Jean-Claude Carrière (1931-2021)

Image: Vasco Prado
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Par RAFAËL VALLES*

Commentaire sur la trajectoire intellectuelle du scénariste français récemment décédé

Écrire sur Jean-Claude Carrière n'est pas facile. De même qu'il existe de nombreuses manières d'appréhender sa trajectoire artistique, il existe peu d'alternatives pour ne pas tomber dans les superlatifs. Ecrivain, essayiste, dramaturge, réalisateur, acteur, scénariste, tous ces partis pris nous conduisent à certaines facettes de son travail. Si l'on veut se concentrer sur son activité de scénariste, la tâche n'est pas aisée non plus. En six décennies, plus de 100 scénarios ont été écrits, dont des courts et longs métrages, des films pour le cinéma et la télévision, des œuvres originales ou adaptées.

Si l'on tient compte des réalisateurs avec lesquels il a travaillé, on peut facilement passer par les grands noms de l'histoire du cinéma, tels que Luis Buñuel, Milos Forman, Jean Luc Godard, Louis Malle, Nagisa Oshima, Héctor Babenco, Peter Brook, Carlos Saura, entre autres. Concernant l'œuvre d'auteurs littéraires qu'il a adaptés pour le cinéma, la liste est également considérable, allant de L'amour de Swann (Marcel Proust), de passage L'insoutenable légèreté de l'être (Milan Kundera), atteignant Belle de jour (Joseph Kessel) Souvenirs de mes putes tristes (Gabriel Garcia Marquez), entre autres.

Cependant, au milieu de tels mérites pour une trajectoire irréprochable, je m'attarde ici sur des aspects peut-être moins visibles, mais qui caractérisent aussi la trajectoire de ce Français né en 1931, qui nous a malheureusement quitté le XNUMX février. Un premier point à souligner est sa discrétion. Carrière a consacré une grande partie de sa carrière à un art par nature éphémère, à un métier que peu de gens liront (d'une manière générale, la lecture d'un scénario est réservée au réalisateur, à l'équipe technique et aux comédiens qui joueront le film ).

L'image que lui et Pascal Bonitzer ont mise en place dès l'introduction du livre Pratique du scénario cinématographique est irréprochable sur ce point : « Souvent, à la fin de chaque enregistrement, les scripts se retrouvent dans les poubelles du studio. Ils sont déchirés, froissés, sales, abandonnés. Rares sont ceux qui en conservent un exemplaire, encore moins ceux qui les font relier ou les collectionnent. Autrement dit, l'écriture est un état transitoire, une forme passagère destinée à se métamorphoser et à disparaître, comme une chenille qui devient papillon (BONITZER, CARRIÈRE, 1991, p.13).

Il y a, dans cette compréhension, une discrétion et une conscience. Suite à l'un des premiers enseignements qu'il a reçus sur le cinéma – du réalisateur Jacques Tati et de la monteuse Suzanne Baron –, Carrière revendique la nécessité pour les scénaristes d'être pleinement conscients de la façon dont les films sont faits. Cette connaissance rend l'écriture d'un scénario capable de s'adapter aux spécificités du langage cinématographique lui-même et aux transformations que subira l'œuvre pour atteindre sa forme définitive.

Comme le précise Carrière, « en plus de faire face à ces contraintes, avec ce passage obligé entre les mains des comédiens et des techniciens, il faut posséder une qualité particulière, difficile à acquérir et à entretenir : l'humilité. Non seulement parce que le film appartient le plus souvent au réalisateur, et que seul son nom sera glorifié (ou diffamé), mais aussi parce que l'œuvre écrite, après avoir été manipulée et utilisée intensivement, sera finalement jetée, comme la peau de la chenille. À un moment donné du processus, le scénariste doit être capable de prendre ses distances avec la dévotion à son travail, en transférant tout son amour au film » (2014, p.137).

C'est dans cet exercice continu de discrétion et d'humilité que l'on peut aussi identifier une autre facette de Carrière : la préparation des scénarios de films en partenariat avec les réalisateurs eux-mêmes. C'est ainsi qu'il travaille « treize ans avec Pierre Etaix, vingt ans avec Buñuel et seize ans avec Peter Brook » (GONÇALVES FILHO, 2001, p.118). Sa trajectoire montre également un partenariat continu avec des réalisateurs tels que Milos Forman et la famille Garrel (Philippe et son fils Louis). Ce n'est pas nécessairement la preuve d'un processus paisible et tranquille (de quel processus de création s'agirait-il ?), mais cette longévité dans les partenariats prouve une valeur de la personnalité agrégée de Carrière.

Sur cet aspect, il a fait un commentaire intéressant dans le livre Le langage secret du cinéma: « le scénariste doit non seulement apprendre à puiser dans ses propres profondeurs obscures lors de l'acte d'écriture, mais aussi avoir le courage de s'exposer à son partenaire. Il doit avoir le courage de suggérer telle ou telle idée précise (...) il doit subir un exercice sans fin d'impudeur » (2014, p.153). La conséquence de cela ? La reconnaissance de ceux qui ont recherché cette impudeur avec lui.

Naturellement, l'un des grands partenariats de l'histoire du cinéma me vient à l'esprit : Buñuel et Carrière. Dans le mémoire mon dernier souffle, il est possible de trouver une reconnaissance considérable du cinéaste espagnol au scénariste français : « Pour presque tous mes films (à l'exception de quatre), j'avais besoin d'un écrivain, d'un scénariste, pour m'aider à mettre le scénario et les dialogues en noir et blanc. Tout au long de ma vie, j'ai travaillé avec 28 écrivains différents. (...) Celui auquel je me suis le plus identifié est sans aucun doute Jean Claude Carrière. Ensemble, à partir de 1963, nous avons écrit six films » (2009, p.338).

La clé pour comprendre le succès de ce partenariat est également la façon dont les deux ont conçu des classiques comme Journal d'une femme de ménage (1964), Le charme discret de la bourgeoisie (1972), Cet Obscur Objet du Désir (1977). Dans sa biographie, Buñuel énonce un facteur prépondérant pour l'élaboration d'une bonne histoire : « l'essentiel dans un scénario me semble être l'intérêt d'une bonne progression, qui ne laisse à aucun moment l'attention du spectateur en repos. On peut discuter du contenu d'un film, de son esthétique (s'il en a une), de son style, de son penchant moral. Mais il ne doit jamais s'ennuyer » (2009, p.338).

N'ennuie jamais le spectateur

Le point commun entre Buñuel et Carrière est dans la compréhension que le cinéma est progression, implication, désir. A la fois par des scénarios adaptés et originaux, Carrière a compris que « l'histoire commence lorsque la personne à qui vous serrez la main acquiert, avec cela, une option sur vos pensées les plus intimes, sur vos désirs les plus cachés, sur votre destin » (BONITZER ; CARRIÈRE, 1991 , p.131).

Ainsi, lui et Buñuel les ont conduits à la condition de voyeurs avant le choix de Séverine de devenir la beauté de l'après-midi. Dans cette œuvre, nous sommes complices des choix d'une ménagère malheureuse qui décide de passer ses après-midi de prostituée dans un bordel. On suit ses pulsions, ses peurs d'être découvertes, la découverte d'un moyen d'assouvir ses désirs les plus secrets.

Nous arrivons ici à un dernier point. La discrétion de Carrière se conjugue également au raffinement de ses récits. Même avec des scénarios si différents les uns des autres, on ne s'attend pas à ce que ses œuvres aient des rebondissements sauvages, des coups bas pour attirer l'attention du spectateur ou des schématismes structurels « à la Syd Field ». Comme il le déclare lui-même dans Le langage secret du cinéma, moins la forme du scénario se fait sentir dans le film, plus son impact sera grand. Pour défendre cette conception, Carrière fait une analogie avec le travail des comédiens. « Je préfère les acteurs dont je ne vois pas le jeu, où le talent et la compétence ont cédé la place à une qualité plus intime. Je n'aime pas dire : comme il agit bien ! Je préfère que l'acteur me rapproche de lui ; Je préfère oublier qu'il est acteur et le laisser me transporter – comme lui-même l'a été – dans un autre monde. Je n'aime pas l'extravagance, les effets, les gadgets et le maquillage. Il en va de même pour le scénario. Et, bien sûr, pour la direction. Le grand art ne laisse jamais d'indices » (2014, p. 177).

Carrière était un scénariste qui n'a pas cherché à « faire couler l'encre ». Même dans ce qui est peut-être l'un des scénarios les plus marquants de sa trajectoire, il est possible de trouver ce raffinement de son style. Dans Le charme discret de la bourgeoisie, Buñuel et Carrière nous entraînent constamment dans des situations surréalistes, nous invitant à nous plonger dans l'univers d'un groupe de bourgeois vivant de frivolités et de conventions sociales, indifférents à un monde en ébullition autour d'eux. Chaque mouvement de ce film nous rappelle sa paternité.

Pourtant, le sarcasme recherché par les auteurs finit par mener subtilement le récit, avec un ton étrange qui nous interroge et, en même temps, nous séduit. La synthèse de ceci peut être comprise dans le processus de choix du titre. Comme le commente Buñuel : « En travaillant sur le scénario, nous n'avons pas pensé un seul instant à la bourgeoisie. Hier soir (…) nous avons décidé de trouver un titre. L'une d'entre elles que j'avais envisagée, en référence à la carmagnole, était 'A bas Lénine ou La Vierge de l'écurie'. Un autre, tout simplement : « Le charme de la bourgeoisie ». Carrière a attiré mon attention sur le fait qu'il manquait un adjectif et, sur mille, « discret » a été choisi. Il nous a semblé qu'avec ce titre, Le charme discret de la bourgeoisie, le film a pris une autre forme et presque un autre fond. Nous l'avons regardé d'une manière différente » (2009, p.344).

C'est pour ces raisons et d'autres que l'histoire du cinéma s'écrit aussi à partir de « l'histoire secrète » contenue dans l'élaboration des scénarios. Avec sa discrétion habituelle, Carrière est l'un des protagonistes de cette histoire.

*Rafael Vallès est écrivain, documentariste, enseignant et chercheur.

Références


BONITZER, Pascal; CARRIÈRE, Jean Claude. La fin – pratique du scénario cinématographique. Barcelone : Paidos, 1991.

BUÑUEL, Luis. mon dernier souffle. São Paulo : Cosac Naify, 2009.

CARRIÈRE, Jean-Claude. Le langage secret du cinéma. Rio de Janeiro : Nova Fronteira, 2014.

GONÇALVES FILHO, Antonio. le mot naufragé. São Paulo : Cosac Naify, 2001.

 

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