Par GYÖRGY LUKÁCS*
Extraits de la préface de l'auteur au livre nouvellement traduit
Le livre livré ici au public est le premier volet d'une esthétique dont le thème central est le fondement philosophique du type de posture esthétique, la déduction de la catégorie spécifique de l'esthétique et sa délimitation par rapport aux autres champs. Dans la mesure où les expositions se concentrent sur cet ensemble de problèmes et n'abordent des problèmes concrets d'esthétique que lorsque cela est essentiel pour clarifier ces questions, cette partie forme un tout fini et compréhensible même sans les parties suivantes.
Il est essentiel de préciser la place qu'occupe le comportement esthétique dans l'ensemble des activités humaines et des réactions humaines au monde extérieur, ainsi que la relation entre les formations esthétiques qui en résultent, entre leur structuration catégorielle (forme structurelle, etc.) et d'autres modes de réaction à la réalité objective. L'observation impartiale de ces relations aboutit, grosso modo, au tableau suivant : la dimension première est le comportement de l'homme dans la vie quotidienne, un domaine qui, malgré son importance centrale pour la compréhension de modes de réaction plus élevés et plus complexes, n'a pas encore été largement étudié.
Sans vouloir anticiper ici sur les points qui ont été exposés en détail au cours de l'ouvrage lui-même, il faut évoquer, le plus brièvement possible, les idées fondamentales de sa structure. Le comportement quotidien de l'homme est à la fois le début et la fin de toute activité humaine, c'est-à-dire que lorsque la vie quotidienne est imaginée comme un grand fleuve, on peut dire que, dans les formes supérieures de réception et de reproduction de la réalité, la science et l'art se ramifient. à partir de là, ils se différencient et se constituent selon leurs finalités spécifiques, ils atteignent leur forme pure dans cette particularité – qui surgit des besoins de la vie sociale puis, par suite de ses effets, de ses incidences sur la vie des hommes, pour retourner dans la rivière de la vie quotidienne.
Par conséquent, ce fleuve s’enrichit constamment des résultats les plus élevés de l’esprit humain, les assimilant à ses besoins pratiques quotidiens, et de là émergent de nouvelles ramifications des formes supérieures d’objectivation, sous forme de questions et d’exigences. Il est donc nécessaire d’examiner en détail les interrelations complexes entre la consommation immanente des œuvres scientifiques et artistiques et les besoins sociaux qui éveillent ou provoquent leur émergence. C'est de cette dynamique de genèse, de déploiement, de légalité elle-même et d'enracinement dans la vie de l'humanité que peuvent dériver les catégories et structures particulières des réactions scientifiques et artistiques de l'homme à la réalité.
Les analyses menées dans ce travail s’orientent naturellement vers la compréhension des particularités de l’esthétique. Mais comme les hommes vivent dans une réalité unitaire et sont en relation avec elle, l’essence de l’esthétique ne peut être appréhendée, ne serait-ce qu’approximativement, qu’en comparaison constante avec d’autres types de réactions. Dans ce cas, la relation avec la science est la plus importante ; cependant, il est également essentiel d’étudier la relation avec l’éthique et la religion. Même les problèmes psychologiques qui se posent ici résultent nécessairement de questions tournées vers la spécificité de la pose esthétique.
Bien évidemment, aucune esthétique ne peut s’arrêter à ce stade. Kant pouvait encore se contenter de répondre à la question méthodologique générale de la prétention à la validité des jugements esthétiques. Faisant abstraction du fait que cette question, à notre avis, n'est pas primaire, mais extrêmement dérivée du point de vue de la structure de l'esthétique, puisque l'« esthétique » hégélienne n'est apparue aucun philosophe prenant au sérieux la clarification de l'essence de l'esthétique. On peut continuer à se contenter d’un cadre aussi étroit et d’une formulation aussi unilatérale du problème dans la théorie de la connaissance.
Dans le texte suivant, nous parlerons beaucoup des aspects discutables de « l’esthétique » hégélienne, tant dans ses fondements que dans ses expositions spécifiques ; cependant, l'universalisme philosophique de sa conception et le mode historico-systématique de sa synthèse restent toujours exemplaires pour le projet de toute esthétique. Seules les trois parties de notre esthétique dans son ensemble pourront parvenir à une approximation – seulement partielle – de ce modèle élevé, car, en faisant complètement abstraction du savoir et du talent de ceux qui entreprennent aujourd'hui une telle tentative, il est beaucoup plus difficile de l'époque actuelle qu'à l'époque de Hegel, il était nécessaire de mettre en pratique les paramètres globaux établis par « l'esthétique » hégélienne. Ainsi, la théorie des arts – également de nature historico-systématique –, également largement traitée par Hegel, reste encore en dehors du cadre délimité par le plan global de notre travail.
« Quiconque cultive l’illusion de reproduire la réalité dans la pensée à l’aide d’une simple interprétation de Marx et, de cette manière, reproduit simultanément l’appréhension marxiste de la réalité échouera nécessairement dans les deux sens.
Dans la première partie, des problèmes tels que le contenu et la forme, la vision du monde et la conformation [Formulaire], technique et forme, etc. elles apparaîtront de manière extrêmement générique, tout comme des questions à l'horizon ; philosophiquement, sa véritable essence concrète ne peut se révéler que lors d’une analyse détaillée de la structure de l’œuvre. Il en va de même pour les problèmes liés au comportement créatif et réceptif.
La première partie ne parvient qu’à avancer jusqu’à son schéma général, décrivant d’une certaine manière la « place » méthodologique respective de sa possibilité de détermination. Les relations réelles entre la vie quotidienne, d'une part, et, d'autre part, les comportements scientifiques, éthiques, etc. et la production et la reproduction esthétiques, le mode catégorique essentiel de leurs proportions, interactions, influences réciproques, etc. ils nécessitent des analyses centrées sur la dimension la plus concrète possible, fondamentalement impossible dans le cadre d'une première partie centrée sur les fondements philosophiques.
Comme le lecteur peut le constater, la structure de ces recherches esthétiques diffère considérablement des constructions habituelles. Cela ne signifie cependant en aucun cas qu’ils puissent revendiquer une originalité en termes de méthode. Au contraire : ils ne sont rien d’autre que l’application la plus précise possible du marxisme aux problèmes esthétiques. Pour qu’une telle entreprise ne soit pas mal comprise d’avance, il est nécessaire de clarifier, ne serait-ce qu’en quelques mots, la situation de cette esthétique et sa relation avec le marxisme. Quand, il y a environ trente ans, j'écrivais ma première contribution à l'esthétique du marxisme,[I] J'ai défendu la thèse selon laquelle le marxisme avait sa propre esthétique et, ce faisant, je me suis heurté à diverses résistances. La raison en était que le marxisme d’avant Lénine se limitait – y compris ses meilleurs représentants, par exemple Plekhanov ou Mehring – presque exclusivement aux problèmes du matérialisme historique.[Ii][Iii]
Ce n’est qu’après Lénine que le matérialisme dialectique est revenu au centre des intérêts. C'est pourquoi Mehring, qui a fondé son esthétique sur Critique de la faculté de jugement, a réussi à voir les divergences entre Marx-Engels et Lassalle simplement comme des conflits de jugements subjectifs concernant le goût esthétique. En fait, cette controverse est résolue depuis longtemps. Depuis la brillante étude de Mikhaïl Lifschitz sur l'évolution des notions esthétiques de Marx, depuis la collecte et la systématisation minutieuse des déclarations éparses de Marx, Engels et Lénine sur les questions esthétiques, il ne peut plus y avoir de doutes quant à la connexion et à la cohérence de ces raisonnements.[Iv]
Souligner et prouver ce lien systématique ne résout cependant pas du tout la question d’une esthétique du marxisme, car si les paroles rassemblées et systématisées des classiques du marxisme contenaient déjà une esthétique ou, du moins, son squelette parfait, ce serait il suffit d’ajouter un texte bien articulé et l’esthétique marxiste serait prête devant nous. Mais ce n'est pas le cas ! Comme le montrent de multiples expériences, même une application monographique directe de ce matériau à toutes les questions individuelles d’esthétique revient à apporter des contributions scientifiquement décisives à la structuration de l’ensemble.
Nous nous trouvons donc dans la situation paradoxale qu'il existe et en même temps n'existe pas une esthétique marxiste, qu'elle doit être conquise et même créée par une recherche autonome et que le résultat ne fait qu'exposer et fixer conceptuellement quelque chose qui existe selon l'idée. Cependant, le paradoxe se résout lorsque l'on analyse l'ensemble du problème à la lumière de la méthode de la dialectique matérialiste, puisque le sens ancien du mot « méthode », inextricablement lié au chemin qui mène à la connaissance, implique nécessairement l'idée que, pour Pour atteindre certains résultats, il est nécessaire de suivre certains chemins. La direction de ces voies est contenue de manière évidente et sans équivoque dans la totalité de l’image du monde projetée par les classiques du marxisme, d’autant plus que les résultats obtenus nous apparaissent clairement comme les points d’arrivée de ces voies.
Par conséquent, même si cela n'est pas visible au premier coup d'œil ou directement, la méthode du matérialisme dialectique a déjà et clairement indiqué quels sont ces chemins et comment ils doivent être suivis afin de conceptualiser la réalité objective dans sa véritable objectivité et d'étudier en profondeur l'essence. de chaque domaine spécifique selon sa vérité. Ce n'est que si cette méthode, cette orientation des chemins, est réalisée et soutenue de manière autonome par sa propre recherche qu'il y aura la possibilité de trouver ce que l'on cherche, de structurer correctement l'esthétique marxiste ou, du moins, de se rapprocher de sa véritable essence. .
Quiconque cultive l’illusion de reproduire la réalité dans la pensée à l’aide d’une simple interprétation de Marx et, de cette manière, reproduit simultanément l’appréhension marxiste de la réalité échouera nécessairement dans les deux domaines. Seule une analyse impartiale de la réalité et son élaboration à travers la méthode découverte par Marx peuvent parvenir à la fidélité à la réalité et, en même temps, au marxisme. En ce sens, cet ouvrage est, dans toutes ses parties et dans son ensemble, le résultat d'une recherche indépendante, mais, pour autant, il ne prétend pas à l'originalité, car il doit tous les moyens d'approcher la vérité, toute sa méthode, à l'étude d'un ensemble d'œuvres que nous ont transmis les classiques du marxisme.
Mais la fidélité au marxisme signifie aussi la reconnaissance des grandes traditions qui, jusqu’à aujourd’hui, ont cherché à rendre compte de la réalité. À l’époque stalinienne, l’accent était mis exclusivement, notamment sur Jdanov, sur ce qui différenciait le marxisme des grandes traditions de la pensée humaine. Si, dans ce cas, on avait seulement souligné ce qu'il y avait de qualitativement nouveau dans le marxisme, à savoir le saut qui sépare sa dialectique de celle de ses précurseurs plus développés, par exemple Aristote ou Hegel, cela pourrait être relativement justifié. Une telle position pourrait même être jugée nécessaire et utile si elle ne mettait pas en lumière de manière unilatérale, isolante et donc métaphysique – de manière profondément non dialectique – ce qui est radicalement nouveau dans le marxisme, si elle ne négligeait pas le facteur de continuité dans le développement du marxisme et de la pensée humaine. Cependant, la réalité – et donc aussi son reflet et sa reproduction dans la pensée – constitue une unité dialectique de continuité et de discontinuité, de tradition et de révolution, de transitions et de sauts graduels.
Le socialisme scientifique lui-même est quelque chose de complètement nouveau dans l'histoire et, cependant, il constitue la pleine réalisation d'un désir ancien et vif de l'humanité, l'accomplissement de ce qui était profondément désiré par les meilleurs esprits. La même chose se produit avec l’appréhension conceptuelle du monde par les classiques du marxisme. La vérité profonde du marxisme, qu’aucune attaque ni aucun silence ne peut ébranler, repose principalement sur le fait que, avec son aide, les faits fondamentaux de la réalité, de la vie humaine, auparavant cachés, remontent à la surface et peuvent devenir contenus de la conscience humaine.
Le nouveau acquiert ainsi un double sens : non seulement, du fait de la réalité auparavant inexistante du socialisme, la vie humaine reçoit un nouveau contenu, un nouveau sens, mais, en même temps, la défétichisation opérée à l'aide de La méthode et la recherche marxiste, ainsi que leurs résultats, apportent un éclairage nouveau sur le présent et le passé, sur toute l'existence humaine, auparavant considérée comme connue. De cette façon, tous les efforts passés pour la saisir dans sa vérité deviennent compréhensibles dans un sens très nouveau. Perspective de l'avenir, connaissance du présent, compréhension des tendances qu'ils ont entraînées, tant intellectuellement que pratiquement, sont donc dans une relation indissoluble.
Souligner unilatéralement ce qui sépare et ce qui est nouveau évoque le danger de rétrécir et d'appauvrir au sein d'une altérité abstraite tout ce qui est concret et riche de déterminations dans le véritablement nouveau. La confrontation des caractérisations distinctives de la dialectique chez Lénine et Staline montre très clairement les conséquences de cette différence méthodologique ; et les positions, à bien des égards, non rationnelles, sur l’héritage de la philosophie hégélienne ont conduit à une pauvreté souvent effrayante du contenu des recherches logiques pendant la période stalinienne.
Dans les classiques eux-mêmes, on ne trouve aucune trace d’un tel contraste métaphysique entre l’ancien et le nouveau. Au contraire, la relation entre eux apparaît dans les proportions produites par le développement socio-historique, dans la mesure où celui-ci permet à la vérité de se manifester. S'en tenir à cette seule méthode correcte est peut-être plus important pour l'esthétique que pour d'autres domaines, car à ce stade, l'analyse précise des faits montrera avec une clarté particulière que l'état conscient de la pensée concernant ce qui a été accompli dans la pratique dans le domaine. cet aspect est toujours resté en deçà de ce résultat pratique.
C’est précisément pour cette raison que les quelques penseurs qui sont parvenus relativement tôt à comprendre clairement les véritables problèmes de l’esthétique revêtent une importance extraordinaire. En revanche – comme le montreront nos analyses – des raisonnements qui semblent parfois très lointains, par exemple ceux d’ordre philosophique ou éthique, sont très importants pour comprendre les phénomènes esthétiques. Afin de ne pas trop anticiper sur ce qui ne rentre que dans des exposés détaillés, il convient de noter que toute la structure et tous les exposés détaillés de cet ouvrage – précisément parce qu'il doit son existence à la méthode marxiste – sont déterminés dans toute leur profondeur par le résultats auxquels Aristote, Goethe et Hegel sont parvenus dans leurs écrits les plus différents, et pas seulement dans ceux qui se réfèrent directement à l'esthétique.
Si, en outre, j'exprime ma reconnaissance à Épicure, Bacon, Hobbes, Spinoza, Vico, Diderot, Lessing et aux penseurs démocrates-révolutionnaires russes, je me contente bien sûr d'énumérer les noms les plus importants ; Cette liste n’épuise même pas de loin les auteurs à qui je dois la réalisation de ce travail, tant dans son intégralité que dans ses détails. La manière dont ces auteurs sont cités correspond à cette conviction. Nous n’avons pas l’intention de traiter ici de problèmes d’histoire de l’art ou d’esthétique. Il s’agit plutôt de clarifier des faits ou des lignes de développement pertinents pour la théorie générale. Ainsi, en correspondance avec leurs constellations théoriques respectives, seront cités les auteurs ou les ouvrages qui ont déclaré pour la première fois quelque chose – de manière correcte ou significativement incorrecte – ou dont l'opinion apparaît comme particulièrement caractéristique d'une situation donnée. Aspirer à l’exhaustivité du fondement bibliographique ne fait pas partie des intentions de ce travail.
De ce qui a été exposé jusqu’à présent, il ressort que les points controversés de tout cet ouvrage visent l’idéalisme philosophique. Dans cette démarche, la bataille autour de la théorie de la connaissance, de par sa nature, dépasse son cadre ; Ce qui importe ici, ce sont les questions spécifiques dans lesquelles l’idéalisme philosophique s’avère être un obstacle à la compréhension adéquate de faits spécifiquement esthétiques.
C’est un malentendu très répandu que de croire que l’image mondiale du matérialisme – priorité de l’être par rapport à la conscience, de l’être social par rapport à la conscience sociale – a également un caractère hiérarchique. Pour le matérialisme, la priorité de l'être est d'abord l'observation d'un fait : il y a de l'être sans conscience, mais il n'y a pas de conscience sans être. Cependant, cela n’entraîne aucune forme de subordination hiérarchique de la conscience à l’être. Au contraire, c’est cette priorité et sa reconnaissance concrète – à la fois théorique et pratique – par la conscience qui crée la possibilité pour la conscience de dominer l’être en termes réels. Le simple fait de l’œuvre illustre ce fait de manière frappante. Et, lorsque le matérialisme historique constate la priorité de l’être social par rapport à la conscience sociale, il n’est aussi que la reconnaissance d’une facticité.
La pratique sociale est également orientée vers le domaine de l'être social, et le fait qu'elle n'ait rempli ses objectifs que de manière très relative tout au long de l'histoire jusqu'à nos jours ne crée pas de relation hiérarchique entre les deux, mais détermine seulement le contexte concret. conditions dans lesquelles une pratique réussie devient objectivement possible, dessinant ainsi simultanément ses limites concrètes, l'espace de manœuvre de la conscience, l'espace offert par l'être social respectif. Ainsi, dans cette relation, une dialectique historique devient visible, mais en aucun cas une structure hiérarchique. Lorsqu'un petit voilier se révèle impuissant face à une tempête qu'un puissant bateau à moteur surmonterait sans difficulté, cela montre seulement la supériorité ou la limitation réelle de la conscience respective face à l'être, mais non une relation hiérarchique entre l'homme et l'être. les forces de la nature ; et cela d’autant moins que le développement historique – et avec lui la connaissance croissante qu’a la conscience de la véritable nature de l’être – produit une croissance constante des possibilités de domination de l’être par la conscience.
L’idéalisme philosophique doit projeter son image du monde d’une manière radicalement différente. Ce ne sont pas des relations de pouvoir réelles et alternées qui créent une prépondérance ou une infériorité temporaire dans la vie, mais dès le départ une hiérarchie de pouvoirs s'établit, en accord avec la conscience, qui non seulement produit et ordonne les formes d'objectivité et les relations entre les objets et les objets. ont également des gradations hiérarchiques parmi eux. Pour éclairer la situation de notre problème : lorsque, par exemple, Hegel associait l’art à l’intuition, la religion à la représentation, la philosophie au concept et les concevait comme régies par ces formes de conscience, il faisait ainsi naître une hiérarchie précise : « éternel », irréfutable, qui, comme le savent tous ceux qui connaissent Hegel, détermine également le destin historique de l’art. (Lorsque, par exemple, le jeune Schelling a inséré l'art dans un ordre hiérarchique contraposé, cela n'a pas changé les principes).
Il est évident que cela donne lieu à tout un enchevêtrement de pseudo-problèmes qui, depuis Platon, ont semé une confusion méthodologique dans toute l'esthétique, car il est indifférent que la philosophie idéaliste établisse, en un certain sens, un rapport de superordination ou de subordination entre l'art et l'art. d'autres formes de conscience, si la pensée est détournée de l'investigation des propriétés spécifiques des objets et si celles-ci sont réduites – souvent de manière totalement inacceptable – à un seul dénominateur, de sorte qu'il est ainsi possible de les comparer avec les uns les autres dans un ordre hiérarchique et les insérez au niveau hiérarchique souhaité. Même s'il s'agit de problèmes liés aux rapports de l'art, qu'il s'agisse de la nature, de la religion, de la science, etc., partout les pseudo-problèmes donnent nécessairement lieu à des distorsions des formes d'objectivité, des catégories.
La signification de la rupture avec l'idéalisme philosophique est encore plus évidente dans ses conséquences, c'est-à-dire lorsque nous concrétisons davantage notre point de départ matérialiste, à savoir lorsque nous concevons l'art comme une manière particulière de manifester le reflet de la réalité, une manière qui, à son tour, n’est qu’un des sous-types de relations réflexives universelles entre l’homme et la réalité. L’une des idées fondamentales décisives de cet ouvrage est que tous les types de réflexion – nous analyserons surtout celles représentées par la vie quotidienne, la science et l’art – traduisent toujours la même réalité objective.
Ce point de départ, qui semble évident, voire trivial, a néanmoins des conséquences considérables. La philosophie matérialiste ne voit pas toutes les formes d'objectivité, tous les objets et catégories associés à leurs relations comme des produits d'une conscience créatrice, comme le fait l'idéalisme, mais entrevoit en eux une réalité objective qui existe indépendamment de la conscience ; donc toutes les divergences et même les contrapositions présentes dans chaque type de réflexion ne peuvent se produire que dans le cadre de cette réalité matérielle et formellement unitaire. Pour comprendre la dialectique complexe de cette unité de l’unité et de la diversité, il faut d’abord rompre avec la représentation répandue d’une réflexion mécaniste et photographique.
Si ce type de réflexion était la base à partir de laquelle naissent les différences, toutes les formes spécifiques seraient des déformations subjectives de cette unique reproduction « authentique » de la réalité, ou bien la différenciation devrait être d'un caractère purement ultérieur, entièrement dépourvue de spontanéité, simplement consciente. et intellectuel. Or l’infinité étendue et intensive du monde objectif contraint tous les êtres vivants, et notamment l’homme, à une adaptation, à une sélection inconsciente en réflexe. Cette sélection a donc aussi – malgré son caractère fondamentalement objectif – une composante subjective insurmontable qui, au niveau animal, est conditionnée en termes purement physiologiques et, chez l'homme en outre, également en termes sociaux. (Influence du travail sur l'enrichissement, la diffusion, l'approfondissement, etc. des capacités humaines à refléter la réalité).
La différenciation est donc – notamment dans les domaines de la science et de l'art – un produit de l'être social, des besoins qui en découlent, de l'adaptation de l'homme à son environnement, de la croissance de ses capacités en interaction avec l'obligation d'être au le comble de tâches entièrement nouvelles. En termes physiologiques et psychologiques, ces interactions et ces adaptations au nouveau doivent en effet s'effectuer immédiatement chez les hommes individuels, mais elles acquièrent d'avance une universalité sociale, étant donné que les nouvelles tâches proposées, les nouvelles circonstances qui exercent une action modificatrice. un caractère général (social) et n'admettent que des variantes individuelles subjectives dans l'espace de manœuvre sociale.
L'explication des spécificités de l'essence du reflet esthétique de la réalité occupe une partie qualitativement et quantitativement décisive de ce travail. Conformément à l'intention fondamentale de ce travail, ces recherches sont de nature philosophique, c'est-à-dire qu'elles se concentrent sur la question suivante : quelles sont les formes, les relations, les proportions, etc. que le monde catégorique commun à toute réflexion acquiert en termes esthétiques ? Naturellement, il est inévitable que cette procédure aborde également des problèmes psychologiques ; Nous consacrons un chapitre spécifique à ces problèmes (Chapitre 11).
En outre, il faut souligner d'emblée que l'intention philosophique fondamentale nous prescrit nécessairement d'élaborer, dans tous les arts, avant tout les traits esthétiques communs à la réflexion, bien que conformément à la structure pluraliste de la sphère esthétique, et, dans la mesure du possible, la particularité [Besonderheit] de chacun des arts dans le traitement de problèmes catégoriels. Le mode très particulier de manifestation du reflet de la réalité dans des arts comme la musique ou l'architecture rend inévitable la consécration d'un chapitre séparé à ces cas particuliers (chapitre 14), en cherchant, dans ce cas, à clarifier les différences spécifiques de telle manière que les principes esthétiques généraux conservent simultanément leur validité.
Cette universalité du reflet de la réalité comme base de toutes les relations de l'homme avec son environnement a, lorsqu'elle est poussée à l'extrême, des conséquences idéologiques profondes sur la conception de l'esthétique, puisque, pour tout idéalisme véritablement cohérent, toute forme de conscience significative car l’existence humaine – dans notre cas, l’esthétique – doit avoir une manière d’être « éternelle », « supratemporelle », étant donné que son origine est hiérarchiquement fondée dans le contexte d’un monde idéal ; Dans la mesure où il est possible de le traiter historiquement, cela se produit dans le cadre métahistorique de l’être ou de l’application « intemporelle ».
Cependant, cette position apparemment méthodologique et formelle renverra nécessairement au contenu, à une vision du monde, car il s'ensuit nécessairement que l'esthétique, en termes tant productifs que réceptifs, appartient à « l'essence » de l'homme, même si celle-ci est déterminée du point de vue de l'homme. de vue, que ce soit du monde des idées, que ce soit de l'esprit du monde, que ce soit en termes anthropologiques ou ontologiques. Une image diamétralement opposée devrait résulter de notre perspective matérialiste. Non seulement la réalité objective qui apparaît dans différents types de réflexion est sujette à un changement ininterrompu, mais ce changement présente des directions très déterminées, des lignes évolutives bien définies. La réalité elle-même est donc historique selon sa manière objective d’être ; les déterminations historiques, tant de contenu que de forme, qui apparaissent dans les différentes réflexions ne sont que des approximations plus ou moins correctes de cet aspect de la réalité objective.
Mais l’historicité authentique ne peut jamais consister en une simple modification des contenus de formes toujours les mêmes, dans le cadre de catégories toujours immuables, car cette variation de contenus aura nécessairement pour effet de modifier aussi les formes, et doit initialement conduire à certains changements de fonction au sein du système catégoriel et, après un certain degré, à des changements même prononcés, c'est-à-dire à l'émergence de nouvelles catégories et à la disparition des anciennes catégories. L’historicité de la réalité objective se traduit par une certaine historicité de la théorie des catégories.
Il faut cependant être attentif à savoir dans quelle mesure et dans quelle mesure ces transformations sont de constitution objective ou subjective, car, même si nous pensons que la nature doit, en dernière analyse, être conçue historiquement, chacune des étapes de son développement est d'une extension temporelle telle que ses transformations objectives ne peuvent pratiquement pas être prises en compte par la science. Naturellement, l’histoire subjective des découvertes d’objectivations, de relations et de liens catégoriels est d’autant plus importante. Ce n’est qu’en biologie que nous pourrions voir un point d’inflexion dans l’émergence de catégories objectives de la vie – du moins dans la partie de l’univers que nous connaissons – et donc une genèse objective.
La question est qualitativement différente lorsqu’il s’agit de l’homme et de la société humaine. Dans ce cas, sans doute, il s’agit toujours de la genèse de catégories singulières et de liens catégoriels, qui ne peuvent être « déduits » de la simple continuité du développement précédent, dont la genèse présente donc des exigences spécifiques en matière de connaissance. Cependant, il y aurait une distorsion de la véritable facticité si l’on voulait faire une séparation méthodologique entre l’investigation historique de la genèse et l’analyse philosophique du phénomène qui surgit dans ce processus. La véritable structure catégorielle de tout phénomène de ce type est liée de très près à sa genèse ; la démonstration de la structure catégorielle ne sera possible pleinement et dans la juste proportion que si la décomposition concrète est organiquement liée à la clarification de la genèse ; la déduction de la valeur, au début de La capitale, de Marx, constitue le modèle exemplaire de cette méthode historico-systématique.
Cette union sera tentée dans les expositions concrètes de ce travail sur le phénomène fondamental de l'esthétique et dans toutes ses ramifications en matière de détail. Or, cette méthodologie devient une vision du monde dans la mesure où elle implique une rupture radicale avec toutes les conceptions qui envisagent, dans l’art, dans le comportement artistique, quelque chose de supra-historiquement idéal ou, du moins, quelque chose d’ontologiquement ou d’anthropologiquement appartenant à « l’idée » de l'homme. Comme le travail, la science et toutes les activités sociales de l'homme, l'art est le produit du développement social, de l'homme qui devient homme par son travail.
Mais au-delà de cela, l’historicité objective de l’être et son mode de manifestation spécifiquement délimités dans la société humaine ont des conséquences importantes pour la compréhension de la particularité fondamentale de l’esthétique. La mission de nos argumentations concrètes sera de montrer que la réflexion scientifique du réel cherche à s'affranchir de toutes déterminations anthropologiques, tant sensibles qu'intellectuelles, et qu'elle s'efforce de représenter les objets et leurs relations tels qu'ils sont en eux-mêmes, indépendamment de la conscience. La réflexion esthétique, en revanche, part du monde de l'homme et s'adresse à lui. Cela n’implique pas, comme nous le montrerons ultérieurement, un simple subjectivisme. Au contraire, l'objectivité des objets est préservée, seulement de telle manière que toutes les références typiques de la vie humaine y sont également contenues, se manifestant d'une manière qui correspond à l'état respectif de développement intérieur et extérieur de l'humanité, qui est un développement Social.
Cela signifie que toute configuration esthétique inclut, ordonne en elle-même le hic et jamais l’histoire de sa genèse comme facteur essentiel de son objectivité décisive. Bien entendu, toute réflexion est concrètement déterminée par le lieu précis dans lequel elle se déroule. Même dans la découverte de vérités purement mathématiques ou dans les sciences naturelles, le contexte temporel n’est jamais fortuit ; cependant, l'importance objective de ce contexte temporel a plus d'importance pour l'histoire des sciences que pour la connaissance elle-même, pour laquelle elle peut être considérée comme complètement indifférente au moment et aux conditions historiques – nécessaires – dans lesquelles elle a été formulée pour la première fois, par exemple le théorème de Pythagore. .
Cette essence historique de la réalité conduit à un autre complexe important de problèmes, qui, en premier lieu, sont également de nature méthodologique, mais, comme tout problème authentique d'une méthodologie correctement conçue – et pas seulement de manière formelle –, il devient une vision du monde. Nous nous référons au problème de l'immanence [Diesseitigkeit]. Considérée en termes purement méthodologiques, l’immanence est une exigence essentielle tant de la connaissance scientifique que de la configuration artistique. Ce n’est que lorsqu’un complexe de phénomènes est pleinement compris sur la base de ses qualités immanentes, des légalités également immanentes qui agissent sur eux, qu’il est possible de le considérer comme scientifiquement connu. En termes pratiques, cette exhaustivité est naturellement toujours approximative ; l'infinité, à la fois extensive et intensive, des objets et de leurs relations statiques et dynamiques, etc. elle ne permet pas de concevoir la connaissance comme absolument définitive sous une forme donnée, ce qui exclut la nécessité de procéder à des corrections, des réserves, des développements, etc.
De la magie au positivisme moderne, ce « pas encore » qui prévaut dans le domaine scientifique de la réalité a été interprété, de manières les plus diverses, comme une transcendance, ignorant tant de choses sur lesquelles un «ignorant», est depuis longtemps entré dans la science exacte comme un problème résoluble, même si dans la pratique il n'a pas encore été résolu. L’émergence du capitalisme et les nouvelles relations entre science et production, combinées aux grandes crises des visions religieuses du monde, ont provoqué le remplacement de la transcendance naïve par une transcendance plus complexe et plus raffinée.
Le nouveau dualisme est né à l'époque des tentatives des défenseurs du christianisme de rejeter idéologiquement la théorie copernicienne : une conception méthodologique qui visait à créer un lien entre l'immanence du monde phénoménal donné et la négation de sa réalité ultime, dans le but de contester la compétence de la science à dire quelque chose de valable sur cette réalité. A première vue, on peut avoir l'impression que cette dépréciation de la réalité du monde ne fait aucune différence, puisque, en pratique, les hommes peuvent accomplir leurs tâches immédiates dans la production indépendamment du fait qu'ils considèrent l'objet, les moyens, etc. de son activité quelque chose comme l'être en soi ou comme une simple apparence. Une telle conception est cependant sophistique à deux égards. Premièrement, tout homme actif dans sa pratique réelle a toujours la conviction de faire face à sa propre réalité ; Même le physicien positiviste en est convaincu lorsque, par exemple, il réalise une expérience.
Deuxièmement, lorsque – pour des raisons sociales – une telle conception est profondément enracinée et répandue, elle désintègre les relations intellectuelles et morales les plus médiatisées entre les hommes et la réalité. La philosophie existentialiste, selon laquelle l’homme « jeté » dans le monde se trouve confronté au néant, est – d’un point de vue socio-historique – le pôle opposé nécessairement complémentaire du développement philosophique qui mène de Berkeley à Mach ou Carnap.
Le champ de bataille lui-même entre l'immanence [Diesseitigkeit] et la transcendance [Jenseitigkeit] est incontestablement l’éthique. Ainsi, dans le cadre de cet ouvrage, les déterminations décisives de cette controverse ne peuvent pas être pleinement exposées, mais seulement effleurées ; L'auteur espère pouvoir proposer systématiquement, dans un avenir proche, son point de vue sur cette question. À ce stade, il convient seulement de noter brièvement que le vieux matérialisme – de Démocrite à Feuerbach – n'a réussi à révéler l'immanence de la structure du monde que de manière mécaniste, ce qui explique pourquoi, d'une part, le monde pourrait encore être conçu comme le mécanisme d’une horloge qui nécessite une intervention extérieure – transcendante – pour se mettre en mouvement ; d’autre part, dans ce type de vision du monde, l’homme ne pouvait apparaître que comme un produit nécessaire et un objet de légalités immanentes-citérieures.immanent-diesseitigen], et cela n’expliquait ni sa subjectivité ni sa pratique.
La théorie Hegel-Marx de l’auto-création de l’homme par son propre travail – que Gordon Childe a condensée dans l’excellente formule «l'homme se fait [l’homme se fait] » – consomme pour la première fois l’immanence de l’image du monde, pose les bases idéologiques d’une éthique immanente, dont l’esprit était déjà bien vivant dans les brillantes conceptions d’Aristote et d’Épicure, de Spinoza et de Goethe. (Dans ce contexte, la théorie de l'évolution dans le monde [organique], l'approche toujours croissante de l'émergence de la vie à partir de l'interaction des légalités physiques et chimiques, joue un rôle important).
Pour l’esthétique, cette question est d’une importance primordiale et sera donc largement traitée dans les expositions concrètes de ce travail. Il n'y aurait aucun sens d'anticiper ici, sous une forme abrégée, les résultats de ces investigations, qui n'acquièrent une force persuasive que dans le déploiement de toutes les déterminations qui les concernent. Afin de ne pas faire taire le point de vue de l'auteur, même dans la préface, nous dirons que la cohérence immanente, le « se poser sur soi » de toute œuvre d'art authentique – un type de réflexion qui n'a pas d'analogue dans d’autres domaines de réactions humaines au monde extérieur –, par son contenu, volontaire ou non, il représente un aveu d’immanence.
L’opposition de l’allégorie et du symbole, comme Goethe l’a brillamment compris, est donc une question d’être ou de ne pas être pour l’art. Pour cette raison, comme nous le montrerons dans son propre chapitre (chapitre 16), la lutte de l'art pour se libérer de la tutelle de la religion est, en même temps, un fait fondamental de son origine et de son développement. La genèse doit montrer précisément comment, à partir du lien naturel et conscient de l'homme primitif à la transcendance, sans lequel les premières étapes dans n'importe quel domaine seraient inimaginables, l'art a progressivement gagné en autonomie dans le reflet de la réalité, en arrivant à l'élaborer sous une forme particulier. Il s’agit bien entendu du développement de faits esthétiques objectifs, et non de ce que ceux qui les ont créés en pensaient.
C'est précisément dans la pratique artistique que la divergence entre l'acte et la conscience de cet acte est particulièrement grande. Ici, la devise de tout notre travail, empruntée à Marx, prend tout son sens : « Ils ne le savent pas, mais ils le font ». C'est donc la structure catégorique objective de l'œuvre d'art, qui transforme une fois de plus en immanence tout mouvement de conscience vers le transcendant, par nature très fréquent dans l'histoire du genre humain, dans la mesure où il apparaît comme ce qui est, c'est-à-dire comme partie intégrante de la vie humaine immanente, comme symptôme de son être respectif proprement ainsi.Géradesoséine].
Les rejets répétés de l’art et du principe esthétique, de Tertullien à Kierkegaard, ne sont pas accidentels ; au contraire, elles sont la reconnaissance de sa véritable essence venant du camp de ses ennemis irréductibles. Cet ouvrage ne se limite pas à consigner ces luttes nécessaires, mais prend des positions résolues : en faveur de l'art, contre la religion, dans le sens d'une grande tradition qui va d'Épicure à Marx et Lénine, en passant par Goethe. Le déroulement dialectique, la séparation et la synthèse des déterminations – si multiformes, contradictoires, convergentes et divergentes – des objectivités et de leurs relations nécessitent une méthode spécifique pour leur exposition.
En exposant brièvement les principes sur lesquels repose la méthode, on ne peut en aucun cas dire que l'auteur veuille faire l'apologie de son mode explicatif dans la préface. Personne n’est capable d’identifier plus clairement ses limites et ses défauts que l’auteur. Il veut seulement exprimer ses intentions ; Ce n'est pas à vous de juger où vous les avez exécutés de manière adéquate et où vous avez échoué. Par conséquent, nous ne parlerons que des principes ci-dessous. Celles-ci s’enracinent dans une dialectique matérialiste, dont l’exécution cohérente dans un champ si vaste, qui englobe des choses très éloignées les unes des autres, nécessite avant tout une rupture avec les moyens explicatifs formels, fondés sur des définitions et des délimitations mécanistes, sur des séparations « pures » . » en sections. Se transposant d'emblée au centre du problème, quand on part de la méthode des déterminations par opposition à celle des définitions, on revient aux fondements de la réalité de la dialectique, à l'infinité à la fois extensive et intensive des objets et de leurs relations.
Toute tentative de saisir cet infini par des moyens intellectuels comportera nécessairement des insuffisances. Cependant, la définition établit la partialité elle-même comme quelque chose de définitif et viole donc nécessairement le caractère fondamental des phénomènes. La détermination est considérée dès le début comme quelque chose de provisoire, ayant besoin d'être complété, quelque chose dont l'essence a besoin d'être complétée, continuellement formée et concrétisée, c'est-à-dire lorsque, dans cette œuvre, un objet, un rapport d'objectivités ou une catégorie sont exposés à travers sa détermination à la lumière de l'intelligibilité et de la conceptualisation, nous avons toujours à l'esprit et entendons deux choses : caractériser l'objet respectif de telle manière qu'il soit connu sans équivoque, sans toutefois vouloir que ce qui est connu à ce stade s'applique à son l'intégralité et cela, pour cette raison, on pourrait s'arrêter là.
Il n'est possible d'approcher l'objet que progressivement, pas à pas, dans la mesure où cet objet est analysé dans des contextes différents, dans des relations différentes avec d'autres objets, dans la mesure où la détermination initiale n'est pas invalidée par ces procédures – en l'occurrence Dans ce cas, ce serait une erreur – mais, au contraire, il s’enrichit sans interruption ou, pourrait-on dire, il se rapproche toujours, avec ruse, de l’infini de l’objet vers lequel il se concentre. Ce processus se déroule dans les dimensions les plus diverses de la reproduction idéale de la réalité et, pour cette raison, est toujours considéré en principe comme seulement relativement achevé. Cependant, si cette dialectique est correctement exécutée, elle progresse de plus en plus en termes de clarté et de richesse de sa détermination et de son lien systématique ; il est donc nécessaire de différencier avec précision la récurrence de la même détermination dans différentes constellations et dimensions d’une simple répétition.
Le progrès ainsi obtenu non seulement va de l'avant, pénètre de plus en plus profondément dans l'essence des objets à saisir, mais – lorsqu'il se produira d'une manière vraiment correcte, d'une manière vraiment dialectique – il éclairera le chemin passé d'un une nouvelle lumière, le chemin déjà parcouru, pour le rendre alors vraiment viable dans un sens plus profond. Max Weber m'a écrit un jour à propos de mes premiers essais, très insuffisants en ce sens, qu'ils donnaient l'impression d'un drame d'Ibsen dont le début ne peut être compris qu'à partir de la fin. J’y ai vu une compréhension affinée de mes intentions, même si ma production de l’époque ne méritait en aucun cas de tels éloges. J’espère que ce travail se prête mieux à être considéré comme la réalisation d’un tel style de pensée.
Enfin, je demande au lecteur de me permettre d'indiquer brièvement l'histoire de l'émergence de mon esthétique. J’ai commencé comme critique littéraire et essayiste, cherchant un soutien théorique dans l’esthétique de Kant et plus tard de Hegel. Durant l'hiver 1911-1912, j'ai élaboré à Florence le premier projet d'une esthétique systématique autonome, auquel j'ai travaillé de 1912 à 1914, à Heidelberg. Je pense toujours avec gratitude à l’intérêt critique bienveillant qu’Ernst Bloch, Emil Lask et surtout Max Weber ont montré à mon essai. Le plan a complètement échoué. Et ici, lorsque je m’oppose avec véhémence à l’idéalisme philosophique, cette critique va aussi à l’encontre de mes tendances de jeunesse. D’un point de vue extérieur, le déclenchement de la guerre a interrompu ce travail.
La théorie du romantisme[V], que j'ai écrit dans la première année de la guerre, est davantage centré sur les problèmes de philosophie de l'histoire, dont les problèmes esthétiques ne seraient que des symptômes, des signes. Dès lors, l’éthique, l’histoire et l’économie occupent de plus en plus le centre de mes intérêts. Je suis devenu marxiste et la décennie de mon activité politique a été en même temps la période de discussion interne du marxisme, la période de sa véritable assimilation. Lorsque – vers 1930 – je me suis à nouveau intensément préoccupé des problèmes de l’art, une esthétique systématique n’était qu’une perspective lointaine à mon horizon. Ce n’est que vingt ans plus tard, au début des années 1950, que j’ai pu penser à réaliser mon rêve de jeunesse, avec une vision du monde et une méthode complètement différentes, et à l’exécuter avec des contenus totalement différents, avec des méthodes radicalement opposées.
*György Lukács (1885-1971) était un philosophe et théoricien marxiste hongrois. Auteur, entre autres livres, de Histoire et conscience de classe (WMF Martins Fontes).
Référence
György Lukács. Esthétique : la particularité de l'esthétique. Tome 1. Traduction : Nélio Schneider et Ronaldo Vielmi Fortes. São Paulo, Boitempo, 2023, 532 pages. [https://amzn.to/4b8bs5g]

notes
[I] György Lukács, « Die Maladeendebatte zwischen Marx-Engels und Lassalle » dans Karl Marx et Friedrich Engels en tant qu'historiens de la littérature (Berlin, [Aufbau,] 1948, 1952) [éd. bras. : « Le débat sur Sickingen entre Marx-Engels et Lassalle », dans Marx et Engels historiens de la littérature, trad. Nélio Schneider, São Paulo, Boitempo, 2016, p. 17-62].
[Ii] Franz Mehring, Gesammelte Schriften et Aufsätze (Berlin, [Universumbücherei,]
[Iii] actuellement Écrits rassemblés (Berlin, [Dietz,] 1960 et suiv.) ; La légende de Lessing (Stuttgart, [Dietz,] 1898 ; Berlin, [Dietz,] 1953) ; Gueorgui Plekhanov, Art et littérature (préf. M. Rosenthal, éd. et commentaire Nikolai Fedorowitch Beltschikow, trans. Joseph Harhammer, Berlin, [Dietz,] 1955).
[Iv] Mikhaïl Lifschitz, « Lénine o kul'ture i iskusstve », Marksistko-Leninskoe Iskusstvoznanie, v. 2, 1932, p. 143 et suiv.; idem, « Karl Marx et l’esthétique », Littérature internationale, v. 2, 1933, p. 127 et suiv.; idem, Marks i Engel's ob iskusstve (éd. F. Šiller et M. Lifschitz, Moscou, 1933) ; idem, K. Marks et F. Engel's, Ob iskusstve (éd. M. Lifschitz, Moscou-Leningrad, 1937) ; Karl Marx et Friedrich Engels, À propos de l'art et de la littérature : une sélection de vos études (éd. M. Lifschitz, préf. Fritz Erpenbeck, Berlin, [Dietz,] 1948) ; M. Lifschitz, La philosophie de l'art de Karl Marx ([trans. Ralph B. Winn,] New York, [Critics Group,] 1938) ; idem, Karl Marx et l'esthétique (Dresde, [Verlag der Kunst,] 1960, Fundus-Bücher 3).
[V] György Lukács, La Théorie des Romains (Berlin, [Cassirer,] 1920 ; réed. Neuwied, [Luchterhand,] 1963) [éd. bras.: La théorie du roman, trad. José Marcos Mariani de Macedo, São Paulo, Editora 34/Duas Cidades, 2000].
la terre est ronde existe grâce à nos lecteurs et sympathisants.
Aidez-nous à faire perdurer cette idée.
CONTRIBUER