Par WALNICE NOGUEIRA GALVÃO*
Extraits de la postface du livre récemment publié de José Agudo
À Michael M. Hall, qui m'a fait découvrir ce roman
A travers les interstices du canon
Pour mieux apprécier Gens riches il faut être attentif à l'arrière-plan constitué par la tradition à laquelle il appartient : celui d'une niche satirique bien particulière au sein de la fiction des mœurs urbaines.
Au tournant du siècle, s'étendant jusqu'en 1922 ou même plus tard, la littérature brésilienne avait des manifestations stimulantes qui seraient à moitié cachées par la lueur de la Semaine d'art moderne. Parmi eux, une forte veine critique qui a surtout creusé la fiction, bien qu'elle apparaisse aussi dans la chronique, au théâtre, dans les caricatures ou les dessins animés.[I]
Le terme générique « prémodernisme »,[Ii] comme il est convenu de l'appeler, il a des limites – non rigides mais permettant un certain débordement – qui marquent la fin d'une époque et l'aube d'une autre. Ils sont grosso modo fixés par la mort de Machado de Assis en 1908 et de Lima Barreto en 1922. Ou bien par la publication de les sertões, d'Euclide da Cunha, en 1902, et par le déclenchement de la Semaine d'Art Moderne en 1922. Soit par 1889, année de la proclamation de la République et du début de l'Ancienne République, jusqu'à sa fin, marquée par l'arrivée de Getúlio Vargas au pouvoir en 1930 .
Le déclencheur de ce millésime romanesque a été l'avènement soudain de la modernisation provoquée par le passage soudain de l'Empire à la République, une tendance qui deviendra de plus en plus radicale dans les temps à venir, s'ouvrant largement dans la grande réforme urbaine de Rio de Janeiro. La modernisation matérielle et institutionnelle impliquerait une métamorphose des mœurs qui ne ménagerait aucun effort.
Roulant depuis deux siècles, une partie de cette cuvée oscille entre belle époque et le pré-modernisme. Durant cette période, plusieurs romanciers ont produit : certains liés au passé comme Coelho Neto ; ou la transition, comme Graça Aranha, qui adhérerait avec enthousiasme au modernisme, du moins en action ; ou même vers le futur, comme Monteiro Lobato, débutant en 1919 avec des contes de Urupes.
C'est dans cette période que la niche à laquelle il appartient Gens riches, constituant une coupe dans le roman des mœurs, qui est satirique et dévastatrice. Bien qu'ayant connu un grand succès en son temps, des romans comme celui-ci se cantonnent à la critique des élites, dans une vision peu éloignée de la superficialité ou de la chronique sociale.[Iii]Quant au style, il était déjà passé au crible du naturalisme, dont il porte la marque. Malgré leur succès, ces romans se sont comme glissés dans les interstices du système littéraire et culturel, tombant dans l'oubli. Pour mieux apprécier l'audace de Gens riches, le lecteur doit se préparer à suivre un chemin sinueux, retraçant sa trajectoire.
Cependant, dans ce tableau général que nous décrivons, il y a une exception, digne de mention, qui tire son antithèse : un écrivain à contre-courant, qui adhère aux pauvres, aux banlieues et aux exclus de la grande modernisation urbaine qui, en cours dans la période, profite aux riches et à ses sbires, tout en nuisant au déjà malheureux - Lima Barreto.
[...]
Roman urbain et critique des mœurs
La tendance puissante du roman urbain, plus féconde dans le foyer de modernisation constitué par Rio de Janeiro que dans le reste du pays, va gonfler jusqu'à devenir un flux avec des sommets de haute réalisation, comme Lima Barreto. Cette tendance a généralement pour modèle initial un ouvrage sans prétention, publié sous forme de livre en 1854 après avoir paru dans des feuilletons de journaux un an plus tôt : Mémoires d'un sergent de milice, par Manuel Antonio de Almeida.
Précurseur des romans examinés ici, il a une veine comique ou humoristique, montrant une extraordinaire acuité pour la critique sociale. Sans préjudice de ceux de Joaquim Manuel de Macedo, ce fut l'un des premiers et des plus pertinents romans basés sur une chronique des coutumes urbaines à émerger, se démarquant parmi les contemporains, entretenant une cour d'admirateurs à ce jour.[Iv] En raison des charmes de Rio de Janeiro, il est incomparable car il remonte aux premières époques et revit de manière vivante ce qui se passait dans la ville à l'époque de d. Jean vi. Situé à la frontière entre romantisme et réalisme, en adoptant une perspective pleine d'humour, entre mordant et bienveillant, il déploie un regard critique qui tente de tout soumettre à l'avilissement comique. Les personnages caricaturés suivent des événements d'intelligence presque invraisemblables. Le protagoniste, Leonardo, grâce à des expédients et à beaucoup de flexibilité, obtient tout ce qu'il veut. Malgré cela, le roman révèle une compréhension lucide du fonctionnement de la société brésilienne naissante, où tout était résolu sur la base de la faveur personnelle, en l'absence de critères objectifs d'une vie collective civile. Intuitivement, Léonard comprend les avantages qu'il peut retirer de cette vue d'ensemble, l'utilisant pour bien faire sans travailler et sans faire d'effort. Le roman est une grâce : le narrateur traite les ruses et les farces de Léonard avec une totale indulgence.
Structuré comme une alternance cadre/action, le roman attise judicieusement l'intérêt du lecteur pour les intrigues de l'intrigue et les bouffonneries de Léonard, tout en insérant entre ces épisodes des scènes folkloriques du Rio Antigo, avec tout ce qui était aussi pittoresque que typique. Symptomatiquement, son jeune auteur était chroniqueur pour un journal, voire pour un journal de la capitale du pays, et le roman était publié en feuilletons. Comme nous le verrons, cette combinaison d'écrivain et de chroniqueur de journal sera privilégiée dans les temps à venir.
Mais les ancêtres de ce roman satirique qui critique les élites d'un pays esclavagiste remontent au « temps du roi », c'est-à-dire à la période qui a suivi le débarquement funeste du prince régent d. João, futur roi D. João VI, avec toute sa cour de 15 XNUMX personnes. Les précurseurs annoncent déjà le sort de ces œuvres : jamais au niveau supérieur de la bonne littérature, ni de la littérature à ambition de grand art. Mais quelque chose de plus terre à terre, de plus naturel, de plus populaire peut-être, et qui a certainement séduit ses nombreux lecteurs. C'est ainsi que Joaquim Manuel de Macedo, loin d'être seulement l'auteur de romans sucrés comme La brune (1844) et le blond (1845), dont on a montré plus tard qu'il avait plus d'une corde sur sa lyre. Il en écrira d'autres de légère dénonciation sociale ou du moins de critique des mœurs, comme le très amusant Les femmes en mantille (1870) et Mémoires du neveu de mon oncle (1867).[V] Et ce, en plein romantisme, auquel, quand cela lui convenait, il s'agenouillait, comme c'était le cas avec La brune e le blond.
Em Mémoires du neveu de mon oncle, la critique des mœurs se concentre sur la couche politique : corruption et brigandage, alliances entre dirigeants malhonnêtes, échanges de faveurs. Le neveu veut faire une carrière politique, se divertir aussi, et il apprend et enseigne au lecteur les secrets du métier, dans une radiographie de la pratique politico-électorale dans le pays. Anarchique et irrévérencieuse, elle remonte à cent ans, à l'époque où la capitale du Brésil fut transférée de Bahia à Rio de Janeiro, sous la direction du premier vice-roi, le comte da Cunha (1763-67), personnage de une certaine emphase.
Dès lors, il est possible de sauver des romans tombés dans l'ostracisme et dont seuls quelques érudits avaient entendu parler. Contemporain à ceux-ci est le cas de La famille des aiguilles(1870),[Vi] selon la page de titre un «roman humoristique» de Luís Guimarães Jr., arraché de la poussière des archives il n'y a pas si longtemps par Flora Süssekind. Dans un récit en « zigzag » qui va et vient, qui rejette et subvertit, ce roman courtise en douceur l'absurde, le grotesque et même l'absurde.[Vii]
république et modernisation
Seuls ceux qui se tenaient de l'autre côté de la ligne de démarcation établie par l'avènement de la République seraient en mesure d'évaluer ce que cela signifiait pour le panorama culturel brésilien. La présence de la monarchie et de l'esclavage avait été un signe frappant du retard du Brésil dans le concert des nations, et même dans le contexte de l'Amérique latine. C'est pourquoi la proclamation de la République est saluée comme un saut dans la modernité : une nation moderne qui se respecte ne peut avoir ni roi ni esclaves. Apportant immédiatement avec elle une multitude de modifications et d'innovations qui ont changé la face du pays, la République est devenue particulièrement visible dans la capitale, Rio de Janeiro.[Viii] Le reste du Brésil n'absorbera que très lentement la modernisation, récalcitrant à ses innovations, restant comme un bastion du patriarcat, de l'oligarchie et du coronelismo.
Les traits généraux de cette évolution sont mis en évidence dans deux ouvrages littéraires qui paraissent bientôt, avant même la fin du siècle, portant le titre de la capitale fédérale. Le premier, de 1894, est un roman de l'écrivain à succès Coelho Neto. La seconde, de 1897, est une pièce de théâtre, la plus célèbre d'un autre auteur prolifique, Artur Azevedo,[Ix] Il était aussi le dramaturge le plus titré de l'époque, créateur de nombreuses comédies, opérettes, burlettes, opéras comiques, revues, vaudeville, entractes, parodies, etc., dans le cadre d'une lyre loin d'être prétentieuse mais théâtralement efficace. Cette pièce est qualifiée par lui de « comédie d'opérette des mœurs brésiliennes ». Le roman et la pièce présentent un schéma de base similaire, et il est évident qu'ils ont essayé de traiter littéralement de la nouveauté qu'était une république d'hommes libres. Tous deux reposent sur le contraste entre l'intérieur et Rio de Janeiro, montrant dans le roman la candeur d'un jeune paysan en promenade et, dans la pièce, celle d'une famille du Minas Gerais qui découvre la grande ville. Dans un cas comme dans l'autre, séduits par les merveilles de la métropole et à la merci des petits malins, les personnages se décident pour ce qu'ils disent être la simplicité, la pureté et les habitudes les plus austères. Quels seraient alors les charmes de l'arrière-pays, après le délicieux vertige des dangers qu'offre la capitale.
Le thème littéraire séculaire de la fuir la ville (= fuir la ville), qui remonte à l'Antiquité gréco-romaine, est ainsi rejoué sous de nouvelles formes, et des formes brésiliennes postérieures à son utilisation par les conventions arcadiennes. Le thème marquera également le régionalisme, qui oppose ville et campagne, en maintenant le contraste entre un pôle comme lieu de tous les vices et l'autre pôle comme lieu de toutes les vertus. Seul Lima Barreto resterait immunisé, qui mènerait le processus d'illusion bucolique dans Triste fin de Policarpo Quaresma. A noter que celui qui écrit ne quitte pas la ville, malgré tous les reproches. Le thème dans les études littéraires a déjà beaucoup rapporté, comme en témoignent des œuvres classiques comme celles de Curtius et Raymond Williams.[X]
Le roman comme la pièce sont consacrés à scruter la vie publique et privée de la métropole, dans ses us et coutumes, et surtout ce qui était en transition. Et cela, changement ou nouveauté, a apporté une physionomie sans précédent à Rio.
Ces transformations seraient bientôt visibles, avec la force d'un tremblement de terre ou d'une autre grande catastrophe naturelle, sur la face exposée de Rio de Janeiro lors de la réforme Pereira Passos, du nom de son maire et mentor, en 1904. Sans aucun doute, la capitale de le monde était Paris, et partout sur la planète les interventions urbaines calquaient le modèle de la Réforme Haussmannienne,[xi] qui visait avant tout à façonner le tissu urbain pour contrôler les insurrections, au lendemain de la Commune de 1871.
Au Brésil, ou à Rio de Janeiro plus qu'au Brésil, la modernisation est enfin arrivée. C'est ce que reflète l'écriture de l'époque, tant dans les romans que dans les chroniques des journaux – d'autant plus quand on sait qu'elles sont issues des mêmes auteurs. Ces écrivains se livraient, par le biais de la presse, à une discussion quotidienne sur ce qu'était la modernisation, palpable dans les décombres qui pendaient de tant de démolition, dans les décombres en vue et dans les décombres qui s'accumulaient.
Ce n'est pas par hasard que la verve plébéienne a inventé le surnom de Bota-Abaixo pour le phénomène, marquant cette phase de Rio. Jusque-là, les pauvres vivaient dans les quartiers du centre-ville (Cidade Nova, Estácio, etc.) et, expulsés, ils occupaient désormais la périphérie ainsi que, plus en évidence, les bidonvilles des hauteurs.
Tout a changé, tout s'est transformé : la technologie, à l'ère des inventions et des découvertes, commande le changement. La lueur de la lumière électrique transforma la nuit en jour et ouvrit tous les recoins qui étaient autrefois dans l'ombre, remplaçant les faibles becs de gaz dans l'éclairage des rues. Le tramway abandonne la traction animale et adopte la traction électrique. L'automobile fit son irruption, alarmant les passants. Pendant ce temps, jupes et cheveux raccourcis.
La publicité entre en scène, dominant les journaux et les magazines, mais elle est également présente dans les publicités pour les tramways, pour certaines desquelles Olavo Bilac lui-même a mobilisé sa muse. La publicité s'appelait alors en français et au féminin « la publicité”, qu'Artur Azevedo a utilisé comme titre d'une histoire hilarante, montrant le doigt de la propagande même dans une aventure galante.
La vogue des stations balnéaires est contemporaine, elles se multiplient et sont comme des prolongements de Rio et de São Paulo, d'où leur paroisse est originaire. La puissance publique collabore, édictant des politiques de santé.
La fréquentation des cafés et des pâtisseries comme Pascoal ou Colombo est incontournable à Rio de Janeiro, parallèlement au développement de la bohème des intellectuels, artistes et journalistes. Mais sans compter Lima Barreto, qui était aussi un bohème, mais un client de freges et de tavernes peu recommandables. Jusqu'alors, le théâtre, avant d'aller au cinéma, était le lieu idéal pour voir et être vu. Comme Gens riches essaie de montrer, de telles habitudes se retrouvent aussi à São Paulo : ses personnages fréquentent les cafés et restaurants appelés Rotisserie Sportsman ou Castelões, vont au Teatro Santana pour voir la pièce La Dame aux camélias, foulent les matinées du cinéma Radium.
Le disque et le phonographe, antérieurs à la radio et à sa longue portée, contribuent à raccourcir les distances, encore corroborés par le téléphone et le télégraphe. Non seulement elles suscitent de nouvelles habitudes d'écoute, mais elles facilitent aussi la sociabilité de la danse en couple enlacé. Et, avec elle, la peur des effets délétères du cornichon exécré, avec ses mouvements agrippants et lubriques, surnommé partout « danse des noirs ». Bientôt, une grande triple création du peuple brésilien apparaîtra : la samba, l'école de samba et le Carnaval de Rio de Janeiro.
Parmi les écrivains, Olavo Bilac brillait comme un infatigable héraut des nouvelles coutumes. Ses milliers de chroniques périodiques montrent comment il a assumé un rôle de leader, parrainant des causes progressistes, passant d'un partisan de la gymnastique, du sport et de l'athlétisme au patriotisme et à la campagne pour le service militaire obligatoire.[xii]
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La récolte de São Paulo
L'époque voit émerger, à São Paulo, quelques romans de mœurs à visée critique ou de dénonciation sociale, comme ceux que nous venons d'examiner. Comme si, voyant ce qui se passait dans la littérature de Rio de Janeiro, si opulente, les auteurs se sentaient poussés à revendiquer également une présence dans ce créneau du panorama des lettres, même en dehors de Rio de Janeiro.
Le plus accompli d'entre eux est Mme Pommery (1920), par Hilário Tácito.[xiii] Le protagoniste est le propriétaire du bordel Paraíso Reencontrado, un centre d'attraction pour l'élite de São Paulo. Le titre met l'accent sur l'embellissement de son vrai nom « polonais », comme on l'appelait alors, celui de Pomerikovsky. Le nom de guerre dérive du champagne français qui jaillit dans son salon. Satire notable et inestimable de l'hypocrisie et autres mauvaises habitudes de cette classe, elle est balayée en insistant sur la fonction civilisatrice et modernisatrice de l'institution du bordel. Il a la rare distinction d'avoir été salué par Lima Barreto dans une chronique.
Un autre exemple est Linge sale (1923), de Moacyr Piza. Auteur d'un roman scandaleux, un de plus sur l'élite de São Paulo, Moacyr Piza serait aussi le protagoniste d'un scandale dans la vraie vie, autour d'un certain Nenê Romano, déclencheur d'un duel qui n'aura pas eu lieu. Mais deux ans plus tard, il l'abat et se tue aussi, à l'intérieur d'une voiture sur l'Avenida Angélica. Le titre de son roman s'est avéré prophétique.
Sur tous ces auteurs et romans, de Rio de Janeiro, de São Paulo ou d'ailleurs, planait l'ombre énorme et européenne de Pitigrilli, pseudonyme de l'Italien Dino Segre. Auteur de ce qu'on appelait en Europe un "roman populaire", c'était un personnage pittoresque, un journaliste aux phrases grondantes et provocantes, entre autres performances pour ses fans. Une liste de titres donne à elle seule une idée de leur parenté avec les écrivains que nous avons examinés : mammifères de luxe (1920), la ceinture de chasteté (1921), Cocaïne (1921), outrage à la honte (1922), La vierge 18 carats (1924). Auteur prolifique, voici un petit échantillon de son œuvre torrentielle. Que l'échantillon ne trompe pas le lecteur : il écrivait déjà avant 1920 et continuera d'écrire après 1924, avec des bouleversements dans sa vie et sa résidence, entre l'Italie, Paris et l'Argentine. Ce fut un succès au box-office, son livre serait presque certainement un best-seller, du moins dans sa phase la plus populaire. Il était, en des temps plus cléments, surnommé un « romancier pornographique ». Comme les Brésiliens, il a également disparu.
Les « gens riches » de São Paulo
Une satire de l'élite de la ville de São Paulo est ce que le lecteur a entre les mains, une ville qui se modernisait également sans la splendeur et le faste de la capitale du pays. Le roman procède systématiquement à l'examen des différentes incarnations des principales forces sociales qui détiennent le pouvoir. Des incarnations dans des personnages — tous hommes et blancs, évidemment — constituant des « types » qui peuplent les pages de ce livre.
Pour cette raison même, à cause de cette insistance sur la caractérologie pour ainsi dire, le livre repose davantage sur la description que sur la narration, sur le statique plutôt que sur le dynamique, sur l'approfondissement de chaque type et sur les types dans leur ensemble plus que sur les péripéties du complot. Le sous-titre promet donc ce que le texte accomplit : Scènes de la vie de São Paulo. On voit déjà que la description prend le pas sur la narration, le passage étant clairsemé, quasi inexistant, trame après trame.
C'est une satire qui ne se fait pas systématiquement comme dans un roman cohérent et cohérent dans toutes ses parties, mais par fragments, lignes, intuitions soudaines, accroches, anecdotes. Bref, par des pièces composant une mosaïque appelée roman. Et pour cette raison même, parce qu'il est sans compromis, il permet une relation plus libre et plus ludique avec la forme.
L'auteur a laissé des traces biographiques aussi ténues que les traces de son œuvre. Ici, la grande source est Elias Thomé Saliba,[Xiv] ajoutant cette autre contribution au chapitre précité sur la bande dessinée à l'époque, véritable mine d'informations et de réflexions précieuses. Parmi les traits qu'il mentionne figurent les maigres données professionnelles. Nous savons donc que José Agudo est le pseudonyme de José da Costa Sampaio, originaire du Portugal. Saliba, qui les a tous lus, cite une série de romans, publiés entre 1912 et 1919, préfigurés par Gens riches, le premier de la série, les autres étantdes gens audacieux, Le docteur. Paradol et son aide, Pauvre riche!, Poste restante, Lettres occidentales e la pierre qui parle. De profession, l'écrivain était comptable et professeur de comptabilité. D'un profil modeste et obscur, il était pourtant lu et apprécié, bien que cette appréciation fût éphémère. L'origine de son pseudonyme est déchiffrée comme un jeu de mots par le romancier lui-même en dédiant le livre à João Grave (1872-1934), écrivain portugais. De plus, João Grave était l'auteur d'un roman intitulé les pauvres, un autre jeu de mots. De toute évidence, José da Costa Sampaio a fait bonne impression dans son métier, puisqu'il a été professeur à l'École de commerce Álvares Penteado, ayant fondé et dirigé une prestigieuse revue comptable.
La partie la plus notoire de sa carrière de romancier fut, assez curieusement, une polémique avec nul autre qu'Oswald de Andrade, s'insérant ainsi, même contre son gré, dans les futurs fantasmes modernistes - alors encore planant à l'horizon. Saliba dit que la querelle s'est déroulée dans les pages de le morveux, première incursion d'Oswald dans la presse, journal qu'il crée et dirige à l'âge de vingt ans. Comme personne ne l'ignore, Oswald a su se montrer virulent. En commentant, sous le pseudonyme Joachin da Terra, le récemment lancé Gens riches, envoyé par l'auteur, décide de l'accuser d'ignorance en raison d'une erreur grammaticale présumée déjà dans la dédicace collective au journal. Il y a eu une réponse, José Agudo a répondu et la polémique a pris feu, se transformant en accusations personnelles et autres insultes. Enfin, il perdrait courage et intérêt et disparaîtrait devant des problèmes plus urgents. Il a notamment produit un féroce poème satirique d'Oswald, transcrit par Saliba, mettant fin à la polémique.
L'élite de São Paulo
Malgré toute l'hétérogénéité, Gens riches a un protagoniste, qui est Juvenal de Faria Leme, mieux connu sous le nom de Juvenal Paulista. Sa présence commande presque tous les chapitres, bien que le roman ne soit pas à la première personne, étant celui-ci "personne de l'auteur ». Cependant, c'est le point de vue de Juvenal Paulista qui prédomine, les idées des deux étant constamment confondues. Il n'y a pas de distanciation en ce qui concerne Juvenal Paulista, rarement un soupçon d'objection ou de désaccord. Certes, c'est un alter ego: dans le personnage autonome on peut voir un porte-parole de l'auteur.
Auteur et alter ego partagent une vision fortement critique de l'élite, à qui ils adressent toutes sortes de piques. Le double point de vue est incitant, car si Juvénal est surnommé « pauliste » et fait partie de l'élite, l'auteur est un immigré qu'il serait excessif de qualifier de marginal ou de borderline, puisqu'il est un citoyen respectable. Mais c'est certainement un outsider. Les opinions de l'auteur et du protagoniste, même lorsqu'elles se moquent de l'élite et assument donc une critique progressiste, peuvent être remplies de nuances conservatrices à l'égard des femmes, des Noirs et des pauvres, qui reçoivent des évaluations désobligeantes.
Qui est ce protagoniste ? « Juvénal de Faria Leme était un vrai pauliste » : c'est ainsi que commence le chapitre IV. Un de ses ancêtres faisait partie de d. Pedro lorsque survint le fameux « désordre intestinal » sur les rives de l'Ipiranga, versant carnavalesque de la saga héroïque de l'Indépendance. Signant habituellement Juvenal Paulista, il écrit assidûment pour les journaux et magazines : « J'avais la passion de l'écriture », ce qui le rapproche encore une fois du narrateur. Il critique les idées émises : descendant de bandeirantes, il prétend que s'en vanter revient à se vanter « d'être le petit-fils ou l'arrière-petit-fils de bandits et de voleurs ». Dans sa vie aventureuse, il a été cuisinier et a découvert le sustance, ou chaudron dans lequel les restes étaient bouillis, qui servira de métaphore pour désigner la fausse élite de São Paulo. Pour attiser les dégoûts, il raconte à ses amis qu'il a mangé des içás grillés dans son enfance.
Cependant, comme nous le verrons, les opinions que Juvénal distribue librement à gauche et à droite sur tout ou presque tout, et qu'il croit avancées dans la mesure où elles traitent les quatre cents riches avec moquerie, sont parfois teintées de nuances plus conformes à une attitude grognon. vieil homme de type traditionnel et moraliste.
Tout se passe au centre de la ville de São Paulo, ou, plus précisément, dans le Triângulo, comme on appelait populairement le périmètre délimité par trois rues : Quinze de Novembro, São Bento et Direita – le cœur de la ville, sa plus ancienne noyau, à la fois lieu de mémoire et foyer d'irradiation de puissance. L'ouvrage propose un inventaire systématique des signes spatio-temporels qui le constituent : toponymiques (rues et lieux publics en général, y compris noms de restaurants, bars, boutiques, théâtres, cinémas) et topographiques (pentes, vallées, prés, coins de rues, trottoirs publics). L'objectif est de décrire, de manière précise, le scénario où se déroule l'intrigue et les points principaux — chargés en effet de charge sémantique — dans lesquels se déroule la vie des personnages, qui se confond avec la vie, ou du moins la visage public, de l'élite de la ville.
Pour commencer, les Quatro Cantos sont cités à plusieurs reprises, nom donné à l'angle de la Rua Direita et de São Bento, qui formaient quatre angles droits parfaits – une merveille dans un tissu urbain de rues désordonnées. On dit que c'était la seule intersection orthogonale de São Paulo et qu'elle disparaîtrait avec l'ouverture de la Praça do Patriarca.
La Casa Garraux se distingue dans le Triângulo, pour l'achat de livres, sur la Rua Quinze, aux côtés de Guarany, un café-restaurant, qui pour Juvenal est un repaire de « coprophilie intellectuelle », où les futurs célibataires, arbitres de l'élégance masculine, font valoir leur point de vue. Il est souvent fait mention de la montre de Grumbach, ou plutôt de la bijouterie et horlogerie de Maurice Grumbach, située à l'angle de la Rua Quinze et de la Rua Boa Vista. Sa grande horloge à cadran permettait de voir sous plusieurs angles, grâce à un placement stratégique juste au coin. Icône urbaine, l'horloge de Grumbach est visible sur des photos d'époque qui documentent la ville de São Paulo.
Les autres lieux fréquentés par les personnages sont la Rôtisserie Sportif, le bar et restaurant Castelões, un magasin de luxe comme Ville de Paris, le cinéma Radium, le Casino, la place Antônio Prado. Le Santana et le Politeama illustrent les deux types de théâtre qui prédominaient à l'époque : le Santana lyrique, en forme de fer à cheval, à plusieurs étages de frises et de loges superposées ; le Politeama pour des spectacles variés, comme son nom l'indique. Vous pouvez voir le viaduc de Santa Ifigênia en construction et parler de l'inauguration imminente du théâtre municipal. Le roman mentionne plus de lieux, et même hors les murs, recherchés par l'élite : le Vélodrome, l'Hippodrome, la rivière Tietê des régates, Jardim da Luz, Bosque da Saúde, Parque da Cantareira. Pour les vacances, des stations balnéaires et des plages de Guarujá ou de Santos comme José Menino, aux saisons en Europe.
Il est bon de rappeler que São Paulo à cette époque n'était pas encore une ville importante. Il a perdu, et de loin, face à la capitale du pays, Rio de Janeiro. Le tissu urbain était exigu, sans aucune des somptuosités architecturales qui parsèment le Rio Velho et qui le distinguent comme une métropole de tradition. Comme la splendide beauté est et était unique, la majesté de sa situation en bord de mer, dans la baie de Guanabara, avec des reliefs pittoresques et des découpes de criques ou calanques, auxquelles s'ajoutent des plages de sable blanc à perte de vue. Si nous pouvons ouvrir un débat sur la beauté naturelle et architecturale, nous ne pouvons pas discuter de chiffres. A l'aube du XXe siècle, lorsque se déroule le récit, Rio comptait cinq fois plus d'habitants que São Paulo. Le début de São Paulo pour devenir la « métropole tentaculaire » brésilienne et américaine, l'une des plus grandes au monde, ne s'est pas encore révélé dans les brumes du futur.
Le roman des douanes et ses mésaventures
La structure narrative de Gens riches il cherche à rendre justice à la cartographie de la ville, qui s'envolait vers un devenir de parc industriel, mais ignore la formation du prolétariat de São Paulo. Bien qu'absente du roman, la classe avait déjà à ce stade une telle présence qu'elle avait mené une grève pour de meilleures conditions de travail en 1907,[Xvi] dirigé par des syndicalistes révolutionnaires en alliance avec des anarchistes et des socialistes. Un an plus tôt, la Confédération brésilienne des travailleurs avait été créée. Mais, en dehors de l'élite qui occupe le centre de la ville, ce livre, conforme à son titre, ne reconnaît pas l'existence d'autres quartiers et d'autres couches sociales à São Paulo, pas même dans les fantasmagories des personnages. Et ce n'est qu'au début des années 1930 que naquit le « roman prolétarien », dont la fleur naquit parc industriel (1933), par Pagu.[xvii] Se Gens riches ignore le nouveau phénomène des travailleurs de la scène sociale de São Paulo, une grande partie de la fiction est passée indemne du modernisme, même après la Semaine de l'art moderne.[xviii]
De votre côté, Gens riches, à la recherche de solutions littéraires, s'appuiera sur l'établissement de grandes différences entre les chapitres : avec une certaine exagération, on peut presque dire que chacun est différent de l'autre. Ainsi, on verra des épisodes de rue, dans lesquels des personnages se rencontrent et se parlent, régnant comme principe la notion de promenades en ville. Les personnages sont des flâneurs qui foulent une future métropole, qu'ils semblent circonscrire idéalement ou imaginairement de leurs pas. Tout cela en phase avec le processus de modernisation en Occident, quand les rues de la métropole et ses points de confluence (bars, restaurants, cinémas) deviennent des espaces de sociabilité,[xix] capable de provoquer des rencontres, au service du désir de voir et d'être vu.
L'intrigue s'articule autour d'un axe constitué par le chapitre central, le chapitre V, qui occupe environ un cinquième du total, ne laissant que quatre cinquièmes pour les dix chapitres restants - certes une disproportion visuelle, et qui entraîne des conséquences pour l'harmonie de l'intrigue. ensemble. C'est là que réside le pivot du récit et, comme on pouvait s'y attendre, l'importance de ce qui est raconté exige une telle extension. Voyons donc ce que dit cet énorme chapitre.
Traiter de l'installation de Mútua Universal, une association d'investissement, est situé dans une salle au premier étage de la Rua São Bento. Concrètement, l'assemblée avait pour objet « d'instituer une rente pour les emprunteurs pendant vingt ans, et une rente de trente contos de réis payable, au décès du fondateur, à ses bénéficiaires ». C'est là que prévaut ce que le roman appelle la « mutuomanie » entre caïds, très en vogue ces années-là. Des gens aisés ont fondé des associations d'entraide, faisant des investissements qui rapporteraient et se multiplieraient, servant des intérêts qui atteindraient leur paroxysme à notre époque. Pour autant, elles ne sont qu'une pâle anticipation, si on les compare à la spéculation sur le capital financier qui s'exprime aujourd'hui, par exemple, dans le fonds de couverture, et le déséquilibre économique à l'échelle planétaire auquel la société dans son ensemble a été amenée.
Dans le groupe qui a fondé Mutua, il y a des discussions politiques et idéologiques, avec une prédominance de moralisme nostalgique. On parle de prix élevés pour les pauvres, compte tenu de la montée de la spéculation immobilière, qui rendra les loyers exorbitants. Le progrès est applaudi, ce qui apporte cependant des désagréments mineurs aux emprunteurs comme l'émergence de parvenus, ou de pères et mères négligents.
Le large spectre couvert par ces membres appartenant à l'élite est explicité dans une série de portraits qui, en quelques traits, esquissent des caricatures de personnalités influentes. Nous en présentons ci-dessous un résumé, sans préjudice des petites anecdotes vives qui accompagnent chaque nom et qui méritent d'être savourées dans le roman lui-même.
Dr. Gustavo da Luz est l'un des plus caricaturés dans son exagération et son avilissement : un « savant fou » spécialiste des tatous, des fourmiliers et des puces, qui en tire des leçons pour l'homme. Le docteur. Archanjo Barreto est très riche, seul. Jeronymo de Magalhães a atteint la prospérité en se mariant avec un prêteur sur gages; Adelino Silveira est son gendre et héritier. Le commandant Julio Marcondes est issu d'un milieu pauvre, mais il a épousé un homme riche et fait désormais partie de l'élite. Il s'est consacré à être un entremetteur scientifique, créant un livre de comptes pour les héritières. Le docteur. Orthépio Gama, représentant des politiques, est député et, bien entendu, riche. Le colonel Rogerio Lopes a une solide fortune agro-industrielle : il possède une usine de tissus et une ferme de café. Votre fils Dr. Zezinho Lopes, licencié en droit, est une salope, dépensière et coureur de jupons, qui fréquente de joyeuses pensions. Pris la bouche dans la boîte, le mari trompé l'oblige à laver le sol de la maison, dans une aventure médiatisée pour que chacun puisse s'amuser dans les coulisses ; le père l'épouse alors de force, âgé de 23 ans. Alexandre Rossi (le seul à avoir un nom de famille immigré) a créé une industrie en partenariat avec le Dr. Claro da Silva, en échange de lui offrir sa femme; c'est comme ça qu'il est devenu riche. Le baron d'Athayde est esclavagiste et raciste, mais il est aussi philanthrope ; vit du loyer de maisons louées. Le docteur. Araujo Reis est un mauvais personnage : il devient journaliste, et vénal, se vendant au meilleur prix. En cinq ans, il était riche et était l'unique propriétaire du journal pour lequel il travaillait.
C'est le casting des puissants que le roman présente dans une tonalité satirique : pas un seul n'a d'intégrité ou de décence. On observe qu'ils représentent différents secteurs des couches dominantes, partageant plus ou moins le pouvoir. La satire, qui n'épargne personne, préside à la caractérisation de chacun d'eux en termes minimaux.
Cependant, la force de l'immigration, qui à cette époque battait son plein, est ignorée en tant que mouvement social qui allait bientôt changer la face du pays, et en particulier de São Paulo — comme nous l'avons vu, le prolétariat le fait. Le seul emprunteur non "quatre cents" est Alexandre Rossi, et, même s'il est le seul, il manque de développement en tant que personnage. Mais, à São Paulo à l'époque, dans quelques années un immigrant serait le roi de l'industrie (Matarazzo) et, pénétrant la querelle de l'oligarchie foncière, un autre immigrant serait le roi du café (Lunardelli). Le contingent italien laissera sa marque sur Pauliceia, imprimant son sceau sur l'économie et la politique, sur le choc des classes, sur les arts, sur la littérature, sur la musique classique et populaire.[xx]Bientôt, ses personnalités pourront échanger de l'argent contre du pedigree, en épousant les filles de barons du café en ruine.
Fait intéressant, cette présentation des membres de Mutua sera complétée, presque comme une annexe ou une note de bas de page, par la « transcription » d'une parodie de ses statuts, dans une interpolation deux chapitres plus loin. Le dépliant était auparavant distribué par la poste. C'est ce qui se passe au chapitre VII, au milieu d'une représentation de La Dame aux camélias avec l'actrice Mina Lanzi au Teatro Santana, fréquenté par l'élite de la ville.
C'est presque huit pages[Xxi] à partir d'un texte anonyme, proposant la création du Showing Club, au milieu d'une radiographie de la société pauliste et d'une typologie des membres.
Bien qu'anonyme, le texte rappelle les éclats habituels de Juvénal - toujours préjugés et avec de fortes marques de classe. Il commence par une censure du manque de logements locatifs, disant que cela implique la prospérité pour leurs propriétaires, car ils sont tous loués. Et il ajoute une autre admonestation… aux cuisiniers, qui, au lieu de manier le fourneau, vont étudier à l'Ecole Normale, de cesser d'être cuisiniers, évidemment. L'Ecole Normale était une institution récente et modernisatrice, qui sortait les filles de la maison et ouvrait la voie à un métier digne. Pour cette raison, ces signes d'indépendance féminine ont suscité la colère de nombreuses personnes, hantant les hommes de vagues mirages de conduite plus permissive. Rappelez-vous simplement la fréquence avec laquelle ils parcourent les pages du modernisme (Pagu était un normaliste).[xxii] Un autre coup de gueule suit, celui-ci aveugle, stigmatisant ceux qui ne veulent pas rendre des services moins nobles, car, nationaux comme étrangers, tout le monde est content. Seuls « les tricheurs, les voleurs, les maîtres chanteurs et proxénètes ».
Ensuite, le pamphlet se concentre sur son objectif, qui est de proposer, à la blague bien sûr, la création d'une autre mutuelle, celle qui s'appellera Showing Club et dont la devise est une phrase en anglais : «Affichage pour toujours!”. Titre et devise ouvrent grand l'objectif d'ostentation. C'est une parodie de la mutuelle qui a été créée pour de bon au chapitre V. Voyons ses propositions.
Pas de siège social, pas de portier, pas de visites de collectionneurs, pas de règlement intérieur, pas de conseil de surveillance, pas d'assemblée générale, pas de répartition : tels sont les avantages, tous négatifs. Dans le solde positif, il est proposé que tous appartiennent au club par droit de naissance, qui doit être ratifié par le candidat. S'il est ratifié, il sera perpétuel. Vient ensuite le classement des membres par catégorie, selon qu'ils sont effectifs, honoraires, méritoires et ultra-méritoires. Et c'est ici que la satire prend son envol, transgressant toutes les limites et allant vers la chanchada la plus éhontée.
Pour être membre effectif, il suffit que la date de votre anniversaire apparaisse dans les colonnes sociales ou que vous ayez une voiture. Les fonctionnaires qui reçoivent des hommages, avec ou sans buste sculpté, sont inclus. Députés et sénateurs, tous ceux qui parlent – les silencieux, non. Les conférenciers, les barbus qui se rasent la barbe, ceux qui ont un titre de noblesse même s'ils sont conférés par le pape, les membres de la Garde nationale, les célibataires qui n'exercent pas leur métier.
Les frais incluent ceux qui voyagent à l'étranger, ainsi que les personnes qui font des dons caritatifs auxquels ils donnent le plus de publicité possible.
Les bienfaiteurs garantissent l'institution de la famille : ils entretiennent des amants ostentatoires et des enfants gaspilleurs, ils sont des clients de jeux, ils s'abonnent à des boîtes de théâtre pour leurs couples ou leurs familles multiples.
Les ultrabienfaiteurs sont ceux qui parviennent à trouver un écho dans la presse étrangère pour leur pratique de la philanthropie.
Tous les lettrés sont interdits d'entrée. Et ce parce qu'ils sont soumis à la critique selon laquelle tout membre du club est tenu d'en être exempté.
Et ainsi se termine le pamphlet, après avoir critiqué avec sa satire la promiscuité de la famille de São Paulo, l'hypocrisie des politiciens et l'avidité générale pour la célébrité.
Une fois le texte terminé, au milieu de ce qu'ils appelaient brouhaha à la porte du Teatro Santana et la magnificence de la foule en tenue de soirée, rencontrez Juvenal et dr. Zézinho. Toujours opiniâtre, Juvénal dit bientôt ce qu'il pense. Il commence par critiquer les gratte-ciel, copiés sur les américains. Cependant, ajoute-t-il, il vaut mieux un pamphlet qu'une bombe à la dynamite lâchée d'en haut sur l'auditoire bondé. Le mal est l'exhibitionnisme des riches. Et le texte est bien écrit, dit-il, chose rare chez ceux qui ne montrent que « l'empressement à s'enrichir, le goût du gaspillage et le mépris de la belle littérature ».
A ce point, le roman reprend la ligne du récit, le son de la cloche annonçant le lever du rideau. Une digression du narrateur fulmine l'invention des « cinématographes, avions, automobiles et télégraphes sans fil », alliée au culte de la vitesse qui bouleverse les habitudes de vie, de pensée et d'appréciation de l'art. Ironiquement, bien sûr, le cinématographe, qui remplace peu à peu le soirée danser, épargnant aux parents la présentation de filles à marier aux garçons disponibles lors de fêtes domestiques coûteuses. Une séance de cinéma rapide et bon marché vous permet de montrer vos filles couvertes de bijoux et d'articles de toilette de luxe aux candidats qui sortent des couloirs.
L'intrigue avance, avec Juvenal Paulista parmi des amis, certains de Mútua, faisant encore une autre digression dans l'intervalle de l'avant-dernier acte. Cette fois, sous la forme d'une lettre, adressée aux conseillers municipaux et commentant l'inauguration prochaine du Theatro Municipal. Au milieu d'élucubrations diverses, généralement destinées à faire briller l'ingéniosité du discours, qui, par exemple, compare ce théâtre à un canif, finit par menacer la future administration de la maison, si elle dilapide l'argent public qui y est investi. Peu de temps après la fin du drame sur scène et, comme c'était la coutume, quelqu'un se lève et prononce un discours à la louange de Mina Lanzi. Le discours est parodique, chef-d'œuvre de lieux communs entrecoupés d'hyperboles nationalistes et parnassiennes. L'orateur est Leivas Gomes.
À ce stade, nous voyons comment l'élite de São Paulo de l'époque est représentée dans Gens riches dans leurs lignes électriques. L'ancienne oligarchie, composée de « quatre cents », est aux commandes. Son pouvoir politique est basé sur le pouvoir économique, qui provient de ce que l'on appelle l'axe du café et du lait, combinant la richesse agraire de São Paulo avec la richesse du bétail du Minas Gerais. C'est le Café com Leite Axis qui a fait les premiers présidents civils de la République. Et seul l'avènement de Getúlio Vargas en 1930 interrompra cette alliance de fer, portant au pouvoir les forces gauchos, venues du Sud, donc de l'extérieur du territoire jusque-là délimité. Getúlio s'appuierait sur la classe ouvrière, apportant du sang neuf et de nouveaux problèmes dans l'arène sociale et politique. C'est la période précédente, antérieure à la phase gétuliste qui ne se dessinait même pas à l'horizon, qui Gens riches saisir et décrire.
[...]
Deux observations parallèles suscitent l'intérêt du lecteur. D'abord, son aversion pour la nouvelle mode des romans policiers ou policiers, contre laquelle il s'enflamme avec des arguments qui vont de l'offense à l'Art, avec une majuscule, au bas niveau social des lecteurs : ce roman fait « le bonheur des écoliers, des commis de taverne et bandits professionnels ». Deuxièmement, une prétention à l'originalité, puisque, selon lui, il n'y a jamais eu d'œuvre littéraire faisant l'éloge de la richesse.
Puisque les riches sont son sujet, un thème dont il prétend être bien informé, il décide de leur dédier son travail, car il vise à atteindre en tant que lecteurs ceux qu'il déclare son grand amour. Une dernière ironie, celle-là involontaire, s'exprime dans cette présentation, lorsqu'il parle avec admiration des œuvres qui « parviennent, bien écrites, à résister à l'oubli universel ».
Bref, amusant et vivant, Gens riches a ses attraits mis en évidence quand on considère que, fuyant la source rayonnante dans la capitale fédérale, elle a cherché en province les traumatismes de la modernisation républicaine. Chronique satirique de l'élite sur un ton pré-moderniste, elle s'attache à créer pour le lecteur une œuvre de fiction en forme de mosaïque : témoignage d'une littérature et d'une histoire errantes qui, étant transitoires, sont grosses de la avenir.
*Walnice Nogueira Galvao est professeur émérite à la FFLCH de l'USP. Auteur, entre autres livres, de lecture et relecture (Senac/Or sur bleu).
Référence
José Agudo. Gens riches: scènes de la vie de São Paulo. São Paulo, Chão Editora, 2021, 200 pages.
notes
[I] Elias Thomé Saliba, « La dimension comique de la vie privée dans la République », in : Fernando A. Novais (dir.), Histoire de la vie privée au Brésil, v. 3 —République : de la belle époque à l'ère de la radio(org. Nicholas Sevcenko). São Paulo : Companhia das Letras, 1998.
[Ii] Divers auteurs, À propos du pré-modernisme. Rio de Janeiro : Fondation Casa de Rui Barbosa, 1988.
[Iii] Inexplorée, cette fiction oubliée peut rapporter beaucoup. En transférant l'angle analytique de la littérature à la musique, c'est ce que José Ramos Tinhorão a démontré : v. Musique populaire dans le roman brésilien. São Paulo : Editora 34, 2000, 3 v.
[Iv] « Dialectique du malandragem », dans : Antonio Candido, La parole et la ville. 3.a éd. São Paulo : deux villes ; Or sur bleu, 2004.
[V] « L'Honorable et Facundo Joaquim Manuel de Macedo », dans : Antonio Candido, Formation de la littérature brésilienne. 16.a éd. São Paulo : Fapesp ; Ouro sobre Azul, 2017.
[Vi] Flora Süssekind, « Zigzag Prose », dans : Luis Guimarães Jr., La famille des aiguilles. Rio de Janeiro : Vieira & Carême ; Maison de Rui Barbosa, 2003. Brito Broca, « Humour nègre », dans : théâtre de lettres. Campinas : Unicamp, 1993.
[Vii] Rien d'humoristique, au contraire naturaliste et « maudit », mais aussi un roman de Rio de Janeiro est le bon nègre (1895), dont le protagoniste est un marin homosexuel mulâtre. V. Salete de Almeida Cara, « Présentation », dans : Adolfo Caminha, le bon nègre. São Paulo : Éditorial Ateliê, 2014.
[Viii] Nicolau Sevcenko, « La capitale radieuse : technique, rythmes et rites de Rio », in : Histoire de la vie privée dans la République, op. cit.
[Ix] Décio de Almeida Prado, « Évolution de la littérature dramatique », in : Afrânio Coutinho, Littérature au Brésil,v.vi. 3.a éd. Rio de Janeiro : José Olympio ; uff, 1986. La pièce d'Artur Azevedo remporte un grand succès dans les mises en scène modernes, comme celle mise en scène par Flávio Rangel en 1972, au Teatro Sesc Anchieta de São Paulo.
[X] ER Curtius, Littérature européenne et Moyen Âge latin. São Paulo : Hucitec ; Edusp, 1996. Raymond Williams, dans La campagne et la ville(São Paulo: Companhia das Letras, 1990), examine l'évolution du thème dans la littérature anglaise.
[xi] Walter Benjamin, « Paris, capitale du XIXe siècle », in :des billets. Belo Horizonte ; São Paulo : ufmg ; Presse officielle, 2006.
[xii] Antonio Dimas, Ton insolence : chroniques — Olavo Bilac. São Paulo : Companhia das Letras, 1996.
[xiii] (Pseudonyme de José Maria de Toledo Malte) Hilário Tácito, Mme Pommery. Édition préparée par Júlio Castañon Guimarães. 5.a éd. Campinas; Rio de Janeiro : Unicamp ; Maison de Rui Barbosa, 1997.Beth Brait, L'ironie en perspective polyphonique. Campinas : Unicamp, 1996.
[Xiv] Elias Thomé Saliba, "Aventures et mésaventures de José Agudo, chroniqueur de Pauliceia à la belle époque".Magazine de l'USP, São Paulo, non.o 63, sept.-nov. 2004.
[xv] Chantée en prose et en vers par la musique populaire, à commencer par la marche du Carnaval de 1935, « Cidade Maravilhosa », officialisée plus tard comme hymne de Rio de Janeiro. C'était et c'est un thème constant du carnaval carioca. Elle sera portée en hauteur par Bossa Nova, qui vantera systématiquement sa splendeur.
[Xvi] Edilène Tolède, Anarchisme et syndicalisme révolutionnaire : ouvriers et militants à São Paulo sous la Première République. São Paulo : Fondation Perseu Abramo, 2004.
[xvii] Pagu, ou Patrícia Galvão, signe le livre sous le pseudonyme de Mara Lobo. Communiste et féministe, ce roman de mœurs urbaines subvertit les classes et les genres. Mettant en scène, dans une prose moderniste quasi « télégraphique », la vie des ouvrières à l'intérieur et à l'extérieur de l'usine, il s'avère transgressif tant dans la forme que dans l'intrigue, révélant, par contraste, le standard esthétiquement plus conservateur du roman contemporain.
[xviii] Voir si Mirko(1927), un roman de Francisco Bianco Filho, qui souffre d'un clivage schizophrénique : il se divise en deux moitiés qui s'alternent et s'entremêlent. L'un est régionaliste (à l'intérieur tout est pur, authentique, traditionnel, l'héroïne est chaste) et l'autre est de mœurs urbaines (à Rio de Janeiro réside la modernisation, l'orgie nocturne, la débauche, la maxixe pour danser, l'attirance charnelle de l'autre héroïne).
[xix] Voir Walter Benjamin, op. cit.
[xx] Dans les arts visuels : Portinari, Anita Malfatti, Victor Brecheret. Dans Littérature : Menotti del Picchia et la fiction de Laranja de Chineet Bras, Bexiga et Barra Funda, d'Alcântara Machado, qui reconstitue la coloration typique des quartiers de orundi. En musique classique : chefs d'orchestre et compositeurs Radamés Gnattali et Francisco Mignone ; en musique populaire : Adoniran Barbosa (pseudonyme de João Rubinato) En humour, Juó Bananère (pseudonyme d'Alexandre Ribeiro Marcondes Machado) et Voltolino (João Paulo Lemmo Lemmi). Les immigrés italiens constitueraient également la force motrice du Teatro Brasileiro de Comédia et de la Companhia Cinematográfica Vera Cruz. La caractérisation d'un héros hillbilly au cinéma appartiendrait à Amácio Mazzaropi.
[Xxi] Dans la première édition.
[xxii] Il avait déjà produit un roman naturaliste qui frisait le sensationnalisme : le normaliste(1893), par Adolfo Caminha. Comme en littérature, l'étiquette d'indépendante et de transgressive appliquée à ces jeunes femmes apparaît dans le Carnaval, la musique populaire, les revues, les dessins animés et les caricatures.