Par LÉONARD BOFF*
La contribution du prix Nobel de chimie en 1977, le Russe-Belge Ilya Prigogine, qui rejette l'idée que tout finit en poussière cosmique
Comme peu de fois dans l'histoire générale de l'humanité, que l'on peut dater, on assiste à une situation de chaos dans toutes les directions et dans toutes les sphères de la vie humaine, de la nature et de la planète Terre dans son ensemble. Il y a des préfigurations apocalyptiques qui se présentent sous le nom d'Anthropocène (l'être humain est le grand météore menaçant la vie), de Nécrocène (mort massive d'espèces de vie) et dernièrement de Pyrocène (les grands incendies dans diverses régions de la Terre), tout cela de l'action humaine irresponsable et en conséquence du nouveau régime climatique irrépressible, et non des moindres, le risque d'une hécatombe nucléaire au point d'exterminer toute vie humaine.
Malgré les énormes avancées des sciences de la vie et de la terre, notamment dans le monde virtuel et l'Intelligence Artificielle (IA), l'optimisme ne règne pas, mais le pessimisme et l'inquiétude sérieuse quant à la fin éventuelle de notre espèce. Beaucoup de jeunes se rendent compte qu'en prolongeant et en aggravant le cours actuel de l'histoire, ils n'auront pas un avenir attrayant. Ils s'engagent courageusement dans un mouvement déjà mondial pour sauvegarder la vie et l'avenir de notre Maison commune, comme le fait prototypiquement la jeune Greta Thunberg.
L'avertissement du pape François dans son encyclique Tous les frères (2020) : « Nous sommes tous dans le même bateau ; soit nous nous sauvons tous nous-mêmes, soit personne n'est sauvé » (n. 32).
C'est dans ce contexte qu'il convient de réfléchir à l'apport de l'un des plus grands scientifiques actuels, aujourd'hui décédé, le Russe-Belge Ilya Prigogine, prix Nobel de chimie en 1977, avec ses vastes travaux mais surtout en La fin des certitudes (UNESP, 1996). Lui et son équipe ont créé une nouvelle science, la physique des processus hors équilibre, c'est-à-dire en situation chaotique.
Dans son travail, il défie la physique classique avec ses lois déterministes et montre que la flèche du temps ne recule pas (irréversibilité) et pointe vers des probabilités et jamais vers des certitudes. L'évolution même de l'univers est caractérisée par des fluctuations, des déviations, des bifurcations, des situations chaotiques, comme la première singularité du Big Bang, générateur de nouvelles commandes. Il souligne que le chaos n'est jamais simplement chaotique. Il abrite un ordre caché qui, dans certaines conditions, éclate et commence un autre type d'histoire. Le chaos peut donc être générateur, car la vie a émergé du chaos, dit Ilya Prigogine.
Chez ce scientifique qui fut aussi un grand humaniste, on trouve quelques réflexions qui ne sont pas des solutions, mais des inspirations pour débloquer notre horizon sombre et catastrophique. Elle peut générer quelque espoir au milieu du pessimisme généralisé de notre monde, désormais planétaire, malgré la lutte pour l'hégémonie du processus historique, unipolaire (USA) ou multipolaire (Russie, Chine et BRICS).
Ilya Prigogine part en disant que l'avenir n'est pas déterminé. « La création de l'univers est avant tout une création de possibles, dont certains se réalisent, d'autres non ». Ce qui peut arriver est toujours en puissance, en suspension et en état de fluctuation. Cela s'est produit dans l'histoire des grandes décimations qui se sont produites il y a des millions d'années sur la planète Terre. Il y a eu des moments, en particulier, où la Pangée (le continent unique) s'est séparée en plusieurs parties, à l'origine des différents continents. Environ 75 % de la charge biotique a disparu. Il a fallu quelques millions d'années à la Terre pour reconstituer sa biodiversité.
C'est-à-dire que de ce chaos un nouvel ordre a émergé. Il en va de même pour les 15 grandes décimations qui n'ont jamais réussi à exterminer la vie sur Terre. Il y avait plutôt un saut qualitatif et un ordre supérieur. C'est donc arrivé avec la dernière grande extinction de masse qui s'est produite il y a 67 millions d'années et qui a emporté tous les dinosaures, mais a épargné notre ancêtre qui a évolué jusqu'à ce qu'il atteigne le stade actuel de sapiens sapiens ou, de manière réaliste, sapiens e démence.
Ilya Prigogine a développé ce qu'il a appelé des « structures dissipatives ». Ils chassent le chaos et même le gaspillage en les transformant en de nouveaux ordres. Ainsi, en langage piéton, des déchets du soleil - les rayons qui se dispersent et nous parviennent - surgit presque toute la vie sur la planète Terre, permettant notamment la photosynthèse des plantes qui délivrent l'oxygène sans lequel personne ne vit. Ces structures dissipatives transforment l'entropie en syntropie. Ce qui est laissé de côté et chaotique est retravaillé dans un nouvel ordre. De cette façon, nous ne serions pas face à une mort thermique, un effondrement total de toute matière et énergie, mais à des ordres de plus en plus complexes et supérieurs jusqu'à un ordre suprême, dont le sens ultime nous est indéchiffrable. Ilya Prigogine rejette l'idée que tout finit en poussière cosmique.
En conséquence, Ilya Prigogine est optimiste face au chaos actuel inhérent au processus évolutif. A ce stade, il appartient à l'être humain de prendre la responsabilité, connaissant le dynamisme de l'histoire ouverte, de prendre des décisions qui privilégient le chaos génératif et de faire respecter les structures dissipatives qui freinent l'action létale du chaos destructeur.
« C'est à l'homme tel qu'il est aujourd'hui, avec ses problèmes, ses peines et ses joies, de faire en sorte qu'il survive à l'avenir. La tâche est de trouver le chemin étroit entre la mondialisation et la préservation du pluralisme culturel, entre la violence et la politique, et entre la culture de la guerre et celle de la raison ». L'être humain apparaît comme un être libre et créateur et pourra se transformer et transformer le chaos en cosmos (ordre nouveau).
Tel semble être le défi actuel face au chaos qui nous ronge. Soit nous prenons conscience que nous sommes responsables de vouloir continuer sur cette planète, soit nous permettons, par notre irresponsabilité, une amageddon écologique-social. Ce serait la fin tragique de notre espèce.
Avec Ilya Prigogine, nous nourrissons l'espoir humain (et aussi théologique) que le chaos actuel représente une sorte de naissance, avec les douleurs qui l'accompagnent, d'une nouvelle manière d'organiser l'existence collective de l'espèce humaine au sein de l'unique Maison Commune, y compris toute la nature sans laquelle personne ne survivrait. Si grand est le risque, disait un poète allemand, grande est aussi la chance de salut. Ou dans les mots de Écritures: "Là où le péché a abondé (chaos), la grâce a surabondé" (Ordre nouveau : Rom 5,20:XNUMX). Alors nous espérons et Dieu aussi.
*Léonard Boff Il est théologien, philosophe et écrivain. Auteur, entre autres livres, de Habiter la Terre : quel est le chemin vers la fraternité universelle (Voix).
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