Par JUDITH BUTLER & ATHÉNA ATHANASIOU*
Préface des auteurs au livre récemment publié au Brésil
1.
Lorsque Judith Butler et Athena Athanasiou se sont rencontrées en décembre 2009 à Athènes, en Grèce, Judith proposait un cours pour le Mémorial Nicos Poulantzas du Institut Poulantzas, affilié à Syriza (Coalition de la gauche radicale), et s'est également produit au Département d'anthropologie sociale de l'Université Panteion, où Athena est professeur.
Nous entamons une conversation sur la politique, la théorie, la corporéité et les nouvelles formations politiques de gauche, en nous concentrant d’abord sur la question de savoir comment les anciens politiciens de gauche ne parviennent jamais à répondre aux questions féministes et queer lorsqu’il s’agit de résister à la précarité. Cette première conversation (publiée en Grèce), «Remettre en question le normatif, reconfigurer le possible : féminisme, politique queer et gauche radicale», a été publié dans le volume Performativité et précarité : Judith Butler à Athènes (Athènes : Nissos, 2011).
Le travail d'Athena Athanasiou se concentre sur la théorie féministe et la pensée sociale radicale, apportant les perspectives de Luce Irigaray et Michel Foucault pour considérer de manière critique les relations entre le masculinisme, la technologie et l'humain. La publication d'Athena en co-édition avec Elena Tzelepis, Différence de réécriture : Luce Irigaray et les « Grecs » (Suny Press, 2010), passe du trope dérivé du mythe de la Grèce classique au contexte transnational, postcolonial et corporel contemporain des pratiques critiques.
En Grèce, elle a publié le livre La vie à la limite : essais sur le corps, le genre et la biopolitique (Ekkremes, 2007), dans lequel il propose un récit psychanalytique post-humain et post-lacanien de la technologie, de la différence, de la corporéité et des corpus de connaissances, en se concentrant sur la façon dont ces éléments configurent l'organisation sociale contemporaine de l'habitabilité, du désir et de la subjectivité genrée et sexualisée.
Elle a également écrit un livre (Crise comme « état d’exception » : critiques et résistances. Savvalas, 2012) sur les dimensions corporelles de la crise de la dette grecque ; elle y aborde le caractère indéfini de l’état d’exception à un exemple de la rationalité du gouvernement néolibéral, mené au nom de l’urgence économique et impliquant des forces de racialisation et de féminisation qui structurent fondamentalement la condition de « devenir précaire ».
Son travail se concentre sur les formes de déconstruction queer et les formes féministes de politique performative, y compris les manifestations publiques non violentes de chagrin et de résistance aux régimes biopolitiques contemporains, comme le travail transnational et antimilitariste du mouvement. Femmes en noir. Considérant les manifestations concrètes de la performativité de genre subversive, Athena Athanasiou s'est inspirée de la philosophie éthico-politique de Judith Butler, de ses travaux sur le genre et la performativité queer, sur la corporéité, le langage, la violence normative et la violence de la déréalisation, sur la vulnérabilité de la vie humaine et la question de savoir ce qui rend une vie vivable.
Et Judith Butler a été interpellée par les perspectives anthropologiques et philosophiques d’Athena Athanasiou, telles que ses lectures d’Irigaray et Heidegger et les défis géopolitiques du néolibéralisme qui s’est manifesté avec tant d’acuité en Grèce. Comme Judith, Athéna s'est engagée dans des conceptions non souveraines de l'action, de la relationnalité du « soi », de liberté avec les autres, en matière de reconnaissance et de désir, ainsi que dans les implications de l'exposition corporelle pour les personnes genrées, sexualisées et racisées. Notre conversation a exploré ces questions avec insistance, alors que nous cherchions à transmettre et à cartographier le travail politique et affectif de l’action critique.
2.
Nous commençons la conversation par des réflexions sur la position post-structuraliste que nous partageons, notamment l'idée selon laquelle l'unité du sujet sert une forme de pouvoir qui doit être contestée et défait, c'est-à-dire un style de masculinisme qui efface la différence sexuelle et agit comme maître. dans le domaine de la vie.
Nous reconnaissons tous deux qu'une réflexion responsable sur l'éthique et la politique ne peut émerger que là où la souveraineté et l'unité du sujet peuvent être efficacement remises en question et que diviser le sujet, ou le constituer dans sa différence, s'avère au cœur d'une politique qu'elle remet en question, dans des domaines très spécifiques. manières, à la fois la propriété et la souveraineté.
Mais autant nous valorisons les formes de responsabilité et de résistance qui émergent d’un sujet « dépossédé » – celui qui admet les liens sociaux différenciés qui le constituent et auxquels il est tenu –, autant nous avons été très attentifs au fait que que la dépossession constitue une forme de souffrance pour les personnes déplacées et colonisées et ne peut donc pas être un idéal politique sans ambiguïté. Nous avons commencé par réfléchir ensemble à la manière de formuler une théorie politique de la performativité qui pourrait prendre en compte la version de la dépossession que nous valorisons ainsi que celle à laquelle nous nous opposons.
3.
Ce livre représente un dialogue complet qui s'est déroulé pendant plusieurs mois sous forme de réunions, de conversations et de textes, principalement par courrier électronique, jusqu'à ce que nous nous rencontrions à Londres en février 2011 pour planifier le chemin de cet échange. Lors de la réunion de Londres, la révolution égyptienne battait son plein et, dans les dernières semaines de rédaction de ce texte commun, la gauche grecque a présenté un sérieux défi à la politique néolibérale d'austérité, ouvrant la possibilité d'une nouvelle gauche européenne opposée à la distribution. précarité différentielle et suppression technocratique de la démocratie.
Nos réflexions enregistrent ces événements de manière oblique et, au cours de cet échange, nous faisons référence à de nombreux mouvements politiques, manifestations et actes qui nous ont aidés à formuler ce que nous entendons par politique du performatif. Nos approches convergent et diffèrent. La position géopolitique d'Athena Athanasiou façonne ses réflexions sur les modes de résistance et de deuil public, et elle s'appuie sur les travaux d'Irigaray, la critique heideggerienne de la technique, la notion foucaldienne de biopolitique et la psychanalyse post-lacanienne.
Le travail de Judith Butler émerge de sa lecture de Michel Foucault, mais aussi de la théorie des actes de langage, de la théorie critique du genre, de l'activisme queer et de la psychanalyse hétérodoxe. Nous revenons tous les deux aux mythes grecs pour comprendre le présent, ce qui signifie que ces mythes sont ravivés de manière nouvelle, comme dans le film extraordinaire dont nous avons parlé, Strella (réalisé par Panos Koutras, 2009), dans lequel une travailleuse du sexe transgenre vit une version contemporaine du mythe d'Œdipe dans l'Athènes du XXIe siècle.
Sur ce chemin, nous recherchons des manières convergentes de présenter Hannah Arendt à une gauche avec laquelle elle n’aurait pas été d’accord et nous explorons les questions d’affection et d’éthique en pensant au cadre politique à travers les formes récentes de mobilisation politique. Ensemble, nous revenons à la question « qu’est-ce qui rend possible la réactivité politique ? » La condition d’être touché par ce que vous voyez, ce que vous ressentez et ce que vous découvrez est toujours une condition dans laquelle vous êtes transporté vers un autre lieu, une autre scène ou vers un monde social dont vous n’êtes pas le centre.
Et cette forme de dépossession se constitue comme une forme de réactivité qui donne lieu à des actions de résistance, d’apparition avec d’autres, dans un effort pour exiger la fin de l’injustice. Cette injustice prend la forme d’une dépossession systématique, par exemple, de personnes contraintes à l’immigration, au chômage, à l’itinérance, à l’occupation et à la domination. Ainsi, nous abordons la question de savoir comment devenir dépossédés de la souveraineté du « soi » et entrer dans des formes de collectivité qui s’opposent aux formes de dépossession et expulsent systématiquement ces populations des modes collectifs d’appartenance et de justice.
*Judith Butler est professeur de philosophie à l'Université de Californie à Berkeley. Auteur, entre autres livres de Vie précaire : les pouvoirs du deuil et de la violence (Authentique).
*Athéna Athanasiou est professeur d'anthropologie sociale et de théorie du genre à l'Université Panteion des sciences sociales et politiques.
Référence
Judith Butler et Athéna Athanasiou. Dépossession : Le performatif en politique. Traduction: Batriz Zampieri. Revue technique : Carla Rodrigues. São Paulo, Unesp, 2024, 254 pages. [https://amzn.to/4fSY0n5]
notes
[1] Amfi svitontas à « Kanoniko », Anadiamorfonontas à Dynato : Feminismos, Queer Politiki kai Rizospastiki Aristera. Dans: Epitelestikotita kai Épiphalée: Moi, Judith Butler, je suis Athina.
Zoe sto Orio : Dokimia gia à Soma, à Fylo kai ti Viopolitiki.
I Krisi os « Katastasi Ektaktis Anagkis » : Kritikes kai Antistaseis.
[4] Dans les traductions précédentes, lorsque cela est possible, «soi-", lorsqu'il apparaît comme préfixe, il a été transporté vers le préfixe portugais "auto-", tandis que "soi », un nom, a été traduit par « soi-même », en suivant par exemple la solution de «soi-même», du français, une option bien établie en langue portugaise dans différents contextes philosophiques. Cependant, au cours de la conversation dans ce livre, nous nous sommes rendu compte que cette solution avait des limites, ce qui nous a amenés à traduire de préférence soi comme «je» pour souligner que tous deux opèrent avec la relation entre «je» et «tu» afin de penser la relation à l'altérité. Pour traduire « je », on utilise la forme Eu, en majuscules, indicateur de la souveraineté individuelle que véhicule le terme.
[5] Cf. Athanasiou, Athéna. Technologies de l'humanité, apories de la biopolitique et corps coupé de l'humanité. Différences : un journal féministe Études culturelles, v.14, n.1, p.125-62, 2003.
la terre est ronde il y a merci à nos lecteurs et sympathisants.
Aidez-nous à faire perdurer cette idée.
CONTRIBUER
