PAR ALEXANDRE PAR OLIVEIRA TORRES BOURREAU*
Commentaire sur "Ciné socialisme"
« Même condamné à mort, un simple rectangle de trente-cinq millimètres sauve l'honneur de toute réalité… » (Jean Luc Godard)
La question serait qui est Jean-Luc Godard, qu'est-ce que le cinéma, qu'est-ce que ça veut dire vivre dans un monde d'« images », déraper, avant la fin de la première période, dans le lieu commun le plus vulgaire, image d'une image , qu'il connaît. C'est ça cliché, comme vous devez déjà le comprendre (pour que la photographie de notre époque donne l'air de son manque de grâce), est le mot d'ordre de nos pauvres "aujourd'hui". Et malgré l'excès d'adjectifs, un défaut de caractère évident, j'essaie de passer indemne du bon vouloir de ceux qui m'arrivent de lire ces mal coquins et je reviens à la question et me demande, qui est JLG. La question (aussi et surtout de la biographie faite par Antoine de Baecque) nous aide aussi à poser les films : qui les imagine ?
Mieux, faisons une pause. Comprenons bien le lapsus du devineur du week-end : ce n'est pas vraiment « la » question. Tellement évident. Que voit un certain JLG, vieil homme, mètre en scène à la retraite (ou presque)? La question, comme d'habitude, revient au destinataire (à son grand désarroi) : que voyons-nous (et imaginons-nous) après tout quand nous imaginons et voyons ? Nous sommes déjà à notre point de départ ou presque. Car c'est « la » question qu'un certain Jean-Luc se pose depuis plus ou moins cinquante ans : et depuis l'ouverture de Pierrot le fou [Le démon de onze heures] où les « images » des choses se dévoilent de manière si flagrante – « je fume Hollywood pour mon succès » – il n'y a pas lieu de se laisser « leurrer » par le cinéma. Ce que nous voyons et imaginons voir est ce que nous sommes, voyant et imaginant. Puis, filmer quoi, filmer comment ?
« Cette pauvre Europe, non purifiée mais corrompue par la souffrance, non exaltée mais humiliée par la liberté retrouvée – dit une femme noire, tandis que les noms des pays et des villes où le film a été tourné sont inscrits en lettres godardiennes colorées. 'Egito', 'Palestina', 'Smyrna', 'Hellas' [Grèce], 'Odessa', 'Naples', 'Barcelona' et qui apparaissent en composition avec 'From gold', 'The scoundrels', 'Stories', 'Les mots', 'Les animaux', 'Les enfants', 'Les légendes'. Ce bande annonce se termine par un titre : Socialisme et avec un auteur : J.-L. Godard, dont ce livre a tenté de retracer l'histoire. Au Festival de Cannes 2010, on pourra voir ce que le cinéaste présente comme son "dernier film" ».[I]
Ainsi Antoine de Baecque termine la biographie de Godard, une biographie sui generis, que nous utilisons pour mieux calibrer les mots. Remarquable par sa discrétion et sa précision, sa plus grande qualité est d'accompagner, à côté de son caractère, un certain regard, pour qu'on puisse revenir à notre point de départ (après un peu plus de 800 pages, c'est aussi le point d'arrivée d'Antoine de Baecque ). , un certain regard qui traverse une bonne partie du XNUMXe siècle, mais, plus que cela, un certain regard qui fait le tour de l'histoire du cinéma pour revenir au cinéma lui-même. Tout ça? Peut-être, et puis certains. Et cela se termine là où nous avons également commencé : Film Socialisme c'est ce qui annonce la fin de la biographie. Maintenant avec le titre complet : non seulement SocialismeMais Film Socialisme. Et Jean-Luc nous permet de prendre ce film comme le regard que de Baecque tente de tracer : du retour au cinéma à travers l'histoire du cinéma.
Bien sûr, nos prétentions (et notre talent (et son manque), et notre souffle, et notre tempérament parmi tant d'autres choses) sont moindres et infiniment plus modestes que ceux de Jean-Luc. Mais les indices ne manquent pas pour comprendre comment cela socialisme peut filmer. De toute façon, il n'y a aucun moyen d'en parler socialisme du film sans oublier Film Socialisme, que Godard lui-même révèle dans une interview, d'autres genres que Godard pratique jusqu'à l'épuisement et l'excellence, et qui viennent en prime pour ceux qui ont acheté le DVD du film en raison des lignes de légalité mal tracées.
Revenons donc au cercle de notre chambre (noire) : Ce que Godard filme, ce n'est pas « le » socialisme – l'héritage le plus maudit que l'Europe nous ait laissé –, lieu, chose, objet, programme et doctrine. C'est plutôt l'origine d'un lieu imaginé, la genèse d'une… image, l'origine de… un horizon. Une image qui se dessine et nous donne un horizon. De quoi d'ailleurs ? "D'un sourire qui écarte l'univers" - devise du film basée sur la légende que Godard donne à une photo bien connue prise en mai 1968.
En 1961, André Labarthe disait à propos de Une femme est une femme [Une femme est une femme] : « Une femme est une femme est une étape importante dans le cinéma moderne. C'est du pur cinéma. C'est le spectacle et le charme du spectacle. Et le cinéma qui revient au cinéma. C'est Lumière en 1961 ».[Ii] Retournant vers Film Socialisme on dirait à peu près la même chose : c'est Lumière en 2011. Mais définissons le sens : cet essai plus ou moins réussi, avec des moments très proches du sublime, qui cherche la genèse d'une image (ou de l'image elle-même) , de la socialisme exige la contrepartie d'un regard : et comment le «L'Arrivée d'un train à la Gare de La Ciotat" ou simplement "L'arrivée du train en gare», archétype du « film » de 1895 des frères Lumière (le cinéma avant le « film », comme il y a eu la littérature avant le livre), cette image naissante (ne le seraient-elles pas toutes ?) menace et terrifie, et il y en a plein qui courent depuis les halls d'exposition.
Passons donc au premier scan du film.
Le film est divisé en trois séquences plus ou moins distinctes, bien que thématiquement très cohérentes et cohésives. Notre sujet est : ce que nous voyons et ce que nous pouvons imaginer à partir de ce que nous voyons. Ou serait-ce le contraire : que voit-on à partir de ce qu'on imagine ? Dans le premier cas, l'amour, qu'il imagine grâce à ce qu'il voit, dans le second, la politique, qu'il ne voit que parce qu'il imagine ce qu'il voit. Et puisque Raoul Coutard, l'inventeur de la photographie Un bout de souffle [harcelé], caméraman de l'armée française dans la guerre d'Indochine, et qui a accompagné Godard pendant la majeure partie de sa « première phase » - de Un bout de souffle à La Chinoise – Godard s'est habitué à filmer des histoires d'amour comme des documentaires de guerre. Après les années 1980, cette partie pris il se modifie, s'élargit, devient plus classique : c'est un peu là où nous en sommes.
Dans la première séquence [des choses/ comme çaa], une croisière de retraite typiquement européenne est à la fois origine et destination : de l'Odyssée, épopée maritime, à la Costa Brava (avec cinq repas par jour, shopping, piscine, casino et activités diverses), la domestication de la vie est avant tout un déclassement de la vie, une expérience de vie qui n'est plus. Alors que les retraités d'aujourd'hui, enfants du dernier soupir de l'État-providence, l'avant-dernière grande invention européenne (serait-ce ?), voyagent sans bouger – la croisière est l'invention d'un déplacement dans le même paysage, le voyage comme négation de le voyage – il y a la mer, toujours aussi irrésolue, monumentale, cinématographique. (Rappelle la mer d'un Bergmann (le septième sceau), la mer monumentale du cinéma, aussi la mer qui s'ouvre de la plage dans la séquence finale de coupons de quatre cents [l'incompris] et, bien sûr, la mer épique d'un Ulysse).
Entre le navire, son intérieur ultra-kitsch, l'effet de reproduction et de réitération et de « fétichisation » d'un paysage familier illusoire (le familier frauduleux à la télévision, abstrait et stérile), et la mer à l'extérieur, « loin » du navire ( comme un paysage), la mer à l'intérieur, au-delà du navire, il y a un choc. De cette juxtaposition nous imaginons l'Europe pauvre. On ne peut donc voir le navire que de l'extérieur, du point de vue de la mer et du cinéma, c'est-à-dire qui, étant en Europe, reste « hors » Europe. C'est la femme noire – et c'est aussi les Palestiniens – (image et signe critique qui apparaissent également dans la deuxième séquence, et qui nous semblent un élément clé du film). Impossible de ne pas déplorer le mauvais sort des passagers de ce bout de ligne : « ah l'Europe, humiliée par la liberté retrouvée », ce qui pourrait bien vouloir dire : l'Europe a perdu son imagination (ici, l'imagination est la conquête la plus précieuse de l'esprit). Et les Husserl (lire dans une salle vide d'auditeurs à l'intérieur du navire, "L'origine de la géométrie", si notre mémoire philosophique ne nous fait pas défaut) et les Matisse, et les Mozart sont étrangement dépaysés dans la bonne image de l'Europe : une croisière à travers la Méditerranée sous la garde de Costa Brava.
La différence entre l'intérieur et l'extérieur du navire ne s'arrête pas là : à l'opposé des plans majestueux de la Mer, plans très classiques d'un point de vue technique, il y a l'expérimentalisme de la capture et de la composition de l'image lors du tournage du navire et de son intérieur. : la vidéo et la technologie numérique vulgarisent l'image dans tous les sens – l'image vulgaire est plus familière, plus pétrifiée, plus fétichiste et plus facile. Surtout plus facile. Non pas qu'il s'agisse d'une critique en retard, quelque chose du genre « comme mon français (cinéma) était délicieux ». On sait que Godard est passionné par les nouvelles technologies et a été l'un des pionniers de la production vidéo.
Son enthousiasme, cependant, n'est pas "facile", naturellement. Car la télévision, à la fois complaisance de l'imagination et coercition de l'imagination, est une fraude, presque exactement dans le sens où elle construit l'opposition entre la mer et l'intérieur du navire. Elle produit et sauvegarde la fraude de l'image « familière » (ou du « familier » comme image). Et nous voilà à l'intérieur du navire, à nous croire « accueillis », alors qu'il n'y a rien de plus anonyme, de plus antipersonnel que le kitsch d'une croisière. La télévision, comme le dit Godard (et ce modeste qui est d'accord avec vous) est l'imposture de notre temps. Elle occupe le territoire de l'imaginaire et ne permet pas de l'imaginer. Il dira à juste titre dans une émission de télévision : "Je suis content d'être venu me promener dans ce pays occupé, la télévision, et de voir comment je peux résister pour continuer à me respecter..."[Iii] et complète à une autre occasion : « Au cinéma, on lève la tête. Lorsque vous regardez la télévision, penchez-vous. Eh bien, il faut lever la tête ». [Iv]. Tout cela en tenant compte du fait que Godard alimente plusieurs projets télévisuels, dont certains qu'il réalise, avec un succès notable.
Revenant donc, Films Socialistes, au sein de l'opposition que nous avons évoquée, il y a une myriade de personnages, embarqués en Europe : la femme noire, les asiatiques au service des blancs, le financier, le juif, les palestiniens, les enfants, le philosophe, le chanteur populaire, chacun avec ses dilemmes et son cynisme, mal exprimés dans des phrases et des dialogues plus ou moins tronqués. Pourtant, l'image qui reste est celle d'une Europe pauvre : ne pas imaginer le sens de voyager sans sortir de chez soi, c'est regarder la mer et ne pas voir la mer.
Dans la deuxième séquence [manger] nous sommes au milieu d'un dilemme familial. La famille Martins, sous les auspices de leur père et de leur mère, décide de vendre le garage et la station-service familiaux, l'entreprise familiale, car ils ne savent plus quoi faire, car l'entreprise est devenue irréalisable. Il est entendu qu'il n'y a plus moyen de continuer avec l'atelier et la station-service, qu'un certain modèle est épuisé. Simultanément, les enfants décident de participer à la politique, une manière de répondre à la décision de leurs parents. Et là on retrouve la maison que la télévision ne capte pas, le familier qui ne rentre pas dans les programmes de télévision : parce que si la télévision montrait ce qu'il y a à l'intérieur des maisons, personne ne pourrait le regarder très longtemps.
Il se trouve qu'il y a une équipe de télévision qui suit les palpitations du cœur de la famille Martin, justement pour servir de contre-épreuve : la télévision n'en est décidément pas capable. Et ce qu'elle ne capte pas, c'est le même problème et deux regards, portés par les deux générations de la famille, quelque chose comme l'image d'une différence : les vieux acceptent les règles du jeu, les jeunes veulent inventer d'autres règles , se tournant vers la politique. Entre l'un et l'autre il y a une vraie proximité, difficile et ponctuée d'incomplétude : le père demande plusieurs fois à sa fille, l'aînée des enfants : « tu ne nous aimes pas ? ». Dans la famille, l'amour doit passer avant la politique, c'est une question/préoccupation du père, à laquelle les enfants semblent répondre : dans la vie, la politique vient avant ou avec l'amour. Dans la famille, tout ce qui se fait implique l'affection de l'autre, mais c'est aussi pouvoir sur l'autre et sujétion. Et si la politique est une affection, nier la solution des parents à la situation d'impasse familiale, c'est aussi douter de l'amour.
Peut-être est-il facile de parler du changement d'échelle de la première à la deuxième séquence, de la fausse familiarité du voyage en croisière, du kitsch télévisuel familier encodé dans les lumières du casino, du service du bar, des murs en miroir et du passage vers le l'intérieur de la maison, avec sa vie imparfaite, incomplète, dans la deuxième séquence. Mais c'est plus que cela : il y a quelque chose comme une immersion dans le dilemme du temps, le dilemme du futur, le dilemme de l'imagination : sans « futur » on imagine à peine (on ne peut absolument pas imaginer). Et le temps, l'horloge, la mesure et le sens sont présents dans les deux séquences.
C'est l'affaire de la famille : les vieux se contentent du temps que le temps leur donne (mais quel temps ?), les jeunes veulent s'inventer un nouveau temps. Il y a un moment, très grand dans sa pudeur familière, où la fille, à côté de son père, dans la pénombre, dans ce qu'on pourrait bien appeler l'intimité domestique (mais profondément intense), dit à peu près ceci : « 4 août 1789 : fin de tous les droits privés, début du sens moderne de l'égalité. Saint-Just avait 20 ans ». C'est profond, c'est surprenant, c'est dur. La politique éclate à la maison. L'image d'un autre temps peut-elle être réinventée comme notre image ? De notre temps? Dans notre maison?
Qui accompagne l'intermittence de la famille Martin, c'est la Télévision locale, sous la forme d'un reporter blanc et d'une caméraman noire. Nous sommes à nouveau face à Negra, désormais caméraman en tenue militaire (veste, pantalon et casquette) et le haut du bikini sous la veste. Il y a une étrangeté permanente à voir la caméraman en bikini (elle délaisse bientôt sa veste), être Noire, à l'opposé des autres. Et il y a quelque chose d'une prise de conscience de cela présent dans le film. Ce qui laisse à penser que Godard veut montrer précisément ceci : le Noir n'est jamais « bien habillé ». Si les Noirs apparaissent bien pour l'Europe, lorsqu'ils sont encadrés par Gauguin (dans un moment particulièrement heureux de cette seconde séquence), lorsqu'ils sortent du cadre (on pourrait dire, le musée « de l'homme »), ils perdent le décorum. Cette petite équipe de télévision, au travail, est erratique et pathétique : elle essaie de se rapprocher de la famille, des enfants, des parents, mais elle n'y arrive pas.
Au milieu de ce malaise (d'affections et de regards), on est surpris par deux belles séquences poignantes. Et il est difficile de les cadrer de manière critique, tant Godard s'est depuis longtemps démarqué de tout conditionnement narratif. C'est pourquoi ils surgissent superbement et mystérieusement - le mystère de l'image? Je parle des séquences où le père écoute de la musique avec sa fille, dans le salon, et engage le dialogue politique dont nous avons parlé plus haut, tandis que la mère fait la vaisselle avec son fils dans la cuisine. Outre la musique remarquable (Bethoveen, si je ne me trompe), il y a je ne sais quelle chorégraphie, contact et respiration de la famille à la famille, créant le précieux cercle protégé du foyer, « cette fleur de enfance", comme quelqu'un l'a déjà appelé, et là, avec leurs dissensions, parents et enfants se rencontrent. Notez que raconter l'image ne dit rien. Et c'est très godardien : c'est à voir absolument.
Nous arrivons à la troisième partie : [Sciences humaines] Maintenant, la chouette de Minerve sur les marches d'Odessa racontera «l'histoire de ce que nous avons vu». Vraiment? La chouette de Godardian Minerve n'est certainement pas hégélienne. C'est plutôt anti-hélégien, on s'en doute. Ça ne s'additionne pas, ça se disperse, dans un collage d'images inventif et provocateur, presque toutes issues du musée de l'image Godard. Et les impasses que montrent les deux premiers mouvements ressurgissent dans ce collage : démocratie/tragédie, passé/futur. La démocratie est contemporaine de la tragédie, dite et répétée tout au long de la troisième séquence. L'histoire de l'Europe est l'histoire de ses guerres civiles. Et là on a du tissu pour pas mal de manches, mais arrêtons-nous là. Et voici l'avant-dernière image : Avertissement FBI: la loi interdit le piratage – tous droits à l'auteur (?). Et le texte suit : Quand la loi n'est pas juste, la justice va au-delà de la loi. L'origine d'un horizon - film socialisme – socialisme : un sourire qui écarte l'univers.
Dans le temps : l'avertissement qui apparaît habituellement au début des DVD est ici à la fin du film et inséré dans le film : le « droit d'auteur » en dit plus sur le cinéma, de façon critique, (dans un art du montage, qui est le pirate ?) que toute vaine théorie esthétique.
Qu'est-ce, de toute façon, Film Socialisme? La question est clairement inappropriée (encore une fois). Et s'il y avait une réponse, la réponse serait une preuve encore plus grande de l'inexactitude de la question. Mais que reste-t-il de Film Socialisme? Maintenant, la question semble prétentieuse (comme vous le savez). En effet, il reste beaucoup. C'est le cinéma, quand il n'y a presque plus de cinéma. C'est de l'imagination en territoire occupé, c'est de la résistance. Contrairement à l'ancien régime, la Première République (française) s'imaginait une République romaine : l'anachronisme de l'image vient du pouvoir de l'imagination. C'est le socialisme qui nous manque. L'imaginaire reste un territoire occupé.[V]
Je conclus par un dialogue entre Godard et Marguerite Duras :
Je défais les films davantage que je le fais. [Je défais des films plus que je n'en fais]
Tu danses à la damnation, Jean Luc. [Tu es dans la damnation Jean-Luc]
Tu ne peux pas écouter, lire, pas écrire, donc le cinéma te sert à oublier çaa. [Tu ne sais ni écouter, ni lire, ni même écrire, alors le cinéma t'aide à oublier tout ça]
La représentation nous console de la tristesse de la vie. Et la vie nous console de ce que la représentation n´est rien. [La représentation nous console de la tristesse de la vie. Et la vie nous console du fait que la représentation n'est rien.][Vi]
Une dernière remarque, en guise de conclusion : le ralenti est le silence de la vitesse : je vous salue Sarajevo.
« Depuis le début de l'année 1993, Jean-Luc Godard consacre un film de deux minutes, brillant, à montrer la souffrance de la ville bosniaque et en même temps à montrer son mécontentement face au « voyeur » et à l'indignation médiatique de « belles âmes » (Bernard Henry-Levy, ex. AOTC). Dans Je vous salue, Sarajevo, le cinéaste découpe une photographie de guerre, celle de Luc Delahaye, prise le 20 juillet 1992, à Sarajevo, montrant des civils bosniaques étendus au sol, blessés, terrifiés, sous la menace des armes et des bottes des soldats serbes. Cette photo l'a dégoûté, car on y voit un soldat donner des coups de pied à une jeune fille blessée allongée sur le sol : honte au soldat, évidemment, un bourreau sadique et presque ingénieux. Mais aussi honte au photographe, qui prend cette image sans aller au secours de la victime, protégé par son professionnalisme, et qui bénéficiera par la suite, en termes de notoriété et de droits, de la large diffusion d'une image qui a fait le tour du monde. dans les journaux et magazines.
Ayant retrouvé la jeune fille de la photo par l'intermédiaire de Francis Bueb, le directeur du Centre André Malraux de Sarajevo, Bibjana Vrhovac, renversée par l'explosion d'un obus, grièvement blessée au bras, sa robe blanche tachée de sang, frappée à coups de pied par le soldat, il , Godard , lui demande, et, pour elle et non pour le photographe, le droit de reproduire la photo, en proposant qu'il y ait une voix off dans le film ».[Vii]
*Alexandre de Oliveira Torres Carrasco est professeur de philosophie à l'Université fédérale de São Paulo (Unifesp).
Initialement publié dans le magazine Février.
Références
- Film Socialisme
France, Suisse, 2010, 102 minutes
Réalisé par : Jean-Luc Godard
Avec : Christian Sinniger, Nadège Beausson-Diagne, Eye Haidara
- Antoine de Baecque, Biographie de Godard. Paris, Grassette, 2010.
- Je vous salue, Sarajevo
Suisse, 1993, 2 minutes
Réalisé par : Jean-Luc Godard
notes
[I]Biographie de Godard. Antoine de Baecque, Grasset, Paris 2010, p. 864.
[Ii]Pareil pareil, P 177.
[Iii]Pareil pareil, P 648.
[Iv]Pareil pareil, P 652.
[V]L'expression « territoire occupé » n'est pas fortuite. Elle vient presque automatiquement de l'antisionisme plutôt cristallisé et problématique de Godard. Nous préférons ne pas aborder le sujet dans cet article pour la raison évidente qu'il mérite au moins un article exclusif, compte tenu de sa complexité et du soin, pas toujours facile, qu'il nécessite.
[Vi]Biographie de Godard. Antoine de Baecque, Grasset, Paris 2010, p. 649.
[Vii]Pareil pareil, P 741.