L'école du parti : le chaos

Image : Groupe d'action
Whatsapp
Facebook
Twitter
Instagram
Telegram

Par LUCIANO NASCIMENTO*

L'éducation est la source nécessaire de toute possibilité de se débarrasser de la barbarie qui nous entoure

« L'incivilité » est évidente dans le scénario éthico-politique résultant de la détérioration des liens de responsabilité sociale entre les individus et entre ceux-ci et l'État. Cette dégradation a été accélérée par la médiatisation et la financiarisation croissantes des dynamiques socio-économiques dans une contemporanéité mondialisée. J'ai abordé cette question dans l'article "(In)civil Engineering" publié sur le site la terre est ronde [https://dpp.cce.myftpupload.com/engenharia-incivil/].

Au Brésil, otage du désarroi (le désarroi actuel entre bêtise superbe, anti-scientificisme hallucinant, intégrisme pseudo-religieux, truculence milicienne et ultralibéralisme économique), l'incivilité a montré des signes d'aller « très bien, merci ». Deux exemples d'un tel bien-être peuvent être vus dans deux événements récents, séparés l'un de l'autre par moins de trente jours. Il est à noter que tous deux étaient inscrits dans le domaine de l'Éducation, source nécessaire de toute possibilité de se débarrasser de la barbarie qui nous entoure.

Les événements sont les suivants : la publication, le 30 septembre dernier, du décret 10.502/20, établissant la nouvelle Politique Nationale d'Education Spéciale – PNEE – ; et, le 21 octobre, la publication, par Agence publique, avec un rapport dénonçant la pratique de la censure de certains sujets et contenus spécifiques dans les collèges militaires de notre pays.

Une observation attentive de ces épisodes devient encore plus intéressante si l'on évoque le souvenir de la sympathie vouée par des agents du gouvernement actuel aux initiatives liées au « Movimento Escola sem Partido », qui prône une supposée libération des écoles brésiliennes de « l'idéologisation ». [sic]. Apparemment, le projet « d'écoles civico-militaires » est l'antidote avalisé par eux contre la soi-disant « menace gauchiste » [sic] qui pèse sur nos enfants.

Voyons donc rapidement dans quelle mesure le nouveau PNEE et la censure des thèmes et des contenus dans les CM traduisent bien la recherche d'une école débarrassée des idéologies, ou tout simplement la sédimentation programmée d'une société absolument incivile.

Censure et ségrégation

Le nouveau PNEE a été critiqué par de nombreux spécialistes de l'éducation, en particulier pour ce qu'il confronte au Statut des enfants et des adolescents (ECA) et à la loi brésilienne d'inclusion (LBI) : encourager la ségrégation des personnes handicapées (PCD). Cette incitation à la ségrégation n'est pas explicite dans la lettre de la loi, mais c'est sans doute une conséquence prévisible de l'assouplissement de la réglementation pour l'inscription des PCD dans les écoles ordinaires, assouplissement qui était bien prévu dans le décret. Il est légitime de prédire que les écoles ordinaires, en particulier les écoles privées, commenceront à discriminer les élèves handicapés protégés par la nouvelle politique nationale, car c'est précisément ce qui s'est passé avant la promulgation de la LCE et de la LBI, bien que la LDB déjà, depuis 1996, a encouragé l'inclusion des élèves ayant des besoins spécifiques dans les écoles et les classes régulières. Ainsi, entre autres dommages, le décret 10.502/20 ramène le fantôme de la ségrégation « légale » sur la scène de l'éducation nationale.

Toujours attentif aux éventuelles vagues de mers déjà naviguées, bien que nous soyons tous innocents jusqu'à preuve du contraire, y compris les institutions, la prétendue pratique de la censure dans les Collèges militaires n'a rien d'étonnant : la loi institutionnelle n°5 (la fameuse « AI-5 », qui a officialisé la censure dans le pays en 1968 et aujourd'hui est un motif de nostalgie pour plusieurs de nos représentants) a été signé par un général-président, sous le régime militaire. De plus, des techniques plus ou moins subtiles pour faire taire la dissidence ont tendance à se naturaliser dans des organisations telles que les forces armées, qui reposent sur les piliers de la discipline et de la hiérarchie. Il ne serait donc pas surprenant qu'il y ait vraiment de la censure dans les CM, et si vous regardez bien, il ne serait peut-être même pas si difficile d'en obtenir et de diffuser des preuves matérielles.

Censure et ségrégation sont les deux faces d'un même étrange polygone : l'image renfermée sur soi du présupposé d'une « univocité naturelle », une « logique » (très particulière) structurant la croyance en l'existence d'une vérité universelle et cartésienne. Certains appellent cette vision du monde « monisme culturel ». Pour les adeptes de ce système de croyances, la possession circonstancielle de tout pouvoir implique qu'ils sont immédiatement autorisés à déterminer qui peut et qui ne peut pas dire et/ou faire quoi. Les critères de définition de ces autorisations et interdictions en général sont assez subjectifs ; après tout, comme l'enseignent les cochons de George Orwell, "Tous les animaux sont égaux, mais certains sont plus égaux que d'autres".

Ce "iLa structuration « logique » est flagrante dans les institutions militaires et se manifeste, par exemple, dans leur obsession des catégorisations (Armée/Marine/Aviation ; fantassins/artilleurs/intendants… ; officiers/carrés…) et des standardisations (uniformes, ordre uni, uniforme procédures, mémos, etc.). Ces mécanismes disciplinaires sont évidents et s'expliquent en grande partie par le fait que, dans les milieux militaires, il est indispensable de générer et d'entretenir des « corps dociles » (cf. Foucault).

Il se trouve qu'au Brésil, surtout depuis les dernières élections présidentielles, nous assistons à la militarisation croissante des institutions civiles, avec des reflets évidents dans les relations interpersonnelles les plus ordinaires. Ce serait déjà assez problématique, mais, dans le nœud gordien de la société coloniale brésilienne, la tension est de règle : ici, en effet, depuis 2018, on assiste à la mise en place d'un dangereux « simulacre » (cf. Deleuze) de militarisation.

"Le triomphe du faux prétendant »

Il n'est pas nécessaire de retracer dans cet article les pas de Gilles Deleuze dans son essai bien connu « Platon et le simulacre », dans lequel le penseur propose de réfléchir à un « renversement du platonisme ». Cependant, l'invocation d'un passage succinct du texte deleuzien gagne en pertinence dans l'analyse entreprise ici. Il dit : « Le simulacre n'est pas une copie dégradée, il contient une puissance positive qui nie à la fois l'original et la copie, à la fois le modèle et la reproduction ». Le simulacre est donc « le triomphe du faux prétendant ».

Le nouveau PNEE et les prétendues pratiques de censure dans les CM, l'installation des écoles civico-militaires... toutes ces figures s'inscrivent dans un même cadre, celui de la simulation d'objets, d'idées et de concepts. Le PNEE n'est pas nouveau, au contraire : il réédite et redonne vie à l'ancien, et n'est rien d'autre qu'un pastiche malicieux qui permet de tromper les responsables d'enfants handicapés en leur donnant un sentiment de liberté et d'attention.

L'interdiction des contenus – qui, crûment, a tout pour être un quotidien dans les institutions scolaires « commandées », c'est le terme actuel, par des personnes formées pour optimiser l'obéissance sans critique et éliminer à tout prix le désaccord – est une pratique qui entrave toute forme d'une éducation qui se veut réellement de qualité, un engagement supposé assumé et largement proclamé dans le discours toujours auto-loueur des CM. Les écoles civi-militaires, quant à elles, naissent avec un vice d'origine : la défense du monisme culturel et la promesse de son inoculation ostensible dans l'esprit des enfants et adolescents de la génération Z (ce serait drôle si ce n'était pas tragique) . Peut-être ces institutions deviendront-elles des casernes, mais elles ne deviendront guère des écoles en fait ; plus susceptibles de se transformer en centres de torture…

Le panorama qui s'offre à nos yeux est symptomatique de la justesse de la réflexion deleuzienne : dans la puissance positive du simulacre, l'ancien est désigné comme nouveau ; le oui croise le non ; la prison est vendue comme libération. Tout cela ayant pour slogan le passage biblique : « Et vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous affranchira ». Seulement non. Vous ne saurez pas la vérité, et le mensonge vous emprisonnera.

Ce qui est en cours au Brésil, c'est la construction délibérée de ce mensonge, à l'instar d'un « grand accord national, avec… avec tout ». Ségrégation des PCD, rétention des savoirs, chaînes de montage de zombies non critiques... tout cela dissimulé par une propagande efficace qui parle de Dieu, de liberté, de bonnes mœurs et de sécurité.

Si ce projet pervers réussit, nous courons le risque sérieux d'avoir bientôt des écoles régulières exclusivement réservées aux élèves normotypiques qui n'apprendront pas à respecter et à aimer vivre avec des PCD. En tant qu'adultes, quelles raisons auront ces étudiants de tolérer même des parents et des grands-parents alités, ou ceux rendus sourds ou aveugles par la simple action imparable du temps, par exemple ?

Là où les élèves des CM apprendront qu'aucune femme "ne mérite d'être violée", personne n'est gay par "manque de coups", les quilombolas noirs ne peuvent pas être pesés par les arrobas, et les communautés indigènes ne comprennent pas nécessairement l'agro-industrie et l'exploitation minière comme un avancement naturel de " progrès"?

Dans quelle école les élèves des institutions civi-militaires apprendront-ils que la diversité identitaire est une réalité indéniable, les vaccins sont nécessaires, la Terre est ronde... c'est-à-dire oui ! », et que croire cela n'est pas une abomination ?

Le projet incivil de l'apartheid des minorités, l'extermination de la pensée critique et la reproduction en série d'un troupeau de manœuvre impliquent nécessairement la construction et la consolidation d'une école avec un parti : le parti de la simulation continue de la garantie de l'ordre social à travers la diffusion multifocale du désordre civil le plus absolu.

C'est le chaos. Et même les bons militaires le gèrent bien. Seuls les mauvais.

* Luciano Nascimento Il est titulaire d'un doctorat en littérature de l'UFSC et enseigne l'éducation de base, technique et technologique au Colégio Pedro II.

 

Voir tous les articles de

10 LES PLUS LUS AU COURS DES 7 DERNIERS JOURS

Fin des Qualis ?
Par RENATO FRANCISCO DOS SANTOS PAULA : L'absence de critères de qualité requis dans le département éditorial des revues enverra les chercheurs, sans pitié, dans un monde souterrain pervers qui existe déjà dans le milieu académique : le monde de la concurrence, désormais subventionné par la subjectivité mercantile
Le bolsonarisme – entre entrepreneuriat et autoritarisme
Par CARLOS OCKÉ : Le lien entre le bolsonarisme et le néolibéralisme a des liens profonds avec cette figure mythologique du « sauveur »
Distorsions grunge
Par HELCIO HERBERT NETO : L’impuissance de la vie à Seattle allait dans la direction opposée à celle des yuppies de Wall Street. Et la déception n’était pas une performance vide
La stratégie américaine de « destruction innovante »
Par JOSÉ LUÍS FIORI : D'un point de vue géopolitique, le projet Trump pourrait pointer vers un grand accord « impérial » tripartite, entre les États-Unis, la Russie et la Chine
Cynisme et échec critique
Par VLADIMIR SAFATLE : Préface de l'auteur à la deuxième édition récemment publiée
Dans l'école éco-marxiste
Par MICHAEL LÖWY : Réflexions sur trois livres de Kohei Saito
Le payeur de la promesse
Par SOLENI BISCOUTO FRESSATO : Considérations sur la pièce de théâtre de Dias Gomes et le film d'Anselmo Duarte
Le jeu lumière/obscurité de Je suis toujours là
Par FLÁVIO AGUIAR : Considérations sur le film réalisé par Walter Salles
Les exercices nucléaires de la France
Par ANDREW KORYBKO : Une nouvelle architecture de sécurité européenne prend forme et sa configuration finale est façonnée par la relation entre la France et la Pologne
Nouveaux et anciens pouvoirs
Par TARSO GENRO : La subjectivité publique qui infeste l'Europe de l'Est, les États-Unis et l'Allemagne, et qui, avec une intensité plus ou moins grande, affecte l'Amérique latine, n'est pas la cause de la renaissance du nazisme et du fascisme
Voir tous les articles de

CHERCHER

Recherche

SUJETS

NOUVELLES PUBLICATIONS