Histoire d'un livre : La démocratie en France

whatsApp
Facebook
Twitter
Instagram
Telegram

Par CARLOS GUILHERME MOTA*

Commentaire sur le livre récemment publié par Marisa Midori Deaecto

« Un spectre hante l'Europe, le spectre du communisme. Toutes les puissances de la vieille Europe se sont alliées dans la sainte persécution de ce spectre, le pape, le tsar, Metternich, Guizot, les radicaux français et les gendarmes allemands ». (Karl Marx et Friedrich Engels. Manifeste communiste, 1848).

Il est très rare, dans l'historiographie brésilienne, de rencontrer des auteurs prêts à s'aventurer dans les profondeurs internationales, peut-être parce que dans certaines cultures les critères d'excellence sont très élevés. Et, sauf exceptions, pris au sérieux.

Auparavant, l'historienne Marisa Midori Deaecto nous avait déjà proposé des livres devenus des classiques, notamment O empire du livre. Institutions et pratiques de lecture à São Paulo au XIXe siècle (São Paulo : EDUSP, 2019), avec lequel il a reçu le Prix Jabuti (2012) et le Prix Sérgio Buarque de Holanda, de la Fondation de la Bibliothèque nationale (2011). Marisa apparaît maintenant avec une étude très difficile, érudite et importante. Il s'agit de Histoire d'un livre : La démocratie en France, de François Guizot (1848-1849), ouvrage/essai de ce célèbre homme politique français libéral, historien et publiciste actif dans la vie politique française et européenne de la première moitié du XIXe siècle. Militant orléaniste, historien, il devient une référence dans le domaine du droit constitutionnel, selon les principes victorieux de la Révolution de Juillet (1830).

François Pierre Guillaume Guizot est né à Nîmes en 1787. Ses grands-parents étaient bergers. En 1794, son père, juriste, est guillotiné après avoir rejoint le mouvement fédéraliste, au milieu des luttes entre montagnards e girondins. La famille s'installe ensuite à Genève, où Guizot termine ses études. En 1805, il entre à la faculté de droit de la Sorbonne, clé des salons parisiens, notamment, le cercle de Suard, directeur du journal vous avez annoncé. En 1814, il devient titulaire de la chaire d'histoire moderne. Il débute sa carrière politique sous le régime de la Restauration, au bureau de Talleyrand, cependant, après l'assassinat du duc de Berry, qui marque l'essor de la ultra au pouvoir, il devient un virulent adversaire du roi des Bourbons.

Les écrits les plus percutants sur le gouvernement représentatif datent de cette période, d'où l'intérêt pour le modèle anglais, qui devint une source d'inspiration pour la défense de la milieu équitable Français. A cette époque, il publie Histoire de la Révolution en Angleterre (2 vol., 1826-1827) et cours d'histoire moderne (6 vols., 1829-1832), qui comprenait les volumes sur l'Histoire de la civilisation européenne et française, avec plusieurs rééditions revues et augmentées par l'auteur.

Dans sa carrière politique, Guizot fut ministre de l'Instruction publique, ayant créé, en 1834, la chaire de droit constitutionnel à la faculté de droit de Paris. Il nomma pour lui succéder le constitutionnaliste italien Pellegrino Rossi, qui publia le cours de Droit constitutionnel en plusieurs volumes (Paris, 1866).

Guizot fut également, pendant une brève période, Premier ministre de la France, du 19 septembre 1847 au 23 février 1848. Il mourut au Val-Richer, en Normandie, loin des agitations parisiennes, en 1874.

si, dans L'empire des livres, l'approche est compréhensive et diachronique, désormais, du point de vue méthodologique, l'historiographie s'enrichit de l'approche concentrée dans le temps et dans un objet unique : l'édition de De la démocratie en France, conçu fin 1848 et publié en janvier 1849.

En effet, l'auteur révèle, en tant qu'historien et critique de la culture, de nouvelles perspectives pour le travail historique et historiographique. Et il le fait sur deux plans, largement conjoints. Dans le champ monographique strictement académique-scientifique, en s'attachant comme objet, et avec la plus grande rigueur, à un seul livre dans ses multiples dimensions : technique, bibliographique, historiographique-idéologique, historico-sociale, marketing, contextuelle, politique. Et, sur le plan méthodologique, pour avoir appliqué une approche inspirée, rigoureuse et innovante dans la perception des impacts de ce travail sur la critique et sur la vie politico-culturelle européenne et américaine, compte tenu de ses contextes historiques nationaux et internationaux.

Le lecteur de cette thèse universitaire, présentée pour obtenir le titre de professeur à l'USP, au terme du parcours analytique de l'auteur, des raisons du choix du livre à examiner, en passant par l'examen technique minutieux de sa facture, et le détail étude qui a impliqué la vie, les idées et la production de l'auteur-personnage, l'idéologue Guizot, ses éditeurs, diffuseurs, commerçants, critiques et enfin les lecteurs, aura la dimension juste, complète et complexe de ce que signifie l'objet-livre, en particulier un livre de cette petite taille, écrit selon les marées, courants et contre-courants de la pensée de l'époque. Autrement dit, un objet incontestablement différencié, compris par l'auteur comme une synthèse de multiples déterminations.

L'analyse des étapes des événements et des répercussions du livre de Guizot est exquise, l'accompagnant tant en Europe qu'aux États-Unis et retentissant au Brésil.

L'auteur a voyagé et recherché dans les pays couverts par l'œuvre de Guizot, et dans lesquels des penseurs et des militants du niveau de Proudhon, certainement la figure la plus marquante du socialisme français, ont agi contre. Et l'historien lance une note discrète et pas du tout subtile à la fin du chapitre, dans laquelle il rappelle que, « des mois avant la Révolution de février, le ministre Guizot ordonna la persécution et l'expulsion de plusieurs socialistes étrangers de Paris, parmi lesquels Karl Marx et sa famille. ».

L'un des points forts de son analyse est le maniement sophistiqué des auteurs, notamment des spécialistes de l'Histoire du Livre (Frédéric Barbier, Robert Darnton) et de mon regretté maître Jacques Godechot, parmi tant d'autres. Mais aussi sur le plan conceptuel, la rigueur de Marisa est exemplaire : prenons en exemple le concept clé de société civile, pierre de touche de la pensée libérale, ou le rapprochement de Guizot avec Alexis de Tocqueville : « Dénonçant l'« idolâtrie démocratique », Guizot fait écho au credo libéral , dans le manuel duquel la représentation démocratique, sous la forme du suffrage universel et de l'élargissement des moyens de formation de l'opinion publique, constitue l'élément principal de la déstabilisation de la politique, de la société et de l'économie d'une nation. En d'autres termes, de l'ordre bourgeois.

Et l'historien complète : « Le peuple – écrit Guizot, d'inspiration tocquevilienne évidente – a droit à l'empire seul ; et aucun rival, ancien ou nouveau, noble ou bourgeois, ne peut être admis à partager avec lui le pouvoir ». (Dans une note, il note : « Il est intéressant de noter que Guizot n'offre qu'une critique ouverte et nominale de Poudhon... En ce qui concerne la critique de la propriété, l'étude la plus importante est peut-être celle de Proudhon, l'hostilité de nos l'auteur, Guizot, est remarquable. ”…).

En plus de l'étude des personnages-auteurs, le soin de l'auteur avec des concepts clés, comme celui de société civile. A propos de l'inspiration tocquevillienne dans l'élaboration de La démocratie en France, montre l'historien que « c'est dans la politique française, où l'auteur est passé de protagoniste à spectateur, qu'il fait son plongeon le plus radical » :

« Il ne s'agit donc pas d'un raisonnement historique sur les destinées du gouvernement et de la démocratie au cours du siècle. En réaffirmant sa position de doctrinaire, Guizot s'empare des « concepts et catégories d'analyse qui sont à l'ordre du jour, comme la classe, la société, l'État, la représentation, le pouvoir », en vue de construire une plate-forme politique pour son parti. La démocratie en France, comme le dira plus tard un journaliste, représente son retour et celui de ses partisans sur la scène politique ».

***

Enfin, l'étude de Marisa Midori Deaecto permet de comprendre non seulement les dilemmes, mais l'ambiguïté essentielle du libéralisme : « Nous avons vu que François Guizot reconnaît la victoire du Tiers État et de la bourgeoisie comme un héritage irrévocable de la Révolution. Mais il craint le peuple. L'ennemi commun, contre lequel il exhorte les classes possédantes et les secteurs libéraux, est le socialisme. En France, la république, le suffrage, la suprématie de la classe ouvrière, le sentiment anti-religieux, le relâchement des valeurs familiales en un mot, c'est le socialisme. En lui est la racine de tout mal. C'est là le pillage de la propriété, la conquête sacrée de l'homme.

Et, en donnant la clé de compréhension du livre et de son auteur, l'auteur prévenait, dès l'ouverture de son analyse : « Pour mener à bien son combat, Guizot ne ménagera aucune énergie. La construction du livre dans l'espace éditorial et politique français, mais aussi international, est la preuve la plus éloquente de tout son effort pour toucher ses lecteurs sur les flancs » (p. 73).

Bref, en rétablissant le lien entre les hommes et les livres, à partir de la trajectoire politique de François Guizot, à un moment particulièrement critique, au milieu des Révolutions qui secouent l'Europe en 1848, l'auteur éclaire le portrait d'une grande figure du XNUMXème siècle. En un mot : un libéral conservateur, constitutionnaliste et presbytérien.

*Carlos Guilhermé Mota, historien, est professeur émérite à la FFLCH-USP et professeur titulaire d'histoire culturelle à l'Universidade Presbiteriana Mackenzie. Auteur, entre autres livres de Idée de Révolution au Brésil (1789-1801) (Éditeur Cortez).

Référence


Marisa Midori Deaecto. Histoire d'un livre : La démocratie en France de François Guizot. São Paulo, Ateliê Editorial, 2021, 368 pages.

 

Voir ce lien pour tous les articles

10 LES PLUS LUS AU COURS DES 7 DERNIERS JOURS

__________________
  • L'Europe se prépare à la guerreguerre de tranchées 27/11/2024 Par FLÁVIO AGUIAR : Chaque fois que l'Europe se préparait à la guerre, elle finissait par se produire, avec les conséquences tragiques que nous connaissons
  • Abner Landimlaver 03/12/2024 Par RUBENS RUSSOMANNO RICCIARDI : Plaintes à un digne violon solo, injustement licencié de l'Orchestre Philharmonique de Goiás
  • La troisième guerre mondialemissile d'attaque 26/11/2024 Par RUBEN BAUER NAVEIRA : La Russie ripostera contre l'utilisation de missiles sophistiqués de l'OTAN contre son territoire, et les Américains n'en doutent pas
  • Le mythe du développement économique – 50 ans aprèsledapaulani 03/12/2024 Par LEDA PAULANI : Introduction à la nouvelle édition du livre « Le mythe du développement économique », de Celso Furtado
  • Les chemins du bolsonarismeciel 28/11/2024 Par RONALDO TAMBERLINI PAGOTTO : Le rôle du pouvoir judiciaire vide les rues. La force de l’extrême droite bénéficie d’un soutien international, de ressources abondantes et de canaux de communication à fort impact.
  • Ce n'est pas l'économie, stupidePaulo Capel Narvai 30/11/2024 Par PAULO CAPEL NARVAI : Dans cette « fête au couteau » consistant à couper de plus en plus et plus profondément, quelque chose comme 100 ou 150 milliards de R$ ne suffirait pas. Ce ne serait pas suffisant, car le marché n'est jamais suffisant
  • Aziz Ab'SaberOlgaria Matos 2024 29/11/2024 Par OLGÁRIA MATOS : Conférence au séminaire en l'honneur du centenaire du géoscientifique
  • Les spectres de la philosophie russeCulture Burlarki 23/11/2024 Par ARI MARCELO SOLON : Considérations sur le livre « Alexandre Kojève et les spectres de la philosophie russe », de Trevor Wilson
  • Qui est et qui peut être noir ?pexels-vladbagacian-1228396 01/12/2024 Par COLETIVO NEGRO DIALÉTICA CALIBÃ: Commentaires concernant la notion de reconnaissance à l'USP.
  • N'y a-t-il pas d'alternative ?les lampes 23/06/2023 Par PEDRO PAULO ZAHLUTH BASTOS: Austérité, politique et idéologie du nouveau cadre budgétaire

CHERCHER

Recherche

SUJETS

NOUVELLES PUBLICATIONS