Par JORGE LUIZ SOUTO MAIOR*
Commentaire sur l'éditorial du journal Folha de S. Paulo
« Ce qui est créé pour améliorer l'économie ne fonctionne pas si l'économie ne s'améliore pas », dit Folha de S. Paulo (paraphrase du résumé d'un éditorial).
Après avoir qualifié la dictature militaire de « dictabranda » (éditorial du 17 novembre 2009) – avec une reconnaissance ultérieure de l'erreur – et prôné le mépris de la volonté populaire en démocratie pour que la « réforme » du travail, façonnée conformément aux intérêts des entreprises, puisse être mis en œuvre (éditorial du 02/05/2017),1 le journal Folha de S. Paul, maintenant, dans un nouvel éditorial, il rend public, en ce qui concerne les questions de travail, réaffirmer son côté bolsonariste, bien que pour paraître différent, au final, il tisse une critique quelque peu hors contexte du gouvernement Bolsonaro.
Laissant de côté son rôle de véhicule d'information, l'entreprise en question a longtemps assumé le caractère d'enfant-affiche de la « réforme » du travail et, à cette fin, a été disposée à créer divers factoïdes et à diffuser des versions déformées de la réalité. Cette fois, il a même réussi à franchir une étape supplémentaire : celle de la dissimulation complète.
Dans l'éditorial du 13 novembre 2021, "Le travail réformé",2 l'entreprise et l'employeur Folha de S. Paul, dont les journalistes se sont mis en grève le 10/11/21, pour de meilleurs salaires,3 loue les changements apportés par la « réforme », sans fournir de base factuelle à sa défense récalcitrante, elle aussi hors contexte, mais qui a certes une finalité encore mal comprise.
Soit dit en passant, l'éditorial, dans un premier temps, laisse entendre que les objections à la réforme sont purement « politiques », tentant, en plan, de disqualifier les critiques et de délégitimer le débat. Ensuite, il défend le travail à temps partiel et le travail intermittent avec la reproduction d'une rhétorique vide et dépassée, si critiquée pour constituer des formes d'embauche "adhérentes à la pratique du monde du travail contemporain, plus ancrées dans des tâches temporaires et des occupations multiples". ”.
Suivant la logique de l'impudence, il affirme que ces embauches – traduites par l'expression idéologique « plus grande flexibilité » – auraient pu générer plus d'emplois, exprimant déjà le constat que cet effet ne s'est pas reproduit. Mais, sans en parler spécifiquement, il tient à sous-entendre que si la création d'un plus grand nombre d'emplois n'avait pas eu lieu, il y aurait eu, avec la création de telles modalités, au moins l'espoir qu'un tel effet se produise , précisant, de manière péremptoire (même sans aucun argument concret), qu'avant, sans ce changement législatif, la création d'emplois était « presque impossible ».
Il ajoute également le sophisme, avec une pincée de sensationnalisme populiste, que l'impossibilité de formaliser les emplois concernait surtout les travailleurs les moins qualifiés, « qui restaient en dehors des garanties établies dans la législation ». Évidemment, il n'a pas conscience de la grande contradiction explicite, qui consiste à accuser l'embauche standard d'un facteur qui éloigne les travailleurs des garanties légales et, en même temps, à formuler une défense de ces « nouvelles » modalités, qui, concrètement, favorisent la réduction des garanties établies dans la législation par la réduction des salaires et des droits, principalement ceux résultant des normes collectives. De plus, l'intermittent, bien que formellement et statistiquement salarié, est en pratique un chômeur permanent, avec de petites opportunités de travail imprévisibles, harassantes et mal rémunérées. Et le travail à temps partiel, comme la loi elle-même décline, dans l'aspect des effets, est un travail incomplet, mais, presque toujours, avec des emplois à temps plein.
Ainsi, ce que l'éditorial propose pour les "travailleurs peu qualifiés", c'est une forme d'exploitation sans les garanties établies dans la législation, soulignant son accord avec le postulat axiologique selon lequel l'asservissement des vulnérables est légitimé par la vulnérabilité elle-même et précisant également que la cible de leurs préoccupations est une autre, c'est-à-dire l'employeur, qui est le véritable bénéficiaire de la précarité de la législation du travail promue par la "réforme", puisque, avec le permissif légal, il a été confronté à la possibilité d'échanger des travailleurs avec des contrats-types, avec la plénitude (déjà assez réduite, il faut le rappeler) des garanties établies dans la législation et avec l'incidence des effets de l'organisation syndicale, par d'autres travailleurs sans les mêmes garanties.
Ensuite, l'éditorial apporte une véritable perle de rhétorique (pour en parler poliment). Il dit que la réforme visait à "simplifier les règles et un meilleur équilibre entre les parties dans les procès", alors que, véritablement, la "réforme" n'a pas simplifié la procédure de travail, bien au contraire, elle a apporté plusieurs thèmes controversés et, ainsi, créé d'innombrables facteurs de complication. Le procès de travail, d'ailleurs, a toujours recherché précisément cet effet d'établir un équilibre entre les parties, à partir uniquement de la reconnaissance, tirée de la réalité, que les sujets de la relation de travail sont économiquement inégaux. Ainsi, le procès de travail a apporté (et apporte encore) plusieurs règles pour protéger la partie la plus faible précisément pour favoriser l'équilibre en termes d'accès à la justice, d'opportunités de manifestations, de production de preuves, etc.
La « réforme » du travail, cependant, ne pensant le processus que sous l'angle de l'intérêt du plus fort, l'employeur, et considérant le travailleur comme un délinquant potentiel, qui ne fait que promouvoir des actions « opportunistes » contre l'employeur pauvre, a créé plusieurs obstacles accès à la justice, allant même au-delà des garanties constitutionnelles.
Ce que l'éditorial de propagande appelle « équilibrer les partis » constituait en réalité une initiative visant à déséquilibrer davantage les partis. Il est curieux et révélateur de remarquer que, dans le paragraphe précédent, l'éditorial prend la défense des travailleurs moins qualifiés, accusant (de manière même bizarre) la protection légale du travail d'exclure ces travailleurs des garanties établies par la législation, alors que, dans ce Autre paragraphe, la rédaction prend les mêmes ouvriers pour des opportunistes.
L'un des principaux effets du blocage de l'accès à la justice est l'expansion de l'inefficacité de la législation et, par conséquent, une plus grande étape d'exploitation et de souffrance de la classe ouvrière, qui se reflète même dans l'augmentation des accidents du travail et dans l'augmentation des de l'informalité qui, pour l'essentiel, consiste simplement à embaucher des salariés sans formaliser la relation de travail.
L'éditorial se félicite toutefois que le nombre d'actions ait diminué. Ce qui est aussi assez étrange car, après tout, Folha n'est pas le pouvoir judiciaire. Mais cela cesse d'être étrange quand on se rappelle qu'il ne s'agit pas, dans ce cas, de la manifestation d'un véhicule d'information, mais d'une entreprise employeur, qui est financée par plusieurs autres entreprises employeur. Ce qui ne peut donc qu'être célébré, c'est combien la suppression de la citoyenneté des travailleurs a été bénéfique pour leurs entreprises et celles de leurs partenaires. Cela n'a rien à voir avec l'efficacité de la disposition juridictionnelle, notamment parce que ce n'est pas exactement ce qui intéresse les fraudeurs fiscaux et les contrevenants.
Cela devient d'ailleurs clair dans le paragraphe suivant, lorsqu'il est dit que l'interdiction d'accès à la justice favorise les attentes économiques des entreprises en termes de réduction des « incertitudes » par rapport aux responsabilités sociales. Il s'avère que les responsabilités du travail découlent du non-respect de la législation. Ainsi, créer des responsabilités et s'en débarrasser en empêchant les travailleurs d'intenter une action en justice n'est pas quelque chose qui – même d'un point de vue éthique – peut être défendu. Légalement, ne parlez même pas.
Mais la rédaction n'est nullement satisfaite et poursuit la rhétorique selon laquelle cette amélioration de l'attente économique des entreprises, ou, pour le dire plus clairement, cette augmentation de la rentabilité des entreprises favorisée par l'interdiction d'accès à la justice (que la rédaction reconnaît moins) ne serait pas si indue parce qu'elle serait restituée au bénéfice de la société en général par la création de nouveaux emplois.
Il se trouve que, comme le dit l'éditorial, cela ne s'est pas concrétisé car le STF, « malheureusement », a jugé inconstitutionnel le dispositif de « réforme » qui imposait « la partie perdante » (lire, les ouvriers, puisque le patronat a une telle imposition toujours été le cas) pour payer les "coûts du processus".
Remarque : l'éditorial justifie que la plus grande rentabilité accordée aux entreprises par la « réforme » du travail, dès novembre 2017, à travers l'interdiction d'accès à la justice, n'ait pas généré d'emplois seulement parce que la STF, en octobre 2021, l'a déclarée inconstitutionnelle de la norme de « réforme » qui imposait le paiement des frais et honoraires d'avocat aux personnes légalement reconnues pauvres, qui, de ce fait (qui n'est pas un prix et encore moins l'attestation d'un privilège, bien au contraire), sont bénéficiaires de la justice libre, selon la norme fondamentale établie dans la Constitution fédérale.
C'est-à-dire, selon l'éditorial du Feuille, la décision de la STF quatre ans plus tard a eu un effet rétroactif sur l'affectation des bénéfices de la société. Il n'est pas possible de commenter un tel argument et mieux vaut ne pas le nuancer. Il est vrai que l'éditorial reconnaît que la règle introduite par la « réforme » et déclarée inconstitutionnelle par le STF a porté « des risques » au droit fondamental d'accès à la justice. Mais ces risques seraient justifiés par l'effet de répression des « contentieux exagérés », ce qui, selon l'éditorial, « ravage le Tribunal du travail ». Sur le plan rédactionnel donc, le fait de méconnaître le texte constitutionnel serait justifié pour sanctionner les « contentieux exagérés » (quels qu'ils soient), ce qui serait la règle au Tribunal des Prud'hommes, et l'effet serait l'un des plus nobles. , dont celui de privilégier les « demandes motivées ».
Cependant, l'éditorial, d'une part, n'apporte aucune donnée concrète concernant ce soi-disant "litige exagéré" et, d'autre part, il se trompe sur l'hypothèse d'évaluer le droit d'action en fonction de l'effet de la validité ou du rejet de la demande . Ce sont des instituts très différents et ce n'est pas à nous d'en discuter ici. En tout état de cause, la répression des « litiges exagérés » n'a aucun effet concret sur le bien-fondé de la demande ni même sur l'effectivité de la procédure, et même si c'était le cas, il n'existe aucune disposition légale permettant d'atteindre ce résultat.
Ce que la loi interdit, c'est le contentieux de mauvaise foi, qui ne se présume pas, encore moins peut-il être fixé comme principe pour générer des conséquences structurantes de la procédure. Le litige de mauvaise foi a une qualification et des effets légalement prévus. Appliquer la peine sans dispositions légales, pour répondre à des intentions non révélées, est une attitude typique des régimes autoritaires, d'autant plus lorsqu'ils partent de la reconnaissance explicite que l'acte viole la Constitution et qu'il est légitimé par une logique d'exception.
Enfin, après toutes les atrocités argumentatives, l'éditorial commence à traiter de la création d'emplois promise par la « réforme » du travail et reconnaît que des emplois n'ont pas été créés. Mais il n'apporte que quelques données de 2021, liées à la période pandémique. Rien ne dit de la période de 2017 à 2019, dont les effets désastreux de la "réforme" sur la vie des travailleurs et travailleuses et même sur l'économie s'étaient déjà produits, même si ces effets ont intensifié, dans la réalité brésilienne, les dégâts causée par la pandémie (avec le renfort, bien sûr, donné par les députés 927 et 936 - également soutenus par l'entreprise employeur en question).4
Mais ce qui est encore plus impressionnant, c'est la conclusion de l'éditorial, dans le sens où la "réforme" n'a pas produit d'effet générateur d'emplois car l'économie était "précaire et l'est restée par la suite, avec l'aggravation de l'impact de la pandémie". L'amnésie de l'éditorial est symptomatique d'une maladie bien plus grave, puisque tout ce qui se disait à l'époque en faveur de l'approbation de la "réforme" reposait sur le postulat que la législation du travail ("rigide et rétrograde") rendait l'économie du pays irréalisable. . La « réforme » était nécessaire et urgente pour améliorer l'économie et, avec cela, favoriser la création d'emplois.
Mais maintenant le Feuille vient reconnaître que l'économie même après la « réforme » a continué d'être mauvaise, mais que cela ne prouve pas l'inefficacité de la « réforme » à produire l'effet qu'elle a propagé, c'est-à-dire l'amélioration de l'économie, parce que, après Dans l'ensemble, l'économie ne s'est pas améliorée. Avez-vous compris? N'essayez même pas. C'est juste du déguisement et de l'impudeur !
L'importance de l'éditorial (et donc la tâche de le commenter) est la compréhension que, plus que jamais, il est nécessaire de distinguer qui est en fait dans la défense de la régularité constitutionnelle et de l'ordre démocratique, afin de construire une société effectivement inclusive , solidaire, tolérant, non discriminatoire, sans préjugés et matériellement égalitaire, qui n'utilise que des arguments constitutionnels et démocratiques (parfois avec l'apparence d'agenda identitaire) pour préserver l'indigence, l'inégalité et l'exploitation.
*Jorge Luiz Souto Maior est professeur de droit du travail à la faculté de droit de l'USP. Auteur, entre autres livres, de Dommage moral dans les relations de travail (éditeurs de studio).
notes
. « Douleurs de la démocratie ». https://www1.folha.uol.com.br/opiniao/2017/05/1880242-dores-da-democracia.shtml
. https://www1.folha.uol.com.br/opiniao/2021/11/trabalho-reformado.shtml
. https://www.brasil247.com/midia/mais-de-300-jornalistas-de-folha-estadao-globo-e-valor-aderem-a-greve-por-reajuste-de-salario
[4]. « Dans les années qui ont suivi la "réforme", ce qui a été vu, c'est :
- augmentation des bénéfices des 308 sociétés cotées en bourse qui opèrent au Brésil, qui ont atteint, en 2018, le montant de 177 milliards de R$, soit une augmentation de 5 milliards de R$ par rapport à 52,3[Ii];
- augmentation de 12,3%, en 2018, des bénéfices des quatre plus grandes banques opérant dans le pays (Itaú, Bradesco, Santander et Banco do Brasil), qui seraient même les plus grands légataires de la réforme de la Sécurité sociale qui doit être mise en œuvre au Brésil[Iii].
- augmentation du chômage, qui a atteint 12,7 % en avril 2019, atteignant 13,4 millions de personnes ;
- le nombre de personnes ayant un contrat formel est resté pratiquement stable, actuellement autour de 32,9 millions de personnes[Iv], c'est-à-dire sans augmentation considérable, et ce compte tenu du niveau de 2015, qui a déjà entraîné la perte de 4 millions d'emplois formels par rapport à 2014[V], et chez les jeunes jusqu'à 24 ans, ce qui reste est la fermeture des postes vacants dans un nombre croissant[Vi];
- nombre record de découragés (4,8 millions)[Vii];
- augmentation de l'informalité (11,1 millions)[Viii];
- augmentation de la précarité[Ix] [X];
- réduction, de l'ordre de 34%, de l'accès des travailleurs au Tribunal du travail[xi];
- augmentation de la détresse au travail[xii];
- aggravation généralisée des conditions de travail, avec augmentation du nombre d'accidents du travail[xiii], ceci dans un pays où il y avait déjà 700 XNUMX accidents du travail par an[Xiv] et qui occupait déjà le rang de quatrième pays au monde en nombre de décès dus aux accidents du travail[xv];
- diminution des droits et gains normatifs[Xvi]des travailleurs, avec une réduction du salaire moyen[xvii], faisant chuter le revenu moyen brésilien[xviii]. L'inflation en 2018 était d'environ 4% et la "hausse" des salaires en 2018, en moyenne, était d'environ 2,9%[xix];
- diminution de la consommation[xx];
- endettement familial[Xxi];
- réduction des prélèvements fiscaux et sociaux[xxii];
- creusement du déficit de la Sécurité Sociale[xxiii];
- augmentation du déficit public en général[xxiv];
- augmentation de la misère[xxv];
- augmentation des inégalités sociales[xxvi], et, précisément, dans la dernière période, nous avons déjà atteint le résultat que le revenu des 1% les plus riches était 36 fois supérieur à la moyenne des plus pauvres, et même cette accumulation ne reste pas dans le pays, puisque les riches ont augmenté , de façon record, le volume de leurs envois de fonds à l'étranger[xxvii];
- affaiblissement des syndicats[xxviii].
L'effet concret, du point de vue social, a été l'augmentation considérable du nombre d'hommes et de femmes brésiliens conduits à l'extrême pauvreté (ou en dessous du seuil de pauvreté), atteignant le nombre de 54,8 millions de personnes dont le revenu du ménage par personne est inférieur à BRL 406 par mois[xxix].
Face aux chiffres d'un processus clair de démantèlement authentique du marché du travail national, de déclassement généralisé de la citoyenneté, d'effondrement de la démocratie, du mépris assumé des Droits de l'Homme et de l'environnement, ce qui s'est produit a été une faible attente économique, faisant que, en août 2019, il y a eu la plus grande sortie, en 23 ans, de capitaux étrangers de la bourse, d'un montant d'environ 10,79 milliards de BRL (net)[xxx].” (SOUTO MAIOR. Jorge Luiz. "Rétrospective de 2020 : la réalité de la classe ouvrière qui ne se voit pas." Disponible sur : https://www.jorgesoutomaior.com/blog/retrospectiva-2020-a-realidade-da-classe-trabalhadora-que-nao-se-ve-por-ai).