Par MICHAEL LÖWY*
La vague brune à l'échelle mondiale
Jair M. Bolsonaro n'est pas un cas unique. Ces dernières années, nous avons assisté à une montée spectaculaire, partout dans le monde, de gouvernements d'extrême droite, autoritaires et réactionnaires, souvent aux traits néofascistes : Shinzo Abe (Japon) – récemment remplacé par son bras droit – Modi (Inde), Trump (USA) – a perdu la présidence mais reste une force politique lourde – Orban (Hongrie), Erdogan (Turquie) en sont les exemples les plus connus. A cela, il faut ajouter les différents partis néo-fascistes à base de masse, candidats au pouvoir, notamment en Europe : les Rassemblement National de la famille Le Pen en France, le Alliage de Salvini en Italie, le Afd en Allemagne, le FPO en Autriche, etc.
Le néofascisme n'est pas une répétition du fascisme des années 1930 : c'est un phénomène nouveau, avec des caractéristiques du XXIe siècle, par exemple, il ne prend pas la forme d'une dictature policière, mais respecte certaines formes démocratiques : élections, pluralisme des partis, liberté de la presse, existence d'un Parlement, etc. Naturellement, il essaie, dans la mesure du possible, de limiter au maximum ces libertés démocratiques, par des mesures autoritaires et répressives. Il ne s'appuie pas non plus sur des troupes de choc armées, comme l'étaient les SA allemandes ou le Fascio italien. Certes, plusieurs groupes paramilitaires néo-fascistes se sont mobilisés pour soutenir Donald Trump, mais ils n'ont jamais pris un caractère de masse. Il en va de même pour les milices qui gravitent autour de Bolsonaro et de ses enfants.
Mais la différence la plus importante entre les années 1930 et aujourd'hui se situe dans le domaine économique : les gouvernements néo-fascistes développent une politique économique typiquement néolibérale, loin du modèle nationaliste-corporatiste du fascisme classique.
La gauche dans son ensemble, à quelques exceptions près, a largement sous-estimé ce danger. Il n'a pas vu venir la « vague brune » et n'a donc pas vu la nécessité de prendre l'initiative d'une mobilisation antifasciste. Pour certains courants de gauche qui ne voient dans l'extrême droite qu'un effet secondaire de la crise et du chômage, ce sont les causes qu'il faut attaquer, pas le phénomène fasciste lui-même. Ce raisonnement typiquement économiste a désarmé la gauche face à l'offensive idéologique raciste, xénophobe et nationaliste du néo-fascisme.
C'est une erreur, partagée par beaucoup à gauche, de supposer que le néo-fascisme est essentiellement basé sur la « classe moyenne ». Aucun groupe social n'est à l'abri de la brûlure brune. Les idées néo-fascistes, en particulier le racisme, ont infecté une partie importante non seulement de la petite bourgeoisie et des chômeurs, mais aussi de la classe ouvrière. C'est particulièrement notable dans le cas des États-Unis, où Donald Trump a gagné le soutien de la grande majorité des Blancs du pays, de toutes les classes sociales. Mais cela s'applique également à notre Trump tropical, Jair Bolsonaro.
Le principal thème d'agitation de la plupart de ces régimes ou partis est le racisme, la xénophobie, la haine des immigrés : mexicains aux États-Unis, noirs ou arabes en Europe, etc. Ces idées n'ont rien à voir avec la réalité de l'immigration : le vote pour Le Pen, par exemple, a été particulièrement élevé dans certaines zones rurales qui n'ont jamais vu un seul immigré.
L'analyse gauchiste « classique » du fascisme l'explique essentiellement comme un instrument du grand capital pour écraser la révolution et le mouvement ouvrier. Partant de ce postulat, certains à gauche soutiennent qu'étant donné qu'aujourd'hui le mouvement ouvrier est très affaibli et que la menace révolutionnaire n'existe pas, le grand capital n'aurait aucun intérêt à soutenir les mouvements d'extrême droite, de sorte que le risque d'une offensive brune serait n'existe pas. Il s'agit, encore une fois, d'une lecture économiste qui ne tient pas compte de l'autonomie du phénomène politique. Les électeurs peuvent, en effet, choisir un parti qui n'a pas le soutien de la grande bourgeoisie. De plus, cet argument économique étroit semble ignorer le fait que le grand capital peut s'adapter à toutes sortes de régimes politiques sans trop d'introspection.
Mouvements néofascistes en Europe
En Europe aujourd'hui (en 2021), il y a actuellement peu de gouvernements de type néo-fasciste : la Hongrie d'Orban en est le parfait exemple. Mais il existe un grand nombre de partis avec un soutien de masse, qui dans certains pays sont de sérieux prétendants au pouvoir.
Une tentative de typologie de l'extrême droite européenne actuelle devrait distinguer au moins trois types différents :
(1) Partis à caractère directement fasciste et/ou néo-nazi : par exemple, Golden Dawn, de Grèce (récemment dissous) ; le secteur droit, d'Ukraine ; le Parti national démocrate en Allemagne ; et plusieurs autres forces plus petites et moins influentes.
(2) Partis néo-fascistes, c'est-à-dire avec de fortes racines et composantes fascistes, mais qui ne peuvent pas être identifiés avec le modèle fasciste classique. C'est le cas, sous différentes formes, des Rassemblement national, de France; de FPO, d'Autriche; C'est de L'inquiétude de Fleam, de Belgique, entre autres.
(3) Partis d'extrême droite qui n'ont pas d'origine fasciste mais partagent son racisme, sa xénophobie, sa rhétorique anti-immigrés et son islamophobie. Les exemples sont l'italien La Ligue du Nord, les Suisses UDC (Union démocratique du Centre), les Britanniques ukip (Parti de l'indépendance du Royaume-Uni), le Parti néerlandais de la liberté, le Parti progressiste norvégien, le Parti des vrais Finlandais (Les vrais Finlandais) et le Parti populaire danois. Les démocrates suédois sont un cas intermédiaire, aux origines clairement fascistes (et néo-nazies), mais qui ont fait de gros efforts, depuis les années 1990, pour présenter une image plus « modérée ».
Comme pour toutes les typologies, la réalité est plus complexe et certaines de ces formations politiques semblent appartenir à plusieurs types différents. Il faut également tenir compte du fait qu'il ne s'agit pas d'une structure statique, mais en mouvement constant. Certains de ces partis semblent passer d'un type à un autre.
Mouvements néofascistes en Europe de l'Est - les anciennes « Démocraties populaires » - comme le parti hongrois Jobbik, le Parti de la Grande Roumanie et le attaque, de Bulgarie, ainsi que des partis similaires des Républiques balkaniques, d'Ukraine, d'ex-Yougoslavie, etc., ont des traits communs qui sont, dans une certaine mesure, distincts de leurs homologues occidentaux : (a) le bouc émissaire est moins l'étranger immigré que les minorités nationales traditionnelles : Juifs et Tsiganes ; (b) directement liés ou tolérés par ces partis, des gangs racistes violents attaquent, et parfois tuent, des Roms [Tsiganes] ; (c) farouchement anticommunistes, ils se considèrent comme les héritiers des mouvements nationalistes et/ou fascistes des années 1930, qui ont souvent collaboré avec le Troisième Reich. L'échec désastreux de la soi-disant « transition » (vers le capitalisme), sous la houlette des partis libéraux et/ou sociaux-démocrates, a créé des conditions favorables à l'émergence de courants d'extrême droite.
Une idée fausse : le « populisme »
Le concept de « populisme » (ou « populisme de droite ») employé par certains politologues, les médias et même la gauche est tout à fait inadéquat pour expliquer la nature des mouvements néo-fascistes en Europe, ne servant qu'à semer la confusion.
En Amérique latine des années 1930 aux années 1960, le terme populisme correspondait à quelque chose de très spécifique : des gouvernements nationaux-populaires ou des mouvements autour de figures charismatiques – Vargas, Perón, Cárdenas – avec un large soutien populaire et une rhétorique anti-impérialiste. Pourtant, son usage français (ou européen) à partir des années 1990 est totalement trompeur. L'un des premiers à utiliser ce terme pour caractériser le mouvement de Le Pen fut le politologue P.-A. Taguieff, qui a défini le populisme comme "un style rhétorique directement concerné par l'appel au peuple". D'autres spécialistes des sciences sociales se réfèrent au populisme comme « une position politique qui se range du côté du peuple contre les élites » - une caractérisation qui convient à presque tous les partis ou mouvements politiques ! Lorsqu'il est appliqué à Rassemblement national ou d'autres partis européens d'extrême droite, ce pseudo-concept se transforme en un euphémisme trompeur qui contribue – délibérément ou non – à les légitimer, à les rendre plus acceptables voire attractifs – ceux qui ne sont pas pour le peuple contre les élites ? – tout en évitant soigneusement les termes dérangeants de racisme, xénophobie, néo-fascisme. Le « populisme » est aussi délibérément utilisé de manière mystificatrice par les idéologues néolibéraux et les médias en Europe, afin de faire un amalgame entre l'extrême droite, par exemple en France, et Rassemblement National (RN) de la famille Le Pen, et de la gauche radicale, le France Insoumise de Jean-Luc Melanchon, qualifié de « populisme de droite » et de « populisme de gauche ».
Jean-Yves Camus, politologue français respecté, a expliqué que des partis comme le RN pourraient être qualifiés de "populistes" car ils "prétendent remplacer la démocratie représentative par la démocratie directe" et opposent le "bon sens populaire" aux "élites naturellement perverties". C'est un argument très erroné, puisque l'appel à la démocratie directe, la critique de la représentation parlementaire et des élites politiques est beaucoup plus présente chez les anarchistes et autres courants politiques d'extrême gauche que chez l'extrême droite, dont le projet politique privilégie l'autoritarisme. Heureusement, Camus, qui est l'un des meilleurs connaisseurs de l'extrême droite française et européenne, a récemment corrigé son point de vue, arguant en 2014 qu'il fallait éviter d'utiliser le terme de « populisme », qui a été utilisé « pour discréditer toute critique du consensus idéologique néolibéral, toute remise en cause de la polarisation du débat politique européen chez les libéraux conservateurs, toute expression dans les urnes du sentiment populaire au mépris des dysfonctionnements de la démocratie représentative ». .
Le cas brésilien : le néo-fascisme de Bolsonaro
Jair Bolsonaro n'est ni Hitler ni Mussolini, malgré certaines postures mussoliniennes. Certes, un de ses ministres a eu la malencontreuse idée de citer Göbbels, mais il a dû démissionner…
Ce n'est pas non plus une nouvelle version de Plinio Salgado et de ses « poulets verts » intégristes, admirateurs du fascisme européen. C'est un phénomène nouveau, avec ses propres caractéristiques.
Ce que Bolsonaro a en commun avec le fascisme classique, c'est l'autoritarisme, la préférence pour les formes dictatoriales de gouvernement, le culte du Patron ("Mythe") Salvador da Pátria, la haine de la gauche et du mouvement ouvrier. Mais il n'a pas les conditions pour établir une dictature, un régime fasciste. Son désir, ouvertement exprimé par ses fils, serait d'imposer une nouvelle AI-5, de dissoudre la Cour supérieure fédérale [STF] et de mettre hors la loi les syndicats et les partis d'opposition. Mais il lui manque pour cela le soutien à la fois des classes dirigeantes et des forces armées, peu intéressées, pour le moment, par une nouvelle aventure dictatoriale.
L'autoritarisme de Bolsonaro se manifeste, entre autres, dans son "traitement" de l'épidémie, tentant d'imposer, contre le Congrès, contre les gouvernements des États, et contre ses propres ministres, une politique aveugle de refus des mesures sanitaires minimales, indispensables pour tenter de limiter les conséquences dramatiques de la crise (confinement, vaccination, etc.). Son attitude a aussi des traces de social-darwinisme (typique du fascisme) : la survie du plus fort. Si des milliers de personnes vulnérables – personnes âgées, personnes à la santé fragile – meurent, c'est le prix à payer : « Le Brésil ne peut pas s'arrêter » !
Une autre spécificité du néo-fascisme bolsonariste est la obscurantisme, mépris de la science, en alliance avec ses soutiens inconditionnels, les secteurs les plus arriérés du néo-pentecôtisme évangélique. Cette attitude, digne d'un terrien plat, n'a pas d'équivalent dans d'autres régimes autoritaires, même ceux dont l'idéologie est l'intégrisme religieux. Max Weber a fait la distinction entre la religion, fondée sur des principes éthiques, et la magie, la croyance aux pouvoirs surnaturels du prêtre. Dans le cas de Bolsonaro et de ses amis pasteurs néo-pentecôtistes (Malafaia, Edir Macedo, etc.), il s'agit bien de magie ou de superstition : stopper l'épidémie par des « prières » et des « jeûnes »…
Bien que Bolsonaro n'ait pas été en mesure d'imposer son programme meurtrier dans son ensemble, il a contribué notablement à faire du Brésil le deuxième pays le plus durement touché (après les États-Unis de Trump) en termes de nombre de morts à l'échelle internationale.
Comme on le sait, le grand modèle politique de Bolsonaro est Donald Trump. C'est vrai, Bolsonaro ne représente pas une puissance impérialiste comme les États-Unis ! De plus, il n'a pas le soutien d'un grand parti conservateur, comme le Parti républicain américain, qui contrôle la moitié du Congrès et du Sénat. Mais ils ont plusieurs éléments en commun, en plus du style grossier, vulgaire, sexiste et provocateur :
(I) La haine à gauche. Trump dénonce tous ses opposants, même les plus modérés, comme responsables d'un complot visant à imposer le « socialisme » aux États-Unis. Pour Bolsonaro, l'anticommunisme est une véritable obsession, dans un climat de haine exacerbée hors de tout contexte international (la guerre froide s'est terminée il y a trente ans). Son plus grand souhait serait de « tuer 30 XNUMX communistes » pour « nettoyer le Brésil », le terme « communisme » faisant référence à toute force politique modérément progressiste (comme le PT).
(II) L'idéologie répressive, le culte de la violence policière, la défense de la peine de mort et l'incitation à la diffusion massive des armes à feu. L'impunité des policiers responsables de la mort d'innombrables innocents, généralement noirs, est un principe fondamental pour les deux. Pendant des années, Bolsonaro a été l'un des leaders du "banc des balles" au Congrès national et ses relations avec les groupes paramilitaires - parmi lesquels les assassins de Marielle Franco ont été recrutés - sont bien connues. Quant à Trump, le lobby des armes à feu (National Rifle Association) est l'un de ses principaux piliers.
(III) La rhétorique nationaliste, « l'Amérique d'abord », « le Brésil avant tout », sans remettre en cause la mondialisation capitaliste néolibérale. Une caractéristique essentielle du néo-fascisme de Bolsonaro est que, malgré son discours ultranationaliste et patriotique, il est totalement subordonné à l'impérialisme américain, d'un point de vue économique, diplomatique, politique et militaire. Cela s'est également manifesté dans la réaction au coronavirus, lorsque Bolsonaro et ses ministres ont été vus imiter Donald Trump, accusant… les Chinois de l'épidémie.
(IV) Négationnisme climatique. Alors que Trump se retirait des accords de Paris et détruisait tous les contrôles et obstacles à l'exploitation effrénée du charbon, du pétrole et du gaz, en étroite alliance avec l'oligarchie fossile, Bolsonaro a profité de la crise du Covid 19 pour (selon les mots de son ministre de l'Environnement ) "laisser passer le bétail" en Amazonie. Résultat : les plus grands incendies en Amazonie de ces dernières décennies et une offensive féroce de l'agro-industrie contre la forêt et ses défenseurs indigènes – ces « ennemis du progrès » selon Bolsonaro.
Avec la défaite électorale de Trump, Bolsonaro a perdu son principal soutien international et ses prétentions autoritaires et dictatoriales sont sapées. Il est difficile d'imaginer un coup d'État AI-5 au Brésil aujourd'hui sans le feu vert de l'empire américain, ce qui aurait pu être le cas du temps de Trump, mais pas avec la nouvelle administration américaine (qui défend d'autres modalités de politique impérialiste) .
Le gouvernement de Jair Bolsonaro, tout en présentant certaines similitudes avec les mouvements néo-fascistes en Europe, présente plusieurs spécificités. Examinons quelques-unes des principales différences qui font du bolsonarisme un phénomène sui generis:
( 1) Alors qu'en Europe il existe, dans plusieurs pays, une continuité politique et idéologique entre les mouvements néo-fascistes actuels et le fascisme classique des années 1930, cela ne se produit pas au Brésil. Le fascisme brésilien, l'intégralisme, a pris beaucoup de poids dans les années 1930, influençant même le coup d'État d'Estado Novo en 1938. Mais le bolsonarisme n'a pas grand-chose à voir avec cette vieille matrice ; sa principale référence est bien plus la dictature militaire brésilienne (1964-1985), avec son climat de « chasse aux communistes ». Comme on le sait, l'idole politique de Bolsonaro est Coronel Brilhante Ustra, responsable du DOI-CODI à São Paulo, où d'innombrables résistants contre la dictature ont été torturés ou assassinés.
(2) Il n'y a pas de partis de masse néo-fascistes au Brésil, comme en Europe. Bolsonaro, bien qu'il ait une base populaire importante, n'a jamais été capable d'organiser un grand parti ; pour se faire élire, il rejoint le petit PSL (Parti social-libéral), avec lequel il finit par rompre peu après.
(3) Contrairement à l'Europe (et aux États-Unis, avec Trump), le néo-fascisme au Brésil n'a pas fait du racisme sa bannière principale. Les thèmes racistes n'étaient pas absents de la campagne électorale de Bolsonaro, mais ce n'était en aucun cas son sujet principal. Un parti brésilien qui tenterait de faire du racisme son programme fondamental n'obtiendrait jamais 25% des voix comme dans plusieurs pays européens, ou 45% comme aux États-Unis…
(4) Le thème de la lutte contre la corruption est présent chez les néo-fascistes en Europe, mais de manière relativement marginale. Au Brésil, c'est une vieille tradition, depuis les années 1940, des conservateurs : le drapeau de la lutte contre la corruption est hissé pour justifier le pouvoir des oligarchies traditionnelles et, selon les cas, pour légitimer les coups d'État militaires. Dans la campagne de Bolsonaro, c'était un thème clé, présentant à tort le Parti des travailleurs (PT) comme seul responsable de la corruption.
(5) L'homophobie n'est pas un sujet de campagne fréquent dans l'extrême droite européenne, à quelques exceptions près. Le Brésil a une longue tradition de culture homophobe, mais cela n'a jamais fait l'objet de lutte politique. Avec le néo-fascisme de Bolsonaro, en alliance avec les Églises néo-pentecôtistes, il est devenu, pour la première fois de l'histoire, l'un des thèmes principaux de sa campagne électorale, dénonçant le PT, dans un véritable déluge de fausses nouvelles, en tant qu'instigateur d'un programme visant à "transformer les enfants brésiliens en homosexuels".
Fragilisé par les différents scandales politiques et financiers impliquant sa famille, la catastrophe sanitaire et la défaite de son protecteur international (Trump), Bolsonaro parvient à se maintenir au pouvoir grâce au soutien des classes dirigeantes brésiliennes – agroalimentaire, oligarchie industrielle et financière – et la classe politique corrompue et opportuniste qui contrôle la Chambre des députés et le Sénat. Pour la bourgeoisie brésilienne, ce qui est essentiel, c'est le programme néolibéral - baisses d'impôts, compressions salariales, coupes dans les dépenses publiques, privatisations, etc. – représenté par le ministre Guedes. De plus, il a toujours le soutien d'une partie importante de la population brésilienne, motivée par le néo-pentecôtisme réactionnaire, ou par la haine du PT.
La lutte de la gauche et des forces populaires brésiliennes contre le néo-fascisme en est encore à ses balbutiements ; il faudra plus que quelques rassemblements ou quelques belles protestations à la casserole pour vaincre cette formation politique tératologique. Bien sûr, tôt ou tard, le peuple brésilien se libérera de ce cauchemar néo-fasciste. Mais quel sera le prix à payer d'ici là ?
Il n'y a pas de recette magique pour combattre l'extrême droite néo-fasciste. Il faut s'inspirer – avec une distance critique appropriée – des traditions antifascistes du passé, mais il faut aussi savoir innover, pour répondre aux nouvelles formes de ce phénomène. Le mouvement antifasciste ne sera efficace et crédible que s'il est motivé par des forces extérieures au consensus néolibéral dominant.
Le système capitaliste, surtout en période de crise, produit et reproduit des phénomènes tels que le fascisme, le racisme, les coups d'État et les dictatures militaires. La racine de ces phénomènes est systémique et l'alternative doit être radicale, anti-systémique. C'est-à-dire un socialisme libertaire et écologique qui dépasse les limites des mouvements socialistes du siècle dernier – l'engagement social-démocrate envers le système et la dégénérescence bureaucratique du soi-disant « socialisme réel » –, mais récupère les traditions révolutionnaires brésiliennes , de Zumbi dos Palmares et Tiradentes à Carlos Marighella et Chico Mendes.
*Michael Lowy il est directeur de recherche au Centre National de la Recherche Scientifique (France). Auteur, entre autres livres, de Marxisme contre positivisme (Cortez).
notes
[1] P.-A. Taguieff, Le populisme et la science politique, Vingtième siècle, 1997. p. 8.
[2] Voir l'intéressant livre d'Annie Collovald. Le « populisme du FN », un dangereux contresens. Broissieux : Éditions du Croquant, 2004. p. 53 et 113. (Col. Raisons d'Agir.)
[3] Jean-Yves Camus. Les droites mutantes extrêmes en Europe. Le Monde Diplomatique,P. 18-19 mars. 2014.