Entre oral et visuel

Image_Adir Sodre
Whatsapp
Facebook
Twitter
Instagram
Telegram

Par IN DE MELO ET CASTRO*

Un essai du poète portugais récemment décédé

On peut imaginer un parcours diachronique de la parole poétique de l'oralité à l'écriture et de celle-ci à la poésie visuelle. On peut noter, dans un acte historico-classificatif, que la poésie visuelle apparaît systématiquement à quatre reprises dans l'histoire de l'art occidental : à l'époque alexandrine, à la renaissance carolingienne, à l'époque baroque et au XXe siècle.

On voit aussi que chacune de ces éclosion de poésie visuelle est liée à la fin d'une période historique et au début d'une nouvelle ère. La poésie visuelle serait ainsi « un signe de transformation, un cri du poète, car le contenu du passé est cancéreux et une nouvelle peau doit être produite pour contenir les rêves du futur – une affirmation que rien de significatif ne peut jamais être dit. avant de restructurer la conception de base de ce qu'est une culture historique ». C'est par exemple l'avis du nord-américain Geoffrey Cook.

Une telle vision historique me paraît pourtant trop facile, outre les attraits qu'elle a incontestablement comme valorisant de la fonction de la poésie visuelle, dans un monde en mutation. Fonction qui réside principalement dans le pouvoir de synthèse de la communication visuelle. Force qui se connecte simultanément à deux types de structures : aux formations archétypales qui seront à la base du fonctionnement de l'activité mentale humaine (voir Jung) ; et aux mouvements de synthèse qui, après les moments analytiques-rationalistes des première et deuxième révolutions industrielles, ont permis l'équilibre qualitatif, dans le développement futur de la spirale, dialectique déjà projetée au XXIe siècle.

Cependant, ce type de réflexion ne peut nous donner plus qu'un cadre abstrait pour quelque chose de très concret : la pratique de la poésie visuelle, dans sa relation interdisciplinaire et intertextuelle, avec d'autres formes d'articulation du mot et de production d'images. C'est ainsi que nous sommes amenés à considérer, de manière synchrone, une vaste gamme de productions verbales et non verbales qui s'entremêlent entre oralité et visualité, comme s'il s'agissait d'un réseau complexe de traductions et d'équivalences. Oralité et visualité conçues comme qualités rayonnantes des signes à travers lesquelles nous percevons leur existence, à travers les sens de l'ouïe et de la vue.

Deux zones de structuration de ces signes peuvent être schématisées en séries combinatoires, plus ou moins articulées : la zone de communication orale et la zone de communication visuelle, que l'on peut représenter graphiquement en deux quadrants, respectivement gauche et droit.

Le quadrant gauche, étant celui de l'oralité, contiendra les valeurs sonores, temporelles, rythmiques qui tendront à la musique. Le quadrant droit, étant celui de la visualité, contiendra les valeurs visuelles et spatiales qui tendront vers les arts visuels (dans le système de classification des beaux-arts, encore couramment utilisé). La poésie visuelle correspondra donc à un investissement des signes à partir desquels se forment les poèmes (lettres, mots, images) dans le quadrant droit, c'est-à-dire dans les valeurs spatiales et visuelles, au détriment des valeurs sonores et temporelles qui prédominent dans poésie non verbale visuelle.

Or, cette schématisation, si elle a valeur pédagogique, est réductionniste, puisque la poésie visuelle n'abdique pas les valeurs temporelles et sonores, comme la poésie conventionnellement écrite, qui joue dans le quadrant de l'oralité, et n'abdique pas, non plus, les valeurs visuelles et spatiales. et leur fait souvent appel, dans sa fonction imagée.

C'est bien là le thème de ce texte : essayer d'établir un système de relations signifiantes entre chacune des poétiques qui jouent préférentiellement dans l'un et l'autre quadrant ; premièrement, par une formulation théorique adéquate, deuxièmement, par des exemples visuels et sonores de textes-poèmes.

Avant de poursuivre, je pense qu'il est nécessaire de faire une parenthèse pour avertir qu'il ne s'agit pas de l'idée d'illustrer des poèmes par des dessins, des peintures ou des photographies, ni même, sans le sens inverse, de la stimulation de la production verbale par la contemplation d'images picturales, un revivalisme très en vogue chez nous.

Ce qui est proposé ici, c'est la construction d'équivalences structurelles entre deux systèmes sémiotiques, l'oral et le visuel, pour que des formulations « verbi-vocales-visuelles » puissent être mises en œuvre, comme le propose le groupe Noigandres, de São Paulo, à propos de James Joyce. Équivalence qui se jouera dans chacun des deux quadrants évoqués, à travers les spécifications caractéristiques respectives, de l'oral et du visuel, mais qui, pour cette raison même, permettra un réseau simultané de stimuli et de perceptions synesthésiques au lecteur-utilisateur de le poème.

La notion de « signe interprétant » de Charles S. Pierce peut être utile comme équipement théorique pour comprendre ce réseau d'équivalences. Pierce dit : « Un signe, ou representamen, est ce qui, sous un certain aspect ou d'une certaine manière, représente quelque chose pour quelqu'un. Il s'adresse à quelqu'un, c'est-à-dire qu'il crée dans l'esprit de cette personne un signe équivalent, ou peut-être un signe plus développé, le signe dit « interprétant » du premier signe. Le signe représente quelque chose, son objet.

Il est aisé de constater que c'est au niveau du signe interprétant que s'exerce la fonction lecture-usage du poème. Il est donc intéressant de caractériser les signes interprétatifs qui sont en jeu, respectivement dans les quadrants visuel et oral. Dans le quadrant visuel, le signe interprétatif est spécifiquement synchronique, compact, synthétique, spatial, concret. Dans le quadrant oral, le signe interprétatif est spécifiquement diachronique, extensif, analytique, temporel, abstrait. Ainsi, des paires antithétiques de caractéristiques spécifiques peuvent être établies, à travers lesquelles des relations valides ou interdisciplinaires peuvent être établies, qui constituent un défi à la créativité de l'artiste et aussi à la capacité de lecture du lecteur.

Le poète travaille évidemment avec ce que Peirce appelle «representamen» qui sont constitués par les matériaux qu'il utilise : les sons dans le cas de l'oralité (même s'ils sont écrits), les lettres et les signes graphiques, dans le cas de la visualité. Le travail de construction des textes, dans chacun de ces domaines, ne peut abdiquer la spécificité caractéristique des signes (representamen) utilisé. Ce n'est donc pas au niveau du signe, qu'il soit visuel ou oral, que l'on peut chercher des équivalences, mais plutôt dans les articulations scripturaires qui vont chercher chez le lecteur des signes interprétatifs équivalents.

Avant de procéder à quelques exemples pratiques de la possibilité créative d'établir ces équivalences, je pense qu'il est nécessaire de clarifier, quoique brièvement, certaines notions qui aideront à une lecture plus correcte des exemples que je propose. Ainsi, je considérerai qu'il existe des relations interdisciplinaires lorsque, par des formulations identiques dans deux disciplines différentes du savoir, des transferts de terminologie ou de principes peuvent s'établir. L'établissement de couples anrthéiques entre concepts spécifiques de deux disciplines permet également des transferts de ce type. Les relations intertextuelles se caractérisent, comme on le sait, par la récupération et l'altération du texte, à travers des moments plagiotropes et des parodies.

Les relations intratextuelles renvoient, quant à elles, aux éléments structurels d'un texte donné. Enfin, comme relations intersémiotiques, celles qui s'établissent entre deux codes différents peuvent être conçues, comme une possible équivalence entre les signes interprétants, mais qui dépendent de l'organisation structurelle du representamen. Ces notions un peu synthétiques, je le répète, ne se justifient que parce que ce sera autour d'elles que sera proposée la lecture de quelques exemples de poèmes, du pôle extrême de l'oralité au pôle extrême de la visualité, en passant par divers degrés d'interéquivalence.

Ensuite, plusieurs types de ces interéquivalences semi-optiques sont montrés dans des poèmes de différents types :

Exemple XNUMX — Poème Rondel do Alentejo, de José de Almada Negreiros. Notez d'abord la musicalité comme valeur stylistique dominante. Les valeurs sonores et rythmiques sont liées diachroniquement. Mais le texte est tissé, cependant, à partir d'images visuelles, ce qui se traduit par un climat synesthésique dynamique dans lequel les rimes, les allitérations, les répétitions et les parallélismes sont totaux.

RONDEL DO ALENTEJO

dans le minaret
mat
chauve-souris
mince
vert neige
menuet
du clair de lune

Minuit
du secret
sur le rocher
une nuit
du clair de lune
yeux chers
Morgada
orné
avec des préparations
du clair de lune

traverser le brouillard
tambourins
brunes
danse du mardi
et belle
les guépards dansent
et vestes
sont les bandes
relief
du clair de lune

le châle vole
Andorinha
pour le bal
c'est la vie
maladif
et l'ermite
Au clair de lune

dentelle
écarlate
de cocottes
joie
de Marie
La-ri-tate
en fête
du clair de lune

tourner les pieds
les étapes tournent
tournesols
et les casquettes
et les bras
de ces deux
les boucles tournent
Au clair de lune

le gilet
de cette Vierge
devenir fou
avec
de la fusée
dans le vertige
du clair de lune

dans le minaret
mat
chauve-souris
mince
vert neige
menuet
du clair de lune

(1913)

Exemple 2 – L'écriture manuscrite de Roland Barthes ou le « signifiant sans sens ». Cependant, on peut se demander s'il existe réellement un signifiant sans sens... puisque tout signe est le signifiant d'un objet, même s'il est purement esthétique, c'est-à-dire non traduisible dans un autre code, par exemple idéologique ou d'une autre nature. Et qu'un signe purement esthétique ne peut exister en tant que tel, puisqu'il peut y avoir un « interprétant » toujours ouvert.

Exemple 3 : poème concret de EM de Melo e Castro dans lequel les signes visuels structurés en formes spirales ouvertes et dynamiques proposent simultanément un son sifflant, fragmenté et anesthésiant.

*EM de Melo et Castro (1932-2020) était poète, essayiste, écrivain et artiste. Il a été professeur invité dans le domaine des études comparatives des littératures en langue portugaise à l'USP. Auteur, entre autres livres, de Anthologie éphémère (Lacerda).

Extrait de livre Poétique des médias et de l'art high-tech. Lisbonne : éd. Voir, 1988.

 

 

Voir tous les articles de

10 LES PLUS LUS AU COURS DES 7 DERNIERS JOURS

Chronique de Machado de Assis sur Tiradentes
Par FILIPE DE FREITAS GONÇALVES : Une analyse à la Machado de l’élévation des noms et de la signification républicaine
Dialectique et valeur chez Marx et les classiques du marxisme
Par JADIR ANTUNES : Présentation du livre récemment publié de Zaira Vieira
L'écologie marxiste en Chine
Par CHEN YIWEN : De l'écologie de Karl Marx à la théorie de l'écocivilisation socialiste
Umberto Eco – la bibliothèque du monde
De CARLOS EDUARDO ARAÚJO : Réflexions sur le film réalisé par Davide Ferrario.
Culture et philosophie de la praxis
Par EDUARDO GRANJA COUTINHO : Préface de l'organisateur de la collection récemment lancée
Pape François – contre l’idolâtrie du capital
Par MICHAEL LÖWY : Les semaines à venir diront si Jorge Bergoglio n'était qu'une parenthèse ou s'il a ouvert un nouveau chapitre dans la longue histoire du catholicisme
Kafka – contes de fées pour esprits dialectiques
De ZÓIA MÜNCHOW : Considérations sur la pièce, mise en scène Fabiana Serroni – actuellement à l'affiche à São Paulo
La grève de l'éducation à São Paulo
Par JULIO CESAR TELES : Pourquoi sommes-nous en grève ? la lutte est pour l'éducation publique
Le complexe Arcadia de la littérature brésilienne
Par LUIS EUSTÁQUIO SOARES : Introduction de l'auteur au livre récemment publié
Jorge Mario Bergoglio (1936-2025)
Par TALES AB´SÁBER : Brèves considérations sur le pape François récemment décédé
Voir tous les articles de

CHERCHER

Recherche

SUJETS

NOUVELLES PUBLICATIONS