Le bon usage de la raison cordiale et sensible

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Par LÉONARD BOFF*

La tragédie écosociale est le résultat d’un type de raison qui a dégénéré en rationalisme

Face à la crise actuelle qui affecte dangereusement la planète entière, car elle pourrait conduire à une troisième guerre mondiale qui mettrait en danger la biosphère et la vie humaine, nous devons sauver ce qui pourrait changer le cours de l’histoire.

Je partage l'interprétation qui soutient que l'état actuel du monde dérive d'au moins deux grandes injustices : une sociale avec la génération, d'une part, d'inégalités sociales perverses et, d'autre part, une accumulation de richesses comme celle qui existe actuellement. jamais été dans l'histoire au point où huit personnes (et non des entreprises) détiennent plus de richesse que plus de la moitié de la population mondiale

L’autre est l’injustice écologique : la planète Terre et ses biomes sont épuisés depuis des siècles, à tel point qu’il nous faut plus d’une Terre et demie pour satisfaire la consommation humaine, en particulier dans les pays consuméristes du Nord.

La réaction de Gaia, la Terre en tant que super-organisme vivant, se manifeste par une gamme importante de virus et un réchauffement croissant, probablement irréversible, qui provoque des typhons, des cyclones et des tornades hautement destructeurs, menaçant la biodiversité, les enfants et les personnes âgées, incapables de s'adapter. et condamné à mort.

Je reviens au thème : cette tragédie éco-sociale est le résultat d'un type de raison qui a dégénéré en rationalisme (despotisme de la raison) et s'est traduit en techniques, d'une part bénéfiques à notre vie moderne et, d'autre part, donc mortels qu'ils peuvent détruire tout ce que nous avons construit au cours des millénaires d'histoire, menaçant les fondations écologiques qui soutiennent le système de vie.

Son origine, en Occident, remonte au Ve siècle avant JC, du passage de la pensée mythique à la pensée rationnelle des maîtres grecs. Dans un premier temps, un grand équilibre était maintenu entre les principaux éléments existentiels : pathétique (capacité de ressentir), Logos (façon de comprendre la réalité), le Ethos (notre façon de vivre et de bien vivre), Éros (notre pouvoir vital) et le Daimon (la voix de la conscience).

Cet idéal a été excellemment exprimé par Péericles (495-429 av. J.-C.), grand homme d'État démocrate, général et excellent orateur, à Athènes : « Nous aimons le beau mais pas le vulgaire ; nous nous adonnons à la sagesse, mais sans nous vanter ; nous utilisons la richesse pour des entreprises nécessaires, sans ostentation inutile ; la pauvreté n’est honteuse pour personne ; Il est honteux de ne pas faire tout son possible pour l’éviter.

Voici un exemple de juste mesure. Non sans raison sur tous les portiques des temples grecs on pouvait lire : meden agan (rien d'excessif).

Mais bientôt la soif de pouvoir, caractéristique d'Alexandre le Grand (356-323 av. J.-C.), qui, à l'âge de 33 ans, étendit son empire jusqu'à l'Inde, rompit la balance. La raison, transformée en volonté de puissance et en instrument de domination sur autrui et sur la nature, a gagné la primauté. C’est ce qui sous-tend encore aujourd’hui la manière dont nous organisons nos sociétés, en particulier sa forme la plus excessive et la plus inhumaine, le capitalisme, qui s’est emparé du monde entier.

Ce type de raison analytique instrumentale occidentale est devenu mondial. Cela pourrait-il être différent ? Était-ce inévitable ? Ce que nous pouvons dire, c’est qu’il s’agissait d’une option historico-sociale, notre « destin manifeste » aujourd’hui dans une crise radicale de ses fondements..

Je veux donner l'exemple d'une culture qui a placé le cœur, et non la raison, comme axe structurant de son organisation sociale : la culture Nahuatl originaire du Mexique et d'Amérique centrale (il y a aujourd'hui environ 3,3 millions d'habitants), ce groupe ethnique étant les Aztèques et les Toltèques. La langue Nahuatl Il est parlé dans plusieurs États mexicains par 1,6 million de personnes. Pour ceux nahuatles le cœur occupe une place centrale. La définition de l'être humain n'est pas, comme chez nous, celle d'un animal rationnel, mais celle d'un « propriétaire d'un visage et d'un cœur ».

Le type de visage identifie et distingue l'être humain des autres visages. C’est dans le face à face, dans le face à face, que naît l’impératif éthique, nous a appris Levinas. Il est écrit sur nos visages si nous accueillons les autres, si nous nous méfions d'eux, si nous les excluons. Le cœur, à son tour, définit la manière d'être et le caractère de la personne, sa sensibilité envers les autres, son accueil cordial et sa compassion envers ceux qui souffrent.

L'éducation raffinée de Nahuatl, conservé dans de beaux textes, visait à former chez les jeunes un « visage clair, bon et sans ombre », allié à un « cœur ferme et chaleureux, déterminé et hospitalier, solidaire et respectueux des choses sacrées ». Selon eux, c’est du cœur qu’est née la religion qui utilise « la fleur et le chant » pour vénérer ses divinités. Ils mettent tout leur cœur dans tout ce qu’ils font. Cette cordialité s'étendait aux belles œuvres d'art au point d'enchanter le peintre allemand de la Renaissance Albert Dürer lorsqu'il les contemplait.

Tirons quelques leçons de cette culture du cœur et de la cordialité.

(i) Dans tout ce que vous pensez et faites, mettez votre cœur. Un discours sans cœur semble froid et formel. Les paroles prononcées avec le cœur touchent le cœur des gens. C’est ce qui facilite la compréhension et fait gagner l’adhésion.

(ii) Essayez de combiner une émotion cordiale avec un raisonnement articulé. Ne la forcez pas car elle doit révéler spontanément sa profonde conviction dans ce qu’elle croit et ce qu’elle dit. Ce n'est qu'ainsi que vous pourrez émouvoir le cœur de l'autre et devenir convaincant.

(iii) L'intelligence intellectuelle, indispensable à l'organisation de nos sociétés complexes, lorsqu'elle réprime l'intelligence cordiale, génère une perception réductionniste et partielle de la réalité. Mais l’excès d’intelligence cordiale et sensible peut aussi dégénérer en sentimentalisme sucré et en proclamations populistes. Il est important de toujours rechercher le juste équilibre entre l’esprit et le cœur, mais en articulant les deux pôles du cœur.

(iv) Lorsque vous devez parler à un public ou à un groupe, ne parlez pas seulement avec votre tête, mais donnez la priorité à votre cœur. C'est lui qui ressent, vibre et fait vibrer. Les raisons de l'intelligence intellectuelle ne sont efficaces que lorsqu'elles sont amalgamées par la sensibilité du cœur.

(v) Croire, ce n'est pas penser à Dieu. Croire, c'est ressentir Dieu depuis la totalité de notre être, en commençant par l'intérieur, depuis le cœur. Nous réalisons alors que nous ne sommes pas soumis à un Dieu qui nous juge, mais à une réalité aimante et puissante qui nous accompagne toujours.

*Léonard Boff est écologiste, philosophe et écrivain. Auteur, entre autres livres, de Prendre soin de notre Maison commune : des indices pour retarder la fin du monde (Vozes) [https://amzn.to/3zR83dw]


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