ; c’est le moteur du déni de la prétention des pouvoirs historiques et de leurs lois à représenter l’universel, le « peuple », à agir comme garants ou représentants de la Vérité, du Droit et du Droit – qui restent donc indéterminés, « absents ». , irréductible à toute positivité, purement symbolique. Le passage de Claude Lefort par la critique du totalitarisme élimine toute illusion d'identification du peuple à un parti ou à son leader.
D’un autre côté, c’est précisément cette dimension symbolique qui éloigne la démocratie lefortienne de l’enfermement de la démocratie libérale dans les limites étroites de la légalité positive d’un « État de droit ». La démocratie procédurale, dans la mesure où elle ne reconnaît aucun élément de transcendance, aucune distance entre la Loi et les clauses formelles de son fonctionnement, confère aux lois positives une autorité indéniable. Ainsi, tout cède aux lois positives et au pouvoir de l'État, qui garantit l'établissement et le respect de ces lois et le maintien de l'ordre juridique (qui est considéré comme l'élément même de l'unité de la société).
Pour Claude Lefort, il y a des gens à travers la Loi symbolique, recherchée par les mouvements sociaux et les rituels de la démocratie. Pour le libéral, il n’y a que des gens à travers des lois positives, établies par les procédures de la démocratie. Or, ce formalisme démocratique – la forme supérieure de la politique en ces temps néolibéraux – supprime en fait l’idée de peuple (il y a en effet des individus avec leurs propres désirs et valeurs) et méprise les exigences et les « contestations ». « la citoyenneté populaire (fondée sur une aspiration commune au Droit) ; elle réduit les citoyens à une masse hétérogène d’intérêts contradictoires, dont il faut tenir compte uniquement par le biais d’engagements électoraux et de procédures représentatives. Ce formalisme tend à disqualifier toute manifestation « populaire » pour les droits qui va au-delà du vote comme un irrationalisme politique (presque toujours soutenu par des idéologies incohérentes ou un populisme démagogique), comme on le sait bien.
Ce que je dois dire, c’est que nous ne pouvons pas laisser prévaloir cette conception procédurale comme forme naturelle de démocratie ; Nous ne pouvons pas la laisser usurper, comme elle l’a fait, son nom. La démocratie n’est pas un régime de lois positives et d’ordre formel. Il ne s’agit pas d’une méthode politique ingénieuse ni d’une procédure d’agence et d’agrégation d’intérêts, devant être appliquées par des hommes honorables et honnêtes, sous la surveillance et l’œil vigilant des individus concernés. La démocratie – je me fais lefortien – est une formation sociale historique qui s’invente et se réinvente dans les mouvements qui émergent chaque jour à la surface de la société, dans les luttes pour les droits et les valeurs, contre l’oppression des intérêts particuliers des « grands ", dans des sociétés qui ont découvert que tout ne peut pas être réduit à des conflits d'intérêts, que le Pouvoir et la Loi n'ont pas de propriétaires, que la Loi n'est pas fixée (par Dieu, par la nature ou par la Raison des sages ou des sensés), qu'elle est l'objet d'une interrogation historique-sociale continue.
Chers étudiants, notez que les conflits politiques et idéologiques impliquent également nos batailles intellectuelles quotidiennes, comme celle que j'ai essayé de vous présenter, à propos du concept de pouvoir populaire, de populisme et de démocratie, à propos du débat sur la nature du sujet politique de démocraties. Voyez que parmi les électeurs du peuple des libéraux, les débatteurs du peuple des Habermasiens (que, en raison des limites de notre temps, j'ai contourné sur mon chemin), les peuples combattants et mobilisés avec imagination par les revendications et les dirigeants populistes, ou les gens qui contestent et revendiquent l’activisme bouillonnant des mouvements sociaux et politiques pour les droits, celui de l’invention démocratique des Lefortiens (et d’autres), la pensée est en cours et, de manière encore plus décisive, notre histoire est en jeu et s’écrit.
*Sergio Cardoso Il est professeur au département de philosophie de l'USP. Auteur, entre autres livres, de Machiavélique : leçons de politique républicaine (éd. 34) [https://amzn.to/3RqK6jB]
Initialement publié le Magazine rose.
notes
[I] Le texte suivant a été rédigé pour une présentation orale lors d'un cours inaugural traditionnellement destiné à ceux qui entrent dans le cours de philosophie. Cette destination m'a amené, parfois, à renoncer à des indications bibliographiques plus précises et à passer sous silence certains passages des ouvrages des auteurs évoqués afin de rendre les arguments plus directs et plus clairs. Je demande au lecteur de souligner ces procédures, à cause desquelles j'ai hésité jusqu'à présent à autoriser la publication de ce texte.
[Ii] E. N. : Sérgio fait référence à l'article Philosophie grecque et démocratie, titre donné au texte révisé du cours inaugural enseigné par Wolff aux nouveaux étudiants du département de philosophie, en 1982. Voir Francis Wolff, Greek Philosophy and Democracy, Discours, Non. 14, p. 7-48, 1983.
[Iii] Peter V. Jones, Le monde d'Athènes, São Paulo, Martins Fontes, 1997 [1984], p. 34.
[Iv] En raison également de la longueur du dossier actuel, auquel ce texte est joint.
[V] Talcott Parsons, Social souches en Amérique, dans : Daniel Bell (éd.), la droite radicale, Nouveau-Brunswick, Transaction Publishers, p. 209-30, 2008 [1955].
[Vi] Seymour Martin Lipset, L'homme politique : la base sociale de la politique, New York, Doubleday et compagnie, 1960.
[Vii] Voir, entre autres, Cas Mudde & Cristóbal Rovira Kaltwasser, Populisme : une très courte introduction, Oxford, Oxford University Press, 2017 ; et Jan-Werner Müller, Qu'est-ce que le populisme ?, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 2016.
[Viii] Voir Maria Paula Saffon & Nadia Urbinati, Démocratie procédurale : le rempart d'une liberté égale, Théorie politique, v. 41, non. 3, 2013, p. 441.
[Ix] Idem, ibidem, p. 454. Voir aussi Jean Comaroff, Populisme et libéralisme tardif : une affinité particulière ?, Les Annales de l'Académie Américaine des Sciences Politiques et Sociales, v. 637, p. 99-111, 2011.
[X] Joseph A. Schumpeter, Capitalisme, socialisme et démocratie, New York, Harper et Row, 1972 [1942], p. 269.
[xi] Voir Marilena Chaui, Racines théologiques du populisme au Brésil : théocratie des dominants, messianisme des dominés, dans : Evelina Dagnino, Les années 90 : politique et société au Brésil, São Paulo, Brésil, 1994 ; et, plus récemment, À propos du populisme au Brésil, Cahiers d'éthique et de philosophie politique, Non. 32, p. 54-74, 2018.
[xii] Voir Hans Kelsen, Essence et valeur de la démocratie [1929], dans : ______, démocratie, São Paulo, Martins Fontes, 2000, p. 23-108.
[xiii] Le terme « demande » utilisé ici, on le sait, fait l’objet de controverses : il insinuerait la passivité du peuple, qui devrait justement être l’acteur politique. Mais, il faut prendre le verbe, dans son sens originel de « réclamer », protester, crier contre (se plaindre, se plaindre).
[Xiv] Slavoj Žižek, Contre la tentation populiste, Enquête critique, v. 32, non. 3, 2006, p. 554.
[xv] Ernesto Laclau, Pourquoi la construction d'un peuple est la tâche principale de la politique radicale, Enquête critique, v. 32, non. 4, 2006, p. 648.
[Xvi] Idem, ibidem, p. 650.
[xvii] Idem, ibidem, p. 677.
[xviii] Idem, Le retour du « peuple » : raison populiste, antagonismes et identités collectives, Politique & Travail : magazine de sciences sociales, Non. 23, 2005, p. 12.
[xix] Voir Ernesto Laclau, Pourquoi construire un peuple…, p. 652-3 ; et Le retour du « peuple »…, p. 11.
[xx] Ernesto Laclau, la raison populiste, São Paulo, Três Estrelas, 2013 [2005], p. 115.
[Xxi] Idem, Pourquoi construire un peuple…, p. 647.
[xxii] Claude Lefort & Marcel Gauchet, Sur la démocratie : le politique et l'institution du social, Textures, v. 71, non. 2-3, Du politique, 1972, p. 17.
[xxiii] Pareil pareil.
[xxiv] N. do E. : Ici, les auteurs semblent jouer avec le sens des mots français. Lire dans l'original poste d'entreprise, ce qui se traduirait littéralement par « position entreprise » ; une expression non conventionnelle, dépourvue de sens plus profond (tant en portugais qu'en français). Cependant, prix de poste, (expression phonétiquement très proche de la précédente) se traduit littéralement par « prendre position ». De telle sorte que ce que semblent vouloir dire les auteurs concernerait une position qui est en même temps une entreprise, ou une entreprise, de celui qui la prend (en l’occurrence, le pouvoir). C'est pourquoi nous traduisons l'expression par « prendre position (…) entreprise ».
[xxv] Claude Lefort & Marcel Gauchet, Sur la démocratie…, p. 18.
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