Par JOSÉ MICAELSON LACERDA MORAIS*
Réflexions sur le dilemme raison/humanisation dans le processus historique de développement du capitalisme.
Introduction
Pourquoi la raison n'a-t-elle toujours pas réussi à humaniser notre monde ? Ni les Lumières ni aucune autre raison depuis lors n'ont pu éliminer la nécessité de la lutte pour l'existence parmi les hommes. Au contraire, elle a servi et ne sert qu'à sophistiquer et masquer cette lutte, de sorte que notre existence et notre reproduction sont plus associées aux relations entre les êtres vivants qui existent dans la nature qu'à un véritable processus social. En fait, le dilemme raison/humanisation se présente comme une grande énigme, à laquelle les grands systèmes de pensée, élaborés depuis les Lumières jusqu'à nos jours, ne semblent pas avoir apporté de solution adéquate. Car, nous continuons dans un monde d'intense exploitation de l'homme par l'homme, d'inégalités sociales profondes, de rapports sociaux fondés sur la domination et la dépendance, à tous les niveaux sociaux et spatiaux (local, régional, national et mondial), de préjugés et de discrimination de tous les ordres et les tonalités.
D'une manière générale, le rôle du développement de la raison et de la science a été de fournir des instruments et des moyens pour perpétuer cette lutte. Le rôle de la raison et de la science devrait tendre à montrer que le combat de l'homme n'est pas contre lui-même, contre l'autre, mais avec et pour l'autre. Car, si tel n'était pas le cas, le sens de la raison ne serait pas différent du sens des relations entre les êtres vivants qui se produisent dans la nature. La seule différence entre la société et la nature serait que dans cette dernière, la survie passe par la relation prédateur/proie, où l'un est sacrifié pour l'existence de l'autre. Dans la société, cependant, l'existence ne passe pas par la mort de la proie, mais par l'exploitation du travail humain. La capacité des humains à travailler rend le bénéfice de l'exploitation du travail beaucoup plus avantageux pour l'existence et la reproduction sociale. Ainsi, humaniser devrait signifier une manière de surmonter la lutte pour l'existence au sein de la société, c'est-à-dire utiliser la raison pour égaliser la condition sociale et humaine, et non l'inverse ; tel qu'observé tout au long de l'histoire humaine. Nous pensons que nous avons déjà suffisamment de connaissances, de conditions et de moyens nécessaires pour une telle entreprise, peut-être n'avons-nous plus qu'à « réfléchir » un peu plus.
L'idée de la raison comme principe d'organisation sociale, sous-tendue tout au long de la période, allant des Lumières à nos jours, est que les conséquences nécessaires de la raison et de la parole nous conduiraient des ténèbres, représentées par une société de type féodal, à la lumière, représentée par une "[...] société éclairée et éclairée d'individus indépendants qui raisonnent et discutent, troquent et échangent, d'hommes justes et délibérés qui voient à travers leurs propres préjugés [...]" (ROTHSCHILD, 2003, p 18). Cependant, de ce point de vue, nous ne voyons pas les fondements du processus. C'est comme regarder un arbre de loin. D'une certaine distance on ne voit pas ce qui se passe dans ses branches : la destruction. Dans la nature, la vie est en même temps destruction, c'est une lutte pour l'existence, comme l'observe Darwin (2005, p. 125) : « […] les oiseaux qui chantent joyeusement autour de nous vivent généralement d'insectes ou de graines, et [… ] donc ils détruisent constamment la vie […] ». Si nous ne comprenons pas vraiment le sens de la lutte pour l'existence dans la nature, si nous n'arrivons pas à faire l'analogie nécessaire entre cette lutte et la nôtre, à utiliser notre raison pour vaincre et non pour justifier une telle lutte, nous pouvons jamais être en mesure de donner une réponse adaptée au dilemme raison/humanisation. Le capitalisme, l'État, le socialisme réel n'ont représenté jusqu'ici que des formes particulières de la raison justifiant la lutte pour l'existence ; pas son utilité pour surmonter une telle lutte au sein de la société, en faveur d'une sociabilité véritablement humaine. Darwin est l'endroit où nous nous rencontrons tous. Ce n'est qu'en comprenant le sens réel de la lutte pour l'existence et ses implications pour la sociabilité humaine que nous pourrons nous révolutionner en tant qu'humanité : notre dernière révolution.
L'incongruité du libéralisme économique
Il semblait qu'avec les Lumières nous avions enfin atteint le cœur du processus de civilisation. Les idéaux de liberté, d'égalité et de fraternité, issus de la Révolution française et répandus en Europe et dans le monde, sont le résultat d'une illumination rationalisée. Il en résulta l'élaboration d'une doctrine éthique pour une nouvelle société. Dans un premier temps, cette éthique vise à démontrer que si l'homme agit de manière vertueuse, la société sera guidée vers le meilleur des mondes. Dès lors, pour cette éthique, la lutte pour l'existence cesse d'être considérée dans son essence et, à sa place, commence à figurer, une lutte intérieure entre les sentiments vertueux et les sentiments vils ; entre vices et vertus. D'où le libéralisme économique et l'idée de la main invisible qui le justifie comme principe d'organisation économique et sociale.
La main invisible est basée sur la doctrine de l'intérêt : l'idée de l'intérêt personnel comme clé pour comprendre l'action humaine ; la transformation du vice d'avarice en vertu de bien-être social. Doctrine qui cherchait à expliquer une nouvelle société, fondée sur une nouvelle raison, la raison économique, et qui avait pour règle élémentaire de conduite de l'individu, la poursuite sans limite de la valeur économique. Ainsi, c'est avec la systématisation économique de Smith que « dans sa forme limitée et domestiquée, l'idée de capter [la mobilisation des passions] a pu survivre et prospérer à la fois comme l'un des principes du libéralisme du XIXe siècle et comme une construction ». fondement de la théorie économique » (HIRSCHMAN, 2002, p.40). Car, il a pu établir une « […] puissante justification économique de la poursuite effrénée de l'intérêt personnel […] » (HIRSCHMAN, 2002, p.120).
En 1993, l'éminent professeur Giannetti, a publié un livre dans lequel il tentait d'encadrer l'économie dans une perspective éthique. Sa thèse est celle de « l'éthique comme facteur productif », déterminant de la performance économique, de la richesse de la nation, et sa proposition centrale est que :
[…] la présence de valeurs morales et le respect de normes de conduite sont des conditions essentielles pour que le marché s'impose comme une règle de coexistence civilisée et devienne, alimenté par le désir de chacun de mieux vivre, une interaction constructive dans le création de richesses (GIANNETTI, 1993, p. 154).
Malheureusement, il semble n'y avoir aucun soutien pour l'argument du professeur Giannetti. Tout simplement parce que lorsque l'on confronte « l'éthique comme facteur productif » au « fétiche de l'argent » (mystification de l'argent), c'est la poursuite effrénée de l'intérêt individuel qui semble toujours prévaloir. Eh bien, l'argent, entre les mains des propriétaires des moyens de production, a le pouvoir magique de se transmuter en capital (une valeur qui est sans cesse valorisée). En ce sens, l'argent, en général, et le capital, en particulier, sont au-dessus de l'éthique et de la morale. La preuve complète de cette affirmation se trouve dans le modèle systémique de richesse du capitalisme contemporain, représenté par la financiarisation. Comme l'expliquait Braga, toujours en 1998, ce nouveau schéma, « […] signale un mouvement de déséquilibre dans la division internationale du travail et des disparités croissantes de revenus, de richesse et de sociabilité ; compris comme l'accès à l'emploi, à l'épanouissement vital et culturel, à la connivence démocratique et civilisée » (BRAGA, 1998, p. 238-239).
La dynamique capitaliste élève l'intérêt personnel à une position bien au-delà du principe d'autorégulation envisagé pour la main invisible, bien au-dessus du comportement éthique et moral. Car, l'argent « comme concept existant et actif de la valeur », comme l'observait Marx, encore très jeune :
[…] elle se présente aussi contre l'individu et contre les liens sociaux etc., qui entendent être, pour eux-mêmes, essence. Il transforme la fidélité en infidélité, l'amour en haine, la haine en amour, la vertu en vice, le vice en vertu, le serviteur en maître, le maître en serviteur, la bêtise en compréhension, la compréhension en bêtise. , p. 2008).
L'insuffisance du socialisme réel
Pour Marx, la réalisation de l'existence dans l'histoire passe par la lutte des classes : « l'histoire de toutes les sociétés jusqu'ici existantes est l'histoire des luttes des classes » (MARX et ENGELS, 2010, p. 40). Il conteste donc la réalisation de l'histoire par l'opposition entre morale subjective et morale objective, comme le pensait Hegel. Pour Marx, bien au contraire, « […] le mode de production de la vie matérielle conditionne le processus de la vie sociale, politique et intellectuelle […] » (MARX, 2008a, p.47).
[…] Dans la production sociale de leur propre existence, les hommes entrent dans des relations déterminées, nécessaires, indépendantes de leur volonté ; ces rapports de production correspondent à un certain degré de développement de leurs forces productives matérielles. L'ensemble de ces rapports de production constitue la base économique de la société, la base réelle sur laquelle s'élève une superstructure juridique et politique et à laquelle correspondent certaines formes sociales de conscience […] (MARX, 2008a, p.47).
Dans le capitalisme, précisément, la lutte a lieu entre deux grandes classes, la bourgeoisie et le prolétariat. Dans ce contexte, le besoin de gouvernement et d'administration ne peut plus représenter l'incarnation de la liberté. Elle ne devient qu'une forme de maintien et de reproduction d'une totalité sociale déterminée, avec une structure économique spécifique, une forme de propriété et d'accumulation, qui lui sont aussi spécifiques et liées. Pour Hegel (1997, p. 149), l'État, domaine du droit, est la liberté réalisée, « […] la fin et la réalité en action de la substance universelle et de la vie publique qui y est inscrite. […] ». Pour Marx, l'État n'est qu'un comité bourgeois.
[…] la bourgeoisie, avec l'établissement de la grande industrie et du marché mondial, a finalement conquis la souveraineté politique exclusive dans l'État représentatif moderne. L'exécutif dans l'État moderne n'est rien de plus qu'un comité chargé de gérer les affaires communes de toute la classe bourgeoise (MARX et ENGELS, 2010, p. 42).
Au point 7, du chapitre XXIV, du « Capital », intitulé, « tendance historique de l'accumulation capitaliste », en se basant sur le contexte historique de son temps, Marx, annonçait alors « la dernière heure de la propriété privée capitaliste », dans laquelle la « les expropriateurs seront expropriés ». Cette conclusion est incontestablement logique, étant donné que, d'une part, le processus de concentration des richesses et, d'autre part, la constitution d'une masse de prolétaires, avec des conditions d'organisation politique et de formation d'une conscience de classe, ont rendu le processus de exploitation injustifiée.
Cependant, comme nous le savons aujourd'hui, la domination d'une classe sur une autre, même avec les meilleures intentions, peut ne pas être une condition suffisante pour conduire à une société sans classes ou sans groupes privilégiés. Le socialisme réel du XXe siècle nous a permis de poser une telle question. Eh bien, même la collectivisation des moyens de production qu'il a réalisée n'a pas éliminé l'existence de groupes privilégiés au sein de cette société. Sur ce point, la lucidité de l'analyse de Hobsbawm sur la fin du socialisme réel est très révélatrice. En premier lieu, pour l'auteur, la prédominance du communisme en tant qu'idéologie s'est avérée superficielle, car « […] l'acceptation du communisme par les "masses" ne dépendait pas de convictions idéologiques ou similaires, mais de la manière dont elles jugeaient ce qui la vie sous les régimes était ce que les communistes feraient pour eux, et comment ils comparaient leur situation à celle des autres […] » (HOBSBAWM, 1995, p. 480). Deuxièmement, la seule forme possible d'organisation gouvernementale était un « […] socialisme de commandement impitoyable et brutal […] » (HOBSBAWM, 1995, p. 482) ; basé sur la lutte interne pour le pouvoir et le commandement, et les privilèges qui leur sont associés. Et, troisièmement,
[…] même là où les régimes communistes ont survécu et réussi, comme en Chine, ils ont abandonné l'idée originale d'une économie unique, contrôlée de manière centralisée et planifiée par l'État, basée sur un État entièrement collectivisé - ou une économie collective fonctionnant pratiquement sans un marché [ …] (HOBSBAWM, 1995, p. 481).
Ainsi, le résultat de l'expérience socialiste du 1995e siècle s'est réalisé « […] à un coût humain énorme […] une économie sans issue et un système politique en faveur duquel il n'y avait rien à dire […] » (HOBSBAWM , 481 , p. XNUMX).
Le dilemme raison/humanisation
On a longtemps cru que la raison serait la solution à la question sociale, pour l'humanisation de l'homme. Peut-être parce que la raison elle-même est ce qui nous différencie des autres animaux. Mais, jusqu'à nos jours, l'usage de la raison, même avec tous les progrès scientifiques apportés, n'avait d'autre rôle que de sophistiquer la domination et l'exploitation de l'homme par l'homme. Nous devons aller plus loin. Parfois, pour faire un pas de plus, il faut faire deux pas en arrière. Dans ce cas, nous devons revenir à Darwin :
[…] Je suis convaincu que tous les faits relatifs à l'économie de la nature, à la répartition, à la rareté, à l'abondance, à l'existence et à la variation nous paraîtront obscurs, ou seront complètement incompris. Lorsque nous contemplons la nature, elle nous apparaît lumineuse et jubilatoire en situation de surabondance de nourriture, mais nous ne voyons pas, ou n'imaginons pas, que les oiseaux qui chantent joyeusement autour de nous vivent généralement d'insectes ou de graines, et qu'en de cette façon, ils détruisent constamment la vie ; ou nous oublions souvent combien de fois ces oiseaux chanteurs, ainsi que leurs œufs et leurs petits, sont détruits par des prédateurs ; nous ne gardons pas non plus à l'esprit le souvenir que si la nourriture est abondante en ce moment, elle ne l'a pas toujours été au fil des saisons (DARWIN, 2005, p. 125).
La vie n'est vie que parce qu'elle est destruction. Ce dernier terme dans notre conscience est associé à tout ce qui est contraire à la vie. Mais dans la nature, et peut-être dans notre inconscient, il représente le fondement de l'existence et de la reproduction ; comme exposé avec éclat par Darwin dans la citation ci-dessus. Dans la nature, l'existence et la reproduction sont d'une violence énorme. Une violence qui signifie, dans de nombreux cas, déchirer une proie vivante, manger sa chair alors qu'elle respire encore. Or, la destruction de la proie assure l'existence et la reproduction du prédateur ; la destruction de la vie assure l'existence de la vie.
Dans la société humaine, l'existence et la reproduction ne sont pas directement liées à la destruction comme dans la nature. Nous n'avons pas besoin de nous tuer et de manger, bien que nous détruisions constamment des ressources. Même parce que nous ne sommes que des variétés d'une même espèce, et même dans la nature, la pratique du cannibalisme est plus une exception qu'une règle. Bien que, chez nous, cela puisse aussi se produire dans des situations extrêmes, comme le rapportent la littérature et le cinéma sous les formes les plus variées.
Tout au long du processus historique de développement de l'humanité, toutes les sociétés se sont constituées dans une dynamique beaucoup plus proche de la lutte pour l'existence qu'on ne l'imagine. Jusqu'à présent, aucune société n'a réussi à éliminer une telle lutte au sein de sa structure.
Sous le capitalisme, le processus d'exploitation de la force de travail n'est qu'un aspect de l'exploitation de l'homme par l'homme. La dimension totale du processus exige que nous comprenions le processus comme une forme d'expropriation continue, qui part d'un type de relations sociales étroitement liées à la lutte pour l'existence, telle qu'observée dans la nature. L'émergence même du capitalisme s'exprime ainsi.
Dans l'histoire de l'accumulation primitive, quelles époques sont toutes les révolutions qui font levier sur la classe capitaliste en formation, mais surtout les moments où de grandes masses humaines sont soudainement et violemment dépouillées de leurs moyens de subsistance et jetées sur le marché du travail comme absolument prolétaires libres. L'expropriation de la terre qui appartenait auparavant au producteur rural, au paysan, constitue la base de tout le processus [...]. (MARX, 2017, p. 787)
Le vol des biens ecclésiastiques, l'aliénation frauduleuse des domaines de l'État, le vol des biens communaux, la transformation usurpatrice, opérée avec un terrorisme sans scrupule, de la propriété féodale et clanique en propriété privée moderne, étaient autant de méthodes idylliques d'accumulation primitive. De telles méthodes ont conquis la campagne pour l'agriculture capitaliste, incorporé le sol au capital et créé pour l'industrie urbaine l'approvisionnement nécessaire d'un prolétariat entièrement libre (MARX, 2017, p. 804).
Comme l'a noté Marx, « la violence est une puissance économique » et « l'accoucheuse de toute société ancienne enceinte d'une nouvelle société » (MARX, 2017, p. 821). Le système colonial, par exemple, a été l'un des processus de violence les plus brutaux dans la trajectoire de l'accumulation primitive. Cependant, le capitalisme depuis ses débuts et continuellement combine des méthodes économiques (marché) et des méthodes extra-économiques, dans son processus de reproduction et d'expansion. En ce sens, l'accumulation primitive fait à la fois partie de la préhistoire du capitalisme et de sa propre dynamique de fonctionnement.
Wood (2014), dans son livre "The Empire of Capital", a discuté de la relation entre la force économique et extra-économique dans le capitalisme, à la fois à l'ère classique de l'impérialisme et dans ce qu'elle a appelé le "nouvel impérialisme". Comme l'explique l'auteur, l'Angleterre a été la première à créer une forme d'impérialisme guidé par la logique du capitalisme ; les impératifs capitalistes de concurrence, d'accumulation de capital et d'augmentation de la productivité. Une forme d'impérialisme qui va au-delà de la domination impériale ou de la suprématie commerciale pour inclure "des armes entièrement nouvelles dans l'arsenal idéologique", comme le libéralisme économique et "[…] les conceptions pseudo-biologiques de la race, qui excluaient certains êtres humains pas simplement par la loi , mais par nature, de l'univers normal de liberté et d'égalité » (WOOD, 2014, p. 83).
Pour Hobsbawm (2002), l'ère classique de l'impérialisme appartenait à la période entre 1975 et 1914, et constituait un monde où les pays « avancés » (le noyau capitaliste développé) dominaient les « arriérés ». Elle a été causée par la rivalité entre les économies industrielles. Le rôle des dominés s'est toujours présenté comme une expérience continue de dépendance et d'exploitation. Pour sa part, Galeano, dans son livre classique Les veines ouvertes de l'Amérique latine, a analysé ce processus depuis la naissance du nouveau monde. Pour lui "une erreur de grandes conséquences".
Notre histoire n'a-t-elle pas été une expérience continuelle de mutilation et de désintégration, déguisée en développement ? Il y a des siècles, la conquête rasa le sol pour planter des cultures destinées à l'exportation et anéantit les populations indigènes dans les puits de mine et les lavages pour satisfaire la demande étrangère d'argent et d'or. Le régime alimentaire de la population précolombienne qui a réussi à survivre à l'extermination s'est détérioré avec le progrès des autres. De nos jours, les Péruviens produisent de la farine de poisson, très riche en protéines, pour les vaches aux États-Unis et en Europe, mais les protéines manquent cruellement dans l'alimentation de la plupart des Péruviens. La filiale Volkswagen en Suisse plante un arbre pour chaque voiture vendue, un geste écologique, tandis que la filiale Volkswagen au Brésil défriche des centaines d'hectares de forêts qu'elle consacrera à la production intensive de viande destinée à l'exportation. Les Brésiliens, qui mangent rarement de la viande, vendent de plus en plus de viande à l'étranger. Darcy Ribeiro m'a dit qu'un république volkswagen, n'est essentiellement pas différent d'un république bananière. Pour chaque dollar produit par l'exportation de bananes, il ne reste que onze cents dans le pays producteur, et sur ces onze cents une part insignifiante correspond aux ouvriers des plantations. Les proportions changent-elles lorsqu'un pays d'Amérique latine exporte des voitures ? (GALEANO, 2019, p. 387)
Le XXe siècle a peut-être été le siècle des transformations les plus importantes et les plus étendues jamais enregistrées dans l'histoire de l'humanité. Que ce soit à travers des événements dramatiques tels que les deux guerres mondiales, la Révolution russe, la Grande Dépression de 1929, ou la Révolution technico-scientifique-informationnelle des années 1970. le capital qui, à son tour, a produit ce « nouvel impérialisme », avec de nouvelles formes de expropriation extra-économique (accumulation par dépossession et expulsions, par exemple), et nouvelle course entre pays à la puissance hégémonique mondiale.
Lorsque Marx a écrit le chapitre sur les machines et la grande industrie, dans le livre I du Capital, il a affirmé que les machines dans le mode de production capitaliste n'étaient fondamentalement rien de plus qu'un moyen de production de plus-value. Une affirmation qui reste extrêmement valable pour les nouveaux secteurs et les nouvelles formes d'accumulation issues de la révolution de l'information. Dans ce contexte, on reste plus proche de la lutte pour l'existence, comme dans le monde animal, que véritablement vers une société plus humaine.
En plus de la lecture, nous pouvons maintenant voir des images, des contextes et entendre des témoignages sur les résultats de cette nouvelle étape mondiale du capitalisme. Certains documentaires sont incroyables. Nous soulignons le documentaire autrichien "Darwin's Nightmare", de 2005, du réalisateur Hubert Sauper, qui dépeint un véritable processus d'accumulation primitive sur les rives du lac Victoria, le plus grand lac tropical du monde, situé en Tanzanie, dans les années 1960. , en 2009, le célèbre réalisateur Michael Moore, sort le documentaire « Capitalisme : une histoire d'amour », dans lequel il dépeint non seulement les répercussions économiques et sociales de la crise de 2008, mais aussi l'avancée : de la marchandisation (dont la délinquance juvénile) ; la privatisation et la précarité du travail ; enfin, comment, pour l'auteur, le capitalisme a vaincu la démocratie. Enfin, nous soulignons la série de streaming "Pourri», notamment les épisodes de la deuxième saison : la « guerre des avocats » ; "Eaux troubles"; "bonne affaire" ; et "chocolat noir". Dans ce dernier, par exemple, la misère derrière les petits producteurs qui fournissent le cacao et le rôle des intermédiaires ont été dépeints, face à une forme de production qui rappelle la dynamique du secteur textile de la révolution industrielle anglaise. L'un des plus impressionnants concernait l'industrie de l'eau embouteillée : le domaine d'exploitation des grandes entreprises qui agissent au détriment de la vie humaine elle-même.
Toujours au cours de ce siècle, certains auteurs tels que Saskia Sassen et David Harvey, sont revenus sur le thème de l'accumulation primitive dans les conditions actuelles du capitalisme. Sassen, dans son livre « Expulsions », de 2014, traitait de ce qu'elle appelait « les nouvelles logiques d'expulsion ». Le titre de son introduction est déjà assez évocateur, « la sélection sauvage ». Pour elle, cette nouvelle phase du capitalisme avancé réinvente les mécanismes de l'accumulation primitive, que ce soit par des innovations qui augmentent la capacité d'extraction des ressources naturelles, entraînant des extensions toujours plus importantes de terres et d'eaux mortes ; que ce soit par des opérations complexes et beaucoup d'innovations spécialisées, liées par exemple à l'externalisation de la logistique ou à l'algorithme de la finance, donnant lieu à des formes extrêmes de pauvreté et de brutalisation sociale.
Nous sommes confrontés à un terrible problème de notre économie politique mondiale : l'émergence de nouvelles logiques d'expulsion. Au cours des deux dernières décennies, il y a eu une énorme croissance du nombre de personnes, d'entreprises et de lieux expulsés des ordres sociaux et économiques centraux de notre époque. Ce tournant vers l'expulsion radicale a été rendu possible par des décisions élémentaires dans certains cas ; dans d'autres, pour certaines de nos réalisations économiques et techniques les plus avancées. Le concept d'expulsions nous emmène au-delà de l'idée familière de l'inégalité croissante comme moyen de comprendre les pathologies du capitalisme mondial actuel. Elle met également en évidence le fait que certaines formes de savoir et d'intelligence que nous respectons et admirons sont souvent à l'origine de longues chaînes de transactions qui peuvent se terminer par de simples évictions. (SASSEN, 2016, p. 9)
Harvey, dans son livre « Le nouvel impérialisme », de 2003, décrit ce qu'il appelle « l'accumulation via la dépossession ». Le terme de dépossession a été utilisé par l'auteur car, selon lui, les caractéristiques de l'accumulation primitive, décrites par Marx, constituent toujours un processus en cours dans la géographie historique du capitalisme. La citation suivante contient quelques paragraphes de ce livre et résume avec précision l'accumulation primitive à notre époque. Mais surtout, ils dépeignent la similitude existante, même avec tous les développements techniques survenus depuis la révolution industrielle anglaise, entre les processus naturels de la lutte pour l'existence, tels que décrits par Darwin, et les processus sociaux d'existence et de reproduction de l'homme.
[…] L'expulsion des populations paysannes et la formation d'un prolétariat sans terre se sont accélérées dans des pays comme le Mexique et l'Inde au cours des trois dernières décennies ; de nombreuses ressources auparavant partagées, telles que l'eau, ont été privatisées (souvent sur l'insistance de la Banque mondiale) et insérées dans la logique capitaliste d'accumulation ; Les formes alternatives (indigènes et même, dans le cas des États-Unis, artisanales) de production et de consommation ont été supprimées. Les industries nationales ont été privatisées. L'agro-industrie a remplacé l'agriculture familiale. Et l'esclavage n'a pas disparu (notamment dans le commerce du sexe). […]
Le système de crédit et le capital financier sont devenus, comme l'ont observé Lénine, Hilferding et Luxemburg au début du XXe siècle, de grands tremplins de prédation, de fraude et de vol. […]
La biopiraterie sévit et le pillage du stock mondial de ressources génétiques est en bonne voie au profit de quelques grandes sociétés pharmaceutiques. La destruction croissante des ressources environnementales mondiales (terre, air, eau) et la dégradation proliférante de l'habitat, qui empêchent toutes les formes de production agricole, sauf à forte intensité de capital, ont également entraîné la marchandisation de la nature sous toutes ses formes. La marchandisation des formes culturelles, historiques et de la créativité intellectuelle implique une dépossession à grande échelle (l'industrie de la musique est connue pour s'approprier et exploiter la culture et la créativité des communautés). La corporatisation et la privatisation de biens jusque-là publics (comme les universités), sans parler de la vague de privatisations (de l'eau et des services publics de toutes sortes) qui a déferlé sur le monde, indiquent une nouvelle vague d'« expropriation des biens communs ». […] La régression des statuts réglementaires destinés à protéger le travail et l'environnement de la dégradation a entraîné la perte de droits. La dévolution des droits de propriété commune acquis au cours d'années d'âpre lutte des classes (le droit à une pension publique, à la protection sociale, à un système national de santé) dans le domaine privé a été l'une des politiques de dépossession les plus flagrantes mises en œuvre au nom de l'orthodoxie néolibérale. (HARVEY, 2004, p. 121-123)
Pour Žižek (2011, p. 18), une nouvelle classe mondiale, issue du régime d'accumulation capitaliste à dominance financière, a contribué à la mise en place de nouvelles formes de l'apartheid.
Dans la Chine contemporaine, les nouveaux riches ont construit des communautés isolées selon le modèle idéalisé d'une ville occidentale « typique » ; près de Shanghai, par exemple, il y a une "vraie" réplique d'une petite ville anglaise, avec une rue principale, pubs, une église anglicane, un supermarché Sainsbury's etc.; toute la zone est isolée de l'environnement par un dôme invisible, mais non moins réel. Il n'y a plus de hiérarchie des groupes sociaux au sein d'une même nation : les habitants de cette ville vivent dans un univers où, dans leur imaginaire idéologique, le monde environnant de la « classe inférieure » n'existe pas […] São Paulo […] compte 250 héliports dans sa zone centrale. Pour éviter le danger de se mêler au petit peuple, les riches de São Paulo préfèrent utiliser des hélicoptères, si bien qu'en regardant le ciel de la ville, on a vraiment l'impression d'être dans une mégalopole futuriste du genre qu'on voit dans des films comme Blade Runner ou Le cinquième élément: les gens ordinaires grouillant dans les rues dangereuses en contrebas et les riches flottant plus haut dans le ciel.
Révolution économique maintenant : besoins sociaux égaux, rendements monétaires égaux, quel que soit le rôle social
Dans une société aussi dystopique que la nôtre, la morale n'est qu'une autre forme de réification. En plus du fétiche de la marchandise et du fétiche de l'argent, il semble y avoir un autre fétiche dans lequel l'objet fétichisé est l'homme lui-même dans ses relations sociales. Pour présenter notre argumentation, nous avons formulé l'exposé de Marx par rapport à ce que les marchandises diraient si elles pouvaient parler. Notre présentation est la suivante.
Il est possible que notre valeur d'usage en tant qu'homme (attribut d'être conscient et autonome en tant qu'être social) intéresse quelque peu le capital. Pour nous et parmi nous, en tant qu'hommes-choses, la valeur d'usage en elle-même ne nous concerne pas, car nous acceptons que nous ne soyons qu'un moyen pour une fin, du capital. Ce qui nous préoccupe vraiment, c'est dans quelle mesure nous pouvons être exploités (générer plus de valeur) ; nous ne nous en plaignons pas, car nous sommes en quelque sorte convaincus du rêve de richesse abstraite qui nous attend au bout du chemin. Cependant, notre propre circulation, en tant que choses-marchandises, nous éloigne et nous condamne à une perpétuelle aliénation, tant verticalement qu'horizontalement. Le premier concerne l'aliénation du rapport capital/travail. La seconde dépeint l'aliénation entre nous, hommes-choses, qui ne nous rapportons que comme des valeurs d'échange, comme des individus abstraits, de plus en plus individualisés et bestialisés par les nouvelles technologies. Nous n'attendons que les ordres du capital (symbolisant l'homme-homme, le vrai, le chemin), délivrés au peu d'entre nous qui resteront des choses, à ceux d'entre nous qui ne seront plus appelés ni choses que nous pourrons être.
La fétichisation de l'homme se produit lorsque les relations sociales entre eux sont médiatisées par l'homme comme non voir, en tant que chose, l'homme-chose, aliéné, bestialisé et objectivé, tant par le rapport capital/travail que par les rapports sociaux dans le monde du travail lui-même. Ce fétiche fait partie des résultats humains de la Révolution Technico-Scientifique-Informationnelle. Plus précisément celui de favoriser un processus incessant de fétichisation de l'homme en lui donnant un faux sentiment d'autonomie, de liberté et de connaissance de soi. Le texte original de Marx est le suivant :
Si les marchandises pouvaient parler, elles diraient : il est possible que notre valeur d'usage intéresse les hommes. Pour nous, en tant que choses, cela ne nous concerne pas. Ce qui nous concerne matériellement [dinglich] est notre valeur. Notre propre circulation en tant que choses-marchandises [Warendinge] en est la preuve. Nous nous rapportons les uns aux autres uniquement en tant que valeurs d'échange (MARX, 2017, p 128).
Un nouveau modèle de sociabilité qui nous éloigne de la lutte pour l'existence et nous rapproche de l'idée d'humanité ne sera possible que sur la base d'un nouveau principe : un revenu monétaire égal pour des besoins sociaux égaux, quelles que soient les fonctions sociales. Pour cela, nous devons former une nouvelle conscience, pour un nouveau paradigme, dans lequel les idées de méritocratie et de ploutocratie sont éliminées. Au stade actuel de la connaissance humaine, où les fonctions sociales sont pleines de sens, où il y a une grande portée d'éducation et de formation intellectuelle, bien que de manière très inégale, cela semble être une idée possible.
Nous présentons, en termes très généraux, quelques suggestions pour une telle entreprise. Le développement et la mise en œuvre d'autres formes d'humanisation seront de la responsabilité des lecteurs, des managers..., bref, des différents acteurs sociaux, comme un exercice d'imagination, de changement de conscience et d'action, beaucoup d'action.
Commençons par un exemple pratique. Nous avons utilisé les informations du portail de transparence Ceará faisant référence à un établissement d'enseignement supérieur (EES) spécifique. En décembre 2020, en termes d'employés actifs, cet EES comptait 764 inscriptions et un total de 6.312.001,24 1.066,04 27.232,44 BRL de versements de salaires. La distance entre le salaire le plus bas (27 01 R$) et le salaire le plus élevé (27 01 R$) était de 27 fois. Cela veut dire que le salaire de 46,880 employé équivaut à celui de 2018, ou en termes de valeur d'échange, 2020 humain vaut 3.665, selon la logique de l'économie ordinaire. Les distances sont exponentiellement plus grandes dans les industries financières modernes. Par exemple, le salaire d'un PDG, le poste hiérarchique le plus élevé dans une grande entreprise, qui comprend le salaire mensuel ainsi que les primes et autres avantages, peut atteindre 216 millions de reais par an. C'était précisément la rémunération du PDG d'Itaú Unibanco, en XNUMX. Par rapport au salaire le plus bas d'IES, même celui de XNUMX, en valeurs mensuelles, cela représente simplement une différence de XNUMX XNUMX fois. Considérant désormais, le salaire d'un Docteur IES, maître de conférences au dernier niveau de progression, le salaire mensuel d'un PDG équivaut à celui de XNUMX docteurs. Nous trouverons difficilement une justification acceptable à cette réalité morale du capitalisme.
La logique de rémunération actuelle est que le professeur, parce qu'il a passé plus de temps à étudier, doit obtenir un revenu différencié ; le système de la méritocratie. Cependant, un assistant de service général, l'employé qui a le salaire le plus bas, du point de vue social, a les mêmes besoins que l'enseignant. Maintenant, il semble plausible que ce qui doive être différent, c'est la manière dont les deux entrent dans la fonction publique, et non le revenu ; puisque les deux ont des besoins sociaux égaux, qui ne peuvent être satisfaits de manière égale que par des revenus monétaires également égaux. La discussion sur la question des incitations, qu'à salaires égaux personne ne choisira certaines fonctions sociales, est une discussion qui nous échappe pour le moment. Ce que l'on peut anticiper pour la réflexion du lecteur, c'est que les différences intellectuelles et physiques peuvent convenir aux personnes et aux fonctions, au lieu de la différence de rémunération.
Imaginons maintenant que, sur la base de réunions et de discussions entre les employés de ladite HEI, il y ait eu un changement de conscience, et qu'il y ait eu un mécanisme légal dans lequel l'administration supérieure, selon la volonté établie, a demandé au gouvernement de la État du Ceará pour égaliser la compensation pour tout le monde. Il y a deux façons d'observer le résultat de ce changement. Une voie pessimiste, typique de l'économie orthodoxe, dans laquelle on aggraverait la situation de l'un pour améliorer la situation de l'autre, situation qui va à l'encontre de l'allocation optimale des ressources (quelle situation optimale, dans laquelle 01 personne vaut 26 autres ). L'autre manière d'observer est de comprendre le processus comme le résultat d'une nouvelle logique, d'une nouvelle raison, d'une raison véritablement humaine. Eh bien, fondée non seulement sur la fiction de l'égalité juridique, mais sur l'égalité économique. Signifiant ainsi une transformation radicale de la structure économique de la société, c'est-à-dire des rapports sociaux de production. Concrètement, si le salaire de chacun est égalisé en divisant le salaire total par le nombre d'inscriptions, la valeur moyenne serait de 8.261,78 XNUMX R$. En général, l'idée n'est pas liée à des salaires plus bas, mais à la recherche d'un niveau moyen de rémunération adéquat pour satisfaire tous nos besoins, qu'ils viennent de l'estomac ou de l'imagination, comme dirait Marx. Imaginez maintenant que toutes les institutions de ce type effectuent la même démarche, puisqu'elles sont toutes organisées de manière méritocratique. Et pourtant, qu'une telle initiative soit étendue à toutes les sphères de l'administration publique, impliquant toutes les institutions et tous les organes, depuis l'exécutif, le législatif et le judiciaire. Il y aurait également des salaires moyens différents selon les secteurs, ainsi que la complexité d'établir des normes de rémunération moyenne qui reflètent les différents coûts de la vie entre les grandes et les petites villes, par exemple.
La moyenne mentionnée ci-dessus, calculée par établissement, ne sert qu'à illustrer à la fois un indicateur d'égalité économique et une action politique en faveur de cette égalité. Par conséquent, il est beaucoup plus approprié d'égaliser les rémunérations par une mesure plus générale. De ce point de vue, le PIB par habitant pourrait fonctionner comme un indicateur de revenu moyen, passant d'un outil limité de mesure du niveau de vie, à une mesure de la répartition de la richesse produite, à atteindre via son opérationnalisation en tant que revenu par habitant (mais qui considère à la fois les aspects d'inégalité sociale et de concentration des revenus). A titre indicatif, le PIB par habitant au Brésil, en valeurs courantes, était de 33.593,82 2018 R$ en XNUMX.
Nous prenons un EES comme exemple, car en tant que lieu de formation des savoirs, il n'y a rien de plus idéal pour amorcer un changement radical des rapports sociaux. Ce mouvement de changement va bien au-delà de la simple égalité de rémunération, car il avance vers l'annulation du fétichisme de l'argent et des marchandises. Nous pensons que ce changement a peut-être plus de chances de commencer par la fonction publique (universités, mairies, gouvernements étatiques et fédéraux, soutenus par les luttes des mouvements sociaux et des organisations). Cependant, lorsque la rémunération monétaire est effectuée par le secteur privé, une série de nuances d'ordres différents sont associées à un tel changement. Nous aurons besoin de beaucoup d'imagination et d'action pour résoudre ce problème, comme nous le suggérons plus tard. Nous avançons que dans ce cas ce qu'il faut démanteler c'est la ploutocratie.
Nous avons atteint un niveau de sophistication technique et productive jamais imaginé par aucun penseur. Nous avons vraiment un système mondial intégré de production et de communication. Nous pouvons maintenant penser à la production et à la distribution à l'échelle planétaire. Cependant, nous vivons dans un monde dominé par la ploutocratie. Aujourd'hui, à partir de la révolution de l'information, nous pouvons vraiment penser à une communauté mondiale, dans laquelle les forces productives sont en faveur de l'humanisation et non contre l'humanité. Cela semble une pensée assez naïve, mais c'est peut-être notre dernière chance, face au désastre dans lequel nous sommes plongés. Nous devons raisonner sur une nouvelle propriété privée, un nouveau processus d'accumulation, un nouvel État (sa configuration et son rôle), et sur la nécessité, l'urgence et la possibilité d'un gouvernement mondial.
L'État, dans cette nouvelle étape du capitalisme, est marqué par « […] l'approfondissement mondial des inégalités économiques, l'érosion mondiale du bien-être social et la pénétration planétaire des industries financières […] » (APPADURAI, 2010, p. 29) . Concernant son rôle, par exemple, Bauman (2019, p. 48), parle d'une « […] désactivation progressive mais inexorable des institutions du pouvoir politique […] », Appadurai (2019, p. 30), de « démocratie fatigue », et Geiselberger (2019, p. 10), de « […] 'sécurisation' (la titrisation) et la politique symbolique post-démocratique […] ». De manière générale, pour ces auteurs, nous vivons désormais dans un contexte d'incapacité politique à faire face aux problèmes mondiaux (inégalités économiques, migration, terrorisme, etc.). Contexte également associé à la transformation de la culture en une étape de souveraineté qui finit par produire des dirigeants populistes autoritaires, puisque la souveraineté économique ne s'inscrit plus dans la souveraineté nationale. Celles-ci, à leur tour, « [...] promettent la purification de la culture nationale en tant que moyen de pouvoir politique mondial [...] » (APPADURAI, 2019, p. 25). Et pourtant, nous vivons la transformation du débat politique démocratique en une porte de sortie de la démocratie elle-même ; cependant, en gardant inchangée la configuration de l'État et du pouvoir, créant ainsi un véritable simulacre de démocratie ou une démocratie à l'envers. Qui sont les gagnants et qui sont les perdants d'un tel processus ?
[…] Les principaux gagnants sont les financiers extraterritoriaux, les fonds d'investissement et les négociants en matières premières de toute légitimité ; les principaux perdants sont l'égalité économique et sociale, les principes de justice intra et interétatique, ainsi qu'une grande partie, probablement une majorité croissante, de la population mondiale. (BAUMAN, 2019, p. 48)
Le revers de la médaille est la configuration de l'État. Le problème de configuration est lié à la concentration de puissance générée par celui-ci. Prenons l'exemple des démocraties présidentielles. La répartition des pouvoirs, entre exécutif, législatif et judiciaire, est un aspect fondamental de la démocratie, mais même elle n'a pas pu éviter la situation dramatique décrite ci-dessus. Nous avons un besoin urgent d'une nouvelle configuration de l'État qui se traduise par une nouvelle configuration du pouvoir dans la société à tous les niveaux de gouvernement, local, régional et national. À cet égard, nous ne traiterons que de l'exécutif, de la présidence et des ministères, et les suggestions s'adressent à tous les niveaux de gouvernement.
Commençons par le président. Pourquoi une seule personne devrait-elle diriger un pays entier ? Pourquoi devrions-nous nous soumettre à des gouvernements qui ne représentent pas les intérêts sociaux ? Pourquoi sommes-nous toujours soumis à l'élection et à l'acceptation de dirigeants comme Trump et Bolsonaro ? Pourquoi ne pas élire à leur place un conseil de gouvernement avec des sièges pour les secteurs représentatifs de la société ? Quel serait votre rôle ? Penser et formuler des politiques à mettre en œuvre par les ministères, ainsi que répondre aux demandes ministérielles. Par quels moyens? Un personnel technique permanent sélectionné, par appel d'offres public, pour transformer les solutions politiques en solutions techniques. Quel est le rôle des ministères ? Pourquoi les ministres et leurs équipes changent-ils tous les quatre ans ? Si nous pensons aux ministères, en fonction de leurs activités et fonctions, nous pouvons conclure que la seule réponse valable à la dernière question est liée au pouvoir discrétionnaire (marchés de pouvoir pour les postes élevés et toutes les formes de corruption qui en découlent). Imaginons maintenant une situation différente, dans laquelle le ministère est un corps entièrement structuré sur la base d'appels d'offres publics et dans lequel, également, sa direction est exercée par un conseil formé de fonctionnaires de carrière. Le rôle des ministères resterait le même : l'élaboration des plans, des projets et leur exécution. Peut-être, si nous parvenions à implanter un exécutif dans cette perspective, pourrions-nous aussi avoir un peu d'espoir dans la démocratie : une véritable révolution démocratique.
Contre la méritocratie et la ploutocratie
Nous avons vu comment la propriété privée génère une accumulation incessante de capital et comment ce processus amplifie et approfondit la propriété privée. Comment l'association entre propriété privée et accumulation représente le ciment de la forme capitaliste de génération continue d'exploitation et d'inégalité. Et pourtant, comment la production capitaliste représente une forme de sociabilité fétichisée. Cependant, ce processus incessant d'accumulation nous a élevés à un tel degré de développement scientifique qu'à travers lui, nous avons la capacité et la chance de nous réinventer en tant qu'humanité. Qui pourrait imaginer l'ordinateur, les algorithmes, les réseaux sociaux et tout ce qui rend possible le nouveau monde de l'information et de l'informatique. Aucun aspect, qu'il soit de nature ou de société, n'a été épargné par les transformations induites par ces nouvelles technologies. Jusqu'à présent, ils ont été utilisés pour renforcer, amplifier et pérenniser la forme de sociabilité et de société que nous avons. En un mot, ce sont les outils les plus puissants jamais créés pour tirer parti du processus d'accumulation capitaliste. C'est la raison la plus avancée jamais produite par la raison humaine. L'apogée des forces productives au sens de Marx. Et c'est précisément à ce paroxysme des forces productives qu'une nouvelle révolution peut s'opérer. Car ce n'est qu'avec cet instrument qu'il devient possible de dépasser les comportements dualistes, tels que : domination/dépendance, exploitation/inégalité, richesse/pauvreté, exclusion/discrimination.
Les fondements de cette révolution reposent sur l'extinction de la propriété privée et l'accumulation. Historiquement, c'était la raison de la révolution socialiste, et comme l'histoire l'a montré, même cette révolution n'a pas été capable de générer un autre processus d'humanisation. La nouvelle révolution exige une nouvelle dialectique, dans laquelle la propriété privée continue d'exister, mais en même temps la propriété privée n'existe pas. Où il y a accumulation, mais en même temps il n'y a pas d'accumulation. La propriété privée est l'individualité humaine elle-même. Il ne peut pas cesser d'exister. En même temps, la propriété privée ne peut servir d'instrument de domination et d'exploitation, elle doit donc rester limitée à l'idiosyncrasie humaine. De même, la société ne peut exister sans accumulation, sans surproduction, de grosses sommes de capital pour de gros investissements, mais l'accumulation ne peut pas être privée. Il faut donc créer les moyens d'assurer à la fois l'existence et l'inexistence de la propriété privée, et l'existence et l'inexistence de l'accumulation. Il doit donc y avoir une nouvelle relation entre l'homme et l'argent, médiatisée par les nouvelles technologies de l'information. Pas pour amplifier le capital et l'accumulation, bien au contraire, pour niveler les hommes dans leurs rapports sociaux.
Ce que nous devons comprendre, c'est que toute réalité historique vécue jusqu'à aujourd'hui était basée sur la lutte pour l'existence. L'ampleur du développement de notre raison ne semble pas encore avoir produit une raison pour la raison humaine. Peut-être n'avons-nous atteint la capacité matérielle d'un tel exploit qu'à ce stade du développement historique. Car ce n'est que dans cette période historique que nous disposons des outils productifs et technologiques appropriés, du point de vue de l'information, de son traitement, des formes d'administration, dans tous les domaines qui constituent la totalité sociale. Enfin, dans cette période, nous avons le pouvoir d'égaliser les hommes et, en même temps, de maintenir leurs différences. Éliminer l'idée de héros et de méchants, rendre l'administration publique sociale, donner à l'entreprise privée un caractère véritablement social, contrairement à l'idée centrale de l'accumulation pour l'accumulation. La liberté qui permet à un homme de concentrer sans mesure la richesse et le pouvoir, et de les utiliser à sa guise, ne peut être la vraie liberté. Cela doit nécessairement venir du dépassement de l'idée de la lutte pour l'existence, qui a toujours été enracinée dans toutes les sociétés historiques. Une véritable conscience sociale n'est pas compatible avec la lutte pour l'existence telle qu'on l'observe dans la nature. Soit notre nature devient différente, soit nous ne devenons pas vraiment humains. Ainsi, la liberté humaine exigera un sacrifice monumental : la négation de notre propre origine, notre nature première, notre nature animale, fondée sur la lutte pour l'existence. Il semble paradoxal de parler de liberté et de sacrifice en même temps. Mais, si par liberté on entend que tous les hommes sont semblables, ils sont frères, ils ont les mêmes besoins, du point de vue social, la seule forme de liberté que l'on puisse concevoir serait celle de l'équivalence économique, entre chacun et entre tous. Dès lors, toute forme de propriété privée qui favorise l'accumulation incessante est en soi incompatible avec la liberté. C'est en ce sens que la liberté exige des sacrifices et, en ce sens également, que le processus d'humanisation exige un moyen de surmonter la lutte pour l'existence au sein de la société et entre toutes les sociétés. Sans cette rationalisation, toutes les révolutions du capitalisme ou de tout autre système pourraient ne jamais permettre une véritable émancipation humaine. Car cette émancipation n'est pas seulement de l'homme par rapport à la nature, mais surtout de l'homme dans sa lutte pour l'existence contre les autres hommes. Par conséquent, il est essentiel d'éliminer la méritocratie et la ploutocratie de l'existence sociale, comme indiqué précédemment. L'idée est simple, mais son développement et son application, au niveau social, peuvent être pour le moins complexes, et selon les dispositions sociales, elle peut ne jamais être mise en pratique : besoins sociaux égaux, revenus égaux. Pour rendre compte de cette idée, nous suggérons le terme d'éconocratie, base et fondement d'une autre idée, la sociocratie.
Le terme éconocratie n'est pas nouveau, mais notre interprétation est à l'opposé complet de son idée originale. Cela renvoie à un monde gouverné par une science économique au langage hermétique, inaccessible au commun des mortels. Dans lequel les décisions politiques et les politiques sociales sont guidées par l'application d'instruments quantitatifs, c'est-à-dire que les gens ne sont que entrées pour les équations du système. Selon les auteurs Earle, Cahal et Ward (2016), l'éconocratie serait le système politique qui régit aujourd'hui la plupart des pays, réduisant la politique et le système politique aux limites étroites de l'économie néoclassique. Bien au contraire, notre idée de l'éconocratie est liée à un revenu égal pour des besoins sociaux égaux, c'est-à-dire à l'élimination complète du système méritocratique dans la société. À son tour, l'éconocratie serait le fondement de la sociocratie. Ce n'est pas non plus un terme nouveau. Son utilisation par le philosophe français Auguste Comte date des années 1850. Cependant, sa signification actuelle date des années 1940, comme le décrivent Koch-Gonzalez et Rau (2019). Il existe une gamme de variantes de la sociocratie, mais en général, elles font toutes référence à des modèles de gouvernance. Notre interprétation de la sociocratie tient compte de la configuration de l'État, telle que décrite dans le chapitre précédent. Elle considère également que tout modèle de gouvernance, qu'il soit d'entreprise ou d'État, ne se fera que dans la justice et la liberté, dans l'hypothèse de l'égalité des revenus, c'est-à-dire dans l'hypothèse de l'éconocratie.
Si les besoins humains, d'un point de vue social, sont égaux, pourquoi les revenus personnels ou familiaux sont-ils si inégaux ? Tout au long de l'histoire humaine, il a fallu beaucoup d'esprit pionnier, d'héroïsme et d'originalité pour donner naissance à l'agriculture moderne, aux usines, aux écoles, aux hôpitaux, etc. Nous soulignons ces systèmes pour leurs références à la production, à l'éducation et à la santé, comme éléments fondamentaux de l'existence sociale, représentants d'une totalité sociale. Cependant, la propriété privée et l'accumulation du capital, en tant que fondements de cette totalité, nous ont légué un monde de lutte pour l'existence, comme décrit ci-dessus. Pour que l'éconocratie fonctionne, nous devons nous concentrer sur les fonctions sociales des systèmes susmentionnés. Par conséquent, il est nécessaire de penser à de nouvelles formes juridiques pour traiter les nuances qui impliquent la question de l'égalité des revenus dans la sphère privée de l'économie.
D'un point de vue économique, toute entreprise ou entité qui s'organise en tant que telle constitue un montant de revenus, de dépenses, d'usure et de besoin d'investissement (rénovation, agrandissement, modernisation). Le résultat qui ressort de cette équation devrait être la performance des participants, qui devrait être la même, quels que soient leur niveau d'éducation, leur position, leur fonction, leur temps passé dans l'entreprise, etc. On peut désormais étendre ce raisonnement à un secteur économique et à la structure productive d'une région, d'un pays, voire du monde.
Dans cette nouvelle forme, l'individuel devient collectif sans cesser d'être individuel, et le collectif devient individuel sans cesser d'être collectif. L'instrument d'un tel changement est le même que celui de l'accumulation incessante et du rapport capitalistique, et il ne saurait en être autrement. Ce qui n'était séparé par l'argent que par l'argent reviendra à l'unité. L'éconocratie comme base sociale et la sociocratie comme forme d'organisation politique, selon le chapitre précédent, permettront d'éliminer le fétiche de la marchandise, de l'argent et de l'homme lui-même. Un résumé des suggestions de ce chapitre et du précédent est mis en évidence ci-dessous.
1) L'égalisation des revenus pour tous ;
2) Accumulation à des fins collectives et non plus comme but d'individus ou de groupes ;
3) Limiter la propriété privée et favoriser les biens publics collectifs ;
4) Les actions, obligations et autres formes de participation dans des entreprises auront des fonctions sociales et ne seront pas des objectifs d'accumulation et de fortune personnelle ;
5) Passage de l'organisation privée des entreprises, du système productif, bref de toute la base économique et marchande de la société, à la gestion sociocratique ;
6) Les administrations gouvernementales, dans le cas du pouvoir exécutif, seront exercées par des conseils de gouvernement démocratiquement élus. Les secrétariats et les ministères seront composés exclusivement de personnel technique sélectionné par appel d'offres public. Il n'y aura plus de nominations politiques. Sa direction sera choisie parmi son personnel professionnel;
7) formation d'un gouvernement mondial pour penser, développer et mettre en œuvre des formes d'éconocratie et de sociocratie.
Cela dit, compte tenu du mépris du capitalisme pour l'existence des peuples, pour le contenu de la vie, pour la destruction de la nature et de l'être, nous devons formuler une nouvelle approche du développement, qui ait la vie humaine et son contenu comme centre et fondement, pas comme une simple rhétorique, mais comme un sens ultime.
Pour ce faire, la vie humaine doit assumer la dimension d'un équivalent général, au niveau mondial, avec la force de surmonter un autre équivalent général, l'argent, d'une manière concrète qui rende la valeur de la vie commune et égale pour tous et chacun, c'est-à-dire dans la production de l'espace. La vie humaine comprise comme le droit à une existence égale pour tous, le droit au résultat de la production sociale, la répartition de la productivité du travail. Sachant que chaque vie a la même valeur. Cependant, pour suivre cette voie, il est nécessaire d'éveiller une nouvelle conscience globale. Cette prise de conscience a pour point de départ l'idée qu'aucun homme ne devrait subjuguer un autre, que ce soit par la race, la richesse ou le pouvoir, car de telles idées tendent à disparaître. Dans cette perspective, la limitation des grandes fortunes, des super salaires, l'imposition de limites sociales à la propriété privée, peuvent représenter le premier pas dans cette direction. Dans le sens de la péréquation des revenus, comme présenté précédemment.
Enfin, nous devons reconnaître que la vie individuelle et la vie collective ne sont pas différentes, car elles dérivent de la même substance : l'être. Nous insistons, dans un premier temps, sur l'institutionnalisation des normes et des lois qui limitent les salaires et égalisent revenu, revenu et équité, afin que les relations de reproduction soient façonnées par le contrôle social et non par les lois de l'accumulation capitaliste. A partir de cette prise de conscience, une certaine solidarité peut être obtenue contre l'accumulation pour l'accumulation, contre le démantèlement social et contre la destruction de l'environnement. Quelque chose comme une démarchandisation des rapports de reproduction et, par conséquent, de la ville, de la politique, de la culture, de la nature et de l'être lui-même. Évidemment, un tel chemin ne peut pas être celui d'une région ou d'une nation, mais doit être orchestré à l'échelle mondiale. Pour Žižek (2012, p. 334),
[…] il est illusoire d'espérer réellement changer la donne en « étendant » la démocratie à la sphère économique (disons reformuler les banques pour qu'elles soient soumises au contrôle populaire) […]. Aussi radical que soit notre anticapitalisme, dans les processus « démocratiques » (qui peuvent jouer un rôle positif, bien sûr), les solutions ne sont recherchées qu'à travers les mécanismes démocratiques qui font partie de l'appareil idéologique de l'État « bourgeois » qui garantit la la reproduction non perturbée du capital […], l'acceptation des mécanismes démocratiques comme s'ils constituaient le seul cadre de tous les changements possibles […] empêche la transformation radicale des rapports capitalistes.
Cependant, le changement doit commencer quelque part. Dans ce contexte, comme nous l'avons dit plus tôt, l'Université semble être un endroit très prometteur. Elle peut, par exemple, animer et participer avec les mouvements sociaux et les organisations aux luttes démocratiques nécessaires, y compris en défiant les gouvernements à mettre en place des instruments et des mesures adéquates pour un nouvel ordre social.
Quand quelque part nous perdons nos utopies, nous perdons aussi le sens de ce qu'est « être humain ». Il est donc urgent de sauver ce sens. Comme l'affirme Altvater (2010, p. 334), « […] l'utopie concrète est ancrée lourdement dans le fond réel de la société capitaliste […] », réifiée, fétichisée dans les rapports de reproduction. Il faut sauver l'utopie, sauver un sens de l'humanité, un socle commun pour lequel se battre. Jusqu'à présent, ni les théories du développement économique, ni l'approfondissement de la question environnementale et ses solutions partielles, n'ont réussi à atteindre le cœur de cette question. Précisément parce qu'ils n'abordaient pas le point fondamental : la monstruosité des rapports de reproduction dans le capitalisme contemporain. Il est nécessaire de défaire ces mythes et d'autres vers une « utopie réalisable ».
Peut-on fonder cette nouvelle utopie, fondée sur le fait que la reproduction des rapports sociaux n'était pas et n'est pas « naturelle » ou « normale » ? N'avons-nous pas encore pris conscience de la nécessité de placer cette reproduction sous contrôle social, au-delà des mécanismes du marché ? Laisserons-nous le XXIème siècle produire une prolétarisation globale, la destruction de l'être et de la nature ? Pour Žižek (2011, p. 83), « nous risquons de tout perdre : la menace est que nous soyons réduits à des sujets abstraits vides de tout contenu substantiel, dépossédés de notre substance symbolique, de notre base génétique lourdement manipulée, végétant dans une milieu inhospitalier ». Il nous reste l'espoir d'une nouvelle conscience, d'une nouvelle politique, d'un nouvel État, d'une nouvelle forme de propriété et d'une nouvelle pratique Social; qui, à un moment donné, mettent en évidence l'équivalence de la vie humaine n'importe où sur la planète. Ce sera un réveil face à cette grande dégénérescence, du point zéro apocalyptique, de la possibilité de la destruction de l'être et de la terre mère, ce sera notre dernière révolution.
Conclusion
Le dilemme raison/humanisation reste sans solution apparente. La doctrine de l'intérêt personnel a créé un monde économique totalement opposé aux préceptes d'une telle doctrine : les idéaux d'égalité et de liberté qui représentaient « des arguments politiques en faveur du capitalisme avant son triomphe ». La solution indiquée par Hegel a été très tôt contestée par Marx. La solution de Marx, telle qu'elle a été mise en pratique, ne s'est pas non plus avérée viable au XXe siècle. Le capitalisme dans sa nouvelle configuration (domination financière) est de plus en plus opposé au processus civilisateur et à la démocratie. D'où l'urgence et la nécessité d'une nouvelle raison, d'une nouvelle économie, d'une nouvelle politique et d'une nouvelle économie politique : la révolution économique maintenant !
*José Micaelson Lacerda Morais é Professeur au Département d'économie de l'Université régionale du Cariri (URCA).
Références
ALTVATER, Elmar. La fin du capitalisme tel que nous le connaissons : une critique radicale du capitalisme. Rio de Janeiro : civilisation brésilienne, 2010.
APPADURAI, Arjun. Fatigue de la démocratie. Dans : APPADURAI, Arjun et al. La grande régression : un débat international sur les nouveaux populismes et comment y faire face. São Paulo : Gare de Liberdade, 2019.
BAUMAN, Zygmunt. Symptômes à la recherche d'un objet et d'un nom. Dans : APPADURAI, Arjun et al. La grande régression : un débat international sur les nouveaux populismes et comment y faire face. São Paulo : Gare de Liberdade, 2019.
BRAGA, José Carlos de Souza. Financiarisation mondiale : le modèle systémique de la richesse dans le capitalisme contemporain. Dans : TAVARES, Maria da ; FIORI, José Luis. Pouvoir et argent : une économie politique de la mondialisation. 4e éd. Rio de Janeiro : Voix, 1997.
DARWIN, Charles. L'origine des espèces. São Paulo : Martin Claret, 2005.
EARLE, Joe ; MORAN, Cahal ; WARD-PERKINS, Zach. L'éconocratie : les périls de laisser l'économie aux experts. Presse universitaire de Manchester, 2016.
FONSECA, Eduardo Giannetti da. Vices privés, avantages publics ? L'éthique dans la richesse des nations. São Paulo : Companhia das Letras, 1993.
GALEANO, Eduardo. Les veines ouvertes de l'Amérique latine. Porto Alegre : L&PM, 2019.
HARVEY, David. Le nouvel impérialisme. 3e éd. São Paulo: Edições Loyola, 2004.
HEGEL, Georg Wilhelm Friedrich. Principes de la philosophie du droit. São Paulo: Martins Fontes, 1997. (Classiques)
HIRSCHMAN, Albert O. Passions et intérêts : Arguments politiques pour le capitalisme avant son triomphe. Rio de Janeiro : Record, 2002.
HOBSBAWM, Eric. L'âge des empires. 7e éd. Rio de Janeiro : Paix et Terre, 2002.
________. L'âge des extrêmes : le court XXe siècle – 1914-1991. São Paulo : Companhia das Letras, 1995.
KOCH-GONZALEZ, Jerry; RAU, Ted J. Many exprime une chanson : l'autogestion par la sociocratie. Curitiba : Vol, 2019.
MARX, Karl; ENGELS, Friedrich. Manifeste du parti communiste. São Paulo : Boitempo, 2010.
MARX, Carl. Manuscrits économico-philosophiques. São Paulo : Boitempo, 2008.
________. Contribution à la critique de l'économie politique.2e éd. São Paulo : Editora Expressão Popular, 2008a.
________. Sur la question juive. São Paulo : Boitempo, 2010a. (Collection Marx-Engels)
________. Critique de la philosophie du droit de Hegel. 2e éd. São Paulo : Boitempo, 2010b.
________. Capital : critique de l'économie politique. Livre I : le processus de production du capital. 2e éd. São Paulo : Boitempo, 2017.
ROTHSCHILD, Emma. Sentiments économiques : Adam Smith, Condorcet et les Lumières. Rio de Janeiro : Record, 2003.
SANDEL, Michael J. La tyrannie du mérite : Qu'est-il arrivé au bien commun ? São Paulo: Editora José Olympio, 2020.
SASSEN, Saskia. Expulsions. Rio de Janeiro, 2016.
BOIS, Ellen Meiksins. L'empire du capital. São Paulo : Boitempo, 2014.
ŽIŽEK, Slavoj. D'abord comme une tragédie, puis comme une farce. São Paulo : Boitempo, 2011.
________. Problèmes au paradis. Dans : MARICATO, Erminia et al. Villes rebelles : Free Pass et les manifestations qui ont envahi les rues du Brésil. São Paulo : Boitempo/Carta Maior, 2013.
________. Vivre à la fin des temps.